Cour d'appel, 23 juin 2015, La Société Anonyme Monégasque A c/ Monsieur j-p. MO.

  • Consulter le PDF

Abstract🔗

Contrat de travail – Démission – Responsabilité contractuelle du salarié (non)

Résumé🔗

En application des dispositions de l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, chaque partie au contrat de travail à durée indéterminée dispose d'un droit de rupture unilatérale. Si le salarié peut donc librement mettre fin au contrat en démissionnant de son emploi, cette démission doit être l'expression d'une volonté certaine, libre et réfléchie, claire et non équivoque, dénuée de toute crainte ou pression. Le simple exercice de ce droit découlant directement de la liberté du travail garantie par l'article 25 de la Constitution ne saurait être reproché à un salarié hors l'hypothèse d'un abus pouvant être caractérisé par la violation de l'obligation de bonne foi imposée à tout contractant par l'article 989 du Code civil. Le Tribunal du Travail, compétent en application des dispositions de l'article 1er de la loi n° 446 du 16 mai 1946 pour trancher tous les différends pouvant s'élever à l'occasion du contrat travail, peut souverainement apprécier le caractère fautif des actes reprochés à un salarié avant la rupture définitive du contrat ayant notamment pu conduire à la démission reprochée. La société A fait en l'espèce grief à j-p. MO. d'avoir démissionné au mois de juin 2010 avec les autres salariés de l'entreprise pour être immédiatement embauché par la société concurrente B dans le but d'assurer des services identiques à ceux qu'ils exerçaient tous auparavant pour son propre compte, une telle démission groupée caractérisant selon l'appelante une collusion déloyale et une violation grave du devoir de fidélité et de bonne foi s'imposant aux salariés d'une entreprise. La société appelante se contente d'invoquer le caractère groupé de la démission du mois de juin 2010 et l'embauche subséquente par la société B pour en déduire le manquement à l'obligation de bonne foi dans le cadre de l'exécution du contrat de travail imposée par l'article 989 du Code civil. Il n'est toutefois pas démontré, ni même invoqué, l'intervention d'un quelconque acte objectif commis par l'intimé dans le cadre de la relation de travail susceptible de caractériser l'attitude déloyale imputée, étant rappelé que le seul exercice du droit de démissionner, garanti par la Constitution au titre de la liberté du travail, ne saurait être assimilé à un tel comportement. Les premiers juges ont en outre à bon droit relevé qu'à supposer même que j-p. MO. ait planifié avec ses collègues un départ groupé de la société A, il n'en résulte aucun abus. En effet, l'analyse des faits constants de la cause et des pièces produites révèle en premier lieu qu'une restructuration de la société avait été réalisée quelque mois auparavant pour pallier un contexte économique difficile lié à une réduction d'activité, tandis que la cessation imminente de l'exploitation de l'hélicoptère EC 155 exposait ce salarié à l'éventualité d'un licenciement immédiat et lui aurait en tout état de cause indiscutablement fait perdre le bénéfice d'une prime mensuelle brute de 1.000 euros liée à ses compétences spécifiques pour l'utilisation de cet appareil. Il s'ensuit qu'une décision de quitter l'entreprise dans les conditions légales susvisées et après avoir respecté le préavis d'un mois procède non seulement de l'exercice d'un droit garanti constitutionnellement mais ne révèle au surplus en elle-même aucun abus. La décision entreprise sera par voie de conséquence confirmée en ce que j-p. MO. n'a pas été reconnu responsable d'une faute grave à l'occasion de sa démission du mois du 18 juin 2010 et en ce que la société A a été déboutée des fins de sa demande de paiement de dommages intérêts formée in solidum contre les salariés démissionnaires.


