Tribunal de première instance, 10 mai 2001, B. ès qualités de syndic de la SAM Junil Sicoc c/ P.

  • Consulter le PDF

Abstract🔗

Contrat de travail

Cumul du contrat de travail et du mandat social : administrateur occupant un emploi : directeur commercial - Absorption de l'emploi salarié par le mandat d'administrateur (non) - Réalité de l'emploi - Existence d'un lien de subordination caractérisant un contrat de travail - Droit découlant du contrat de travail : salaires, indemnité de licenciement, indemnité de congés payés

Sociétés commerciales

Société anonyme : administrateur - cumul du contrat de travail et du mandat social (oui) - conditions

Résumé🔗

Il résulte des pièces versées aux débats que J.-L. P. a été embauché auprès de la Société Junil Sicoc le 9 juillet 1962 en qualité d'employé de bureau ; qu'il a le 1er août 1965 rempli les fonctions d'aide comptable au sein de cette société, puis de directeur commercial adjoint chargé de la gestion des achats et des stocks à compter du 18 juin 1968 ; qu'il a la même année, tout en exerçant ces fonctions, était nommé, par l'assemblée générale en qualité d'administrateur de ladite société.

Si le mandat d'administrateur délégué d'une société n'est pas en lui-même incompatible avec des fonctions salariales, encore faut-il que le contrat de travail corresponde à un emploi effectif, différent des fonctions de mandataire social et qu'il existe un lien de subordination entre le salarié et la société ; il appartient donc à C. B. ès qualités de syndic de la société de prouver que le mandat d'administrateur confié à J.-L. P. avait absorbé l'emploi salarié qu'il occupait précédemment.

Il ressort des éléments de la cause que même après sa nomination en qualité d'administrateur, J.-L. P. a continué à exercer les fonctions de directeur commercial, lesquelles correspondaient bien à un emploi effectif dont la spécificité était reconnue par les actionnaires ; que son service tout comme les autres était supervisé et dirigé par son frère M. P. lequel lui donnait des directives comptables et commerciales ; que contrairement à ce que soutient le syndic, J.-L. P. ne bénéficiait pas au sein de la Société Junil Sicoc, d'une autonomie de gestion qui lui permettait d'exercer ses fonctions en toute indépendance.

Ainsi, J.-L. P. a bien été lié à la Société Junil Sicoc du 9 juillet 1962 au 20 janvier 1997 par un contrat de travail, de sorte qu'il est créancier de cette société au titre de salarié, d'une indemnité conventionnelle de licenciement et d'une indemnité compensatrice de congés payés.


Motifs🔗

TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

AUDIENCE DU 10 MAI 2001

En la cause de :

· M. Christian BOISSON agissant en qualité de syndic de la liquidation des biens de la société anonyme monégasque dénommée JUNIL SICOC, régulièrement désigné par le Tribunal de Première Instance suivant jugement en date du 5 septembre 1996, demeurant et domicilié en cette qualité, 13, avenue des Castelans à MONACO ;

APPELANT, ayant élu domicile en l'étude de Maître Frank m., avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'une part ;

Contre :

· M. j-l. PE., demeurant et domicilié X à MONACO,

INTIME, ayant élu domicile en l'étude de Maître Georges BLOT, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Richard MULLOT, avocat en cette même Cour ;

d'autre part ;

LE TRIBUNAL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Vu le jugement du Tribunal du Travail en date du 24 février 2000, enregistré ;

Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 17 mars 2000, enregistré,

Vu les conclusions de Maître Georges BLOT, avocat-défenseur, au nom de j-l. PE., en date des 4 mai et 25 octobre 2000 ;

Vu les conclusions de Maître Frank m., avocat-défenseur, au nom de Christian BOISSON, en date des 14 juin et 21 décembre 2000 ;

Ouï Maître Frank m., avocat-défenseur, pour Christian BOISSON, en ses plaidoiries et conclusions ;

Ouï Maître Richard MULLOT, avocat, assisté de Maître Georges BLOT, avocat-défenseur, pour j-l. PE., en ses plaidoiries et conclusions ;

Ouï le ministère public ;

Attendu que suivant jugement du 24 février 2000, rendu dans l'instance opposant J.-L. P. à C. B., ès qualités de syndic de la liquidation des biens de la société anonyme monégasque Junil Sicoc, le Tribunal du travail a :

