Tribunal de première instance, 4 juin 1987, N. c/ R.

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Abstract🔗

Exequatur

Arrêt d'une Cour d'appel française - Erreur matérielle quant à l'identité d'une partie provoquée par celle-ci - Arrêt exécutoire à Monaco en dépit de cette erreur

Nantissement conservatoire

Conditions remplies - Articles 762 bis et 762 quater du Code de procédure civile

Résumé🔗

Rien ne s'oppose à ce qu'un arrêt d'une Cour d'appel française, exécutoire en France, remplissant toutes les conditions exigées par l'article 18 de la convention franco-monégasque du 21 septembre 1949 sur l'aide mutuelle judiciaire, soit exécutoire en Principauté de Monaco, malgré que la condamnation prononcée par cette décision qui vise expressément par erreur une société monégasque inexistante concerne en réalité une personne physique déterminée ; celle-ci ne saurait se prévaloir de cette erreur, alors qu'elle l'a elle-même entretenue en s'abstenant volontairement de faire cesser la confusion provoquée par la dénomination de l'enseigne commerciale de l'entreprise qu'elle exploitait elle-même mais qui était supposée être exploitée par une société.

Doit être déclarée valable une mesure conservatoire de nantissement grevant un fonds de commerce dès lors que les dispositions de l'article 762 bis du Code de procédure civile ont été respectées par le demandeur et que la notification imposée par l'article 762 quater dudit code a été régulièrement effectuée.


Motifs🔗

LE TRIBUNAL,

Attendu qu'il est constant

Que par arrêt de la Cour d'appel de Paris, 5e chambre, section B, en date du 2 novembre 1983, les magistrats d'appel ont disposé comme suit :

« Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a accordé 3 000 F à Y. N. sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile et a débouté celui-ci de sa demande de dommages-intérêts ;

Le réformant pour le surplus et y ajoutant,

Déclare irrecevable l'action de la Société anonyme Proserv Europe,

Condamne la Société P. à payer à Y. N. la somme de 211 680 F T.T.C. avec intérêts au taux légal à compter du 9 novembre 1981 et 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile pour les frais exposés en cause d'appel ;

Déboute Y. N. du surplus de sa demande en paiement de factures, de sa demande en dommages-intérêts pour appel téméraire fait de mauvaise foi et du surplus de sa demande fondée sur l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile ;

Condamne la Société anonyme Proserv Europe aux dépens de première instance et d'appel la concernant ;

Condamne la Société P. aux autres dépens de première instance et d'appel et autorise sur sa demande la S.C.P. Gaultier Kistner, avoués, à poursuivre directement contre elle le recouvrement de ceux d'appel dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision » ;

Que cet arrêt, signifié le 10 avril 1984 « à la Société P., transactions immobilières et publicitaires dont le siège social est à . », n'avait pas fait l'objet d'un pourvoi devant la Cour de cassation à la date du 30 août 1984, ainsi qu'en atteste le certificat délivré par le greffier de cette juridiction ;

Que se prévalant de sa créance consacrée par ledit arrêt, Y. N. a été autorisé, sur sa requête, à prendre une inscription provisoire de nantissement sur « le fonds de commerce à l'enseigne P., sis à Monte-Carlo, dont le sieur R. R. est propriétaire » en garantie d'une créance provisoirement évaluée à 320 000 F par le Président du Tribunal de première instance dans son ordonnance du 7 novembre 1985 ;

Que cette inscription de nantissement a été régulièrement prise au profit de Y. N. et a fait l'objet d'une inscription au Répertoire du Commerce et de l'Industrie à Monaco le 14 novembre 1985 volume 19 n° 3 ;

Attendu que par l'exploit susvisé du 18 décembre 1985, Y. N. a fait assigner « R. R., commerçant exploitant un fonds de commerce sous l'enseigne P. . », d'une part en exequatur de l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 2 novembre 1983 qui, selon l'assignation, aurait condamné R. « P. » à lui payer la somme en principal, intérêts et frais de 300 118,40 F, outre les intérêts de droit ayant couru depuis le 9 novembre 1985 et, d'autre part, en « validation et transformation » en inscription définitive, de l'inscription provisoire de nantissement prise le 14 novembre 1985 ;

