Tribunal du travail, 24 octobre 2013, Madame J. BO. épouse VI. c/ La SA O
Abstract🔗
Tribunal du travail - Production des pièces - Nullité des attestations.
Contrat de travail - Pouvoir disciplinaire de l'employeur - Sanction disciplinaire - Courriers de rappel à l'ordre suivis d'un blâme - Épuisement du pouvoir disciplinaire (oui).
Contrat de travail - Licenciement - Insuffisance professionnelle - Accumulation de manquements - Motif valable (oui).
Résumé🔗
Il y a lieu de déclarer nulles deux pièces versées aux débats, en l'espèce des attestations qui ne respectent pas toutes les prescriptions de l'article 324 du Code de procédure civile. Le fait que la profession des attestants soit notée dans la copie de la pièce d'identité produite avec l'attestation ne régularise pas l'absence de cette mention dans le corps de l'attestation, l'intégralité de l'attestation et les mentions prévues par l'article 324 susvisé devant, à peine de nullité, être écrites entièrement de la main de leur auteur.
En délivrant des courriers de rappel à l'ordre à la salariée ayant commis des erreurs dans l'exécution de ses tâches, l'employeur a vidé son pouvoir disciplinaire et ne pouvait valablement invoquer à nouveau les erreurs déjà sanctionnées qu'en cas de survenance d'un élément nouveau. À défaut de nouvel élément, l'employeur ne pouvait valablement infliger un blâme, lequel est dès lors annulé.
Le licenciement de la salariée ne peut être considéré comme abusif et doit donc être déclaré valide dès lors que malgré les nombreux rappels qui lui ont été adressés, elle n'a pu se conformer pleinement aux procédures de son employeur. Si aucun de ces manquements ne rend en soit intolérable le maintien de la relation professionnelle, leur accumulation au fil du temps peut être valablement considérée comme une insuffisance professionnelle et ainsi justifier le licenciement basé sur ce motif.
Motifs🔗
TRIBUNAL DU TRAVAIL
AUDIENCE DU 24 OCTOBRE 2013
En la cause de Madame J. BO. épouse VI., demeurant : 1X à MONACO (98000),
demanderesse, ayant élu domicile en l'Étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par Maître Danièle RIEU, avocat au barreau de Nice, substitué par Maître Aurélie SOUSTELLE, avocat au barreau de Nice,
d'une part ;
Contre :
La SA O, dont le siège social est : 2X à MONACO (98000),
défenderesse, ayant élu domicile en l'Étude de Maître Sophie LAVAGNA, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, substitué par Maître Alice PASTOR, avocat-stagiaire à la Cour d'Appel de Monaco,
d'autre part ;
LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,
Après en avoir délibéré conformément à la loi,
Vu la requête introductive d'instance en date du 31 janvier 2011, reçue le même jour ;
Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 15 mars 2011 ;
Vu les conclusions déposées par Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de Madame J. BO. épouse VI., en date des 9 juin 2011, 29 mars 2012 et 10 janvier 2013 ;
Vu les conclusions déposées par Maître Sophie LAVAGNA, avocat-défenseur, au nom de La SA O, en date des 18 janvier 2012, 12 juillet 2012, 11 février 2013 et 6 juin 2013 ;
Après avoir entendu Maître Aurélie SOUSTELLE, avocat au barreau de Nice, pour Madame J. BO. épouse VI., et Maître Alice PASTOR, avocat-stagiaire à la Cour d'Appel de Monaco, pour La SA O, en leurs plaidoiries ;
Vu les pièces du dossier ;
J. BO. épouse VI. était employée par la SA O à compter du 25 janvier 1982 et était licenciée pour insuffisance professionnelle le 13 juillet 2010 ;
Soutenant que le blâme qui lui a été infligé le 1er avril 2009 se doit d'être annulé et que son licenciement a été abusif, dans le but de l'écarter avant un rachat d'autres établissements bancaires, ensuite d'un procès-verbal de non-conciliation en date du 14 mars 2011, elle a attrait La SA O (ci-après La SA O) devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail afin d'obtenir à son profit, et sous le bénéfice de l'exécution provisoire l'annulation du blâme du 1er avril 2009 et la somme de 200.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif ;
À la date fixée par les convocations, les parties ont comparu par leurs conseils respectifs puis, après treize renvois consécutifs intervenus à la demande des avocats, l'affaire a été contradictoirement débattue le 4 juillet 2013 et le jugement mis en délibéré au 17 octobre 2013 ;
J. VI. fait valoir à l'appui de ses demandes que le blâme qui a été délivré l'a été ensuite d'une faute pour laquelle elle avait déjà reçu un avertissement sans sanction et qu'ainsi elle ne saurait être considérée comme valide ;