  • dit que J.-L. P. a bien été lié à la société anonyme monégasque Junil Sicoc du 9 juillet 1962 au 20 janvier 1997, date d'effet de son licenciement, par un contrat de travail,

  • constaté qu'en sa qualité de salarié, il est créancier de la société anonyme monégasque Junil Sicoc à concurrence des sommes suivantes :

• 135 000 francs représentant le montant brut des salaires échus du 1er février au 31 août 1996,

• 314 065,08 francs représentant le montant de l'indemnité conventionnelle de licenciement lui revenant,

• 18 155,27 francs au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés prévue par l'article 16 de la loi n° 619,

  • débouté J.-L. P. du surplus de ses prétentions,

  • dit n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire ;

Attendu que suivant exploit du 17 mars 2000, C. B. a interjeté appel dudit jugement, signifié le 9 mars 2000, à l'effet de voir infirmer cette décision et débouter J.-L. P. de l'ensemble de ses demandes, après avoir constaté que celui-ci ne peut prétendre à se voir reconnaître l'existence d'un contrat de travail l'ayant lié à la société Junil Sicoc et d'une rémunération, à ce titre, bénéficiant d'un privilège ;

Qu'au soutien de son appel, C. B. fait valoir :

  • que J.-L. P. n'exerçait pas d'activité salariée distincte de son mandat social, l'activité de dirigeant de ce dernier ayant toujours été confondue, depuis sa nomination en tant que tel, avec la responsabilité des achats et des stocks qui ne constitue aucunement une mission technique distincte du mandat social ;

  • que J.-L. P. exerçait son activité sous sa propre responsabilité et jouissait d'une parfaite autonomie dans son secteur concernant les achats et les stocks ;

  • qu'il ne percevait qu'une seule rémunération en qualité de dirigeant ;

Attendu que J.-L. P. a, par conclusions du 4 mai 2000, sollicité la confirmation de la décision du Tribunal du travail sauf en ce qui concerne sa demande de dommages-intérêts pour laquelle il a été débouté par les premiers juges ;

Qu'il forme ainsi appel incident de ce chef et sollicite du Tribunal qu'il constate qu'il est créancier de la société anonyme monégasque Junil Sicoc de la somme de 200 000 francs en réparation des préjudices matériel et moral résultant de l'inertie et de la résistance abusive à laquelle il s'est heurté depuis plus de 4 années ;

Qu'il rappelle en effet qu'il occupait la direction des achats pour laquelle un budget lui était fixé, et qu'il devait rendre compte à M. P., au conseil d'administration ; qu'il estime avoir occupé des fonctions théoriques d'administrateur délégué adjoint qui se limitaient à signer une fois l'an les bilans sociaux établis par le comptable ;

Qu'il fait observer que sa nomination au conseil d'administration est intervenue au cours de l'exécution de l'un de ses contrats de travail successifs et non à l'occasion d'un renouvellement ou d'un changement d'affectation ;

Que la réalité et l'importance de ses fonctions salariales résultent également selon lui de la notification, par M. P., de son licenciement le 20 septembre 1996, et de la volonté de lui faire exécuter le préavis postérieurement à l'ouverture de la procédure collective, le syndic ayant d'ailleurs lui-même embauché ce salarié après le 20 janvier 1997 pour un contrat à durée déterminée d'un mois ;

Attendu, quant au montant des dommages-intérêts qu'il réclame, que J.-L. P. indique qu'il s'est brutalement trouvé privé de tout revenu, notamment d'allocations chômage, et s'est trouvé de ce fait dans une situation très précaire ;

Qu'il précise n'avoir pas depuis lors retrouvé d'emploi, notamment en raison de son âge ;

Attendu que C. B. rétorque, pour l'essentiel, qu'il n'est pas démontré que J.-L. P. ait exercé une activité effective salariée distincte de celle se rattachant à son mandat social, de même qu'il n'est pas justifié d'un lien de subordination entre ce dernier et son frère ou le conseil d'administration ;

Qu'il remarque que le comportement de J.-L. P. et son attitude à l'égard des rémunérations qu'il a pu percevoir confirment que toute son activité pour le compte de la société Junil Sicoc se confondait avec celle d'un dirigeant de l'entreprise ;

