Tribunal du travail, 24 février 2000, a. SE. c/ SAM SYNOPTIC INTERNATIONAL

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Abstract🔗

Contrat de travail - Formation - Éléments constitutifs : lien de subordination - Article 1er de la loi n° 729 du 16 mars 1963 - Preuve non rapportée par une personne réunissant entre ses mains la totalité du capital social - Incompétence du Tribunal du Travail

Résumé🔗

Une personne réunissant entre ses mains la totalité du capital de la société qui l'emploie, à défaut de subordination, n'est pas unie par un contrat de travail à celle-ci.

Une personne réunissait entre ses mains l'intégralité du capital social de la société qui l'employait et se trouvait être le maître de cette entreprise par l'intermédiaire d'un prête-nom. Dans ces conditions, la relation qui l'unissait à la société ne répondait pas aux critères du contrat de travail. L'article 1er de la loi n°729 du 16 mars 1963 définit en effet le contrat de travail comme la convention par laquelle une personne, le salarié, s'engage temporairement à exécuter un travail sous l'autorité et au profit d'une autre, l'employeur, contre le paiement d'une rémunération déterminée, le salaire. Le demandeur qui avait fait citer son entreprise devant le Tribunal du Travail ne se trouvait pas en état de subordination à l'égard de celle-ci. L'article 1er de la loi n°446 du 16 mai 1946 donne compétence exclusive au Tribunal du Travail pour connaître de tous les litiges individuels nés à l'occasion du contrat de travail. Le Tribunal du Travail s'est déclaré incompétent pour connaître du litige opposant le demandeur à sa société. Ce jugement a été confirmé par le Tribunal de Première Instance.


Motifs🔗

LE TRIBUNAL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu la requête introductive d'instance en date du 12 décembre 1996 ;

Vu le jugement du Tribunal du Travail en date du 14 janvier 1999 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Rémy BRUGNETTI, avocat-défenseur, au nom de Monsieur a. SE., en date du 22 avril 1999 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Georges BLOT, avocat-défenseur, au nom de la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE SYNOPTIC INTERNATIONAL, en date du 4 mars 1999 ;

Ouï Maître Olivier CARDI, substituant Maître Gérard BAUDOUX, avocats au barreau de Nice, assisté de Maître Rémy BRUGNETTI, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, au nom de Monsieur a. SE., et Maître Maxime GORRA, avocat au barreau de Nice, assisté de Maître Georges BLOT, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, au nom de la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE SYNOPTIC INTERNATIONAL, en leurs plaidoiries et conclusions ;

Vu les pièces du dossier ;

Par jugement avant-dire-droit au fond en date du 14 janvier 1999, auquel il convient de se reporter pour plus ample exposé des faits et de la procédure, le Tribunal du Travail a enjoint à la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE SYNOPTIC INTERNATIONAL de produire dans un délai d'un mois tous documents comptables justifiant de la cession au profit d'a. SE. du capital social de cette Société, tel qu'il est relaté dans l'attestation de Monsieur e LA., et renvoyé la cause et les parties à l'audience du 25 février 1999, contradictoirement reportée, à la demande des avocats, jusqu'au 6 janvier 2000, date à laquelle l'affaire a été plaidée et mise en délibéré pour être le jugement rendu ce jour, 24 février 2000 ;

Après avoir liminairement fait observer que la SAM SYNOPTIC INTERNATIONAL n'a communiqué aux débats aucune des pièces dont la production a été ordonnée par le Tribunal, a. SE. soutient que la démonstration qu'essaie de faire cette Société est à la fois absurde et incohérente ;

Il fait valoir à cet effet que l'attestation établie par Monsieur LA. ne peut à elle seule contredire la réalité des actes et engagements existants, alors d'une part que ce dernier est le représentant légal de la SAM SYNOPTIC INTERNATIONAL et d'autre part que le protocole du 14 juin 1984, dont cette Société fait état, n'est nullement versé aux débats ;

Qu'en conséquence les simples allégations de la Société défenderesse ne suffisent pas à démontrer qu'il serait le maître de l'affaire ;

Il estime dans ces conditions que le contrat de travail régulier dont il est titulaire doit recevoir pleine et entière application ;

Il sollicite en définitive du Tribunal du Travail, qu'après avoir rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la SAM SYNOPTIC INTERNATIONAL, il constate que son licenciement est non seulement dépourvu de motif valable, mais également abusif et condamne en conséquence cette Société à lui payer les sommes suivantes :

  • 18.973,63 F, à titre d'indemnité de congédiement,

  • 58.438,64 F, à titre d'indemnité de licenciement,

  • 71.640, 00 F, à titre d'indemnité pour inobservation du préavis,

  • 967.708,00 F, à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive ;

