Tribunal de première instance, 27 février 1997, P. c/ A. et Société Ars Nova Establishment

  • Consulter le PDF

Abstract🔗

Compétence

Action en déclaration de fictivité d'une société ayant un immeuble à Monaco - Incompétence de la juridiction monégasque - Défenderesse domiciliée à l'étranger - Action de nature personnelle et mobilière et non point de nature immobilière

Simulation

Conditions : contre-lettre - Inexistence d'un acte secret

Résumé🔗

La demanderesse, en invoquant l'identité entre le patrimoine de son mari et celui d'une société de sorte que la villa acquise par celle-ci serait la propriété de son mari, a intenté contre ce dernier et la société une action qu'elle a qualifiée d'action en simulation, en soutenant que cette action est de nature réelle immobilière, sans prétendre que son mari ait conclu avec celle-ci un acte secret qui dérogerait à l'acte de vente de la villa apparemment acquise par la société, laquelle soulève l'incompétence de la juridiction monégasque au motif qu'elle est domiciliée ainsi que le mari à l'étranger.

Aucun des défendeurs n'étant domicilié dans la Principauté, le tribunal ne saurait se déclarer compétent par application du principe général de compétence posé à l'article 2 du Code de procédure civile.

S'agissant du critère de compétence édicté par l'article 3, chiffre 1er du même Code invoqué par la demanderesse, à savoir celui de la compétence du tribunal « pour toutes actions ayant pour objet des immeubles situés dans la Principauté », l'action introduite, par la demanderesse ne constitue pas une action en déclaration de simulation, les actions de ce type s'analysant comme étant celles par lesquelles un tiers tente de faire juger qu'il a été dérogé à un acte ostensible par un acte secret (contre-lettre).

En l'espèce, la demanderesse ne prétend pas, en effet, et a fortiori ne démontre pas que son mari et la société intéressée auraient passé entre eux un acte secret qui dérogerait à l'acte apparent constitué par l'acte authentique de vente de la villa ; elle n'allègue de ce chef aucun acte secret puisqu'elle se borne à déduire d'un ensemble de faits, qu'il y aurait identité entre la société et son mari et qu'ainsi les actes passés par l'une l'ont, en fait, été par l'autre, de sorte que le patrimoine de l'une s'identifierait à celui de l'autre, ce que d'ailleurs elle demande implicitement au tribunal de juger. Exactement qualifiée sur ces bases, c'est donc en réalité une action en déclaration de fictivité de société qui a été introduite ; une telle action, par nature personnelle et mobilière, nonobstant le fait que la demanderesse sollicite la publication du présent jugement au Bureau des hypothèques, est dès lors étrangère au principe de compétence précité posé à l'article 3, chiffre 1er.

Le tribunal enfin n'est pas davantage compétent par application de l'article 3, 2° du Code de procédure civile - texte au demeurant non invoqué par la demanderesse - en tant que juridiction du lieu où était né et où devait être exécuté le contrat de bail dont l'annulation est demandée, cette demande n'étant formée qu'en tant que conséquence de la déclaration de fictivité de la société.


Motifs🔗

Le Tribunal

Considérant les faits suivants :

É. P. épouse A. a, par l'acte susvisé du 23 juillet 1993 intitulé « opposition à commandement et assignation en déclaration de simulation », assigné P. A. et la société dénommée Ars Nova Establishment devant le Tribunal ;

Elle fait valoir :

  • que le 29 octobre 1973 elle a épousé P. A. à Lugano et que, courant 1975, elle est venue habiter avec son mari à Monaco, d'abord dans un appartement de l'immeuble « C. A. », puis dans la « Villa N. »,

  • que P. A. avait fait acquisition le 18 février 1976 de la « Villa N. » au nom d'une de ses sociétés, la société de droit liechtensteinois dénommée « Ars Nova Establishment »,

