Cour d'appel, 3 mars 1998, Société Casino c/ Société des Bains de mer et du Cercle des étrangers

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Abstract🔗

Marques de fabrique

Notoriété - Appréciation au niveau international - Propriété - Acquisition : usage public et notoire

Résumé🔗

L'article 5 de la loi n° 1058 du 10 juin 1983 sur les marques de fabrique dispose que le titulaire d'une marque notoirement connue, au sens des dispositions des conventions internationales, peut demander l'annulation du dépôt ou l'interdiction de l'usage d'une marque susceptible de créer une confusion avec la sienne.

La notoriété de la marque doit être appréciée non pas dans le cadre national, mais dans le cadre de sa diffusion internationale. Si l'enseigne « Casino », avant même d'être implantée en Principauté, était largement connue des consommateurs de Monaco et des pays voisins, il n'en était pas de même des produits portant la marque « Casino » ; en effet, ces produits, peu nombreux à l'origine, n'étaient distribués que dans les magasins du Groupe Casino où ils étaient même présentés de manière peu attrayante et à prix minimes.

Pour l'essentiel, les pièces versées aux débats concernent l'implantation des magasins à l'enseigne « Casino » ou la publicité faite pour ces magasins, voire même ceux à l'enseigne « Géant » où « Rallye », les produits de marque « Casino », n'étant concernés que de manière marginale.

Ainsi, la société Casino n'établit pas la notoriété de sa marque « Casino », au sens de l'article 4 de la loi, antérieurement au 5 juillet 1991. En outre, il n'existe aucun risque de confusion entre les marques « Casino » et « Sun Casino », les deux éléments de cette dernière étant indissociables, et alors que ces marques couvrent des produits et services fournis dans des circuits commerciaux totalement différents qui sont ceux de la grande distribution d'une part et de l'hôtellerie de luxe et des jeux d'autre part.

L'article 3 de la loi n° 1058 dispose quant à lui que la propriété de la marque s'acquiert par un premier usage public et notoire. Cet usage doit avoir été fait à Monaco. Or, il ne résulte pas des pièces produites que la société Casino ait, avant le 5 juillet 1991, offert à la vente à Monaco, de manière significative, des services ou des produits revêtus de sa marque « Casino ».

Ainsi, elle ne justifie pas de l'usage public et notoire de cette marque exigé par l'article 3 de la loi susvisée.


Motifs🔗

La Cour

La Cour statue sur l'appel du jugement rendu le 11 mai 1995 par le Tribunal de première instance de Monaco dans le litige opposant la société Casino G. P. et Cie, ci-après dénommée Société Casino, à la SAM des Bains de mer et du Cercle des étrangers, ci-après dénommée SBM.

Les faits, la procédure, les moyens et les prétentions des parties peuvent être relatés comme suit, étant fait référence pour le surplus à la décision attaquée et aux écritures échangées en appel :

La société Casino est titulaire de deux marques dénommées « Casino » ayant effet sur le territoire monégasque :

  • une marque monégasque n° R 818667 déposée le 15 avril 1981 en renouvellement d'un premier dépôt du 10 mai 1966 et couvrant tous les produits de la nomenclature internationale (classes 1 à 34)

  • une marque internationale n° 448217 enregistrée le 2 novembre 1979, ayant effet à Monaco et couvrant les classes de services n° 35 à 41 de la nomenclature internationale.

La SBM a, pour sa part, déposé deux marques dénommées « Sun Casino » :

  • une marque monégasque n° 91-13 873 du 5 juillet 1991 couvrant les produits et services des classes n° 3, 9, 16, 18, 20, 27, 28, 41 et 42 de la nomenclature internationale.

  • une marque internationale n° 583 318 déposée le 23 mars 1992 couvrant les mêmes produits et services dans dix pays européens.

Estimant que ces dépôts de marque portaient atteinte à ses droits et intérêts, la société Casino a demandé à la SBM de limiter le libellé de ses marques « Sun Casino » à des services de divertissement, d'hôtellerie et de restauration rendus par des établissements de jeux et couverts par les classes 41 et 42.

Devant le refus opposé, la société Casino, par acte du 22 juin 1994, a fait assigner la SBM devant le Tribunal de première instance de Monaco sur le fondement de la loi n° 1058 du 10 juin 1983, afin de voir prononcer la nullité partielle de la marque monégasque n° 91-13 873 « Sun Casino ».

Par le jugement attaqué, du 11 mai 1995, le Tribunal de première instance a :

  • débouté la société Casino des fins de sa demande d'annulation partielle.

  • débouté la SBM de sa demande reconventionnelle.

  • condamné la société Casino aux dépens.

Pour statuer ainsi, les premiers juges, après avoir relevé que l'action de la société Casino était exclusivement fondée sur les dispositions de l'article 5 de la loi n° 1058 du 10 juin 1983 relatif aux marques notoires, ont estimé, pour l'essentiel, que la marque « Casino » ne remplissait pas la condition de notoriété indispensable pour bénéficier de la protection légale.

