Tribunal de première instance, 10 octobre 2013, M. B. V. D. c/ La SAM O.

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Abstract🔗

Trust - Société - Personne morale - Qualité pour agir du constituant et bénéficiaire (non)

Résumé🔗

Le constituant et bénéficiaire de sociétés et d'un trust est sans qualité pour agir en remboursement de factures établies au nom de ces entités.


Motifs🔗

TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

JUGEMENT DU 10 OCTOBRE 2013

En la cause de :

  • M. B. V. D., né le 15 juillet 1950 à Genemuiden (Pays-Bas), de nationalité néerlandaise, commerçant, demeurant X à Monaco,

DEMANDEUR, ayant élu domicile en l'étude de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur,

d'une part ;

Contre :

  • La société anonyme monégasque dénommée O., exerçant sous l'enseigne « P. », au capital social de 150.000 euros, dont le siège est sis X1, 98000 Monaco, inscrite au Registre du Commerce et des Sociétés de Monaco, sous le n° 76S 01539, prise en la personne de son Président délégué en exercice, domicilié et demeurant en cette qualité audit siège,

DÉFENDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Géraldine GAZO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur,

d'autre part ;

LE TRIBUNAL,

Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 21 décembre 2011, enregistré (n° 2012/000262) ;

Vu les conclusions de Maître Géraldine GAZO, avocat-défenseur, au nom de la SAM O., en date des 5 janvier 2012, 18 avril 2012, 12 décembre 2012 et 19 juin 2013 ;

Vu les conclusions de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur, au nom de B. V. D., en date des 11 octobre 2012 et 13 mars 2013 ;

À l'audience publique du 4 juillet 2013, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé ce jour 10 octobre 2013 ;

EXPOSÉ :

Par acte d'huissier délivré le 21 décembre 2011, B V D a fait assigner la SAM O. en paiement, sous le bénéfice de l'exécution provisoire des sommes suivantes :

  • 289.700 euros en remboursement des honoraires perçus entre 2007 et 2010 avec intérêts légaux depuis le 24 novembre 2011 ;

  • 25.000 euros à titre de dommages et intérêts.

Il est exposé que :

  • - B. V. D. bénéficiaire de deux trusts à Jersey a souhaité en 2003 transférer ceux-ci à Monaco et a contacté pour ce faire la SAM O. ;

  • - c'est ainsi que cette dernière est à l'origine de la création à Monaco des trusts Z. et Q et une fois le transfert des avoirs détenus à Jersey par les anciens trustees a eu pour mission de les gérer à Monaco ;

  • - il a été convenu un forfait annuel fixe pour chaque structure outre une facturation supplémentaire versée sur le temps passé en rémunération des diligences accomplies pour la gestion à charge par la SAM O. d'en informer préalablement B. V. D. et d'obtenir son accord pour procéder au paiement des factures ;

  • - c'est ainsi que les premières années, la SAM O. a systématiquement demandé à son client son aval pour régler chaque facture ;

  • - au cours de l'année 2007 et depuis cette date, les facturations prélevées ont augmenté de manière inattendue et significative sans aucune explication valable de la part de la SAM O. ;

  • - ce comportement est gravement fautif et révèle qu'en réalité la facturation faite par la défenderesse ne correspond pas à des diligences effectives et réalisées dans l'intérêt d'une bonne gestion des trusts ;

  • - ces agissements pourraient revêtir une qualification pénale ;

  • - la SAM O. n'a pas exécuté de bonne foi ses obligations en violation de l'article 989 du Code civil ;

  • - B. V. D. est en droit d'obtenir remboursement des factures sur la période 2007-2010 éditées sans justification, outre réparation, en application de l'article 1002 du Code civil, de ses préjudices, notamment l'obligation de recourir à justice.