  • qu'à son départ de la Principauté, P. A. a établi un contrat de bail en date du 2 mars 1982 entre la société Ars Nova Establishment et lui-même, mais avec la faculté de sous-louer ou de céder ce droit à son épouse, ce qui fut réalisé par avenant du 1er mai 1982,

  • qu'en cours de procédure de divorce lui a été signifié le 25 juin 1993, par le truchement de la société ARS Nova Establishment, un commandement d'avoir à payer un arriéré de loyers de 769 000 francs et visant la clause résolutoire contenue dans le bail ;

E. P. demande que soient déclarés nuls le bail du 2 mars 1982, l'avenant du 1er mai 1982 et le commandement du 25 juin 1993 ;

Elle déclare qu'il résulte des faits et circonstances de la cause que P. A. était en fait le véritable propriétaire de l'immeuble et soutient que c'est en raison de la procédure de divorce en cours qu'il a délivré le commandement du 25 juin 1993 ;

Elle précise, en effet, qu'au titre des mesures provisoires, P. A. a été condamné à lui régler, ainsi qu'à ses deux enfants, une pension alimentaire et que, celle-ci étant restée impayée, elle a fait délivrer commandement de payer le 21 décembre 1992 et le 14 juin 1993 pour la somme de 1 170 000 francs ; elle soutient que c'est en réaction contre ce commandement que le défendeur a lui-même délivré commandement pour la somme de 769 000 francs, laquelle correspond d'ailleurs au montant de la pension alimentaire due ;

E. P. demande, par ailleurs, que soit constatée la simulation organisée par P. A. à l'occasion de l'acquisition de la « Villa N. » par la société Ars Nova Establishment « ; elle se prévaut, notamment, du document en date du 5 mai 1989 rédigé par le défendeur lui-même, dans lequel celui-ci incluait expressément dans son patrimoine la villa dont s'agit ; elle fait même remarquer que la villa a été acquise avec des fonds propres de P. A. ;

E. P. prétend que ce document du 5 mai 1989 constitue un commencement de preuve par écrit irréfutable ;

Elle insiste sur le fait que la société défenderesse est constituée de membres de la famille de son mari ;

Compte tenu de cette simulation, elle demande qu'il soit jugé que tous les actes accomplis depuis la date d'acquisition de la villa l'ont nécessairement été au nom et pour le compte de P. A. avec toutes les conséquences de droit qui en résultent, tant en ce qui concerne ses droits sur le domicile conjugal que tous autres recours dans le cadre de la liquidation du régime matrimonial, et donc dans celui de l'inscription d'hypothèque légale de la femme mariée ;

E. P. demande, par ailleurs, que soit ordonnée la publication du présent jugement au Bureau des hypothèques de Monaco ;

Stigmatisant les agissements conjoints des deux défendeurs pour obtenir son départ des lieux, elle réclame à ceux-ci solidairement 500 000 francs de dommages-intérêts et sollicite, enfin, le bénéfice de l'exécution provisoire ;

Seule la société Ars Nova Establishment ayant comparu, la réassignation de P. A., assigné à Parquet, a été ordonnée lors de l'audience du 17 mars 1994 et il y a été procédé le 30 mars 1994 ;

De nouveau assigné à Parquet, P. A. n'a pas davantage comparu ;

La société Ars Nova Establishment a conclu le 16 juin 1994 à l'irrecevabilité de l'action en simulation, en fait à l'incompétence du Tribunal, en rappelant qu'elle est de nationalité liechtensteinoise et qu'elle n'a ni domicile ni résidence à Monaco ; subsidiairement, elle demande à être renvoyée à conclure au fond ;

E. P. a répliqué le 7 juillet 1994 en déclarant que le Tribunal est compétent par application de l'article 3 du Code de procédure civile, en vertu duquel les juridictions monégasques connaissent des actions ayant pour objet des immeubles situés en Principauté ;