La société Casino a relevé appel de cette décision.

À l'appui de son appel, la société Casino expose en premier lieu que le Tribunal de première instance n'aurait pas examiné sa demande fondée sur la propriété de ses marques antérieures, monégasque et internationale, « Casino ». Elle soutient sur ce point que le dépôt de la marque monégasque « Sun Casino » constitue une contrefaçon de sa marque « Casino » et porte atteinte à ses droits de marque. Elle conclut à l'annulation du dépôt de la marque « Sun Casino » sur la base des articles 3 et 30 de la loi n° 1058 du 10 juin 1983.

En deuxième lieu, et subsidiairement, elle affirme que la marque « Casino » jouirait sur le territoire monégasque d'une notoriété certaine du fait de l'implantation de la société Casino dans les environs de la Principauté, de la publicité effectuée dans les média locaux et régionaux et de l'existence d'une clientèle.

Elle précise que la marque « Casino » est connue non seulement à titre d'enseigne mais également à titre de marque de distributeur des produits et services qu'elle offre dans ses supermarchés.

Elle prétend que la marque « Sun Casino », qui couvre des produits et services identiques aux siens, est de nature à créer une confusion avec sa propre marque.

Elle conclut de ce fait à l'annulation de la marque monégasque « Sun Casino » sur la base de l'article 5 de la loi n° 1058.

En troisième lieu, et enfin, répondant aux conclusions de son adversaire, elle déclare que même si le moyen tiré de l'article 3 de la loi n° 1058 devait être considéré par la Cour comme nouveau, la demande elle-même n'était pas nouvelle en appel.

La société Casino demande en définitive à la Cour, outre de dire, juger ou constater divers points qui n'ont pas leur place dans le dispositif d'un arrêt mais constituent éventuellement des motifs,

  • de prononcer la nullité partielle de la marque monégasque n° 91.13873 « Sun Casino » de la Société des Bains de mer pour les produits classes n° 3, 9, 16, 20, 27, 28 et pour les services des classes n° 41 et autres que ceux rendus par des établissements de jeu, par application de l'article 5 de la loi monégasque n° 1058 du 10 juin 1983 sur les marques de fabrique, de commerce ou de services.

  • de dire et juger que le libellé du dépôt de la marque monégasque n° 91.13873 « Sun Casino » doit être limité aux services suivants :

« ... classe n° 41 : » services de divertissement rendus par des établissements de jeux, «

» ... classe n° 42 : « services d'hôtellerie, de restauration et de fourniture de boissons rendus par des établissements de jeux. »

  • de condamner la Société des Bains de mer à souscrire une renonciation partielle aux effets de son dépôt de la marque monégasque n° 91.13873 « Sun Casino » pour les produits des classes n° 3, 9, 16, 18, 20, 27, 28 et pour les services d'éducation des classes n° 41 et 42 autres que ceux visés ci-dessus, auprès de la direction du commerce et de l'industrie et de la propriété industrielle de la Principauté de Monaco et de l'Office mondial de la Propriété industrielle dans un délai d'un mois à compter du jour où le jugement sera devenu définitif, et ce sous astreinte non comminatoire de 1 000 francs par jour de retard, passé ce délai.

  • de dire et juger que la décision sera transcrite au Registre spécial des marques tenu à la direction du commerce, de l'industrie et de la propriété industrielle de la Principauté de Monaco, ainsi qu'au Registre international des Marques tenu à l'Organisation mondiale de la Propriété industrielle.

  • de dire et juger que, faute par la Société des Bains de mer, de procéder auxdites inscriptions dans le délai de deux mois après la signification du jugement, il pourra y être procédé par la société Casino G. P. sur simple présentation de la décision, et ce aux frais de la Société des Bains de mer.

  • de condamner la Société des Bains de mer à payer à la société Casino G. P. une somme de 10 000 francs à titre de dommages-intérêts pour résistance injustifiée.

  • de condamner la Société des Bains de mer à payer à la société Casino G. P. une somme de 10 000 francs à titre de participation à ses frais de défense.

  • de condamner la Société des Bains de mer en tous les dépens.

La SBM, pour sa part, estime en premier lieu que l'action engagée par la société Casino n'était fondée que sur l'article 5 de la loi n° 1058. Elle déclare que l'article 30 de ladite loi, invoqué devant la Cour, est sans rapport avec le litige. Elle soutient que l'invocation par la société Casino de l'article 3 de la loi constitue une demande nouvelle irrecevable en cause d'appel.

À titre subsidiaire sur ce point, elle déclare que cet article requiert pour l'acquisition de la propriété d'une marque un premier usage public et notoire. Elle prétend que la société Casino ne peut justifier d'aucun usage de sa marque « Casino » à Monaco avant le 5 juillet 1991, date du dépôt de la marque « Sun Casino » par la SBM.