Attendu que pour s'opposer à ces demandes R. R., qui soutient que l'arrêt de la Cour de Paris est intervenu uniquement à l'encontre de la Société « P.-R. et Compagnie », société monégasque en nom collectif dont il serait l'un des associés (conclusions du 6 octobre 1986 p. 2) ou le gérant porteur de parts (conclusions du 14 avril 1986 p. 4), estime être étranger, à titre personnel, à l'instance ayant abouti à cet arrêt et en déduit que l'instance en exequatur dont le tribunal est actuellement saisi, en ce qu'elle est dirigée à son encontre, ne saurait être accueillie ; que R. se prévaut du principe selon lequel les personnes qui n'étaient pas parties au procès étranger ne sauraient participer à l'instance en exequatur en tant que parties originaires ; qu'il considère que N. ne pouvait diriger son action en exequatur qu'à l'encontre de la Société P., disposant d'une personnalité juridique distincte de la sienne propre ; qu'en tout état de cause, l'arrêt de la Cour de Paris ne pourrait être rendu exécutoire que contre la Société P. qui n'est pas partie aux débats actuels ;

Qu'à titre subsidiaire, il remarque que le demandeur n'a pas produit l'expédition de l'arrêt requise par la convention franco-monégasque, mais une simple photocopie ;

Que par ailleurs R. observe que son patrimoine ne peut se confondre avec celui de la Société P. et qu'il ne saurait être tenu des dettes qui ne le concernent pas, en sorte que l'inscription de nantissement sur le fonds de commerce lui appartenant à titre personnel n'a pu être valablement prise ;

Que R. demande, en conséquence, au tribunal de constater qu'il a été assigné en qualité de propriétaire en nom propre du fonds de commerce d'agence immobilière dénommée P. et de déclarer l'action en exequatur irrecevable, de débouter le demandeur de sa demande en validation du nantissement, la créance dont ce nantissement constitue la garantie ne concernant que la Société P., d'ordonner en conséquence - et, vu l'urgence, sous le bénéfice de l'exécution provisoire - la mainlevée de l'inscription sur simple signification du jugement à intervenir, et de condamner le demandeur aux dépens ;

Attendu qu'en réponse Y. N., qui souligne la mauvaise foi résultant des écrits judiciaires de R., fait valoir que l'arrêt du 2 novembre 1983 a été rendu à l'encontre de la Société monégasque P. prise en la personne de ses représentants légaux, que l'extrait délivré par le Répertoire du Commerce mentionne que l'établissement dont s'agit est bien exploité en nom personnel par R. sous l'enseigne P. ayant comme adresse ., que l'arrêt qui a condamné cette société concerne en fait son représentant légal R. et qu'en outre la Société P., représentée comme telle devant la Cour de Paris, ne peut nier son existence ;

Sur quoi,

Attendu qu'il apparaît des pièces produites qu'en réponse à une demande concernant la « Société P. ayant son siège à Monte-Carlo » formée par le conseil du demandeur, le Répertoire du Commerce et de l'Industrie a établi le 22 octobre 1984 un extrait duquel il résulte que R. R. exerce le commerce sous l'enseigne P. depuis 1977 en qualité de propriétaire exploitant, l'établissement principal portant l'adresse du . à Monte-Carlo ;

Attendu que ce document - devant être rapproché de la demande de sa délivrance - laisse sérieusement présumer que l'entreprise connue sous le nom de P., exploitée en nom personnel par R. R., de nationalité monégasque, n'est pas constituée sous la forme d'une société de personnes malgré ce que R. affirme en se gardant toutefois de prouver ses allégations, et n'a pas d'existence en tant que société ;