Motifs🔗

COUR D'APPEL

ARRÊT DU 23 JUIN 2015

En la cause de :

  • - La Société Anonyme Monégasque A, immatriculée au RCI Monaco sous le n° X, dont le siège social est sis X1, MC 98000 Monaco, agissant poursuites et diligences de son Président délégué en exercice, Monsieur j. CR., demeurant en cette qualité audit siège,

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Georges BLOT, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et ayant pour avocat plaidant Maître André DEUR, avocat au Barreau de Nice ;

APPELANTE,

d'une part,

contre :

  • - Monsieur j-p. MO., demeurant X - 06670 Colomars,

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

INTIMÉ,

d'autre part,

LA COUR,

Vu le jugement rendu par le Tribunal du Travail, le 9 janvier 2014 ;

Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 28 février 2014 (enrôlé sous le numéro 2014/000127) ;

Vu l'arrêt avant dire droit en date du 3 février 2015 ;

Vu les conclusions déposées le 24 mars 2015, par Maître Georges BLOT, avocat-défenseur, au nom de la SAM A ;

Vu les conclusions déposées le 5 mai 2015, par Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur, au nom de j-p. MO. ;

À l'audience du 26 mai 2015, vu la production de leurs pièces par les conseils des parties ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

La Cour statue sur l'appel relevé par la SAM A, à l'encontre d'un jugement du Tribunal du Travail du 9 janvier 2014.

Considérant les faits suivants :

j-p. MO., employé suivant contrat à durée indéterminée depuis le 1er novembre 2005 pour le compte de la société A en qualité de pilote d'hélicoptère, démissionnait de ses fonctions suivant lettre recommandée avec accusé de réception du 18 juin 2010 à effet au 18 juillet 2010.

L'employeur, ayant refusé de délivrer à j-p. MO. les documents administratifs lui revenant, saisissait le Tribunal du Travail d'une demande d'indemnisation fondée sur la violation alléguée d'une clause de non concurrence et le manquement à l'obligation de loyauté de ce salarié démissionnaire.

Suivant jugement en date du 9 janvier 2014, le Tribunal du Travail saisi de ce différend opposant j-p. MO. à la société A, a :

« Ordonné la jonction des instances portant les numéros 57 de l'année judiciaire 2010-2011 et 61 de I'année judiciaire 2011-2012 et 24 de l'année judiciaire 2012-2013,

Déclaré irrecevable la demande en paiement de dommages et intérêts formée par la société anonyme monégasque A, en ce qu'elle excède la somme de 150.000 euros, ainsi que la demande en paiement de la somme de 9.331,32 euros au titre du remboursement des frais de formation, avec intérêts au taux légal à compter du 27 juillet 2010, formée par la société anonyme monégasque A,

Déclaré nulle la clause de non-concurrence contenue dans le contrat de travail à durée indéterminée ayant lié j-p. MO. à la société anonyme monégasque A,

S'est déclaré incompétent pour connaître des agissements de concurrence déloyale qui auraient été commis par j-p. MO. postérieurement à la cessation de son contrat de travail et des demandes qui en découlent,

Débouté la société anonyme monégasque A de sa demande en paiement de dommages et intérêts,

Donné acte à la société anonyme monégasque A de ce qu'elle a réglé la somme nette de 8.128,33 euros (huit mille cent vingt huit euros et trente trois centimes) à j-p. MO. et lui a remis le bulletin de salaire du mois de juillet 2010, le reçu pour solde de tout compte et le certificat de travail,

Condamné la société anonyme monégasque A à payer à j-p. MO.:

  • - les intérêts au taux légal sur la somme nette de 8.128,33 euros (huit mille cent vingt huit euros et trente trois centimes) à compter du 8 février 2012 et jusqu'au 1er mars 2013,

  • - la somme brute de 602,81 euros (six cent deux euros et quatre vingt un centimes) à titre de complément d'indemnité compensatrice de congés payés, avec intérêts au taux légal à compter du 11 juillet 2012 et sous le bénéfice de l'exécution provisoire,

  • - la somme de 278,16 euros (deux cent soixante dix huit euros et seize centimes) à titre de remboursement des frais professionnels, avec intérêts au taux légal à compter du 2 février 2012,

Ordonné la délivrance d'une attestation Pôle Emploi par la société anonyme monégasque A à j-p. MO., dans le délai d'un mois à compter de la signification du présent jugement, sous astreinte de 50 euros par jour de retard et sous le bénéfice de l'exécution provisoire,

Débouté les parties du surplus de leurs demandes,

Condamné la société anonyme monégasque A aux dépens du jugement. »

Au soutien de cette décision, les premiers juges relevaient pour l'essentiel que la clause de non-concurrence liant les parties n'était limitée ni dans le temps, ni dans l'espace, et ne comportait aucune contrepartie financière en sorte que sa nullité devait être prononcée sans qu'il soit nécessaire de déterminer si les activités des sociétés A et B étaient effectivement concurrentes.

