Tribunal du travail, 9 janvier 2014, la SAM J c/ Monsieur J.M.
Abstract🔗
Démission - Abus dans le droit de démissionner (non) - Démission simultanée de plusieurs employés
Résumé🔗
L'employeur doit-être débouté de sa demande de dommages-intérêts pour abus commis par le salarié dans l'exercice de son droit de démissionner, dans la mesure où il ne rapporte aucunement la preuve du préjudice qu'il aurait subi du fait de la démission simultanée de six de ses employés, notamment en termes d'organisation et de fonctionnement de l'entreprise. En effet, il ne fait pas la preuve des difficultés pour recruter des remplaçants ou de l'incidence sur le service devant être fourni aux clients.
Motifs🔗
TRIBUNAL DU TRAVAIL
AUDIENCE DU 9 JANVIER 2014
En la cause de la société anonyme monégasque J, dont le siège social se situe : 1X à MONACO (98000),
demanderesse, à l'instance n° 57/2010-2011, défenderesse aux instances n° 61/2011-2012 et 24/2012-2013, ayant élu domicile en l'Etude de Maître Georges BLOT, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par Maître André DEUR, avocat au barreau de Nice,
d'une part ;
Contre :
Monsieur J.M. , demeurant : 2X à COLOMARS (06670),
défendeur, à l'instance n° 57/2010-2011, demandeur aux instances n° 61/2011-2012 et 24/2012-2013, plaidant par Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et ayant élu domicile en son Etude,
d'autre part ;
LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,
Après en avoir délibéré conformément à la loi,
Vu les requêtes introductives d'instance en date des 29 novembre 2010, 31 janvier 2012 et 10 juillet 2012, reçues les 30 novembre 2010, 2 février 2012 et 11 juillet 2012 ;
Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date des 8 février 2011, 13 mars 2012 et 13 novembre 2012 ;
Vu les conclusions déposées par Maître Georges BLOT, avocat-défenseur, au nom de société anonyme monégasque J, en date des 6 octobre 2011, 3 mai 2012, 6 décembre 2012, 10 janvier 2013 et 2 mai 2013 ;
Vu les conclusions déposées par Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur, au nom de Monsieur J.M. , en date des 2 février 2012, 12 juillet 2012, 6 décembre 2012 et 18 mars 2013 ;
Après avoir entendu Maître André DEUR, avocat au barreau de Nice, pour la société anonyme monégasque J, et Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, pour Monsieur J.M. , en leurs plaidoiries ;
Vu les pièces du dossier ;
* * * *
J.M. a été employé par la société anonyme monégasque J, à compter du 16 septembre 2004, d'abord suivant contrat à durée déterminée, puis à compter du 1er novembre 2005, suivant contrat à durée indéterminée, en qualité de pilote d'hélicoptère.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 18 juin 2010, celui-ci a présenté sa démission, laquelle a pris effet à l'expiration du délai de préavis d'un mois, soit le 18 juillet 2010.
La SAM J a, ensuite d'un procès-verbal de non-conciliation en date du 7 février 2011, attrait J.M. devant le bureau de jugement du Tribunal du Travail à l'effet d'obtenir sa condamnation au paiement de la somme de 150.000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de loyauté, ladite condamnation devant être prononcée solidairement avec d'autres salariés : M DR, C DI FL, G BO, S CO et H KH.
Elle a également sollicité que le Tribunal interdise la violation de la clause de non-concurrence sous astreinte de 500 euros par jour jusqu'à la délivrance de la preuve du respect de ladite clause (et ce à compter du 8ème jour suivant la notification du jugement à intervenir) et ordonne la jonction de la présente procédure avec celles introduites à l'encontre des salariés susvisés ainsi que l'exécution provisoire de la décision à intervenir.
À l'audience fixée par les convocations, les parties ont régulièrement comparu.
Puis, après 12 renvois intervenus à leur demande, l'affaire a été contradictoirement débattue lors de l'audience du 17 octobre 2013 et le jugement mis en délibéré a été prononcé le 9 janvier 2014.
***
En outre, J.M. a, ensuite d'un procès-verbal de défaut en date du 12 mars 2012, attrait la SAM J devant le bureau de jugement du Tribunal du Travail à l'effet d'obtenir sa condamnation au paiement des sommes suivantes :
- 2.856,77 euros à titre de rappel de salaire pour la période du 1er au 18 juillet 2010,
- 7.812,72 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés,
- 278,16 euros à titre de remboursement des frais professionnels,
avec intérêts au taux légal à compter de la saisine.
