Tribunal de première instance, 11 mai 1995, Société Casino G.-P. c/ SA des Bains de Mer et du cercle des Étrangers à Monaco

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Abstract🔗

Marques de fabrique

Protection spécifique (L. n° 1058, 10 juin 1983, art. 5) - Annulation du dépôt d'une marque susceptible de créer une confusion avec une marque notoire - Condition : notoriété - Appréciation au niveau International

Résumé🔗

L'enregistrement d'une marque émanant du bureau international de la propriété intellectuelle - en l'espèce la marque Casino -dispense du dépôt monégasque prévu par l'article 3 alinéa 2 de la loi n° 1058 du 10 juin 1983 sur les marques de fabrique, de commerce ou de service, dès lors que cette loi est primée par le traité international dénommé arrangement de Madrid du 19 avril 1891 qui est exécutoire à Monaco depuis l'Ordonnance Souveraine n° 5685 du 29 octobre 1975.

S'agissant de l'action en annulation partielle du dépôt, il ressort des dispositions de l'article 5 de la loi interne 1058 précitée que seul le titulaire d'une marque notoirement connue peut demander l'annulation du dépôt d'une marque susceptible de créer une confusion avec la sienne ; ladite demande doit en outre être intentée dans les cinq années suivant la date du dépôt (lorsque la bonne foi du déposant est établie), condition en l'occurrence remplie, dès lors que la Société des Bains de Mer a effectué le dépôt de la marque Sun Casino le 5 juillet 1991 et que la présente demande d'annulation a été formée suivant exploit du 22 juin 1994.

S'agissant de la condition inhérente à la notoriété de la marque, la jurisprudence et la doctrine ont à cet égard retenu un critère essentiel d'ordre géographique permettant de qualifier de notoire la marque qui déborde le cadre originaire du pays où elle a été régulièrement acquise, et qui gagne, par sa réputation, l'intensité de son usage ou la publicité dont elle fait l'objet, un marché international étendu à plusieurs pays, en s'y imposant à l'attention du grand public.

Dans la Principauté de Monaco, au regard notamment de l'exposé des motifs de la loi n° 1058 qui se réfère au caractère exigu du territoire monégasque sur lequel sont utilisées de nombreuses marques déposées à l'étranger, il y a lieu d'exiger une notoriété acquise au niveau international, indépendamment de l'utilisation de la marque ou de la connaissance que le public a pu en avoir au plan local, étant en effet observé que d'importantes marques étrangères dont la renommée serait mondiale, pourraient ne pas avoir encore pénétré le territoire de la Principauté, compte tenu en particulier de la dimension réduite de son marché.

Il y a dès lors lieu d'apprécier à l'effet de déterminer la notoriété de la marque « Casino », l'extension géographique au niveau international qu'a pu acquérir ladite marque à l'étranger, au regard de son ancienneté, de sa réputation, de la durée et de l'importance de son usage ou de la publicité dont elle a fait l'objet.

Il appartient au titulaire prétendu de la marque notoire d'établir le respect de cette condition préalable, compte tenu de laquelle il pourra bénéficier de l'article 5 de la loi n° 1058.

À cet égard le chiffre d'affaires de la Société Casino et le nombre de ses points de vente dans le département des Alpes-Maritimes, quoique importants, démontrent, certes la puissance économique de l'entreprise, mais ne sont pas en soi des critères de notoriété.

Si ces éléments consacrent effectivement la réputation de la Société Casino dans le secteur des produits de la grande distribution, il n'en demeure pas moins que celle-ci n'a pas, sur le marché international, la célébrité des marques notoirement connues, d'autant que la marque Casino n'est pas une marque forte en elle-même, c'est-à-dire arbitraire au point de ne comporter aucune signification, mais une marque plutôt faible du fait qu'elle évoque une idée susceptible d'interprétation différente.

Ces éléments de fait n'établissent pas de façon objective la diffusion internationale de la marque « Casino », ni son usage intense et son extension à plusieurs marchés étrangers où elle se serait imposée à l'attention du grand public.