La société Ars Nova Establishment a conclu en réponse le 20 octobre 1994 en prétendant que l'action d'E. P. concerne, non pas un immeuble mais la question de son actionnariat et de son existence et qu'ainsi l'article 3 invoqué par la demanderesse n'est pas applicable ; elle déclare que la demande d'E. P. tend à faire juger qu'il y a identité entre elle et P. A. ;

En réponse à ces écritures, E. P. a conclu le 11 janvier 1995 ; elle déclare que son action est de nature réelle immobilière en ce qu'elle tend à faire juger qu'un immeuble sis à Monaco a P. A. comme véritable propriétaire ; elle ajoute, pour asseoir sa démonstration, qu'elle demande également que le jugement à intervenir soit publié au Bureau des hypothèques de Monaco ;

La société Ars Nova Establishment a répliqué le 23 octobre 1995 en maintenant ses précédentes écritures ;

À la demande du Tribunal, elle a conclu au fond le 14 décembre 1995 et sollicité le rejet de la demande, en faisant valoir que, pour qu'il y ait simulation, il faut qu'il y ait un acte secret, ce qui ne serait pas le cas en l'espèce, ajoutant que P. A. n'est plus, depuis plusieurs années, et même antérieurement au commandement du 25 juin 1993, lié à elle ;

Elle insiste sur le fait qu'une simulation ne peut être établie par tous moyens qu'en cas de fraude de la part des parties, portant atteinte aux droits des tiers, et prétend qu'en toute hypothèse la situation d'É. P. serait toujours celle d'une locataire débitrice de loyers ;

Elle fait également valoir que la simulation ne saurait être admise lorsque celui qui se prétend lésé est lui-même de mauvaise foi, et s'étonne en effet, qu'E. P. puisse aujourd'hui critiquer une prétendue contre-lettre qu'elle a toujours dû connaître depuis son installation avec P. A. dans la » Villa N. « ;

Concernant l'écrit du 5 mai 1989 qui ferait la preuve de la simulation, elle déclare qu'il n'est d'aucune valeur probante et ajoute qu'E. P. est officiellement enregistrée au Service de l'Enregistrement comme étant la locataire en titre de la » Villa N. « et qu'ainsi cette partie ne peut sérieusement soutenir que le bail est nul ;

Elle ajoute également que la demanderesse aurait dû rapporter la preuve que P. A. détenait l'intégralité de son capital social ;

Déclarant qu'É. P. ne règle toujours pas les loyers et charges, elle réclame, après actualisation au 31 décembre 1995, paiement de la somme de 1 332 220,06 francs et sollicite que soit ordonnée l'expulsion d'É. P., et de tous occupants de son chef, de la » Villa N. «, occupée sans droit ni titre, et que cette expulsion soit assortie d'une astreinte comminatoire de 5 000 francs par jour de retard à compter de la signification du présent jugement ;

La société Ars Nova Establishment réclame enfin paiement à É. P. de 50 000 francs de dommages-intérêts pour résistance abusive ;

Elle a complété ces écritures le 17 juin 1996 en critiquant la portée des pièces produites par É. P. et demande que soient réservés ses droits sur les loyers postérieurs au 31 décembre 1995, outre que la somme de 1 332 220,06 francs réclamée devrait produire des intérêts de retard au taux légal depuis la première mise en demeure ; elle sollicite, par ailleurs, l'exécution provisoire du jugement de condamnation requis ;

É. P. a conclu pour la dernière fois le 18 juin 1996 en observant que la société Ars Nova Establishment n'a pas communiqué l'intégralité de ses statuts et n'a pas indiqué le nom des actionnaires détenant son capital social, ce dont le Tribunal devrait tirer toutes conséquences utiles ;

À ses dires, il serait établi que la villa a été acquise au nom de la société Ars Nova Establishment avec des fonds propres de P. A., de même que le mobilier garnissant cette habitation ;