Il a également sollicité la délivrance du bulletin de salaire du mois de juillet 2010, du reçu pour solde de tout compte, de l'attestation Pôle Emploi et du certificat de travail, et ce, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, le prononcé de l'exécution provisoire de la décision à intervenir ainsi que la jonction de la présente procédure avec celle introduite par la SAM J à son encontre.
À l'audience fixée par les convocations, les parties ont régulièrement comparu.
Puis, après 6 renvois intervenus à leur demande, l'affaire a été contradictoirement débattue lors de l'audience du 17 octobre 2013 et le jugement mis en délibéré a été prononcé le 9 janvier 2014.
***
Enfin, J.M. a, ensuite d'un procès-verbal de défaut en date du 12 novembre 2012, attrait la SAM J devant le bureau de jugement du Tribunal du Travail à l'effet d'obtenir sa condamnation au paiement de la somme de 8.112,22 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés.
Il a également sollicité la jonction de la présente procédure avec celles introduites sur citations des 2 décembre 2010 (SAM J) et 8 février 2012 (par ses soins).
À l'audience fixée par les convocations, les parties ont régulièrement comparu.
Puis, après 4 renvois intervenus à leur demande, l'affaire a été contradictoirement débattue lors de l'audience du 17 octobre 2013 et le jugement mis en délibéré a été prononcé le 9 janvier 2014.
***
À l'appui de ses prétentions et en réponse à celles de J.M. , la SAM J fait valoir que :
- C G a souhaité, au début de l'année 2006, faire l'acquisition d'un hélicoptère X produit par la firme G afin de l'offrir à son mari et a pris contact avec sa direction pour faciliter cet achat,
- C G a confirmé sa décision d'acquisition par courrier du 8 mai 2006, si bien qu'un contrat du 17 mai 2006 a été conclu entre J et le fabriquant G en vue de la commande de l'appareil,
- l'hélicoptère a été immatriculé le 20 juillet 2007 et son achat définitif a été réalisé par la SARL T (appartenant aux époux GR),
- elle s'est tout naturellement chargée de l'exploitation de l'appareil à compter du mois de juillet 2007,
- le 22 juin 2010, soit peu de temps seulement après la démission de six de ses salariés, C GR l'a avisée qu'elle avait décidé de transférer la gestion et l'entretien de l'hélicoptère à la SAM O,
- par lettre du 2 juillet 2010, le mandataire de C GR a confirmé ladite décision en précisant que son mandant souhaitait que ce transfert soit réalisé pour le 18 juillet 2010 au plus tard,
- depuis lors, 4 pilotes débauchés, à savoir M DR, G BO, C DI FL et J.M. , accompagnés d'un mécanicien, S C, et d'une attachée commerciale, H K, travaillent pour le compte de la SAM O,
- elle a perdu de fait une clientèle de prestige en la personne de P A et de ses invités, ainsi que des époux B, qui ont préféré continuer à bénéficier du confort exceptionnel de l'appareil appartenant à la SARL T,
- l'article 11 du contrat de travail de J.M. prévoit une clause de non-concurrence, laquelle est bien stipulée dans le but de protéger les intérêts légitimes de l'entreprise (seulement deux sociétés de transport par hélicoptère sur l'héliport de Monaco qui sont en concurrence totale et directe), limitée dans le temps et dans l'espace,
- elle est parfaitement en droit d'agir sur le fondement de la responsabilité contractuelle contre son ancien salarié (violation de la clause de non-concurrence), en parallèle de l'action délictuelle introduite devant les juridictions de droit commun contre le nouvel employeur de l'intéressé,
- la clause est parfaitement valable, alors qu'il ne semble exister aucun texte en Principauté qui interdise ce type de limitation faite aux salariés notamment dans une activité aussi spécifique que celle qui est en cause,
- à titre subsidiaire, le défendeur a manqué à son obligation de bonne foi prévue par l'article 989 du Code civil,
- la démission collective de son personnel, manifestement fomentée de longue date, accompagnée d'une embauche simultanée par la SAM O, constitue la base d'un débauchage fautif de cette entreprise, en complicité avec les employés concernés et notamment J.M. ,