Il souhaite également que la SAM SYNOPTIC INTERNATIONAL soit condamnée à lui payer, sous astreinte de 500 F par jour de retard :

  • la somme de 207.247,90 F, représentant le montant des salaires qui lui sont dus depuis le 1er février 1996,

  • la somme de 127.200,75 F, représentant le montant de ses frais pour les mois d'avril à octobre 1996 ;

Il demande en outre que la Société défenderesse soit condamnée, sous astreinte de 500 F par jour de retard, à lui remettre l'ensemble de ses bulletins de paie originaux depuis le 1er février 1989, ainsi que les documents visés au n° 10 de sa requête introductive d'instance, afin de pouvoir déterminer les sommes qui lui sont encore dues dont le montant s'élève à ce jour à 94.642,99 F ;

Il réclame en dernier lieu la condamnation de la SAM SYNOPTIC INTERNATIONAL au paiement :

  • d'une somme de 100.000,00 F, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice qu'il subit consécutivement à la remise volontairement tardive des documents légaux,

  • d'une somme de 15.000,00 F, à titre de dommages et intérêts au titre des frais de procédure qu'il a été contraint d'engager,

  • d'une amende de 1.800,00 F, par application des dispositions de l'article 29 du Code Pénal ;

Il souhaite in fine que la décision à intervenir soit assortie du bénéfice de l'exécution provisoire ;

Soutenant que dès lors qu'a. SE. n'a pas souhaité apparaître, bien que maîtrisant en réalité la Société, aucune trace officielle de sa présence au sein de celle-ci ne figure sur les documents sociaux, la SAM SYNOPTIC INTERNATIONAL expose pour sa part qu'il ne lui a pas été possible de produire les pièces qui lui avaient été réclamées par ce Tribunal dans son jugement du 14 janvier 1999 ;

Elle rappelle en outre et en toute hypothèse qu'une cession d'action n'est pas relatée par des documents comptables internes à la Société, s'agissant d'une convention entre deux associés n'entrant pas dans le champ d'appréhension de la comptabilité sociale ;

Afin de satisfaire toutefois à la demande qui lui avait été faite par le Tribunal, elle verse aux débats, en sus de l'attestation établie par Monsieur LA. :

  • le protocole établi le 14 juin 1984, aux termes duquel les consorts LA. ont cédé à l'avocat d'a. SE., substituant celui-ci, lequel ne souhaitait pas apparaître officiellement, les actions de la SAM SYNOPTIC INTERNATIONAL,

  • un courrier en date du 18 février 1999 émanant de Monsieur c. TO. relatant dans quelles conditions le prix des actions a été réglé et séquestré entre ses mains jusqu'à réalisation de la condition suspensive prévue dans la convention susvisée,

  • divers reçus et quittances de loyer établis au nom de Monsieur BE.,

  • les correspondances échangées entre la SAM SYNOPTIC INTERNATIONAL et Monsieur a. BE.,

  • une attestation émanant de Monsieur SAPPIA ancien salarié de la SAM SYNOPTIC INTERNATIONAL.

Elle fait observer au surplus que si les consorts TOMATIS avaient réellement acquis pour leur compte en 1984 les actions de la SAM SYNOPTIC INTERNATIONAL, nul n'aurait été besoin pour eux de prendre pour command le conseil de Monsieur a. SE., puisqu'ils auraient pu agir sans user du relais ou de l'écran que constituait celui-ci ;

Reprenant ses écritures antérieures, elle demande en conséquence au Tribunal du Travail à titre principal de se déclarer incompétent pour connaître du différend opposant les parties, en l'absence de contrat de travail salarié, et subsidiairement de débouter celui-ci de l'intégralité de ses prétentions ;

Soutenant en outre qu'en cherchant a « expurger » son adversaire d'une somme de 1.660.851,70 F, Monsieur a. SE. a fait preuve d'une attitude manifestement dolosive, elle sollicite l'allocation à son profit d'une somme de 100.000,00 F, à titre de dommages et intérêts ;

SUR QUOI,

Aux termes des dispositions de l'article 1er de la loi n° 446 du 16 mai 1946, portant création du Tribunal du Travail, cette juridiction ne peut connaître que des « différends s'élevant à l'occasion du contrat de louage de services, entre les employeurs et leurs représentants d'une part, les salariés et les apprentis qu'ils emploient de l'autre » ;

Dès lors, le Tribunal du Travail n'a en l'espèce compétence pour trancher le différend opposant Monsieur a. SE. à la SAM SYNOPTIC INTERNATIONAL qu'à la condition que l'existence d'un lien salarial ait été préalablement établie ;

