Cour d'appel, 10 mai 1988, R. c/ N.

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Abstract🔗

Exequatur - Conflit de juridictions

Arrêt d'une Cour d'appel française - Erreur quant à l'identité de la partie condamnée par cette décision - Conditions d'exequatur requises remplies - Non-modification du dispositif de la décision étrangère

Résumé🔗

C'est à bon droit que l'arrêt d'une Cour d'appel française remplissant les conditions requises par la convention franco-monégasque d'aide mutuelle judiciaire du 21 septembre 1949 est déclaré exécutoire en Principauté de Monaco non point à l'encontre de la société qu'il condamnait laquelle s'est avérée inexistante, mais à l'encontre d'une personne physique régulièrement attraite en qualité de défenderesse lors de la procédure d'exequatur dont il est établi qu'elle s'identifie avec cette prétendue société qui lui servait de couverture.

Le jugement d'exequatur en rectifiant l'erreur en laquelle a été induit le juge français, ne modifie en rien le dispositif de sa décision soit en y ajoutant, soit en y retranchant, soit en l'interprétant.


Motifs🔗

LA COUR,

Statuant sur l'appel interjeté par le sieur R. R. d'un jugement du Tribunal de première instance du 4 juin 1987 lequel a :

  • déclaré exécutoire en Principauté de Monaco l'arrêt du 2 novembre 1983 par lequel la 5e Chambre, section B, de la Cour d'appel de Paris a condamné « la Société P., Transactions immobilières et publicitaires dont le siège social est à Monte-Carlo (Principauté de Monaco) ., prise en la personne de ses représentants légaux y domiciliés » à payer diverses sommes au sieur Y. N. ;

  • dit toutefois que les termes impropres de « Société P. » employés par ledit arrêt devaient être entendus pour son exécution comme visant l'Entreprise P., exploitée en son nom personnel par R. R., commerçant à l'enseigne « P. », . à Monaco ;

  • déclaré régulière, à concurrence du montant de la créance en principal, intérêts, frais et accessoires consacrée au profit de Y. N. par l'arrêt exequaturé, l'inscription provisoire de nantissement prise le 4 novembre 1985 sur le fonds de commerce à l'enseigne « P. » dont R. R. est propriétaire, cette inscription ayant été opérée sous le numéro 3, volume 19 du Répertoire du commerce et de l'industrie, et renvoyé le sieur N. à l'accomplissement des formalités prévues par la loi en ce qui concerne l'inscription définitive ;

  • condamné le sieur R. aux dépens ;

Considérant que les faits de la cause ainsi que les prétentions et moyens des parties tels que formulés devant le tribunal sont exactement rapportés par le jugement entrepris auquel le présent arrêt se réfère expressément ;

Considérant que pour statuer ainsi qu'ils l'ont fait les premiers juges ont décidé, d'une part, que la Société P. partie à l'instance ayant abouti à l'arrêt du 2 novembre 1983, s'identifiait en réalité avec le sieur R. R., à titre personnel, d'autre part, que l'arrêt susvisé remplissait les conditions requises pour être déclaré exécutoire en Principauté, et, pour ce faire, ont estimé :

  • Qu'il apparaissait des pièces produites qu'en réponse à une demande concernant « la Société P. ayant son siège . » formée par le conseil du sieur N., le Répertoire du commerce et de l'industrie avait établi le 22 octobre 1984 un extrait duquel il résultait que le sieur R. R. exerçait le commerce sous l'enseigne « P. » depuis 1977 en qualité de propriétaire exploitant de l'établissement principal portant l'adresse du . ;

  • Que ce document, rapproché de la demande ayant motivé sa délivrance, laissait sérieusement présumer que l'entreprise connue sous le nom de P., exploitée en son nom personnel par R. R., de nationalité monégasque, n'était pas constituée sous la forme d'une société de personnes malgré ce que R. affirmait en se gardant toutefois de prouver ses allégations et n'avait pas d'existence en tant que société ;