- après avoir été spécifiquement formé pour piloter l'hélicoptère prestigieux dont s'agit, le défendeur a fait preuve d'une grande déloyauté pour rejoindre la concurrence, étant relevé qu'il ne pouvait ignorer l'importance des investissements réalisés à cet égard et du préjudice particulièrement important qui serait causé à son ancien employeur,
- cette déloyauté est désormais judiciairement établie par le jugement du Tribunal de première instance du 20 décembre 2012, qui a considéré que la SAM O « s'est rendue coupable d'une concurrence fautive, laquelle génère un trouble commercial », et que l'éventuelle nullité de la clause de non-concurrence n'avait aucune conséquence sur le fond du problème, estimant que « si le principe est celui de la liberté du travail et de libre concurrence, la loyauté commande également leur exercice »,
- l'obligation naturelle de loyauté a été méconnue par appât du gain, en favorisant les manœuvres de concurrence déloyale de l'entreprise O pour capter et détourner la clientèle, si bien que l'exception d'incompétence ne pourra être retenue,
- le Tribunal de première instance ayant ordonné une expertise pour déterminer les préjudices subis du fait des agissements des SARL T et O et par voie de conséquence des salariés ayant prêté leur concours à de telles activités, le sursis à statuer semble s'imposer afin que le Tribunal du Travail puisse rendre sa décision en toute connaissance de cause,
- elle a été du jour au lendemain privée de sa substance et des revenus tirés de l'exécution du contrat de management en cause,
- l'expert Jean-Marie MAILLOT a estimé le préjudice résultant de la rupture abusive du contrat par la société ROCKFIELD à 385 K euros et de la concurrence déloyale à 2.000 K euros,
- la SAM O n'aurait pas pu accomplir son dessein sans la complicité de son ancien personnel lequel doit ainsi assumer une part de responsabilité, en sorte qu'elle sollicite la condamnation solidaire de C DI FL, M DR, J.M. , G BO, S CO et H KH à lui payer la somme de 300.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice commercial et financier subi ainsi que de l'atteinte portée à sa réputation et son image (seulement 8% du préjudice global),
- la jonction de l'ensemble des procédures devra dès lors être ordonnée dans la mesure où la demande indemnitaire vise l'ensemble des employés qui ont bafoué leur obligation contractuelle ou naturelle de loyauté envers leur employeur (mêmes faits par une équipe de comparses),
- à titre subsidiaire (en l'absence de jonction), J.M. devra être condamné à lui régler la somme de 300.000 euros à titre de dommages et intérêts pour sa participation aux actes de concurrence déloyale,
- le défendeur devra également lui verser la somme de 9.331,32 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 27 juillet 2010, conformément au protocole d'accord conclu le 6 mai 2008 concernant le remboursement des frais de formation sur la qualification de l'hélicoptère X,
- les procédures diligentées par le salarié pourront être jointes à celle qu'elle a introduite,
- elle n'a jamais nié devoir la somme brute de 3.211,72 euros (et non 2.856 euros) à titre de salaire pour la période du 1er au 18 juillet 2010 ainsi que la somme brute de 7.387,29 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés, soit un total de 8.128,33 nets (déduction faite des 1.000 euros d'avance sur frais) auxquels s'ajoutent 287,16 euros de frais professionnels,
- la somme de 8.128,33 euros (quérable et non portable) a été à la disposition de J.M. dès le 27 juillet 2010 avec les documents de fin de contrat,
- le défendeur a refusé de venir retirer les sommes dues dans la mesure où elle lui avait rappelé qu'il était redevable de la somme de 9.331,32 euros au titre des frais de formation,
- en tout état de cause, elle a remis un nouveau chèque du 1er mars 2013 et les documents de fin de contrat à Maître Claire NOTARI, huissier,
- la demande en paiement de la somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ne saurait prospérer, le Tribunal ne pouvant qu'apprécier la proportionnalité de sa réaction à l'égard de la gravité de la déloyauté dont le salarié a fait preuve.