En application des dispositions de l'article 1er de la loi n° 729 du 16 mars 1963, le contrat de travail peut se définir comme la convention par laquelle une personne s'engage temporairement à exécuter un travail sous l'autorité et au profit d'une autre contre paiement d'un salaire déterminé ;

Pour établir sa qualité de salarié, Monsieur a. SE. verse aux débats :

  • le contrat de travail conclu le 30 janvier 1989 entre la SAM SYNOPTIC INTERNATIONAL et lui-même, aux termes duquel il a été embauché par cette Société en qualité de Directeur Commercial pour une durée de deux années à compter du 1er février 1989, moyennant paiement d'un salaire mensuel de 15.000,00 F, outre une avance mensuelle de 5.000,00 F pour frais,

  • les relevés des points qu'il a acquis pour les années 1991 à 1996 auprès de la Caisse Générale Interprofessionnelle des Cadres,

  • un relevé de carrière délivré le 25 juillet 1997 par les caisses sociales de MONACO,

  • le relevé de points retraite CAR,

  • la lettre de licenciement qui lui a été adressée,

  • un certificat de travail en date du 28 novembre 1996, ainsi que l'attestation destinée à l'ASSEDIC,

  • divers bulletins de paie ;

Si ces divers éléments constituent certes des présomptions, ils ne lient pas pour autant le Tribunal, auquel il appartient de qualifier les véritables relations des parties ;

La subordination juridique, qui se caractérise par le pouvoir de l'employeur de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné constitue le critère décisif du contrat de travail ;

En l'espèce s'il n'a pu être établi par des documents comptables que Monsieur a. SE. réunissait entre ses mains l'intégralité du capital social de la SAM SYNOPTIC INTERNATIONAL, il résulte en revanche suffisamment des pièces versées aux débats que celui-ci était en réalité, par l'intermédiaire d'un prête nom, le véritable maître de cette entreprise ;

Il ressort en effet du protocole en date du 14 juin 1984 que Monsieur LA., agissant es qualités de représentant de la totalité des actionnaires de la SAM SYNOPTIC INTERNATIONAL, a cédé, moyennant le prix de 160.000,00 F, à Monsieur a. BE., agissant tant pour son compte que pour celui de toutes personnes physiques ou morales qu'il jugerait utile de se substituer, la totalité des 2.500 actions constituant le capital social de ladite Société ;

La lecture combinée de l'attestation établie par Monsieur LA d'une part, de la correspondance adressée par Monsieur Claude TOMATIS au conseil de la SAM SYNOPTIC INTERNATIONAL d'autre part et enfin de la lettre adressée le 14 juin 1984 par ladite Société à Monsieur a. BE. démontre par ailleurs suffisamment :

  • que ce dernier substituait précisément Monsieur a. SE., lequel n'avait pas souhaité apparaître officiellement dans l'opération,

  • que Monsieur a. SE. a demandé à Monsieur e. LA. d'une part et à Monsieur m. TO. d'autre part d'être porteurs desdites actions et administrateurs de la Société et d'agir pour son compte ;

Dès lors que Monsieur a. SE. réunissait ainsi entre ses mains indirectement l'intégralité du capital social de la SAM SYNOPTIC INTERNATIONAL, il ne se trouvait pas en état de subordination à l'égard de cette Société et de ses dirigeants officiels ;

Cette analyse se trouve au surplus confortée :

  • d'une part par l'absence de réclamation par Monsieur a. SE. pendant plusieurs mois du paiement de ses salaires,

  • d'autre part par le contenu des attestations et correspondances émanant de plusieurs anciens salariés de la SAM SYNOPTIC INTERNATIONAL (Mrs VE. et SA.), dont il résulte qu'au cours de l'année 1985 ceux-ci ne recevaient d'ordres et ne rendaient de comptes qu'à Monsieur a. SE., alors que ce dernier n'était alors officiellement titulaire que d'un simple contrat de courtage, au sein de ladite Société ;

En l'absence du critère essentiel permettant de caractériser l'existence d'un contrat de travail, le Tribunal du Travail ne peut que se déclarer incompétent pour connaître du présent litige ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort ;

Vu la décision intervenue le 24 septembre 1998 en la forme d'une mention au dossier ordonnant la réouverture des débats au 29 octobre 1998 ;

Vu le jugement avant-dire-droit au fond rendu le 14 janvier 1999 par ce Tribunal ;

Se déclare incompétent pour connaître du litige opposant Monsieur a. SE. à la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE SYNOPTIC INTERNATIONAL ;

Renvoie ce dernier à mieux se pourvoir ;

Condamne Monsieur a. SE. aux entiers dépens.

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