En définitive quelle que puisse être la notoriété de la marque Casino dans son pays d'origine, à savoir la France, il n'apparaît pas en l'état justifié par la demanderesse de la notoriété internationale de sa marque, condition nécessaire à celle-ci pour prétendre au bénéfice de la protection légale édictée par l'article 5 de la loi n° 1058 du 10 juin 1983.


Motifs🔗

Le Tribunal,

Attendu que la société en commandite par actions dénommée Casino G.-P. et Cie est titulaire de la marque Casino dont le dépôt a été effectué d'une part, au Bureau international de la propriété intellectuelle, le 2 novembre 1979, sous le numéro 448217 avec effet à Monaco, et pour les classes 35 à 41, et, d'autre part, auprès de la direction du commerce, de l'industrie et de la propriété industrielle de Monaco, le 15 avril 1981, sous le numéro R. 81.8667 à titre de renouvellement d'un premier dépôt du 10 mai 1966, couvrant les classes 1 à 34 ;

Attendu que, par ailleurs, la Société des Bains de Mer et du Cercle des Étrangers de Monaco, en abrégé SBM, a procédé ultérieurement à deux dépôts de la marque nominative « Sun Casino » :

  • l'un effectué à Monaco le 5 juillet 1991 n° 9113873 couvrant les produits et services des classes n° 3, 9, 16, 18, 20, 27, 28, 41 et 42,

  • l'autre à caractère international, en date du 23 mars 1992 n° 583318, concernant les mêmes produits et services pour l'Allemagne, l'Autriche, le Bénélux, l'Espagne, la France, l'Italie, le Liechtenstein, le Portugal, Saint-Marin et la Suisse ;

Attendu que, selon exploit du 22 juin 1994, la société Casino G.-P. et Cie indiquant avoir eu connaissance de ces deux dépôts a, dès lors, fait assigner la SBM sur le fondement de l'article 5 de la loi monégasque n° 1058 du 10 juin 1983 en demandant au Tribunal de :

« -dire et juger que le dépôt de la marque monégasque n° 91-13873 » Sun Casino « par la Société des Bains de Mer le 5 juillet 1991 porte atteinte à ses droits antérieurs sur les marques » Casino « monégasque n° 81-8667 et internationale n° 448217,

  • prononcer, en conséquence, la nullité partielle de la marque monégasque n° 91-13873 » Sun Casino « de la Société des Bains de Mer pour les produits des classes n° 3, 9, 16, 18, 20, 27, 28 et pour les services des classes n° 41 et 42 autres que ceux rendus par des établissements de jeux, par application de l'article 5 de la loi monégasque n° 1058 du 10 juin 1983 sur les marques de fabrique, de commerce ou de services,

  • prononcer la nullité partielle de la marque internationale n° 583318 » Sun Casino « déposée par la Société des Bains de Mer le 23 mars 1992 dans la mesure où cet enregistrement international reste dépendant de l'enregistrement monégasque d'origine ci-dessus jusqu'au 23 mars 1997, et ce pour les mêmes produits et services, en application de l'article 6-3 de l'Arrangement de Madrid concernant l'enregistrement international des marques,

  • dire et juger, en conséquence, que le libellé de dépôt de la marque monégasque n° 91 - 13873 » Sun Casino « et, par conséquence, de la marque internationale n° 583318 » Sun Casino « de la Société des Bains de Mer doit être limité aux services suivants :

  • classe n° 41 : » services de divertissement rendus par des établissements de jeux «,

  • classe n° 42 : » services d'hôtellerie, de restauration et de fourniture de boissons rendus par des établissements de jeux «,

  • condamner la Société des Bains de Mer à souscrire une renonciation partielle aux effets de son dépôt de la marque monégasque n° 91 - 13873 » Sun Casino « pour les produits des classes n° 3, 9, 16, 18, 20, 27, 28 et pour les services d'éducation de la classe n° 41, auprès de la Direction du Commerce, de l'Industrie et de la Propriété Industrielle de la Principauté de Monaco dans un délai de un mois à compter du jour où le jugement sera devenu définitif, et ce sous astreinte non comminatoire de 1 000 F par jour de retard, passé ce délai,