J.M. demande au Tribunal d'ordonner la jonction des procédures introduites sur citations des 2 décembre 2010, 8 février 2012 et 16 juillet 2012 par application de l'article 59 de la loi n° 446 du 16 mai 1946, de déclarer irrecevable la demande additionnelle en remboursement du coût de la formation qu'il a suivie (non soumise au préliminaire de conciliation) ainsi que la demande de jonction avec les instances concernant les cinq autres salariés, de débouter la partie adverse de l'intégralité de ses prétentions, en tant que de besoin, de se déclarer incompétent pour connaître de l'action en concurrence déloyale, de condamner la SAM J à lui payer à la somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, mais également la somme de 734,93 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés et la somme de 278,16 euros à titre de remboursement des frais professionnels, avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du 31 janvier 2012, de donner acte à la SAM J du règlement de la somme de 8.128,33 euros, sous réserve d'encaissement, et de la remise des documents de fin de contrat, de condamner la SAM J à lui verser les intérêts au taux légal sur la somme de 8.128,33 euros à compter du 8 février 2012 jusqu'au 4 mars 2013 et à lui remettre son attestation Pôle Emploi sous astreinte de 150 euros par jour de retard, et enfin de prononcer l'exécution provisoire de la décision à intervenir.
Il soutient pour l'essentiel que :
- la demande de jonction de l'ensemble des procédures diligentées contre les anciens employés de la SAM J n'est pas motivée en droit et en fait et n'entre pas dans les prévisions de l'article 59 de la loi n° 446, ce texte excluant, par une lecture a contrario, la possibilité de traiter, dans le cadre d'une instance unique, les différends qui peuvent s'élever à l'occasion de plusieurs contrats de travail intéressant plusieurs salariés, quand bien même ils étaient employés par le même employeur,
- en outre, la demande en paiement de dommages et intérêts ne peut excéder celle qui a été formulée devant le bureau de conciliation à hauteur de 150.000 euros (300.000 euros réclamés devant le bureau de jugement),
- le jugement du Tribunal de première instance du 20 décembre 2012, auquel il n'est partie, ne saurait avoir d'autorité de chose jugée à son égard, alors qu'il n'est pas définitif (affaire pendante devant la Cour d'appel),
- le Tribunal du Travail est parfaitement compétent pour statuer sur la validité de la clause de non-concurrence et devra la déclarer nulle,
- en effet, l'activité de son employeur actuel, la SAM O (transport VIP à la demande et ultra personnalisé), n'est pas une activité concurrente à celle de la demanderesse (ligne régulière de transport de passagers entre l'héliport de Monaco et l'aéroport de Nice),
- en tout état de cause, la clause de non-concurrence est dépourvue de contrepartie financière, en sorte qu'elle porte atteinte à la liberté du travail prévue par l'article 25 de la constitution,
- s'agissant de la prétendue exécution de mauvaise foi du contrat de travail, il s'est contenté de se plier aux directives de la SAM J en suivant la formation sur l'appareil X, étant rappelé que l'adaptation du salarié aux besoins et à l'évolution de son emploi participe précisément des obligations de l'employeur, qui y avait tout intérêt à l'époque en exploitant l'hélicoptère,
- ce n'est pas le fait qu'il ait suivi cette formation et acquis des compétences spécifiques, qui lui est en réalité reproché, mais bien le fait, après avoir démissionné et respecté son délai-congé, d'être entré au service de la SAM O,
- son choix de travailler pour la société O est lié à ses conditions de travail qui allaient nécessairement se dégrader avec le transfert de l'exploitation de l'appareil X,
- un mécontentement généralisé avait également été exprimé le 30 avril 2007 aux termes d'une revendication salariale signée par les pilotes,
- en outre, à compter du mois de juin 2009, les pilotes affectés sur l'hélicoptère X s'étaient vus imposer leur participation aux vols de ligne sur d'autres appareils,
- de surcroît, l'analyse de ses bulletins de salaire démontre qu'il bénéficiait d'une prime X d'un montant de 1.000 euros sur les 4.852 bruts de sa rémunération (avenant du 1er mai 2008 l'affectant au service de l'appareil dont s'agit), de telle sorte qu'il allait perdre cette gratification du fait de la cessation de l'exploitation de l'hélicoptère,