SUR CE :

Attendu que les appels principal et incident s'avèrent réguliers en la forme et qu'il y a lieu de les déclarer recevables ;

I. - Sur le cumul du contrat de travail et du mandat social de J.-L. P. ;

Attendu qu'il résulte des pièces versées aux débats que J.-L. P. a été embauché auprès de la société Junil Sicoc le 9 juillet 1962 en qualité d'employé de bureau ;

Qu'il a par la suite le 1er août 1965 rempli les fonctions d'aide-comptable au sein de cette société, puis de directeur commercial adjoint chargé de la gestion des achats et des stocks à compter du 18 juin 1968 ;

Attendu par ailleurs qu'il ressort du procès-verbal de l'assemblée générale ordinaire de la société en date du 14 juin 1968, qu'ensuite de la décision prise le 19 janvier 1968 par le conseil d'administration, J.-L. P. était nommé, par ratification de ladite assemblée, en qualité d'administrateur de la société anonyme monégasque Junil Sicoc, exerçant les fonctions de directeur commercial adjoint, chargé de la gestion des achats et des stocks ;

Attendu que si le mandat d'administrateur délégué d'une société n'est pas en lui-même incompatible avec des fonctions salariales, encore faut-il que le contrat de travail corresponde à un emploi effectif, différent des fonctions de mandataire social et qu'il existe un lien de subordination entre le salarié et la société ;

Attendu que c'est à celui qui soutient qu'il a été mis fin au contrat de travail par la nomination du salarié à des fonctions de mandataire social d'en rapporter la preuve ;

Qu'il appartient donc à C. B. de prouver que le mandat d'administrateur confié à J.-L. P. avait absorbé l'emploi salarié qu'il occupait précédemment ;

a) Sur la réalité des fonctions exercées par J.-L. P. :

Attendu que C. B., ès qualités, soutient qu'aucune distinction ne peut être effectuée entre les fonctions exercées par J.-L. P. dans le cadre de son activité de directeur commercial et celles qui relevaient de son mandat social ;

Attendu toutefois qu'il résulte des pièces versées aux débats et notamment des attestations établies par des salariés de la société Junil Sicoc, que J.-L. P. a exercé une véritable fonction technique au sein de cette société, dans le cadre du service des achats, s'agissant notamment de contacter les fournisseurs pour le choix des collections, sélectionner les modèles et les modifier, préparer les documents pour la vente des articles, établir les bons de commande et gérer la marchandise ;

Que même après sa nomination en qualité d'administrateur, J.-L. P. a continué à exercer les fonctions de directeur commercial, lesquelles correspondaient bien à un emploi effectif ;

Que d'ailleurs, la spécificité de cet emploi était reconnue par les actionnaires dans la mesure où à l'occasion de sa nomination d'administrateur par l'assemblée générale du 14 juin 1968, il était bien précisé que J.-L. P. conservait néanmoins les fonctions de directeur commercial adjoint, chargé de la gestion des achats et des stocks ;

b) Sur l'existence d'un lien de subordination :

Attendu que C. B. allègue, pour contester l'existence d'un tel lien entre J.-L. P. et la société, que celui-ci disposait d'une autonomie totale de gestion, n'était pas tenu de rendre des comptes et que le budget de la société et celui de son activité spécifique était fixé d'un commun accord, le tout dans le cadre de la co-direction et de la co-gestion de la société avec son frère M. P. ;

Mais attendu que de telles affirmations apparaissent contredites, dans le domaine des faits, par les attestations des anciens salariés de la société produites à la procédure ;

Qu'en effet, tant F. F., employée au service des achats de novembre 1968 à février 1997, que P. J., aide-comptable depuis le 1er mars 1976, et C. J., secrétaire de J.-L. P. de 1975 à 1996, s'accordent pour témoigner que les fonctions de J.-L. P. se sont limitées à l'élaboration des collections, achats de marchandises et gestion des stocks, et que son service, tout comme les autres services de la société, étaient supervisés et dirigés par M. P. ;

