Tribunal de première instance, 27 février 1992, C. Veuve B. c/ R.

  • Consulter le PDF

Abstract🔗

Responsabilité civile

Responsabilité contractuelle - Responsabilité médicale - Chirurgien - Obligation de moyens - Devoir d'informer le patient.

Résumé🔗

Le chirurgien, auquel est imputé le résultat médiocre d'une synovectomie, dû à des facteurs locaux inhérents à la pathologie de synovite subaiguë de la patiente, qui a mis en œuvre une technique chirurgicale pratiquée et consacrée depuis quinze ans, après avoir procédé à un diagnostic conforme à la thérapeutique choisie, et sans avoir commis aucune imprudence ou maladresse dans l'exécution matérielle de cette opération, apparaît avoir rempli l'obligation de moyens lui incombant.

Le risque consécutif à tout acte médical, qui permet précisément de ne mettre à la charge du médecin qu'une obligation de moyen, doit nécessairement être porté à la connaissance du malade qui demeure libre ou non de l'accepter et donc de « contracter » ; le défaut d'informations qui auraient dues être données par le médecin à sa cliente quant aux conséquences normalement prévisibles de l'acte chirurgical, n'ayant pas permis à celle-ci d'exercer librement son choix, a constitué de la part de ce professionnel de la médecine, une faute contractuelle au regard de laquelle la demande d'indemnisation de sa cliente se trouve justifiée, du moins en ce qu'il s'agit du préjudice moral directement causé par cette omission fautive eu égard à la déception qu'elle a pu éprouver, compte tenu des espérances de guérison qu'elle avait pu escompter sans être démentie.


Motifs🔗

Le Tribunal,

Attendu que, suivant l'exploit susvisé, J. C. veuve B. a assigné J. R. qui a pratiqué le 15 juin 1988 une intervention chirurgicale sur son genou gauche, dont elle estime qu'elle a eu pour effet d'aggraver son état, aux fins de s'entendre celui-ci désigner tel expert ou collège d'experts qu'il appartiendra avec la mission décrite dans une ordonnance de référé rendue entre les parties le 21 novembre 1989 ;

Qu'au soutien d'une telle demande, J. C. invoque les contradictions flagrantes contenues dans le rapport de l'expert Kenesi désigné en référé, lequel aurait conclu au résultat « médiocre » de l'intervention pratiquée par le docteur R. sans pour autant en tirer toutes les conséquences quant à la responsabilité de ce praticien ; qu'elle fait notamment valoir que le docteur Kenesi a procédé à des constatations objectives, faisant ressortir certains vices de pose de la prothèse placée sur son genou gauche ; qu'elle déplore en outre les manquements commis par le docteur R. à son obligation d'information quant aux conséquences possibles de l'intervention pratiquée ; que, produisant enfin divers certificats médicaux et avis de spécialistes en orthopédie, J. C. critique le choix de la technique appliquée, en faisant valoir que la prothèse uni-compartimentale n'est adaptée qu'aux cas de personnes plus âgées qu'elle-même, car présentant déjà un état avancé de destruction osseuse, alors que son propre état physique ne devait en l'espèce justifier qu'une simple ostéotomie de varisation ne présentant pas les risques d'aggravation et d'enraidissement du genou, dont elle a été victime ;

Attendu que J. B. s'estime dès lors fondée en sa demande de nouvelle expertise, et sollicite qu'il lui soit subsidiairement donné acte de son intention de conclure au fond si sa demande d'expertise était rejetée ;

Attendu que le docteur J. R. estime pour sa part que le certificat médical produit par la demanderesse ne contient aucune critique sérieuse du rapport d'expertise et ne fait référence qu'à des avis « subjectifs » émanant de spécialistes qui n'ont jamais examiné la victime et ne présentent qu'un intérêt purement théorique ;

Que, faisant valoir que le docteur Kenesi a suffisamment étayé ses conclusions pour démontrer qu'il n'y avait eu aucune erreur de diagnostic, ni de faute professionnelle dans le choix de la prothèse ou dans la conduite de l'intervention chirurgicale, J. R. sollicite l'homologation du rapport de l'expert Kenesi, entend voir dire et juger qu'aucune faute ne peut lui être reprochée et conclut au débouté de J. B. des fins de sa demande ;