  • Qu'il s'ensuivait que c'était manifestement par erreur que le Tribunal de commerce puis, en appel, la Cour d'appel de Paris, mentionnait en qualité de partie « la Société P. dont le siège social est sis à . » alors qu'il s'agissait d'un commerce exploité en son nom personnel par R. R. ;

  • Que celui-ci ne pouvait toutefois se prévaloir de cette erreur dès lors qu'il l'avait lui-même entretenue par son acte d'appel ayant abouti à l'arrêt du 2 novembre 1983 dont les qualités portent encore « Société P. » avec la précision « transactions immobilières et publicitaires » ;

  • Qu'en conséquence, les décisions françaises devaient s'entendre comme intéressant en réalité R. R. et non une société en nom collectif qui aurait des activités immobilières et publicitaires similaires à celles exercées personnellement par R. R., celui-ci - qui avait tout loisir de faire cesser l'ambiguïté en produisant un simple extrait du Répertoire du commerce - s'étant abstenu de toute démarche en ce sens et ayant donné de ce fait à penser que la Société P. n'existait pas en tant que telle ;

  • Que dans ces conditions, il apparaissait clairement que la Société P. mentionnée dans les décisions des juridictions françaises constituait en fait l'Entreprise P. exploitée par R. R. à titre personnel, en sorte que celui-ci apparaissait bien être le propriétaire du fonds de commerce nanti en garantie de la créance consacrée par l'arrêt du 2 novembre 1983 lequel devait être déclaré exécutoire en Principauté comme remplissant par ailleurs les conditions requises par l'article 18 chiffre 1 à 5 de la convention franco-monégasque du 21 septembre 1949 ;

Considérant qu'en cause d'appel le sieur R. R. produit deux extraits des inscriptions portées au Répertoire du commerce et de l'industrie de la Principauté dont il ressort, d'une part, qu'il est immatriculé à titre personnel en qualité de commerçant afin d'exercer, au . à Monte-Carlo, un commerce « de transactions immobilières et publicitaires » sous l'enseigne de « P. », d'autre part, que jusqu'au 28 octobre 1982 il était l'associé commandité de la société en commandite simple dénommée R. et Cie, exerçant sous l'enseigne « P. R. », également au . à Monte-Carlo, une activité de « participation à des compétitions de véhicules à moteur et construction de véhicules à moteur » ;

Considérant qu'à l'appui de son appel R. fait essentiellement valoir, en fait, « qu'il est évident » que c'est avec cette dernière société, connue également sous l'enseigne « P. », mais totalement distincte de l'agence immobilière qu'il exploite à titre personnel sous la même dénomination, que le sieur N. a, par l'intermédiaire de son agent, traité au mois de novembre 1980 ;

Qu'en droit, il soutient que n'étant pas partie à l'arrêt du 2 novembre 1983 il ne pouvait être attrait en qualité de défendeur à l'instance ayant pour objet de faire déclarer cet arrêt exécutoire en Principauté et, qu'en outre les premiers juges, saisis d'une telle demande, avaient seulement la possibilité de prononcer ou de refuser l'exequatur sollicité mais ne pouvaient en revanche modifier en quoi que ce soit la décision étrangère en ajoutant ou en retranchant à celle-ci ou encore en l'interprétant ;

Qu'il conclut ainsi par réformation du jugement déféré, à ce que l'action intentée à son encontre par le sieur N. soit déclarée « irrecevable au premier chef et en tout état de cause absolument infondée » ;

Considérant que l'intimé conclut de son côté à la confirmation du jugement entrepris ;