Elle estime ne pas avoir pu s'expliquer avec ses supérieurs sur les reproches qui lui ont été faits dans le cadre de son licenciement, malgré plusieurs demandes de sa part, qu'il aurait dû lui être proposé un reclassement ou du moins rechercher les causes des insuffisances qui lui sont reprochées, qu'elle aurait dû passer en conseil de discipline comme le prévoit la convention collective des banques ;
Elle déclare avoir toujours travaillé correctement et que les reproches qui ont pu lui être faits auparavant de son licenciement n'ont jamais donné lieu à des sanctions, qu'ils ne lui sont pas forcément imputables ou sont explicables par une situation exceptionnelle ou par sa fragilité temporaire, constatée médicalement ;
Elle considère que les attestations qu'elle verse aux débats respectent toutes les prescriptions de l'article 324 du Code de procédure civile ;
En réponse, la La SA O demande in limine litis d'écarter les pièces 17 à 19, 21 et 22 de J. VI. en ce qu'elles ne répondraient pas aux exigences du Code de procédure civile et ensuite de débouter la demanderesse de l'ensemble de ses demandes ;
Elle fait valoir à l'appui de ses prétentions que J. VI. s'est vue régulièrement reprochée depuis le début de l'année 2004 de ne pas respecter les procédures internes de la banque, causant des erreurs et que ces erreurs fréquentes résultent d'une insuffisance professionnelle ;
Elle estime que le blâme était justifié et proportionné en ce qu'il est la sanction la moins importante de la convention collective ;
Elle déclare qu'il a été proposé à J. VI. de s'expliquer mais que celle-ci n'a pas comparu, qu'elle n'a pas fait état d'un moment de fragilité passagère avant qu'elle ne fasse un malaise lorsque son licenciement lui a été annoncé ;
Elle considère qu'il ne peut lui être reproché de n'avoir pas fait appel à une procédure disciplinaire qui aurait été plus lourde, plus traumatisante et qu'en tout état de cause, l'insuffisance professionnelle était déjà caractérisée ;
Elle estime que J. VI. reconnaît implicitement avoir manqué à ses obligations professionnelles par ses écritures et par le fait qu'elle n'a jamais contesté les rappels qui lui ont été adressés ;
SUR QUOI :
Sur la validité des pièces 17 à 19 et 21 à 22 :
Au terme de l'article 324 du Code de procédure civile, les attestations doivent, à peine de nullité, être écrites, datées et signées de la main de leur auteur, mentionner leur nom, prénom, date et lieu de naissance, demeure et profession, ainsi que l'existence ou l'absence de liens de parenté, alliance, subordination et d'intérêt avec les parties, préciser si l'auteur a un intérêt au litige, indiquer que l'auteur a établi cette attestation pour être produite en justice et qu'une fausse attestation l'expose aux sanctions de l'article 103 du Code pénal, et être accompagnée d'une copie d'un document officiel comportant sa signature ;
Contrairement à ce que soutient J. VI., le fait que la profession des attestants soit notée dans la copie de la pièce d'identité versée avec l'attestation ne régularise pas l'absence de cette mention dans le corps de l'attestation en ce qu'il est admis que l'intégralité de l'attestation et les mentions prévues par l'article 324 susvisé doivent, à peine de nullité, être écrites entièrement de la main de leur auteur ;
Ainsi, les pièces 17 et 19 devront être déclarées nulles ;
L'attestation versée sous le numéro de pièce 18, dans laquelle la profession n'était pas mentionnée, a été régularisée par le versement de la pièce 18 bis ;
Contrairement à ce qu'indique la La SA O, la profession actuelle de l'attestant est mentionnée de manière claire, de sorte qu'il n'y a pas lieu d'annuler ces deux pièces ;
De même, les pièces 21 et 22 de J. VI. ont été régularisées par la production des pièces 21 bis et 22 bis qui contiennent la profession de l'attestant ;
Il convient donc de débouter la La SA O de ses demandes de ce chef ;
Sur le blâme du 1er avril 2009 :
Il est constant que nul ne peut se voir sanctionner deux fois pour la même faute ;
Le blâme du 1er avril 2009 vise expressément l'erreur commise le 17 février 2009 et rappelle les deux erreurs commises respectivement les 6 et 7 janvier 2009 ;
Il résulte des pièces versées aux débats que ces trois erreurs avaient été suivies de lettres de rappel à l'ordre ;
En délivrant ces courriers de rappel à l'ordre, l'employeur a ainsi vidé son pouvoir disciplinaire et ne pouvait valablement invoquer à nouveau les erreurs déjà sanctionnées qu'en cas de survenance d'un élément nouveau ;
À défaut de nouvel élément, l'employeur ne pouvait valablement infliger un blâme ;
Il convient donc d'annuler le blâme du 1er avril 2009 ;
Sur la validité du licenciement :
La convention collective des banques permet à l'employeur de faire le choix entre une procédure disciplinaire ou un licenciement ;