Dans ses conclusions déposées les 19 avril 2012, 12 décembre 2012 et 19 juin 2013, la SAM O. soulève l'irrecevabilité de l'action de B. V. D. et sollicite sa condamnation au paiement d'une somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, et sur le fond conclut au débouté et à l'allocation d'une somme de 75.000 euros à titre de dommages et intérêts.

La SAM O. procède préalablement à un rappel des faits.

Sur la recevabilité, il est soutenu que B. V. D. n'a pas qualité à agir en ce que :

  • - le trust devient propriétaire des actifs qui sont détenus par les trustees à leur entière discrétion ;

  • - les trustees ont le pouvoir de décider quel bénéficiaire recevra les fonds, jusqu'à quel montant, et de changer les bénéficiaires existants ;

  • - B. V. D. n'est qu'un bénéficiaire potentiel du trust ;

  • - la notion de bénéficiaire économique contenue dans la loi monégasque est à différencier de celle de bénéficiaire du trust selon la loi des Iles Vierges Britanniques seule applicable ;

  • - aux termes de cette dernière loi, les trustees n'ont aucune obligation de solliciter l'approbation du constituant ou du bénéficiaire pour fixer leurs honoraires ou procéder à leur règlement.

  • - l'acte constitutif du trust stipule expressément que seuls les trustees ont le pouvoir d'intenter action en justice ;

  • - B. V. D. ne peut se prévaloir de ce chef de la décision rendue le 23 avril 2008 par la Cour Royale de Jersey ;

Sur le fond, la SAM O. fait valoir pour l'essentiel que :

  • - l'accroissement significatif de la facturation en 2007 résulte de l'augmentation de l'activité suite au transfert des avoirs depuis les trusts de Jersey sur Z et de l'action judiciaire intentée à Jersey ;

  • - en effet, durant l'année 2007, B. V. D. lui a demandé, dans le cadre d'une instance judiciaire introduite à Jersey l'opposant à l'ancien trustee, de donner le détail des frais facturés par elle à ce titre dans le but d'en obtenir remboursement dans le cadre de la présente instance ;

  • - ainsi, B. V. D. était parfaitement informé des prestations accomplies et facturées, n'a jamais émis la moindre contestation, et tente de se faire payer deux fois puisqu'il réclame devant la présente juridiction ce qu'il a déjà obtenu à Jersey ;

  • - à plusieurs reprises le solde du compte bancaire de Z étant insuffisant, le trustee a demandé à B. V. D. d'effectuer des versements supplémentaires pour régler les factures ce qui prouve qu'il en était avisé préalablement ;

  • - elle a elle-même effectué une ristourne en 2008 à la demande de B. V. D., un accord d'honoraires est intervenu en 2009, plusieurs réunions sur ce point ont eu lieu ;

  • - les contrats d'administration et de services professionnels invoqués en demande ne sont jamais entrés en vigueur ;

  • - la somme principale de 289.700 euros réclamée par B. V. D. est erronée, la facturation sur la période litigieuse s'élevant à 184.303,74 euros,

  • - elle n'a commis aucun manquement à ses obligations.

Dans ses conclusions déposées les 11 octobre 2012 et 13 mars 2013, B. V. D. maintient sa demande principale et augmente sa demande en dommages et intérêts à la somme de 30.000 euros portée en dernier lieu à 40.000 euros.

Sur la recevabilité, il est allégué que :

  • - la SAM O. tente d'abuser la juridiction en laissant croire qu'un trustee pourrait agir à sa guise sans être inquiété ;

  • - le trustee doit gérer les intérêts dans l'intérêt exclusif du bénéficiaire ;

  • - B. V. D. est bien le bénéficiaire unique du trust et est surtout le seul constituant avec des éléments patrimoniaux qui lui sont propres de sorte qu'il a qualité pour agir ;

  • - la SAM O a reconnu qu'il était bénéficiaire et n'a jamais nommé d'autres bénéficiaires à ce jour ;

  • - le trustee désigné pour Z est la société D. qui est directement gérée et contrôlée par la SAM O., qui est ainsi de mauvaise foi.