  • condamner de même la Société des Bains de Mer à souscrire une renonciation partielle aux effets de son dépôt de la marque internationale n° 583318 » Sun Casino « pour les produits des classes n° 3, 9, 16, 18, 20, 27, 28 et pour les services d'éducation de la classe n° 41, auprès de l'Organisation Mondiale de la Propriété Industrielle dans un délai de un mois à compter du jour où le jugement sera devenu définitif, et ce sous astreinte non comminatoire de 1 000 F par jour de retard, passé ce délai,

  • dire et juger que la décision sera transcrite au Registre Spécial des Marques tenu à la Direction du Commerce, de l'Industrie et de la Propriété Industrielle de la Principauté de Monaco, ainsi qu'au Registre International des Marques tenu à l'Organisation Mondiale de la Propriété Industrielle,

  • dire et juger que, faute par la Société des Bains de Mer, de procéder auxdites inscriptions dans le délai de deux mois après la signification du jugement, il pourra y être procédé par la Société Casino G.-P. & Cie sur simple présentation de la décision, et ce aux frais de la Société des Bains de Mer,

  • condamner la Société des Bains de Mer à payer à la société Casino G.-P. & Cie une somme de 10 000 F à titre de dommages-intérêts pour résistance injustifiée,

  • condamner la Société des Bains de Mer à payer à la société Casino G.-P. & Cie une somme de 10 000 F à titre de participation à ses frais de défense,

  • condamner la Société des Bains de Mer en tous les dépens qui seront distraits au profit de Me Escaut, sur son affirmation de droit. »

Attendu qu'en réponse la SBM conclut au débouté de la société Casino G.-P. de ses demandes et sollicite reconventionnellement sa condamnation à lui payer la somme de 20 000 francs à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive en faisant valoir pour l'essentiel que la marque Casino ne dispose d'aucune notoriété pour désigner les produits et services visés dans ses actes de dépôt, et que l'adjonction du terme Sun au terme Casino dans la marque déposée par la SBM fait disparaître tout risque de confusion ;

Sur ce,

Attendu que l'analyse des écrits judiciaires de la société Casino G.-P., complétés par ses déclarations à l'audience, confère à l'action dont le Tribunal se trouve actuellement saisi, le caractère d'une action en annulation partielle de dépôt de marque, exclusivement fondée sur les dispositions de l'article 5 de la loi n° 1058 du 10 juin 1983 relatif aux marques notoires ;

Attendu que, bien que n'y étant pas légalement tenue de ce chef, la demanderesse justifie du dépôt à Monaco de la marque dont elle sollicite la protection, par la production d'un certificat d'enregistrement émanant de la direction du commerce, de l'industrie et de la propriété industrielle de Monaco n° 81-8667 du 15 avril 1981 en renouvellement d'un premier dépôt n° 663410 du 10 mai 1966, couvrant les produits des classes 1 à 34 incluse,

Que, par ailleurs, elle produit également un autre certificat d'enregistrement émanant du bureau international de la propriété intellectuelle, n° 448217, avec effet du 2 novembre 1979, couvrant les classes n° 35 à 41 incluse ;

Que ce dernier certificat d'enregistrement cite expressément la Principauté de Monaco parmi les pays intéressés, en sorte que la marque Casino est dispensée, pour les classes visées, du dépôt monégasque prévu par l'article 3 (2e alinéa) de la loi n° 1058 du 10 juin 1983 sur les marques de fabrique, de commerce ou de service, dès lors que cette loi est primée par le traité international dénommé arrangement de Madrid du 19 avril 1891 qui est exécutoire à Monaco depuis l'Ordonnance Souveraine n° 5685 du 29 octobre 1975 ;

Attendu, s'agissant de l'action en annulation partielle du dépôt, qu'il ressort des dispositions de l'article 5 de la loi interne 1058 précitée que seul le titulaire d'une marque notoirement connue peut demander l'annulation du dépôt d'une marque susceptible de créer une confusion avec la sienne ; que ladite demande doit en outre être intentée dans les cinq années suivant la date du dépôt (lorsque la bonne foi du déposant est établie), condition en l'occurrence remplie, dès lors que la SBM a effectué le dépôt de la marque Sun Casino le 5 juillet 1991 et que la présente demande d'annulation a été formée suivant exploit du 22 juin 1994 ;