Attendu qu'ajoutant à sa demande initiale par d'ultimes conclusions, J. B. entend voir compléter la mission confiée à l'expert médical dont elle sollicite la désignation, à l'effet qu'il soit également tenu de déterminer son taux d'IPP, l'importance du pretium doloris, les éventuels préjudices d'agrément et esthétique et la nécessité de recourir à l'assistance d'une tierce personne ;

Qu'à titre subsidiaire, et à défaut de contre-expertise J. B. concluant au fond entend voir condamner le docteur R. à lui payer la somme d'un million de F à titre de dommages-intérêts pour le préjudice subi ;

SUR CE,

Attendu que le principe de la nature contractuelle de la responsabilité médicale étant désormais unanimement admis, il conviendra d'examiner les données de la présente espèce, opposant J. C. veuve B. au docteur R., en tenant pour acquis qu'il s'est formé entre ce praticien et sa cliente un véritable contrat comportant pour le docteur R. sinon l'obligation de guérir la malade, du moins celle de lui donner des soins consciencieux, attentifs, et, réserve faite de circonstances exceptionnelles, conformes aux données acquises de la science ;

Qu'en effet, la notion d'aléa ou de « risque nécessaire » inhérente à tout acte médical commande de ne faire peser sur le praticien qu'une obligation de moyens consistant à mettre en œuvre tout traitement médicamenteux ou instrumental, correspondant au diagnostic préalablement effectué et conforme à l'usage établi, voire à une pratique constante et consacrée ;

Attendu que J. B. ayant présenté courant 1988 d'importantes douleurs du genou gauche s'accompagnant d'épanchements répétés, consultait le docteur R. qui lui proposait la mise en place d'une prothèse uni-compartimentale laquelle était effectuée le 15 juin 1988 sous anesthésie péridurale ;

Attendu que, J. B. invoquant l'échec de cette intervention, en suite de laquelle son genou gauche était demeuré très gonflé et extrêmement douloureux, en dépit de multiples séances de kinésithérapie et de traitements à base d'anti-inflammatoires, saisissait le juge des référés dans les conditions précitées ;

Attendu que le docteur Kenesi, désigné en qualité d'expert, devait répondre que ;

« Mme B. présentait une gonarthose gauche sur genu valgum avec lésions importantes du compartiment fémoratibial externe et synovite réactionnelle subaiguë donnant des épanchements à répétition » ;

Attendu que l'expert indique que ce diagnostic avait bien été posé par le docteur R. dès les premières consultations et pouvait être confirmé tant sur le plan de l'histologie, que sur le plan opératoire ; que la responsabilité de ce praticien ne doit dès lors pas être recherchée de ce point de vue, ce que ne conteste au demeurant pas J. B., dont le propre médecin-traitant confirme le diagnostic de synovite ;

Attendu que l'expert judiciaire rappelle que la patiente a été traitée par ablation de la synoviale pathologique et mise en place d'une prothèse uni-compartimentale externe du genou de type Cartier ; qu'une telle technique mise au point aux États Unis en 1973 environ et introduite en France deux ans plus tard, est depuis lors couramment utilisée et donne selon l'expert des résultats durables et satisfaisants ;

Qu'il était donc loisible au docteur R. d'opter pour le procédé précité, dont il n'est pas contesté qu'il avait dépassé le stade de l'expérimentation et s'avérait suffisamment connu et employé à travers le monde, étant rappelé que la victime en a seulement contesté l'emploi compte tenu de son âge et du mode de positionnement de la prothèse ;

Que de dernier chef, l'expert indique cependant « qu'aucune instrumentation ne permet à l'heure actuelle un réglage des pièces prothétiques absolu et millimétrique » ; que, s'il relève bien deux détails de pose non satisfaisants, consistant en un petit décalage du plateau tibial vers l'arrière de 7 mm, et une inclinaison de 5° vers l'avant, il en estime l'incidence nulle quant aux douleurs post-opératoires et aux médiocres résultats fonctionnels de l'intervention ;

Attendu que le docteur L., chirurgien-orthopédiste consulté par la victime elle-même, confirme l'appréciation de l'expert dans un certificat daté du 16 juin 1989, où il indique « cette prothèse est globalement bien positionnée » ;