Se déclarant par ailleurs incompétent pour apprécier la nature des agissements du salarié postérieurement à la démission, le Tribunal du Travail estimait que j-p. MO. n'avait commis aucun abus dans l'exercice de son droit de démissionner, tandis que la société A ne rapportait aucunement la preuve du préjudice prétendument subi en raison de la démission simultanée de six de ses salariés dans l'organisation et le fonctionnement de l'entreprise.

La société A, déplorant par ailleurs les agissements déloyaux des sociétés B et C, engageait une action indemnitaire devant le Tribunal de première instance lequel, par jugement en date du 20 décembre 2012, déclarait la société B coupable de concurrence fautive et ordonnait une expertise sur la fixation des indemnités revenant à la société A.

Ce jugement était frappé d'appel, un arrêt partiellement confirmatif ayant été rendu le 10 mars 2015.

Suivant exploit du 28 février 2014, la SAM A interjetait corrélativement appel du jugement rendu par le Tribunal du Travail le 9 janvier 2014, signifié le 7 février 2014 à l'effet de voir la Cour :

« Recevoir la société A en son appel parte in qua et l'y déclarant bien fondée,

Infirmer le jugement du Tribunal du Travail en date du 9 janvier 2014, en ce qu'il a débouté la société anonyme monégasque A de sa demande en paiement de dommages-intérêts et l'a déboutée du surplus de ses demandes, en ce inclus notamment le manquement à l'obligation de bonne foi de l'intimé prévue par l'article 989 du Code civil et le remboursement des frais de formation d'un montant de 9.331,32 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 27 juillet 2010,

Et statuant à nouveau :

Ordonner la jonction de la présente instance avec les procédures d'appel engagées par la société A à l'encontre des autres jugements rendus le 9 janvier 2014 par le Tribunal du Travail de la Principauté de Monaco à l'égard de Messieurs DR., DI FL., BO., CO. et de Madame KH.,

Vu les dispositions de I'article 989 du Code civil,

Vu l'intention manifeste de nuire exprimée par j-p. MO. dans sa participation à la concurrence déloyale menée par la société B par captation de la clientèle de la société C,

Dire et juger j-p. MO. responsable d'une faute grave caractérisée équipollente à une faute lourde à l'occasion de sa démission groupée du 10 juin 2010, avec les autres salariés DI FL., BO., DR., CO. et de Madame KH.,

En réparation des préjudices financiers, commerciaux et moraux subis par la société A,

Le condamner à payer in solidum à la société A une somme de 150.000 euros à titre de dommages-intérêts,

Le condamner, en outre, au remboursement des frais de formation d'un montant de 9.331.32 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 27 juillet 2010,

Le condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel, distraits au profit de Maître Georges BLOT, Avocat Défenseur, sous sa due affirmation

La société A fait valoir en substance par son exploit d'appel et ses écrits ultérieurs que :

  • - si la démission d'un salarié est un droit constitutionnellement reconnu en Principauté de Monaco, l'exercice abusif de ce même droit peut engager la responsabilité de l'employé démissionnaire quand il existe une intention de nuire aux intérêts de l'employeur,

  • - la démission groupée du staff complet de la société A au mois de juin 2010 pour rejoindre les effectifs de la société B dans le but de participer à une captation de clientèle a incontestablement provoqué la destruction d'un marché rare et a engendré pour A un préjudice financier, commercial et moral considérable,

  • - de tels agissements caractérisent indiscutablement une violation grave du devoir de loyauté, de fidélité et de bonne foi s'imposant au salarié d'une entreprise engageant la responsabilité individuelle de chacun des salariés démissionnaires et justifiant l'indemnisation sollicitée.

j-p. MO., intimé, conclut pour sa part aux termes de ses écrits judiciaires à la confirmation du jugement rendu le 9 janvier 2014 par le Tribunal du Travail sauf en ce qu'il l'a débouté des fins de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Relevant de ce chef appel incident, il entend voir condamner la société A à lui payer la somme de 15.000 euros de dommages et intérêts pour procédure et appel abusifs.

j-p. MO. fait valoir que la société A renonce à poursuivre l'exécution de la clause de non concurrence figurant au contrat de travail jugée nulle pour défaut de contrepartie financière.