En deuxième lieu, sur la base de l'article 5 de la loi, elle soutient que la marque « Casino » ne jouit d'aucune notoriété tant au plan monégasque qu'international. Elle expose que si l'enseigne « Casino » est largement répandue en France la marque « Casino » portée sur des produits vendus par la société Casino dans ses seuls supermarchés, dont aucun à l'époque n'était implanté à Monaco, ne bénéficiait d'aucune diffusion ou renommée particulière dans le public.

Elle ajoute que la publicité réalisée dans la région et les quelques livraisons effectuées à Monaco n'établissent pas le caractère notoire de la marque.

En troisième lieu, elle déclare que la marque « Sun Casino » ne peut être confondue avec la marque « Casino », le mot « Sun » étant essentiel dans la marque de la SBM.

En quatrième lieu, elle estime abusive la procédure de la société Casino et évalue son préjudice à 30 000 francs.

La SBM demande en définitive à la Cour :

  • de déclarer irrecevable comme nouvelle toute demande de la société Casino fondée sur d'autres dispositions que l'article 5 de la loi n° 1058.

  • de confirmer le jugement entrepris.

  • de débouter la société Casino de toutes ses demandes, fins et conclusions.

  • de la condamner au paiement de 30 000 francs à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive.

  • de la condamner aux dépens.

Cela étant exposé, la Cour :

Considérant que l'article 30 de la loi n° 1058 du 10 juin 1983 ne concerne que les modalités d'exercice de l'action en nullité d'une marque ;

Qu'il est donc inopérant en l'espèce ;

Considérant que, contrairement aux allégations de la société Casino, l'article 3 de ladite loi n'était pas visé dans l'assignation du 22 juin 1994 ;

Que toutefois son invocation en cause d'appel ne constitue qu'un moyen nouveau et non une demande nouvelle, dans la mesure où celle-ci demeure la même que devant les premiers juges ;

Qu'aucune irrecevabilité ne peut donc être prononcée de ce chef ;

Considérant que l'article 5 de la loi n° 1058 dispose que le titulaire d'une marque notoirement connue, au sens des dispositions des conventions internationales, peut demander l'annulation du dépôt ou l'interdiction de l'usage d'une marque susceptible de créer une confusion avec la sienne ;

Considérant que la notoriété de la marque doit être appréciée non pas dans le cadre national, mais dans le cadre de sa diffusion internationale ;

Considérant que si l'enseigne « Casino », avant même d'être implantée en Principauté, était largement connue des consommateurs de Monaco et des pays voisins, il n'en était pas de même des produits portant la marque « Casino » ;

Qu'en effet ces produits, peu nombreux à l'origine, n'étaient distribués que dans les magasins du groupe Casino où ils étaient même présentés de manière peu attrayante et à prix minimes ;

Que pour l'essentiel, les pièces versées aux débats concernent l'implantation des magasins à l'enseigne « Casino » ou la publicité faite pour ces magasins, voire même ceux à l'enseigne « Géant » ou « Rallye », les produits de marque « Casino » n'étant concernés que de manière marginale ;

Qu'ainsi la société Casino n'établit pas la notoriété de sa marque « Casino », au sens de l'article 5 de la loi, antérieurement au 5 juillet 1991 ;

Considérant en outre qu'il n'existe aucun risque de confusion entre les marques « Casino » et « Sun Casino », les deux éléments de cette dernière étant indissociables, et alors que ces marques couvrent des produits et services fournis dans des circuits commerciaux totalement différents qui sont ceux de la grande distribution d'une part et de l'hôtellerie de luxe et des jeux d'autre part ;

Considérant que l'article 3 de la loi n° 1058 dispose quant à lui que la propriété de la marque s'acquiert par un premier usage public et notoire ;

Considérant que cet usage doit avoir été fait à Monaco ;

Considérant qu'il ne résulte pas des pièces produites que la société Casino ait, avant le 5 juillet 1991, offert à la vente à Monaco, de manière significative, des services ou des produits revêtus de sa marque « Casino » ;

Qu'ainsi elle ne justifie pas de l'usage public et notoire de cette marque exigé par l'article 3 de la loi susvisée ;

Considérant que l'appel de la société Casino n'est pas manifestement dilatoire, abusif ou malicieux ;

Qu'il n'y a pas lieu à l'attribution de dommages-intérêts de ce chef ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco,

  • confirme le jugement entrepris, du 11 mai 1995.

  • déboute les parties de toutes les autres demandes, fins et conclusions.

Composition🔗

MM. Sacotte, prem. prés. ; Serdet, prem. subst. proc. gén. ; Mes Blot, Pastor, av. déf. ; Veron, Combeau, av. bar. de Paris.

Note🔗

 Cet arrêt confirme le jugement entreprise du 11 mai 1995.

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