Sur ce,

Considérant que par son assignation signifiée le 18 décembre 1985 au sieur R. R. pris en sa qualité de « commerçant exploitant un fonds de commerce sous l'enseigne P., sis . » et tendant, d'une part, à faire déclarer exécutoire en Principauté un arrêt de la Cour d'appel de Paris rendu au contradictoire de la « Société P., Transactions immobilières et publicitaires, dont le siège social est sis . », d'autre part, à « faire valider (sic) et transformer en inscription de nantissement définitive l'inscription provisoire de nantissement prise au Répertoire du commerce à Monaco le 14 novembre 1985 » « sur le fonds de commerce d'agence de transactions immobilières et publicitaires dénommé P. sis à ., exploité par M. R. R. », le sieur Y. N. entendait en premier lieu, d'une manière implicite mais nécessaire, faire juger par le Tribunal de première instance de Monaco que le sieur R. R. exploitant un fonds de commerce, sous l'enseigne « P. » à ., s'identifiait avec la Société P. défenderesse à l'action ayant abouti à l'arrêt susvisé de la Cour d'appel de Paris ;

Considérant que c'est à juste titre que les premiers juges ont estimé qu'il en était ainsi, par des motifs que la Cour adopte et fait siens et qui, par avance, répondent aux critiques formulées par l'appelant ;

Qu'il n'est toutefois pas inutile d'ajouter que la production par le sieur R., pour la première fois en cause d'appel, de l'inscription au Registre du commerce et de l'industrie de la Principauté relative à la Société en commandite simple R. et Cie, ayant exercé sous la dénomination de « P. R. » l'activité de « participations à des compétitions de véhicules à moteurs et construction de véhicules à moteur » renforcerait encore, s'il en était besoin, la motivation des premiers juges dans la mesure où cette pièce apporte un démenti à l'affirmation de l'appelant selon laquelle c'est avec ladite société que le sieur N. a contracté ;

Qu'il suffit en effet de se reporter au contrat dont ce dernier réclamait l'exécution devant les juridictions françaises, contrat qui n'est ni daté, ni signé, mais dont la teneur est approuvée par un échange de télex, pour constater que le cocontractant du sieur N. s'y présentait comme étant « la Société P. » (laquelle n'a jamais existé) ayant « pour activité la promotion et la vente immobilière en Principauté de Monaco sous la marque de P. », activité qui, d'une manière manifeste, s'identifie avec celle que le sieur R. exerce en sa qualité de commerçant et non avec celle qui est exercée par la Société R. et Cie laquelle, ainsi qu'il a été vu ci-avant, a pour activité la participation à des compétitions de véhicules à moteurs et la construction desdits véhicules ;

Considérant qu'ayant ainsi justement retenu que le cocontractant de Y. N. était R. R., pris en sa qualité de commerçant exerçant l'activité de promotion et de vente immobilière, les premiers juges ont également estimé à bon droit que ledit R. R. avait été régulièrement attrait en qualité de défendeur à l'instance en exequatur de l'arrêt rendu par la Cour d'appel de Paris pour l'exécution de ce contrat ;

Considérant par ailleurs qu'il n'est pas contesté que l'arrêt susvisé de la Cour d'appel de Paris du 3 novembre 1983 remplit les conditions requises par la convention franco-monégasque du 21 septembre 1949 et qu'ainsi, c'est également à juste titre que les premiers juges ont déclaré ledit arrêt exécutoire en Principauté, sans y ajouter ou y retrancher et, également, sans l'interpréter malgré la locution impropre dont ils ont usé sur ce point ;

Qu'il échet en conséquence de confirmer également de ce chef le jugement entrepris ;

Considérant enfin que le chef de la décision déférée par lequel les premiers juges ont déclaré « régulière à concurrence du montant de la créance en principal, intérêts, frais et accessoires consacrée au profit de Y. N. par l'arrêt précité (du 2 novembre 1983) l'inscription provisoire de nantissement prise le 14 novembre 1985 » n'est pas critiqué en tant que tel et qu'il échet en conséquence de confirmer dans toutes ses dispositions le jugement appelé ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Et ceux non contraires des premiers juges qu'elle adopte et fait siens,

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco,

Déboute le sieur R. R. de son appel et confirme dans toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de première instance du 4 juin 1987 ;

Composition🔗

MM. Huertas, prem. prés. ; Serdet, subst. ; MMe Clérissi et Marquilly, av. déf.

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