S'agissant de la demande portant sur les frais de formation, formée pour la première fois devant le bureau de jugement et réitérée devant la Cour d'appel, il estime que son irrecevabilité devra être constatée tout comme la demande de jonction des procédures, les mesures d'administration judiciaire n'étant selon lui susceptibles d'aucun recours.

En ce qui concerne l'exécution de bonne foi du contrat de travail et l'exercice de son droit de démission, j-p. MO. précise qu'il n'a décidé de la rupture qu'au regard de conditions de travail inadaptées. II expose avoir démissionné dans les conditions contractuelles et légales requises, respectant le délai de préavis et ne commettant par ailleurs aucune faute.

j-p. MO. expose en revanche que la procédure poursuivie son encontre et l'appel interjeté justifient la condamnation de son ancien employeur à lui payer la somme de 15.000 euros de dommages et intérêts.

En l'état d'une demande de sursis à statuer formée le 18 novembre 2014 par la société A désireuse d'attendre l'arrêt à intervenir dans l'instance l'opposant aux sociétés C et B, la Cour d'appel a, suivant arrêt du 3 février 2015, débouté la société A des fins de cette exception de sursis à statuer et organisé un calendrier procédurale de mise en état.

Le 24 mars 2015, la société appelante a déposé de nouveaux écrits judiciaires aux termes desquels elle entend se voir allouer le bénéfice de son exploit d'appel du 28 février 2014, sollicite la jonction de cette instance avec celles introduites par la société A par d'autres exploits du 28 février 2014 et respectivement enrôlés sous les numéros 124, 125, 126, 128 et 129 de l'année 2014, entend voir dire et juger les salariés BO., CO., DI FL., MO., DR. et KH. responsables d'une faute grave caractérisée équipollente à une faute lourde à l'occasion de leur démission groupée du mois de juin 2010 et juger par ailleurs j-p. MO. responsable d'une faute grave caractérisée équipollente à une faute lourde à l'occasion de sa démission groupée et, en réparation des préjudices financiers commerciaux et moraux subis, condamner ce dernier in solidum avec les autres salariés à lui payer une somme de 300.000 euros à titre de dommages intérêts.

Elle fait grief aux premiers juges d'avoir exclusivement retenu que la volonté exprimée par les salariés de quitter l'entreprise était fondée en partie sur le fait que le personnel avait reçu une formation spécifique pour l'utilisation de l'hélicoptère de prestige exploité par une nouvelle société, B, tandis que ce transfert d'activité avait pour conséquence la perte de bénéfice d'une prime mensuelle brute de 1.000 euros qui lui était auparavant octroyée.

Elle estime au contraire que lorsqu'ils ont donné leur démission au mois de juin 2010 les salariés concernés n'étaient pas censés savoir que la société C allait rompre ses accords commerciaux avec A et que ce n'est que le 22 juin 2010, soit quelques jours après la démission des salariés, que Madame GR. avait fait parvenir la lettre de rupture.

Elle soutient que la démission groupée du staff complet des salariés de A ne peut pas s'expliquer par la crainte de perdre la prime mensuelle ni par celle de perdre l'usage de l'agrément obtenu pour le pilotage de l'appareil de la société C mais procédait d'une intention commune de participer à une captation de clientèle, s'agissant notamment des résidents fortunés de la Principauté ayant décidé de confier leurs appareils à de la société B.

L'appelante fait valoir qu'il s'agit d'une violation grave et lourde du devoir de loyauté, de fidélité et de bonne foi s'imposant aux salariés d'une entreprise par application des dispositions de l'article 989 du Code civil.

La société A se réfère par ailleurs expressément à la motivation de l'arrêt rendu le 10 mars 2015 par la Cour d'appel de céans dans le dossier de responsabilité concernant les deux sociétés, la collusion des salariés ayant été selon elle qualifiée de constitutive d'une « entente préalable constituant un acte déloyal de concurrence avec création d'une rupture d'égalité dans le commerce ».