- le Tribunal constatera enfin, à la lecture du jugement du Tribunal de première instance du 20 décembre 2012, que le salaire des pilotes affectés sur l'appareil X était pris en charge par la SARL T,
- dans ces conditions, outre la perte de salaire de 20% qu'il impliquait, le transfert de l'exploitation de l'hélicoptère pouvait légitimement le conduire à s'inquiéter pour son avenir et ce d'autant que la SAM J venait quelques mois auparavant de procéder à une restructuration motivée par une baisse d'activité,
- le grief formulé porte bien sur le fait d'avoir démissionné pour rejoindre la SAM O, ce qui ne relève pas de l'exécution du contrat de travail mais d'actes postérieurs à sa rupture (référence constante à la concurrence déloyale),
- or, si la violation de la clause de non-concurrence par un salarié relève de la compétence du Tribunal du Travail, l'action en concurrence déloyale dirigée à l'encontre d'un salarié en dehors de toute clause de non-concurrence relève de la juridiction de droit commun,
- par ailleurs, l'exploitation de l'hélicoptère et le personnel qui y était affecté constitue incontestablement une entité économique autonome, qui a conservé son identité (hélicoptère, élément corporel qui marque une identité forte) et dont l'activité a été reprise par la SAM O (même activité de transport à la demande d'une clientèle spécifique), en sorte que les contrats de travail devaient, par le seul effet de l'article 15 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, être automatiquement transférés auprès de cette dernière,
- il aurait pu ainsi prétendre, même s'il n'avait pas démissionné, au transfert de son contrat de travail suite à la modification de la situation juridique de l'employeur consistant en la reprise de l'exploitation de l'appareil dont s'agit,
- à titre reconventionnel, il se trouve recevable et bien fondé à solliciter le paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive (clause de non-concurrence nulle, allégation d'une exécution fautive du contrat pour des faits postérieurs à sa rupture), ce comportement se situant dans le fil droit de celui adopté préalablement à l'instance (refus de délivrer les documents sociaux au prétexte d'une compensation avec les frais de formation, refus de déférer aux injonctions de l'Inspection du travail, poursuites pénales envisagées par le Parquet et abandonnées en raison de l'amnistie intervenue à l'occasion du mariage de SAS le Prince Souverain),
- ce n'est qu'à la faveur de l'intervention d'un huissier qu'il a pu, non sans difficulté (ainsi qu'en atteste le procès-verbal de constat), prendre possession de certains de ses documents de fin de contrat et obtenir le règlement de la somme nette de 8.128,33 euros,
- il convient cependant de relever que l'indemnité compensatrice de congés payés est inférieure à celle qu'il était en droit de prétendre (8.112,22 euros au lieu des 7.387,29 euros réglés) et que l'attestation Pôle Emploi n'a pas été délivrée,
- il est en droit d'obtenir le remboursement des frais professionnels dont il a fait l'avance par application de l'article 7 de son contrat de travail, étant souligné que la partie adverse a reconnu devoir cette somme, même si elle n'a pas été payée en mars 2013.
SUR QUOI,
I) Sur les demandes de jonction et sur les moyens d'irrecevabilité
Il convient, conformément à l'article 59 alinéa 2 de la loi n° 446 du 16 mai 1946, d'ordonner la jonction des instances portant les numéros 57 de l'année judiciaire 2010-2011, 61 de l'année judiciaire 2011-2012 et 24 de l'année judiciaire 2012-2013, dès lors qu'elles découlent d'un même contrat de travail.
Cependant, l'intérêt d'une bonne administration de la justice ne justifie pas que ces instances soient jointes avec celles introduites par la SAM J à l'encontre de M DR, C DI FL, G BO, S CO et H KH, le prononcé d'une condamnation in solidum à un même dommage n'impliquant pas au demeurant un jugement unique. La demande formée de chef, même si elle apparaît recevable, doit dès lors être rejetée.
Si le demandeur peut, en vertu des dispositions de l'article 42 de la loi n° 446 du 16 mai 1946, modifier ses demandes devant le bureau de conciliation, la possibilité d'augmenter ses prétentions ou d'en formuler de nouvelles, en l'absence d'une disposition identique contenue dans cette même loi, ne lui est pas ouverte devant le bureau de jugement, lequel ne peut connaître que des demandes soumises préalablement à la tentative obligatoire de conciliation, qu'il s'agisse de leur nature ou de leur quantum, en application de l'article 1er de la loi précitée.