Que, s'agissant de la condition inhérente à la notoriété de la marque, la jurisprudence et la doctrine ont à cet égard retenu un critère essentiel d'ordre géographique permettant de qualifier de notoire la marque qui déborde le cadre originaire du pays où elle a été régulièrement acquise, et qui gagne, par sa réputation, l'intensité de son usage ou la publicité dont elle fait l'objet, un marché international étendu à plusieurs pays, en s'y imposant à l'attention du grand public ;

Attendu que dans la Principauté de Monaco, au regard notamment de l'exposé des motifs de la loi n° 1058 qui se réfère au caractère exigu du territoire monégasque sur lequel sont utilisées de nombreuses marques déposées à l'étranger, il y a lieu d'exiger une notoriété acquise au niveau international, indépendamment de l'utilisation de la marque ou de la connaissance que le public a pu en avoir au plan local, étant en effet observé que d'importantes marques étrangères dont la renommée serait mondiale, pourraient ne pas avoir encore pénétré le territoire de la Principauté, compte tenu en particulier de la dimension réduite de son marché ;

Attendu qu'il y a dès lors lieu d'apprécier à l'effet de déterminer la notoriété de la marque Casino, l'extension géographique au niveau international qu'a pu acquérir ladite marque à l'étranger, au regard de son ancienneté, de sa réputation, de la durée et de l'importance de son usage ou de la publicité dont elle a fait l'objet ;

Qu'il appartient au titulaire prétendu de la marque notoire d'établir le respect de cette condition préalable, compte tenu de laquelle il pourra bénéficier de la protection de l'article 5 de la loi 1058 ;

Attendu à cet égard que le chiffre d'affaires de la société Casino G.-P. et le nombre de ses points de vente dans le département des Alpes-Maritimes, quoique importants, démontrent certes la puissance économique de l'entreprise mais ne sont pas en soi des critères de notoriété ; que si ces éléments consacrent effectivement la réputation de la société Casino dans le secteur des produits de la grande distribution, il n'en demeure pas moins que celle-ci n'a pas, sur le marché international, la célébrité des marques notoirement connues, d'autant que la marque Casino n'est pas une marque forte en elle-même, c'est-à-dire arbitraire au point de ne comporter aucune signification, mais une marque plutôt faible du fait qu'elle évoque une idée susceptible d'interprétation différente ;

Que ces éléments de fait n'établissent pas de façon objective la diffusion internationale de la marque Casino, ni son usage intense et son extension à plusieurs marchés étrangers où elle se serait imposée à l'attention du grand public ;

Attendu en définitive que quelle que puisse être la notoriété de la marque Casino dans son pays d'origine, à savoir la France, il n'apparaît pas en l'état justifié par la demanderesse de la notoriété internationale de sa marque, condition nécessaire à celle-ci pour prétendre au bénéfice de la protection légale édictée par l'article 5 de la loi n° 1058 du 10 juin 1983 ;

Attendu dès lors qu'il y a lieu de débouter la société Casino G.-P. des fins de sa demande d'annulation partielle du dépôt de la marque Sun Casino déposée par la SBM le 5 juillet 1991 sous le n° 91-13873, sans qu'il soit besoin de vérifier, par ailleurs, l'existence d'un éventuel risque de confusion entre cette marque et la marque Casino ;

Attendu, quant à la demande reconventionnelle en dommages-intérêts formée par la SBM, que la société Casino G.-P. a pu légitimement se méprendre sur la véritable portée de ses droits, sans que son action ne soit en conséquence manifestement fautive ; qu'elle ne saurait dès lors encourir de dommages-intérêts de ce chef ;

Et attendu que les dépens suivent la succombance ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Déboute la société dénommée Casino G.-P. et Cie des fins de sa demande d'annulation partielle du dépôt de la marque déposée le 5 juillet 1991 par la SA des Bains de Mer et du Cercle des Étrangers de Monaco, en abrégé SBM, sous le numéro 91-13873 auprès du service de la propriété industrielle de Monaco ;

Déboute la SBM de sa demande reconventionnelle ;

Composition🔗

MM. Landwerlin prés. ; Serdet prem. subs. proc. gén. ; Mes Escaut, Blot, Pastor, Av. déf. ; Veron av. bar. de Lyon ; Combeau av. bar. de Paris.

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