L'appelante en déduit que la motivation susvisée caractérise la faute reprochée aux salariés à l'occasion de leur démission, c'est-à-dire non pas après la cessation du contrat de travail, mais bien avant et à l'occasion de la rupture.

Elle en déduit que les six salariés concernés seront condamnés à lui payer une somme volontairement forfaitisée à 300.000 euros de dommages-intérêts au titre du préjudice commercial financier et en raison de l'atteinte à la réputation et à l'image de l'entreprise qu'elle a subie.

j-p. MO., réitérant le bénéfice de ses précédents écrits judiciaires, observe pour l'essentiel en réponse aux nouveaux moyens articulés par l'appelante que :

  • • aux termes de son acte d'appel la société A avait cantonné le montant de sa demande à la somme soumise au préliminaire de conciliation soit 150.000 euros mais elle a en réalité, par ses dernières conclusions, de nouveau sollicité sa condamnation au paiement d'une somme de 300.000 euros, une telle demande devant désormais être déclarée irrecevable dans la mesure où le bureau de jugement ne peut par application des dispositions de l'article 42 de la loi n° 446 du 16 mai 1946 connaître que des demandes qui ont été soumises au préliminaire de conciliation,

  • • de la même manière, la demande en paiement des frais de formation formée par la société appelante devant la cour d'appel et qui avait été pour la première fois évoquée devant le bureau de jugement sans être au préalable soumise au préliminaire de conciliation sera déclarée irrecevable,

  • • la demande de jonction ne relève pas des dispositions de l'article 59 de la loi n° 446 du 16 mai 1946 et sera doublement irrecevable devant la Cour d'appel dans la mesure où les mesures d'administration judiciaire ne sont susceptibles d'aucun recours,

  • • le contrat de travail a été exécuté de bonne foi et l'exercice d'un droit de démission constitutionnellement garanti n'est pas critiquable dès lors que sa situation au sein de l'entreprise ne répondait plus à ses attentes et que ses conditions de travail ne lui convenaient plus,

  • • l'arrêt rendu par la cour d'appel le 10 mars 2015 n'a pas l'autorité de la chose jugée à l'égard des anciens salariés de la société A, la demande ne pouvant être fondée sur la même cause puisque cette décision s'était exclusivement prononcée sur la base des principes de la concurrence déloyale et ne concernait pas les mêmes parties, les salariés n'étant pas parties à l'instance d'appel ayant donné lieu à cet arrêt,

  • • la démission en vue d'exercer une activité concurrente ne caractérise en aucune manière une violation du devoir de loyauté et de fidélité ni même un abus de droit dans la mesure où le préavis a été entièrement respecté.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.

SUR CE,

Attendu que la Cour n'est présentement saisie que d'un appel parte in qua, la société A sollicitant la réformation du jugement entrepris du chef de la jonction et au titre de la responsabilité de l'intimé à l'occasion de la démission du mois de juin 2010, j-p. MO. relevant quant à lui appel incident du seul chef des dommages et intérêts réclamés pour procédure et appel abusifs ;

  • 1 - Sur l'irrecevabilité de certaines demandes

Attendu que les demandes formulées en cause d'appel par la société A, soit dans l'exploit du 28 février 2014 soit dans ses dernières conclusions, identiques à celles au demeurant formées devant le premier juge tendant d'une part à solliciter le paiement d'une somme de 300.000 euros à titre de dommages-intérêts et d'autre part à obtenir le remboursement des frais de formation n'ont pas été préalablement soumises, ni dans leur quantum ni dans leur nature, à la tentative obligatoire de conciliation et ne sauraient en conséquence, et par application des dispositions de l'article 42 de la loi n°446 du 16 mai 1946, être déclarées recevables.