La demande additionnelle tendant à obtenir paiement de la somme de 300.000 euros à titre de dommages et intérêts au lieu des 150.000 euros sollicités devant le bureau de conciliation ainsi que la demande nouvelle tendant au paiement de la somme de 9.331,32 euros au titre du remboursement des frais de formation, avec intérêts au taux légal à compter du 27 juillet 2010, formulées aux termes des écritures judiciaires déposées par la SAM J devant le bureau de jugement, doivent ainsi être déclarées irrecevables.
La demande reconventionnelle en paiement de la somme de 15.000 euros pour procédure abusive formulée par J.M. est quant à elle parfaitement recevable puisqu'elle découle du procès devant le Tribunal du Travail et non du contrat de travail lui-même.
II) Sur la clause de non-concurrence et le manquement aux obligations contractuelles
Si l'avenant n° 2 au contrat de travail du salarié en date du 1er mai 2008 prévoit que ce dernier « a été désigné comme pilote affecté au service des clients privés dont J assure le mangement de leur hélicoptère », il précise également que « la Direction se réserve le droit de muter le salarié affecté à ce contrat sur d'autres lieux d'exécution ou d'annuler l'avenant ci-dessus défini, sans aucun justificatif ni préjudice subi par le salarié ». En outre, le défendeur soutient lui-même qu'à compter du mois de juin 2009, les pilotes affectés sur l'hélicoptère X se sont vus imposer leur participation aux vols de ligne sur d'autres appareils. Or, aucun élément n'a été fourni pour déterminer si le travail de J.M. s'exécutait pour l'essentiel dans le cadre de l'exploitation de l'appareil dont s'agit, de telle sorte que le Tribunal ne peut pas considérer que son contrat de travail a été transféré à la SAM O, par l'effet de l'article 15 de la loi n° 729 du 16 mars 1963.
L'article 11 du contrat de travail à durée indéterminée du défendeur du 1er novembre 2005, intitulé « non-concurrence », est rédigé comme suit :
« Compte tenu de la nature de ses fonctions, le salarié s'interdit, en cas de cessation du présent contrat, quelle qu'en soit la cause et quelle que soit que la partie à laquelle elle sera imputable - y compris pendant la période d'essai :
- d'entrer au service d'une entreprise commercialisant des services pouvant concurrencer ceux de la société, en particulier sur le site de l'héliport ou de l'aéroport de Nice,
- de s'intéresser, directement ou indirectement et sous quelque forme que ce soit, à une entreprise de cet ordre,
sur un rayon de 200 km et pour une période de 2 ans ».
L'article 25 de la Constitution monégasque énonce que « la liberté du travail est garantie. Son exercice est réglementé par la loi ».
Afin qu'une clause de non-concurrence soit licite et conforme aux dispositions constitutionnelles qui garantissent la liberté de travail, elle doit être encadrée dans le temps et dans l'espace. Elle doit également comporter une contrepartie financière déterminable destinée à compenser le préjudice causé au salarié du fait de l'obligation lui incombant et de l'atteinte portée à ses droits (TPI, 19 janvier 2012, M c/ C ; TPI, 23 février 2012, BP c/ FB et JCD).
La clause de non-concurrence précitée, même si elle est limitée dans le temps et dans l'espace, ne comporte aucune contrepartie financière, en sorte qu'elle doit être déclarée nulle, sans qu'il soit nécessaire de déterminer si les activités des SAM J et O sont concurrentes.
Les agissements éventuels du salarié, postérieurement à la rupture du contrat de travail, ne peuvent, suite à l'annulation d'une clause de non-concurrence, que constituer des actes de concurrence déloyale relevant des règles générales de la responsabilité civile délictuelle (TPI, 19 janvier 2012, M c/ société C).
L'action en responsabilité civile délictuelle relève de la compétence de la juridiction de droit commun, à savoir le Tribunal de première instance, en première instance.
Il s'ensuit que le Tribunal du Travail est incompétent pour connaître des faits qui pourraient être reprochés à J.M. sur le terrain de la concurrence déloyale, après la cessation de son contrat de travail intervenue le 18 juillet 2010 et/ ou à l'occasion de son embauche postérieure par la SAM O, et n'a pas à se prononcer sur la demande de sursis à statuer.