Elle conteste, par ailleurs, que P. A. ait jamais réglé de loyers concernant la villa et déduit de la non-comparution de ce défendeur le fait que celui-ci ne disposerait d'aucun argument pour s'opposer à sa demande ;

Sur quoi,

Attendu qu'il n'est pas établi que P. A., qui n'a pas comparu et qui a été, par deux fois, assigné à Parquet, ait eu connaissance de la procédure ;

Qu'en vertu de l'article 217 du Code de procédure civile, le présent jugement sera en conséquence réputé contradictoire à l'égard des deux parties défenderesses ;

Attendu, sur la compétence, qu'aucun des deux défendeurs n'est domicilié dans la Principauté ; qu'ainsi le Tribunal ne saurait se déclarer compétent par application du principe général de compétence posé à l'article 2 du Code de procédure civile ;

Que s'agissant du critère de compétence édicté par l'article 3 (1°) du même code et invoqué par É. P. - à savoir celui de la compétence du Tribunal pour » toutes actions ayant pour objet des immeubles situés dans la Principauté « -, il apparaît que, nonobstant son intitulé, l'action introduite par E. P. ne constitue pas une action en déclaration de simulation, les actions de ce type s'analysant comme étant celles par lesquelles un tiers tente de faire juger qu'il a été dérogé à un acte ostensible par un acte secret (contre-lettre) ;

Attendu qu'en l'espèce, É. P. ne prétend pas en effet, et a fortiori ne démontre pas, que son mari et la société Ars Nova Establishment auraient passé entre eux un acte secret qui dérogerait à l'acte apparent constitué par l'acte authentique de vente de la » Villa N. " par L. J. épouse G. à la société défenderesse en date du 18 février 1976 ;

Qu'É. P. épouse A. n'allègue de ce chef aucun acte secret, puisqu'elle se borne à déduire, d'un ensemble de faits, qu'il y aurait identité entre la société Ars Nova Establishment et son mari, et qu'ainsi les actes passés par l'une l'ont en fait été par l'autre de sorte que le patrimoine de l'une s'identifierait à celui de l'autre, ce que d'ailleurs elle demande implicitement au Tribunal de juger ;

Attendu qu'exactement qualifiée sur ces bases, c'est donc en réalité une action en déclaration de fictivité de société qui a été introduite par É. P. épouse A. ;

Attendu qu'une telle action, par nature personnelle et mobilière, nonobstant le fait qu'É. P. sollicite la publication du présent jugement au Bureau des hypothèques, est dès lors étrangère au principe de compétence précité posé à l'article 3 (1°) du Code de procédure civile ;

Que le Tribunal, enfin, n'est pas davantage compétent par application de l'article 3 (2°) du Code de procédure civile - texte, au demeurant, non invoqué par É. P. - en tant que juridiction du lieu où était né et où devait être exécuté le contrat de bail dont l'annulation est demandée, cette demande n'étant formée qu'en tant que conséquence de la déclaration de fictivité de la société Ars Nova Establishment ;

Qu'il convient dès lors pour le Tribunal de se déclarer incompétent pour connaître de la demande d'É. P. et, par voie de conséquence, de celle reconventionnelle de la société Ars Nova Establishment ;

Attendu qu'il n'y a pas lieu d'ordonner l'exécution provisoire dans la mesure où les conditions d'application de l'article 202 du Code de procédure civile ne sont pas réunies ;

Et attendu que les dépens seront supportés par É. P. épouse A. qui a succombé ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant par jugement réputé contradictoire,

Faisant droit à l'exception soulevée par la société dénommée Ars Nova Establishment ;

Se déclare incompétent ;

Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;

Composition🔗

M.M. Landwerlin, prés. ; Serdet, prem. subst. proc. gén. ; Mes Escaut, Brugnetti, av. déf. ; Boisbouvier, av. ; Valvo, av. au bar. de Nice.

  • Consulter le PDF