  • 2 - Sur la jonction

Attendu que la demande de jonction de cette instance avec celles introduites par la société A à l'encontre de Michel DR., j-p. MO., Claude DI FL., Sébastien CO., et Halima KH. procède selon l'appelante de sa demande de condamnation indemnitaire « in solidum » à l'encontre des quatre pilotes, du mécanicien et de Madame KH. ayant elle-même participé activement au détournement de clientèle ;

Attendu que si le jugement déféré a rejeté la demande de jonction ainsi formée, force est de relever qu'une telle décision procède d'une mesure d'administration judiciaire par nature insusceptible d'appel, en sorte que la décision entreprise sortira à cet égard son plein et entier effet, les différentes instances introduites par la société A à l'encontre des six salariés susvisés ne devant pas être jointes ;

  • 3 - Sur la responsabilité contractuelle du salarié

Attendu que la décision entreprise n'est pas frappée d'appel en ce que la clause de non-concurrence conventionnelle a été déclarée nulle ni en ce qu'il a été jugé que l'appréciation des agissements reprochés au salarié postérieurement à la rupture relève de la seule compétence du Tribunal de première instance, juridiction de droit commun, de telles dispositions étant désormais définitives ;

Attendu que seul se trouve de nouveau invoqué en cause d'appel le comportement du salarié démissionnaire se voyant reprocher une faute grave équipollente à une faute lourde à l'occasion de la démission groupée du mois de juin 2010 ;

Attendu qu'en application des dispositions de l'article 6 de la loi n°729 du 16 mars 1963, chaque partie au contrat de travail à durée indéterminée dispose d'un droit de rupture unilatérale ;

Que si le salarié peut donc librement mettre fin au contrat en démissionnant de son emploi, cette démission doit être l'expression d'une volonté certaine, libre et réfléchie, claire et non équivoque, dénuée de toute crainte ou pression ;

Attendu que le simple exercice de ce droit découlant directement de la liberté du travail garantie par l'article 25 de la Constitution ne saurait être reproché à un salarié hors l'hypothèse d'un abus pouvant être caractérisé par la violation de l'obligation de bonne foi imposée à tout contractant par l'article 989 du Code civil ;

Attendu que le Tribunal du Travail, compétent en application des dispositions de l'article 1er de la loi n°446 du 16 mai 1946 pour trancher tous les différends pouvant s'élever à l'occasion du contrat travail, peut souverainement apprécier le caractère fautif des actes reprochés à un salarié avant la rupture définitive du contrat ayant notamment pu conduire à la démission reprochée ;

Attendu que la société A fait en l'espèce grief à j-p. MO. d'avoir démissionné au mois de juin 2010 avec les autres salariés de l'entreprise pour être immédiatement embauché par la société concurrente B dans le but d'assurer des services identiques à ceux qu'ils exerçaient tous auparavant pour son propre compte, une telle démission groupée caractérisant selon l'appelante une collusion déloyale et une violation grave du devoir de fidélité et de bonne foi s'imposant aux salariés d'une entreprise ;

Qu'au soutien de cette argumentation, la société appelante se réfère expressément aux motifs de l'arrêt rendu par la Cour d'appel le 10 mars 2015 aux termes duquel une entente préalable a été qualifiée d'acte déloyal de concurrence, créant une rupture d'égalité dans le commerce ;

Qu'une telle motivation ne saurait cependant être dénaturée, voire extraite de son contexte, la Cour d'appel ayant, dans le cadre de cette instance distincte à laquelle les salariés n'étaient pas parties, simplement relevé l'existence d'une concertation entre le client, le personnel démissionnaire et la société B afin d'organiser, par un enchaînement adéquat d'événements, le départ soudain et concomitant du client prospecté et des salariés indispensable à sa venue, puis l'embauche immédiate et simultanée de la totalité du staff en ayant la charge, et ce, sans que l'attitude personnelle desdits salariés, absents des débats, fasse l'objet d'une critique ou soit même seulement évoquée ;

Qu'une telle constatation permettant au juge de droit commun d'imputer l'organisation de cette concertation à la faute de la société B ne saurait permettre d'en déduire ipso facto les manquements à l'obligation de loyauté, de fidélité ou de bonne foi des salariés concernés dont le comportement n'a pas été évalué dans le cadre de ce litige de droit commun et qui ne pouvait au demeurant faire l'objet d'une telle appréciation par cette juridiction, sauf à méconnaître à cet égard la compétence d'ordre public du Tribunal du Travail ;