Qu'en ce qui concerne l'âge de la victime qui avait 59 ans lors de l'intervention critiquée, il est constant que le docteur R. a procédé à des examens pré-opératoires de cette patiente dès le 14 janvier 1988 (soit six mois plus tôt) à l'occasion desquels diverses radiographies ont été effectuées de nature à informer le chirurgien sur l'état osseux de J. B. ; qu'à cet égard, les avis théoriques émanant des professeurs B. et R. qui n'ont pas eu connaissance des données cliniques relatives au cas de la demanderesse ni ne l'ont examinée sont tout à fait modérés et ne posent aucun principe intangible quant à l'âge requis pour ce type d'intervention, concluant au contraire que « l'indication se pose en face de chaque cas clinique et qu'il n'y a pas de vérité absolue » ;

Attendu qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments d'observation que l'expert Kenesi a médicalement justifié sa décision, en ce qu'il conclut à l'absence de faute professionnelle du docteur R. et impute en définitive le résultat médiocre de l'intervention à des facteurs locaux inhérents à la pathologie de synovite subaiguë de la patiente ;

Attendu que le docteur R. apparaît en effet avoir empli l'obligation de moyens lui incombant en mettant en œuvre une technique chirurgicale pratiquée et consacrée depuis quinze ans, après avoir procédé à un diagnostic conforme à la thérapeutique choisie, et sans avoir commis aucune imprudence ou maladresse dans l'exécution matérielle de cette opération ;

Attendu cependant que, parallèlement à cet aspect purement technique de l'intervention du médecin, se trouve également mise à sa charge une obligation d'informer sa cliente et co-contractante, sinon du pronostic exact de son affection, du moins, en toutes circonstances, des risques inhérents au traitement envisagé, voire à ses conséquences probables ;

Attendu que le docteur Kenesi a pu en l'espèce relever que le docteur R. avait failli à cette obligation de renseignement envers sa patiente, alors qu'il est selon lui courant que « ces synovectomies compliquent et aggravent les suites opératoires, particulièrement la rééducation » ... et que ... « le docteur R. aurait dû en informer sa malade de façon plus explicite » ;

Attendu en effet que le risque consécutif à tout acte médical, qui permet précisément de ne mettre à la charge du médecin qu'une obligation de moyen, doit nécessairement être porté à la connaissance du malade qui demeure libre ou non de l'accepter et donc de « contracter » ; que le défaut non contesté par le docteur R. d'avoir mis sa cliente en mesure d'exercer librement son choix en l'informant des conséquences normalement prévisibles de l'acte chirurgical envisagé a constitué de la part de ce professionnel de la médecine une faute contractuelle au regard de laquelle la demande d'indemnisation de sa cliente apparaît justifiée, du moins en ce qu'il s'agit du préjudice moral directement causé par cette omission fautive eu égard à la déception qu'elle a pu éprouver, compte tenu des espérances de guérison qu'elle avait pu escompter sans être démentie ;

Que compte tenu de tels éléments d'appréciation, il apparaît équitable de réparer ce préjudice en condamnant le défendeur à payer à J. B. une somme de 50 000 F à titre de dommages-intérêts ;

Et attendu que les dépens suivent la succombance principale ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

statuant contradictoirement,

Déboute J. B. des fins de sa demande de nouvelle expertise, et, ayant tels égards que de droit pour le rapport déposé le 5 avril 1990 par le docteur Kenesi ;

Dit et juge que le docteur R. n'a commis au titre du diagnostic ou du choix de la technique appliquée et de sa mise en œuvre aucune faute médicale susceptible d'engager sa responsabilité ;

Constate que ce praticien a néanmoins manqué à l'obligation qui pesait sur lui d'informer sa patiente sur les suites prévisibles de l'intervention effectuée ;

Le déclare responsable du préjudice moral qui en résulte pour J. B., et le condamne à payer à celle-ci une somme de 50 000 F à titre de dommages-intérêts en réparation dudit préjudice ;

Composition🔗

MM. Landwerlin, prés. ; Serdet, prem. subst. proc. gén. ; MMes Karczag-Mencarelli et Sbarrato av. déf. ; Beck, av. barr. de Nice.

  • Consulter le PDF