Tribunal de première instance, 9 janvier 1992, Sté Bis France c/ L.

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Abstract🔗

Contrat d'entreprise

Fourniture de main-d'œuvre par entreprise de travail temporaire - Responsabilité du commettant occasionnel - Action récursoire contre l'entreprise de travail temporaire - Manque de qualification du personnel fourni (non)

Résumé🔗

Étant donné une entreprise de travail temporaire qui rémunère des ouvriers et les met à la disposition d'un employeur qui les utilise en ayant le pouvoir de leur donner des ordres et instructions pour l'accomplissement de leur mission à son service, il s'ensuit qu'en sa qualité de commettant occasionnel, celui-ci est seul tenu en application de l'article 1002 du Code civil, des fautes commises par ces salariés dans l'exécution de leur travail pour son compte.

L'action récursoire engagée par cet employeur à l'encontre de l'entreprise de travail temporaire ne saurait prospérer que dans la mesure où il rapporterait la preuve que ces fautes ont pour origine un manque de qualification de la main-d'œuvre qu'elle a fournie, ce qui n'est point le cas en l'espèce.


Motifs🔗

Le Tribunal,

Attendu que, suivant l'exploit susvisé, la société anonyme de droit français dénommée « Bis France » qui expose que P. L., exerçant le commerce en Principauté sous l'enseigne « Entreprise Générale Incendie et Signalisation », en abrégé « EGIS », avait fait appel à ses services pour l'embauche de personnel intérimaire devant effectuer des travaux pour le compte de celui-ci, sur les chantiers des immeubles « le Coronado » et « Gildo Pastor Center » sis à Monaco, quartier de Fontvieille, a fait assigner P. L. en paiement de la somme de 109 841,04 F, montant de sa facture récapitulative du 21 septembre 1989, avec intérêts au taux légal à compter de cette date, outre celle de 10 000 F à titre de dommages-intérêts, pour résistance abusive ;

Attendu que P. L., qui expose que, selon marché du 20 janvier 1989, il a été chargé par la société Icart de travaux d'installations des sprinklers - mécanisme posé dans le plafond ayant pour but de se déclencher automatiquement en cas d'incendie aux fins d'éteindre celui-ci par aspersion d'eau - dans les trois niveaux du sous-sol des immeubles « le Coronado » et « Gildo Pastor Center », a conclu au rejet de la demande formée à son encontre et formé une demande reconventionnelle en paiement de la somme de 114 274,78 F, montant des travaux de réfection qui ont dû être effectués à sa charge, ensuite des malfaçons affectant les travaux exécutés par le personnel délégué par la société Bis ;

Qu'il fait valoir, que dans le cadre de la convention de mise à disposition telle qu'elle ressort des bons de commande des 11 avril et 23 mai 1989, il avait sollicité la fourniture de main-d'œuvre pour effectuer la pose de têtes de sprinklers à remplacer ou à créer, que ce travail nécessitait un personnel qualifié, lequel n'a pas été fourni par la société Bis France qui n'a envoyé qu'un seul de ses salariés ayant la qualification de soudeur ;

Qu'en agissant de la sorte, la société Bis qui était tenue d'une obligation de moyens, a engagé sa responsabilité, dès lors qu'elle n'a pas effectué les vérifications nécessaires sur les qualités et les aptitudes professionnelles du personnel qu'elle mettait à disposition ;

Attendu que la société Bis France, réitérant sa demande initiale, a conclu au rejet des prétentions du défendeur, en faisant observer que le sieur L. n'établissait nullement avoir réclamé un personnel qualifié pour réaliser les travaux pour lesquels il a eu recours à ses services d'entreprise de travail temporaire et surtout, qu'il n'a jamais formulé aucune réserve à ce sujet, au cours des travaux et lors de leur achèvement ;

Qu'à supposer même que le personnel qu'elle a délégué à P. L. ait pu commettre des malfaçons, ce qui n'est nullement établi, le coût des travaux de remise en état doit être supporté par ce dernier, en sa qualité de commettant occasionnel, civilement responsable de ses préposés, sur le fondement de l'article 1231 alinéa 4 du Code civil ;

Attendu que P. L. a rétorqué que c'est justement en sa qualité de commettant occasionnel des employés de la société Bis France, qu'il a dû faire procéder aux travaux de remise en état de l'installation des sprinklers sur les chantiers du Coronado et du Gildo Pastor Center, à la suite des malfaçons résultant du choix d'un personnel non qualifié par la société Bis France, ce qui l'autorise à rechercher la responsabilité de ladite société, de ce chef, et à lui réclamer le remboursement de ces travaux de réfection ;

Attendu que la société Bis France a répliqué qu'à supposer établies les malfaçons dont fait état le défendeur, celui-ci n'apporte nullement la preuve qu'elles aient eu pour origine un manque de qualification du personnel qu'elle lui a fourni ; qu'en tout état de cause, le sieur L. se devait, en sa qualité de commettant occasionnel, de fournir l'encadrement et exercer la surveillance nécessaires pour permettre au personnel délégué de mener à bien sa mission ;

SUR CE,

Attendu que malgré l'absence d'un contrat écrit, l'existence d'un marché de prestation de services, ayant pour objet la mise à la disposition provisoire de P. L., de salariés embauchés et rémunérés par la société Bis France résulte des bons de commande acceptés en date des 11 avril et 29 mai 1989 ; qu'en l'état de cette qualification, non contestée par les parties, les travailleurs mis par ladite société à la disposition de P. L., se sont trouvés placés sous l'autorité de ce dernier, devenu leur utilisateur, dès lors que celui-ci, ainsi qu'il l'a reconnu dans ses écritures judiciaires, disposait effectivement du pouvoir de leur donner des ordres et des instructions pour l'accomplissement de leur mission à son service, en sorte que par l'effet de la convention susvisée, l'entreprise de travail temporaire avait nécessairement délégué, pendant la durée de leur mission, son autorité sur ses salariés, à leur utilisateur, P. L. ;