Attendu que la société appelante se contente en effet d'invoquer le caractère groupé de la démission du mois de juin 2010 et l'embauche subséquente par la société B pour en déduire le manquement à l'obligation de bonne foi dans le cadre de l'exécution du contrat de travail imposée par l'article 989 du Code civil ;

Qu'il n'est toutefois pas démontré, ni même invoqué, l'intervention d'un quelconque acte objectif commis par l'intimé dans le cadre de la relation de travail susceptible de caractériser l'attitude déloyale imputée, étant rappelé que le seul exercice du droit de démissionner, garanti par la Constitution au titre de la liberté du travail, ne saurait être assimilé à un tel comportement ;

Attendu que les premiers juges ont en outre à bon droit relevé qu'à supposer même que j-p. MO. ait planifié avec ses collègues un départ groupé de la société A, il n'en résulte aucun abus ;

Qu'en effet, l'analyse des faits constants de la cause et des pièces produites révèle en premier lieu qu'une restructuration de la société avait été réalisée quelque mois auparavant pour pallier un contexte économique difficile lié à une réduction d'activité, tandis que la cessation imminente de l'exploitation de l'hélicoptère EC 155 exposait ce salarié à l'éventualité d'un licenciement immédiat et lui aurait en tout état de cause indiscutablement fait perdre le bénéfice d'une prime mensuelle brute de 1.000 euros liée à ses compétences spécifiques pour l'utilisation de cet appareil ;

Qu'il s'ensuit qu'une décision de quitter l'entreprise dans les conditions légales susvisées et après avoir respecté le préavis d'un mois procède non seulement de l'exercice d'un droit garanti constitutionnellement mais ne révèle au surplus en elle-même aucun abus ;

Attendu que la décision entreprise sera par voie de conséquence confirmée en ce que j-p. MO. n'a pas été reconnu responsable d'une faute grave à l'occasion de sa démission du mois du 18 juin 2010 et en ce que la société A a été déboutée des fins de sa demande de paiement de dommages intérêts formée in solidum contre les salariés démissionnaires ;

Attendu que j-p. MO. estimant avoir été à tort débouté des fins de sa demande de réparation pour procédure abusive par le Tribunal du Travail et, relevant de ce chef appel incident, entend voir condamner la société A à lui payer la somme de 15.000 euros de dommages intérêts pour procédure et appel abusif ;

Attendu qu'eu égard toutefois au contexte dans lequel s'est inscrite la démission de plusieurs salariés de la société A, cette partie a pu raisonnablement se méprendre sur la portée de ses droits et il convient de débouter j-p. MO. des fins de sa demande d'indemnisation susvisée ;

Attendu que la société appelante sera dès lors déboutée des fins de son appel principal et l'intimé des fins de son appel incident, les dépens de première instance et d'appel demeurant à la charge de la société A.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,

statuant publiquement et contradictoirement après arrêt avant dire droit du 3 février 2015,

Déclare irrecevables les demandes formées en cause d'appel par la société A tendant à voir porter à la somme de 300.000 euros le montant des dommages et intérêts réclamés, à obtenir le remboursement des frais de formation des salariés démissionnaires et à ordonner la jonction de l'ensemble des instances les concernant,

Au fond, déboute la société A des fins de son appel principal,

Déboute j-p. MO. des fins de son appel incident,

Confirme le jugement rendu le 9 janvier 2014 par le Tribunal du Travail en ses dispositions frappées d'appel,

Laisse les entiers dépens de l'instance à la charge de la société A et dit qu'ils seront distraits au profit de Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat défenseur, sous sa due affirmation,

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable,

Vu les articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires,

Composition🔗

Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, Officier de l'Ordre de Saint-Charles, Monsieur Marc SALVATICO, Conseiller, Madame Sylvaine ARFINENGO, Conseiller, assistés de Madame Virginie SANGIORGIO, Greffier en chef adjoint, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles,

Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,

Lecture est donnée à l'audience publique du 23 juin 2015, par Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, Officier de l'Ordre de Saint-Charles assistée de Madame Virginie SANGIORGIO, Greffier en chef adjoint, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, en présence de Mademoiselle Cyrielle COLLE, substitut du Procureur Général.

  • Consulter le PDF