Projet de loi n° 1.106 relative à la promotion et l'encadrement de la résidence alternée des enfants de parents séparés

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Exposé des motifs🔗

Le 27 juin 2024, le Conseil National a adopté en séance publique la proposition de loi n° 261 « relative à la promotion et l'encadrement de la résidence alternée des enfants de parents séparés », laquelle a été reçue le 28 juin 2024 par le Gouvernement Princier.

Conformément à l'article 67 de la Constitution, le Gouvernement s'est engagé, par lettre en date du 11 décembre 2024 adressée au Président du Conseil National à transformer en projet de loi ladite proposition de loi en précisant que diverses modifications pourraient être apportées au dispositif proposé.

Dans le sillage de la modernisation du droit de la famille engagée avec la loi n° 1.278 du 29 décembre 2003 modifiant certaines dispositions du Code civil, du Code de procédure civile et du Code de commerce, la loi n°1.450 du 4 juillet 2017 a introduit la résidence alternée. Cette nouvelle modalité d'exercice de l'autorité parentale n'était conçue que dans l'intérêt de l'enfant, lequel doit être au centre de toute décision le concernant.

Dans le droit positif, cette résidence alternée est prévue par l'article 303-2 du Code civil sous réserve du respect des dispositions de l'article 303-3 du même Code. Ainsi, en l'absence d'un commun accord entre les père et mère, le juge tutélaire ne peut prononcer de résidence alternée.

A contrario, l'objectif du présent projet de loi est de permettre au juge tutélaire, lorsque l'intérêt supérieur de l'enfant le justifie, de fixer la résidence habituelle de l'enfant, en alternance au domicile de chacun des père et mère, et ce même en l'absence d'accord des deux parents.

L'ambition de ce texte trouve son origine dans les engagements internationaux pris par la Principauté en matière d'intérêt supérieur de l'enfant.

À cet égard, la Principauté a ratifié le 21 juin 1993 la Convention de New-York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant, qui établit en son article 3.1 « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale». Comme cela a été indiqué au sein de la proposition de loi n° 261 susvisée, l'enfant « est donc placé au centre des préoccupations lors des décisions le concernant, afin de garantir sa sécurité son bien-être physique, intellectuel, social et affectif. »

En d'autres termes, cette disposition consacre l'intérêt supérieur de l'enfant, et les principes fondamentaux du droit monégasque.

Il est rappelé que la Cour Européenne des Droits de l'Hommes exige que l'opinion des enfants soit prise en compte. Toutefois celle-ci n'est pas nécessairement immuable et les objections des enfants, qui doivent être dûment prises en compte, ne suffisent pas nécessairement à l'emporter sur l'intérêt des parents, notamment à avoir des contacts réguliers avec leur enfant mais surtout sur l'intérêt supérieur de l'enfant qui est déterminé par le juge (arrêt du 9 avril 2019, A. V. c/ Slovénie).

Dans ce contexte, il est pertinent de rappeler que le Gouvernement s'efforce de privilégier le maintien des liens réguliers et équilibrés entre les deux parents et l'enfant, dès lors que c'est dans l'intérêt supérieur de ce dernier. Toutefois dans certaines.situations, la résidence alternée pourra ne pas être favorable et le juge par cette simple faculté de prononcer la résidence alternée pourra trouver un autre mode de résidence.

C'est ainsi, à la faveur d'une approche comparatiste, que l'on relèvera avec intérêt qu'en France, un rapport« enfant au cœur des séparations parentales conflictuelles » établi par la Défenseure des Enfants en 2008 a été rendu et relève que le « conflit parental et la séparation altèrent profondément l'image que l'enfant se fait de ses parents ».

Ainsi, il a été mis en place par l'article 373-2-9 du Code civil français, la possibilité pour le juge de prononcer à titre provisoire la résidence en alternance de l'enfant en prenant en compte l'intérêt supérieur de l'enfant. À l'issue de cette période, le juge statue définitivement sur la résidence de l'enfant. Cette disposition tend à une égalité entre l'homme et la femme, permettant ainsi que la parentalité soit totalement partagée pour le bien del'enfant.

Le présent projet de loi tend ainsi à renforcer la protection des enfants confrontés à des situations de séparation parentale dans le corpus juris tout en garantissant que leurs intérêts supérieurs soient pleinement pris en compte. Sous la pierre angulaire de l'intérêt supérieur de l'enfant, ce texte est gouverné par la préservation des liens familiaux et le bien­ être des enfants, tout en consolidant les valeurs d'égalité et de parité entre les parents.

C'est à l'aune de ces considérations que doit être appréhendée, à Monaco, lorsque l'intérêt supérieur de l'enfant le nécessite, la possibilité pour le juge, même en cas de désaccord, de fixer, dans un premier temps à titre provisoire, la résidence alternée de l'enfant au domicile de chacun des père et mère.

Il apparaît expédient au Gouvernement de souligner liminairement les apports de ce projet de loi.

Tout d'abord, le projet de loi privilégie une solution alternative consistant à ne pas imposer de manière définitive la résidence alternée de l'enfant au domicile des parents séparés sans au préalable prévoir provisoirement sa mise en place et ce, tout en s'assurant que cette mesure soit conforme à l'intérêt supérieur de l'enfant. La résidence en alternance ou au domicile de l'un des parents pourra être fixée définitivement à l'issue de la période provisoire.