Que J. P. indique à cet égard que les fonctions de J.-L. P. n'avaient aucun lien avec la comptabilité générale de la société, laquelle était intégralement assurée par M. P. ; que le témoin C. précise que la direction générale de la société allouait au service de J.-L. P. un budget pour la saison qui devait être respecté, et que les directives comptables, commerciales, aussi bien pour le personnel sédentaire que pour les représentants, étaient données par M. P. et suivies par les services compétents ;

Attendu que le Tribunal constate que la lettre de licenciement datée du 20 septembre 1996 a été adressée à J.-L. P. par son frère M. P. ;

Attendu dès lors, que contrairement à ce qu'il soutient, C. B. ne démontre nullement que J.-L. P. bénéficiait, au sein de la société Junil Sicoc, d'une autonomie de gestion qui lui permettait d'exercer ses fonctions en toute indépendance ;

Que l'argument selon lequel celui-ci avait accepté de réduire sa rémunération n'apparaît pas à lui seul pertinent, compte tenu de la situation financière à laquelle devait faire face à l'époque la société Junil Sicoc ;

Attendu en conséquence qu'il n'est pas justifié par le syndic que le contrat de travail de J.-L. P. a cessé au moment où il a été nommé administrateur et qu'il a ensuite exercé ses fonctions de directeur commercial uniquement en qualité de mandataire social en n'étant pas rémunéré qu'en cette qualité - la perception d'une seule rémunération n'étant pas suffisante à caractériser l'absence de cumul ;

Attendu en définitive qu'il a lieu dès lors de confirmer les dispositions du jugement du Tribunal du travail du 24 février 2000 en ce qu'il a dit et jugé que J.-L. P. a bien été lié à la société Junil Sicoc du 9 juillet 1962 au 20 janvier 1997 par un contrat de travail et constaté qu'en sa qualité de salarié, il est créancier de cette société des sommes de 135 000 francs au titre du montant brut des salaires échus du 1er février au 31 août 1996, 314 065,08 francs représentant le montant de l'indemnité conventionnelle de licenciement, et 18 155,27 francs au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés, ces montants n'ayant pas fait l'objet de contestation ;

II. - Sur la demande en paiement de dommages-intérêts formée par J.-L. P. :

Attendu que J.-L. P. a formé appel parte in qua de la décision précitée du Tribunal du travail, en ce que les premiers juges l'ont débouté de sa demande en paiement de dommages-intérêts en réparation du préjudice matériel et moral qu'il a subi résultant de la résistance abusive et de l'inertie à paiement à laquelle il s'est heurté pendant quatre années ;

Qu'il réitère en appel la même demande, à hauteur d'une somme de 200 000 francs ;

Mais attendu qu'ainsi que l'a justement relevé le Tribunal du travail, le refus opposé par le syndic au paiement des sommes découlant du contrat de travail de J.-L. P. n'apparaît nullement abusif, compte tenu de la situation particulière de ce salarié au sein de la société et de la complexité de la procédure collective à laquelle a été soumise la société Junil Sicoc ;

Qu'il y a lieu en conséquence de débouter J.-L. P. de son appel incident de ce chef et de confirmer en toutes ses dispositions, le jugement du Tribunal du travail du 24 février 2000 ;

Et attendu que C. B., ès qualités qui succombe principalement en son appel doit supporter les dépens d'appel, par application de l'article 231 du Code de procédure civile ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS :

Et ceux non contraires des premiers juges,

Le Tribunal, statuant contradictoirement, comme juridiction d'appel du Tribunal du travail,

  • Déclare les appels principal et incident recevables ;

  • Au fond, confirme en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal du travail en date du 24 février 2000.

Composition🔗

Ainsi jugé et prononcé en audience publique du Tribunal de Première Instance de la Principauté de Monaco, le 10 MAI 2001, par Monsieur Philippe NARMINO, Président, officier de l'ordre de Saint-Charles, Monsieur Jean-Charles LABBOUZ, Vice-Président, Madame Isabelle BERRO-LEFEVRE, Premier Juge, et en présence de Mademoiselle Catherine LE LAY, Premier Substitut du Procureur Général, officier de l'ordre de Saint-Charles, assistés de Monsieur Thierry DALMASSO, commis-greffier. -

Note🔗

Cette décision confirme en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal du travail en date du 24 février 2000.

  • Consulter le PDF