Par ailleurs, si les manquements à l'obligation de loyauté ou de fidélité et à l'obligation de bonne foi (article 989 du Code civil) résultant de l'exécution du contrat de travail peuvent donner lieu à une condamnation par la présente juridiction au paiement de dommages et intérêts en cas de faute grave caractérisée, force est de constater que la SAM J n'invoque, ni ne justifie d'aucun acte concret qui aurait été commis par le défendeur, avant la rupture définitive du contrat, pour concurrencer son employeur, étant précisé que l'exercice du droit de démissionner, lequel découle de la liberté du travail garantie par la Constitution, ne peut être assimilé à une violation des obligations précitées.
Toutefois, le Tribunal du Travail reste compétent pour se prononcer sur l'abus commis par le salarié dans l'exercice de son droit de démissionner.
En l'espèce, la présente juridiction estime que le fait que J.M. , à supposer même qu'il ait planifié avec ses collègues leur départ de la SAM J, ait décidé de quitter l'entreprise, après avoir respecté le préavis légal d'un mois, ne relève d'aucun abus, dans la mesure où :
- le transfert de l'exploitation de l'hélicoptère X lui faisait perdre le bénéfice d'une prime mensuelle brute de 1.000 euros sur sa rémunération mensuelle brute globale de 4.920 euros (conformément au point 11 de l'avenant n° 2 à son contrat de travail) et l'exposait à un risque de licenciement, dans un contexte non contesté où une restructuration motivée par une baisse d'activité avait été réalisée quelques mois plus tôt,
- la formation pour l'utilisation de l'appareil dont s'agit, sans qu'il ait été démontré que son coût ait été pris en charge par la demanderesse elle-même, était la nécessaire conséquence de l'exploitation confiée.
En tout état de cause, il apparaît que la SAM J ne rapporte aucunement la preuve du préjudice qu'elle aurait subi du fait de la démission simultanée de six de ses employés, notamment en termes d'organisation et de fonctionnement de l'entreprise (difficultés pour recruter des remplaçants, incidence sur le service devant être fourni aux clients…).
Dans ces conditions, sa demande en paiement de dommages et intérêts doit être rejetée.
III) Sur les autres demandes
Il convient de donner acte à la demanderesse de ce qu'elle a réglé au défendeur la somme nette de 8.128,33 euros (correspondant à la somme mentionnée sur le dernier bulletin de salaire) et lui a remis le bulletin de salaire du mois de juillet 2010, le reçu pour solde de tout compte ainsi que le certificat de travail et de condamner la SAM J à payer à J.M. les intérêts au taux légal sur cette somme à compter du 8 février 2012 (tel que sollicité) et jusqu'au 1er mars 2013 (date de remise du chèque).
Conformément aux articles 10 et 11 de la loi n° 619 du 26 juillet 1956, l'indemnité compensatrice de congés due au salarié correspond à la somme totale de 7.990,10 euros se décomposant comme suit :
Période de référence du 1er mai 2009 au 30 avril 2010
Rémunération totale : 65.178,37 - 2.443 (prorata prime 13ème mois juin 2009) - 2.454,33 (prorata prime 13ème mois septembre 2009) = 60.281,04 euros
1/10ème de rémunération et indemnité due pour 30 jours de congés acquis et non pris : 60.281,04/10 = 6.028,10 euros
Période de référence du 1er mai 2010 au 18 juillet 2010
Rémunération totale : 10.599,01 - 7.387,29 - 247,05 (juillet 2010, déduction indemnité congés payés et prorata prime 13ème mois) + 7.576,78 - 2.460 (juin 2010 déduction prorata prime 13ème mois) + 5.510,40 (mai 2010) + 6.028,10 (indemnité de congés payés de l'année précédente) = 19.619,95
1/10ème de rémunération et indemnité due : 19.619,95/10 = 1.962 euros
étant précisé que les primes annuelles dont le montant n'est pas affecté par la prise du congé doivent être exclues de l'assiette de calcul de l'indemnité de congés payés et que les congés pris en août, septembre, novembre 2009 et avril 2010 correspondent à ceux acquis au cours de la période de référence du 1er mai 2008 au 30 avril 2009.
L'employeur doit ainsi être condamné à régler un complément d'indemnité compensatrice de congés payés à concurrence de la somme brute de 7.990,10 - 7.387,29 = 602,81 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 11 juillet 2012 (date de la réception de la requête relative à cette demande complémentaire) et sous le bénéfice de l'exécution provisoire (accessoires du salaire).