En outre, l'adjonction d'un nouvel alinéa permet la distinction entre, d'une part, l'énoncé des différentes modalités de fixation de la résidence de l'enfant - l'alternance au domicile des deux parents ou la fixation de la résidence habituelle chez l'un d'eux - et d'autre part, les conditions dans lesquelles ces modalités peuvent être prononcées en fonction de la nature de la procédure introduite.

Il est rappelé que l'avis de l'enfant concerné est pris en considération au cours de la procédure devant le juge tutélaire, a fortiori lorsqu'il en fait la demande sur le fondement du deuxième alinéa de l'article 303-6 du Code civil. Cette considération de la volonté de l'enfant paraît conforme à la jurisprudence de la Cour Européenne des droits de l'Homme. En effet dans un arrêt du 9 avril 2019, A. V. Cl Slovénie, la Cour précise qu'en dépit de la volonté de l'enfant, les États ont l'obligation positive de proposer des solutions alternatives favorisant le maintien ou la reprise des liens entre un parent et son enfant mineur.

Enfin, le projet de loi prévoit expressément que le juge statue sur les modalités de versement des prestations familiales lorsqu'il-prononce une résidence alternée de l'enfant au domicile de chacun de ses père et mère alors que ces derniers n'y sont pas tous deux favorables.

Pour rappel le deuxième alinéa de l'article 6 de la loi n° 595 du 15 juillet 1954 fixant le régime des prestations familiales dispose qu' « en cas de résidence alternée de l'enfant au domicile de chacun de ses père et mère mise en œuvre de manière effective, les allocations familiales et avantages sociaux sont versées par moitié à chacun d'eux, à moins qu'un accord écrit des parents ou une décision de justice désigne celui d'entre eux auquel les allocations seront intégralement versées. »

Sous le bénéfice de ces considérations d'ordre général, le présent projet de loi appelle les commentaires particuliers ci-après.

D'un point de vue formel, le projet de loi comporte deux articles.

L'article premier vient adjoindre deux nouveaux alinéas à l'article 303-2 du Code civil.

La création du troisième alinéa vient permettre au juge tutélaire, à la demande de l'un des parents ou d'office en cas de désaccord des parents sur les modalités de fixation de la résidence de l'enfant, de prononcer à titre provisoire la résidence en alternance au domicile de chacun des parents pour une certaine durée. Au terme de cette durée, le juge tutélaire statue définitivement sur la résidence de l'enfant en alternance au domicile de chacun de ses père et mère ou au domicile de l'un d'eux.

Le juge tutélaire prend en compte l'intérêt supérieur de l'enfant afin de lui permettre de maintenir des relations suivies et saines avec ses deux parents quand cela est possible et est favorable à ses intérêts, tout en consacrant si possible l'égalité dans l'exercice de leur parentalité.

Cette faculté pour le juge de prononcer cette résidence en alternance en présence de désaccord ne peut l'être qu'au préalable provisoirement et ce pendant une certaine durée. Ce n'est qu'à l'issue de cette durée que le juge tutélaire peut statuer définitivement. Cette particularité de permettre une période provisoire tend à atténuer dans la mesure du possible les effets néfastes du conflit parental sur l'enfant.

Il est indiqué que le juge peut prendre en considération au cours de la procédure l'avis de l'enfant concerné par les décisions statuant sur la résidence de l'enfant au domicile de chacun de ses père et mère ou au domicile de l'un deux, a fortiori lorsqu'il en fait la demande, sur le fondement du deuxième alinéa de l'article 303-6 du Code civil, étant précisé, quel'enfant ne sera pas partie à l'instance.

L'article 2 vient modifier le troisième alinéa à l'article 303-3 du Code civil lequel prévoit que pour toute décision statuant sur la résidence alternée de l'enfant au domicile de chacun de ses père et mère en l'absence d'accord de ces derniers, le juge tutélaire statue sur les modalités de versement des prestations familiales. Cette disposition tend à éviter tout risque d contestation quant aux modalités de versement des prestations familiales en cas de conflit afin de permettre la mise en œuvre de manière effective de la résidence alternée.

Corrélativement, la nouvelle rédaction du troisième alinéa conduit de jure à l'abrogation de l'actuelle rédaction, laquelle prévoit que « le juge tutélaire ne peut, dans le cadre de l'article 303, fixer la résidence habituelle de l'enfant en alternance au domicile de chacun de ses père et mère sans le commun accord de ceux-ci. ».

Tel est l'objet du présent projet de loi.

Dispositif🔗

Article 1er🔗

Après le deuxième alinéa de l'article 303-2 du Code civil, est ajouté un troisième alinéa, rédigé comme suit :

« Sous réserve du respect des dispositions prévues à l'article 303-3 et dans l'intérêt supérieur de l'enfant, à la demande de l'un des parents ou en cas de désaccord entre eux sur les modalités de fixation de la résidence de l'enfant, le juge tutélaire peut ordonner à titre provisoire une résidence en alternance au domicile de chacun de ses père et mère dont il détermine la durée. Au terme de celle-ci, le juge statue définitivement sur la résidence de l'enfant en alternance au domicile de chacun de ses père et mère ou au domicile de l'un d'eux. »

Article 2🔗

Le troisième alinéa de l'article 303-3 du Code civil, est modifié comme suit:

« Pour toute décision statuant sur la résidence alternée de l'enfant au domicile de chacun de ses père et mère en l'absence d'accord de ses derniers, le juge tutélaire statue sur les modalités de versement des prestations familiales. »

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