Sur le fond, B. V. D. argue principalement que :

  • - la SAM O. a facturé et prélevé plus de 235.000 euros à titre d'honoraires entre 2007 et 2010 ;

  • - seule une partie des biens détenus par les trustees de Jersey a affectivement été transférée à Monaco ;

  • - le transfert ayant été terminé en 2007, la SAM O. ne peut justifier ses honoraires pour son assistance sur ce point postérieurement à cette date ;

  • - il a été expressément prévu dans les contrats d'administration et de services professionnels conclus en 2004 que les honoraires supplémentaires seront facturés à l'expiration du mois ou du trimestre au cours duquel les services ont été effectués et payables dans les 10 jours de la présentation de la facture ;

  • - ces dispositions contractuelles n'ont jamais été appliquées par la SAM O. ;

  • - la rémunération relative au transfert des avoirs depuis Jersey a bien été réglée et est étrangère au présent litige ;

  • - la SAM O. a prélevé notamment ses honoraires sans aviser son client ne respectant pas l'usage existant depuis l'origine ni ses engagements contractuels ;

  • - elle a également commis une faute en facturant de manière excessive ;

  • - il est quant à lui de bonne foi.

MOTIFS :

  • Sur la recevabilité de l'action de B. V. D. :

B. V. D. sollicite le remboursement de la somme principale de 289.700 euros à titre d'honoraires facturés inconsidérément par la SAM O. entre 2007 et 2010.

Il apparaît cependant que les factures litigieuses sont toutes libellées au nom de plusieurs sociétés dont il est le bénéficiaire économique ou du trustee D. administrant le Z créé le 30 juin 2004 aux Iles Vierges Britanniques.

Or, B. V. D. n'est pas le représentant légal de ces diverses structures et n'a pas été mandaté pour intenter la présente action.

Le fait qu'il soit à la fois constituant avec des éléments patrimoniaux propres et bénéficiaire du Z ne saurait non plus lui donner pouvoir d'agir dès lors :

  • - que par l'effet même du trust il se trouve dessaisi ;

  • - et que l'acte constitutif du trust stipule expressément que le trustee a le pouvoir d' « entreprendre, poursuivre ou défendre toutes poursuites ou autres procédures affectant les Administrateurs ou le Fonds Fiduciaire ou une partie de celui-ci ».

Dès lors, B. V. D. se trouve radicalement irrecevable, pour défaut de qualité, à réclamer le remboursement de factures qui n'ont pas été établies à son nom, sans que cela l'empêche, le cas échéant, d'agir en réparation de ses propres préjudices subis consécutivement à des agissements contraires à ses intérêts commis par le trustee.

  • Sur les dommages et intérêts :

L'exercice d'une action en justice est un droit qui ne dégénère en abus que s'il constitue un acte de malice ou de mauvaise foi ou s'il s'agit d'une erreur grave équipollente au dol, nullement caractérisés en l'espèce.

En conséquence, la SAM O. sera déboutée de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive.

  • Sur les dépens :

B. V. D. succombant supportera les dépens.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

Statuant publiquement par jugement contradictoire et en premier ressort,

Déclare B. V. D. irrecevable en ses demandes ;

Rejette la demande de dommages et intérêts formée par la SAM O. ;

Laisse les dépens à la charge de B. V. D. distraits au profit de Maître Géraldine GAZO, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le greffier en chef, au vu du tarif applicable ;

Composition🔗

Ainsi jugé par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Monsieur Sébastien BIANCHERI, Premier Juge, Madame Sophie LEONARDI, Juge, qui en ont délibéré conformément à la loi assistés, lors des débats seulement, de Madame Isabelle TAILLEPIED, Greffier ;

Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 10 OCTOBRE 2013, dont la date avait été annoncée lors de la clôture des débats, par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Isabelle TAILLEPIED, Greffier, en présence de Monsieur Jean-Jacques IGNACIO, Substitut du Procureur Général, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 18 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.

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