La SAM HELI AIR, qui n'a pas contesté ce chef de prétention, doit en outre rembourser la note de frais d'un montant de 278,16 euros, par application de l'article 7 du contrat de travail, avec intérêts au taux légal à compter du 2 février 2012 (date de la réception de la requête relative à cette demande).
Il y a lieu également d'ordonner la délivrance d'une attestation par un organisme privé chargé de la gestion d'un service public E , dans le délai d'un mois à compter de la signification du présent jugement, sous astreinte de 50 euros par jour de retard et sous le bénéfice de l'exécution provisoire.
La demanderesse a pu se méprendre sur la portée de ses droits dans un contexte où la jurisprudence précitée relative à la clause de non-concurrence est devenue constante après la saisine de la présente juridiction, de telle sorte que la demande reconventionnelle en paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive doit être rejetée.
Le défendeur n'a pas formé de demande distincte en paiement de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait de la nécessité pour lui d'ester en justice ou du fait du non-paiement des sommes dues à l'expiration du contrat ou de la non-délivrance des documents de fin de contrat, de telle sorte que le Tribunal ne peut tirer aucune conséquence des fautes éventuellement commises à cet égard.
Il n'est pas justifié pour le surplus des conditions nécessaires au prononcé de l'exécution provisoire.
La SAM J, qui succombe, doit supporter les dépens du présent jugement.
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,
Statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort, après en avoir délibéré,
Ordonne la jonction des instances portant les numéros 57 de l'année judiciaire 2010-2011, 61 de l'année judiciaire 2011-2012 et 24 de l'année judiciaire 2012-2013 ;
Déclare irrecevables la demande en paiement de dommages et intérêts formée par la société anonyme monégasque J, en ce qu'elle excède la somme de 150.000 euros, ainsi que la demande en paiement de la somme de 9.331,32 euros au titre du remboursement des frais de formation, avec intérêts au taux légal à compter du 27 juillet 2010, formée par la société anonyme monégasque J ;
Déclare nulle la clause de non-concurrence contenue dans le contrat de travail à durée indéterminée ayant lié J.M. à la société anonyme monégasque J ;
Se déclare incompétent pour connaître des agissements de concurrence déloyale qui auraient été commis par J.M. postérieurement à la cessation de son contrat de travail et des demandes qui en découlent ;
Déboute la société anonyme monégasque J de sa demande en paiement de dommages et intérêts ;
Donne acte à la société anonyme monégasque J de ce qu'elle a réglé la somme nette de 8.128,33 euros (huit mille cent vingt huit euros et trente trois centimes) à J.M. et lui a remis le bulletin de salaire du mois de juillet 2010, le reçu pour solde de tout compte et le certificat de travail ;
Condamne la société anonyme monégasque J à payer à J.M. :
- les intérêts au taux légal sur la somme nette de 8.128,33 euros (huit mille cent vingt huit euros et trente trois centimes) à compter du 8 février 2012 et jusqu'au 1er mars 2013,
- la somme brute de 602,81 euros (six cent deux euros et quatre vingt un centimes) à titre de complément d'indemnité compensatrice de congés payés, avec intérêts au taux légal à compter du 11 juillet 2012 et sous le bénéfice de l'exécution provisoire,
- la somme de 278,16 euros (deux cent soixante dix huit euros et seize centimes) à titre de remboursement des frais professionnels, avec intérêts au taux légal à compter du 2 février 2012,
Ordonne la délivrance d'une attestation Pôle Emploi par la société anonyme monégasque J à J.M. , dans le délai d'un mois à compter de la signification du présent jugement, sous astreinte de 50 euros par jour de retard et sous le bénéfice de l'exécution provisoire ;
Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;
Condamne la société anonyme monégasque J aux dépens du présent jugement ;
Composition🔗
Ainsi jugé et prononcé en audience publique du Tribunal du Travail de la Principauté de Monaco, au Palais de Justice, le neuf janvier deux mille quatorze, par Mademoiselle Magali GHENASSIA, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Messieurs Daniel BERTI et Francis GRIFFIN, membres employeurs, Madame Anne-Marie PELAZZA et Monsieur Jean-Marc JOURDIN, membres salariés, assistés de Mademoiselle Sylvie DA SILVA ALVES, Secrétaire-Adjoint.