Ainsi, le passage devant le conseil de discipline ou de reclassement relève du pouvoir discrétionnaire de l'employeur, sans préjudice de l'appréciation de la validité de ce choix ;
En l'espèce, si la La SA O a fait le choix d'utiliser l'article 32 de la convention susvisée et non ses articles 25 à 27, ce choix ne peut lui être reproché ;
Il résulte des débats et des pièces qui y sont versées que les manquements que la La SA O impute à J. VI. s'étendent sur une période suffisamment longue pour que, en l'absence de tout autre élément, ou de toute réclamation ou plainte particulière de l'employée, la thèse de l'inaptitude passagère, éventuellement pour raisons de santé, peut valablement être écartée ;
L'argument selon lequel le fait que J. VI. ait eu un malaise lors de son entretien préalable et n'ait pu reprendre son activité n'est pas en soit l'indice qu'elle aurait été victime de problèmes de santé passagers qui auraient justifié son passage devant un expert médical et qu'il lui soit proposé un reclassement ;
Il apparaît au contraire que le fait qu'une procédure de licenciement ait été initiée par la La SA O est l'origine des troubles de J. VI. ;
Il résulte également des débats et des pièces qui y sont versées que J. VI. a été convoquée à un entretien préalable à la mise en œuvre du licenciement envisagé ;
Cet entretien a notamment pour but de permettre à un employé de s'expliquer sur ce qui lui est reproché par son employeur ;
Celui-ci n'a pu se tenir du seul fait que J. VI. a souffert pendant qu'il se déroulait, d'un malaise vagal ;
Il lui en a ensuite été proposé un autre, qui, bien qu'il ait été fixé pendant son congé maladie, était prévu durant ses heures de sortie ;
Il est donc fallacieux de prétendre qu'il n'a jamais été offert à J. VI. la possibilité de s'expliquer sur les griefs qui étaient formulés à son encontre ;
Si J. VI. conteste désormais les reproches qui lui ont été faits par sa hiérarchie depuis 2004 et ayant donné lieu à 17 courriers de rappel à l'ordre, il est constant qu'hormis l'erreur commise en juin 2010, celle-ci n'avait jamais contesté les reproches qui lui étaient faits ;
Les documents versés par la La SA O relevant les erreurs commises et leur raisons apparaissent suffisamment circonstanciés pour qu'il puisse être considérés comme probants ;
Que les attestations versées aux débats ne démontrent nullement que les erreurs reprochées à J. VI. le seraient à tort ;
En outre, il résulte des propres écritures de J. VI. lorsqu'elle reprend chacun des rappels à l'ordre qui lui ont été adressés qu'elle ne conteste pas réellement ce qui lui est reproché dans les différents courriers mais justifie ses actes par les nécessités du service, l'absence de préjudice pour la banque ou ses clients et s'étonne que l'on puisse le lui reprocher et se justifie en déclarant qu'il n'y a pas eu de perte ou de détournement ;
Au sein des 17 documents versés par la La SA O pour démontrer des manquements de J. VI., seule la pièce n°8 n'apparaît pas comme un rappel à l'ordre adressé à J. VI. en ce qu'il concerne la livraison de systèmes d'alarmes et paraît être un courrier circulaire adressé à tous les membres de l'agence dans laquelle J. VI. officiait ;
Il résulte de ces considérations que malgré les nombreux rappels qui lui ont été adressés, J. VI. n'a pu se conformer pleinement aux procédures de son employeur ;
Si aucun de ces manquements ne rend en soit intolérable le maintien de la relation professionnelle, leur accumulation au fil du temps peut être valablement considérée comme une insuffisance professionnelle et ainsi justifier le licenciement basé sur ce motif ;
Il s'ensuit, que le licenciement intervenu ne peut être considéré comme abusif et devra donc être déclaré valide ;
Il convient donc de débouter J. VI. de ses demandes de dommages et intérêts pour licenciement abusif ;
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,
Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort après en avoir délibéré ;
Annule les pièces 17 et 19 produites par J. VI. ;
Annule le blâme délivré à J. VI. le 1er avril 2009 ;
Déclare valide le licenciement de J. VI. ;
Déboute J. VI. de ses demandes de dommages et intérêts pour licenciement abusif ;
Composition🔗
Ainsi jugé et prononcé en audience publique du Tribunal du Travail de la Principauté de Monaco, au Palais de Justice, le vingt quatre octobre deux mille treize, par Monsieur Florestan BELLINZONA, Juge au Tribunal de Première Instance suppléant Mademoiselle Magali GHENASSIA, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Madame Carol MILLO, Monsieur Tiago RIBEIRO DE CARVALHO, membres employeurs, Messieurs Lionel RAUT, Karim TABCHICHE, membres salariés, assistés de Madame Catherine CATANESE, Secrétaire en Chef.