Attendu qu'il s'ensuit que celui-ci, en sa qualité de commettant occasionnel, était désormais seul tenu de répondre notamment, comme en l'espèce, à l'égard de la société Icart, des fautes commises, dans l'exécution de leur travail, par les salariés de la société Bis France, pendant le temps où ceux-ci travaillaient pour son compte, sur les chantiers des immeubles « Le Coronado » et « Gildo Pastor Center », et ce, en application des dispositions de l'article 1002 du Code civil ;

Attendu, cependant, que si les fautes professionnelles des salariés de la société Bis France ne pouvaient engager la responsabilité de celle-ci sur le fondement de la responsabilité contractuelle du fait d'autrui, ci-dessus évoquée, il n'en demeure pas moins, comme le prétend P. L., au soutien de son action récursoire, que la responsabilité de cette entreprise de travail temporaire peut toutefois être recherchée, dans la mesure où une faute pourrait lui être reprochée dans l'exécution de son contrat de fourniture de main d'œuvre ;

Attendu à cet égard, qu'il résulte des pièces produites, que la société Bis France a notamment fourni, dans le courant des mois d'avril-mai 1989, à P. L., un ouvrier soudeur ainsi qu'un manœuvre, chargés d'effectuer pour le compte de celui-ci, les travaux d'installation de têtes de sprinklers dans les sous-sols des immeubles « le Coronado » et « Gildo Pastor Center » ;

Que, ces travaux ayant présenté des malfaçons dues à des défauts de jointement sur les canalisations et les soudures décrites, aux termes d'un constat dressé le 12 juin 1989 par Maître Escaut-Marquet, huissier, il apparaît ainsi que les salariés de la société Bis France ont commis une faute dans l'exécution de leur mission ;

Attendu, toutefois, que l'existence d'une faute professionnelle, à la charge de ces salariés, ne saurait à elle seule suffire à engager la responsabilité de l'entreprise de travail temporaire qui les a délégués, dès lors que celle-ci n'était tenue que d'une obligation de prudence et de diligence, dans le recrutement du personnel qu'elle fournit à autrui ;

Qu'en l'espèce, il convient tout d'abord de relever que la société Bis France avait exécuté son obligation principale, en mettant à la disposition de P. L. et à la demande verbale de celui-ci, un salarié ayant la qualification et l'aptitude exigées pour la mission qui lui avait été confiée par ce dernier, notamment en la personne de M. R., ouvrier-soudeur, outre un manœuvre chargé de l'assister ;

Qu'il y a lieu par ailleurs, ici d'observer, que ce même salarié avait accompli déjà différentes périodes de travail pour l'entreprise P. L. et que celui-ci avait notamment pendant les mois précédents, utilisé ses services sans déceler chez lui un manque de compétence ou une inaptitude aux tâches, au demeurant identiques, qu'il lui avait confiées, s'agissant également de l'installation de têtes de sprinklers sur le chantier de la gare des transports urbains de Nice ;

Qu'il s'évince des considérations tant de fait que de droit ci-dessus exposées, que P. L. n'apporte pas la preuve dont la charge lui incombe, que la société Bis France lui avait fourni un travailleur ne répondant pas à la qualification demandée et qu'en conséquence la responsabilité de ladite société ne peut être retenue ;

Attendu que la société Bis France demeure donc créancière à l'égard de P. L. du solde du montant de ses prestations de service s'élevant à la somme de 109 841,04 F, aux termes de son relevé de compte non contesté du 21 septembre 1989 et qu'il échet de condamner P. L. au paiement de ladite somme, outre les intérêts au taux légal à compter du 10 avril 1990, date de l'assignation valant seule mise en demeure, à raison de la nature contractuelle de la créance ;

Attendu qu'en revanche il y a lieu de débouter P. L. de sa demande reconventionnelle en paiement de la somme de 114 274,78 F au titre des travaux de réfection de malfaçons dont la responsabilité incombe à son préposé occasionnel ;

Attendu qu'en outre, P. L. ayant pu se méprendre sur la portée de ses droits, il n'apparaît pas, en la cause, que sa résistance ait eu un caractère fautif, en sorte qu'il échet de débouter la société Bis France de sa demande tendant au paiement de dommages-intérêts ;

Attendu qu'enfin les dépens suivront la succombance du défendeur ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Condamne P. L., exerçant le commerce à Monaco sous l'enseigne « Entreprise Générale Incendie et Sécurité », en abrégé « EGIS » à payer à la société anonyme de droit français, dénommée « Bis France », la somme de cent neuf mille huit cent quarante et un francs quatre centimes (109 841,04 F), montant des causes sus-énoncées, avec intérêts au taux légal à compter du 10 avril 1990 ;

Déboute la société Bis France de sa demande tendant au paiement de dommages-intérêts ;

Déboute P. L. de sa demande reconventionnelle tendant au paiement de la somme de cent quatorze mille deux cent soixante quatorze francs soixante dix-huit centimes (114 274,78 F) ;

Composition🔗

MM. Landwerlin, prés. ; Serdet, prem. subst. proc. gén. ; Mes Sanita et Sbarrato, av. déf.

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