Qu'il s'ensuit que c'est manifestement par erreur que le Tribunal de commerce puis, en appel, la Cour de Paris, mentionnent en qualité de partie « la Société P. dont le siège social est sis à . » alors qu'il s'agit d'un commerce exploité en nom personnel par R. R. ;

Que celui-ci ne saurait toutefois se prévaloir de cette erreur dès lors qu'il l'a lui-même entretenue par son acte d'appel ayant abouti à l'arrêt du 2 novembre 1983 dont les qualités portent encore « Société P. » avec la précision « transactions immobilières et publicitaires » ;

Attendu en conséquence que les décisions françaises doivent s'entendre comme intéressant en réalité R. R. et non une société en nom collectif « P.-R. et Cie » qui aurait des activités immobilières et publicitaires similaires à celles exercées personnellement par le défendeur, le tribunal observant que celui-ci - qui avait tout loisir de faire cesser l'ambiguïté en produisant un simple extrait du Répertoire du Commerce - s'abstient de toute démarche en ce sens et donne de ce fait à penser que la Société P. n'existe pas en tant que telle ;

Attendu, dans ces conditions, qu'il apparaît clairement que la Société P. mentionnée dans les décisions des juridictions françaises constitue en fait l'Entreprise P. exploitée par R. R. à titre personnel, en sorte que ce défendeur apparaît bien propriétaire du fonds de commerce nanti en garantie de la créance consacrée par lesdites décisions ;

Attendu en conséquence que, sous la réserve tenant à l'interprétation des termes « Société P. » employés par l'arrêt du 2 novembre 1983, rien ne s'oppose à ce que cette décision soit déclarée exécutoire en Principauté ; qu'il apparaît en effet que ledit arrêt est exécutoire en France et qu'il remplit toutes les conditions exigées par l'article 18 chiffre 1° à 5° de la convention franco-monégasque du 21 septembre 1949 ; qu'en particulier le Tribunal ne peut que constater que la grosse, revêtue de la formule exécutoire, de l'arrêt du 2 novembre 1983 produite aux débats satisfait aux exigences du chiffre premier de l'article 18 précité ; que, par ailleurs, aucune contestation n'a été élevée par R. ;

Attendu, en ce qui concerne la mesure conservatoire grevant le fonds de commerce appartenant à R., que les dispositions de l'article 762 bis du Code de procédure civile ayant été respectées par le demandeur et la notification imposée par l'article 762 quater dudit code régulièrement effectuée, l'inscription provisoire prise le 14 novembre 1985 doit être déclarée valable ;

Qu'il y a lieu de renvoyer en conséquence le demandeur à l'accomplissement des formalités légales pour ce qui est de l'inscription définitive ;

Attendu que R. R. doit donc être débouté de l'ensemble de ses prétentions et tenu aux dépens de l'instance en raison de sa succombance ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Déclare exécutoire en Principauté de Monaco, avec toutes conséquences de droit, l'arrêt rendu par la 5e chambre, section B de la Cour d'appel de Paris le 2 novembre 1983 dont le dispositif est ci-dessus reproduit ;

Dit toutefois que les termes impropres de « Société P. » employés dans ledit arrêt doivent être entendus, pour son exécution, comme visant l'Entreprise P., exploitée en nom personnel par R. R., commerçant à l'enseigne P., à Monaco ;

Déclare régulière, à concurrence du montant de la créance en principal, intérêts, frais et accessoires, consacrée au profit de Y. N. par l'arrêt précité, l'inscription provisoire de nantissement prise le 14 novembre 1985 sur le fonds de commerce à l'enseigne P. dont R. R. est propriétaire, cette inscription ayant été opérée sous le n° 3 volume 19 du Répertoire du Commerce et de l'Industrie ;

Renvoie le demandeur à l'accomplissement des formalités prévues par la loi pour ce qui concerne l'inscription définitive ;

Composition🔗

MM. Landwerlin, vice-prés. ; Truchi, prem. subst. ; MMe Marquilly et Clérissi, av. déf.

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