Tribunal de première instance, 7 mai 1987, Société financière de gestion et Banque de financement industriel c/ R.

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Abstract🔗

Arbitrage

Voies de recours

Rétractation

Jugement arbitral - Recevabilité - Cas du paragraphe 4e de l'article 428 du Code de procédure civile : omission de statuer - Cas du paragraphe 5e de l'article 428 du Code de procédure civile : dispositions contradictoires

Résumé🔗

Un jugement arbitral est passé en force de chose jugée dès lors que les parties ont renoncé à le frapper d'appel ; il est insusceptible de pourvoi en révision aux termes de l'article 965 du Code de procédure civile.

En vertu de l'article 963 du même code, la rétractation d'un jugement arbitral peut être demandée devant le Tribunal de première instance, dans les conditions prescrites par les articles 428 et suivants du Code de procédure civile.

La demande de rétractation d'un jugement arbitral non encore signifié est recevable en la forme, le délai de trente jours prévu par l'article 430 du Code de procédure civile n'ayant pas couru.

L'omission prétendue de statuer sur la qualité juridique et le rôle des parties et de leurs représentants - à la supposer fondée -, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, ne saurait constituer un cas de rétractation, ce point de la mission arbitrale ne revêtant pas le caractère d'un chef de demande au sens du paragraphe 4e de l'article 428 du Code de procédure civile.

Pour être constitutives du cas de rétractation prévu au paragraphe 5e de l'article 428 du Code de procédure civile, « les dispositions contradictoires » dont fait état ce texte, doivent être interprétées comme s'appliquant exclusivement au dispositif du jugement arbitral, lequel doit comporter des décisions insusceptibles d'être simultanément exécutées.

Une contrariété n'affectant que les motifs ne peut exposer le jugement arbitral à la voie de recours de la rétractation.


Motifs🔗

LE TRIBUNAL,

Attendu que résultent des circonstances de la cause les éléments suivants :

Aux termes d'un jugement de ce tribunal en date du 27 juin 1980 et de l'arrêt rendu par la Cour d'appel le 15 mars 1983 - décisions auxquelles le tribunal entend expressément se référer sans avoir à reprendre, sauf ce qui sera dit ci-après, les énonciations de fait et de droit qu'elles contiennent -, les juridictions monégasques ont décliné leur compétence pour connaître de l'action intentée par la Société financière de gestion (en abrégé S.F.G.) contre V. R., de l'action en garantie formée par celui-ci et de la demande reconventionnelle de la Banque de financement industriel (B.F.I.) ;

Ces décisions d'incompétence sont motivées par l'existence, dans chacune des conventions conclues entre J. R. et V. R. sous les dates des 19 décembre 1966 et 8 mars 1969 - conventions dont la Cour d'appel, dans son arrêt précité, a jugé qu'elles sont opposables à la B.F.I. -, d'une clause compromissoire par laquelle les parties avaient prévu de soumettre toutes contestations pouvant s'élever entre elles à un arbitrage ;

Par acte sous seing privé daté du 1er décembre 1983, la S.F.G. et la B.F.I. d'une part, et V. R. d'autre part, qui déclarent à l'acte acquiescer à l'arrêt du 15 mars 1983 et être d'accord pour faire résoudre leur différend par voie d'arbitrage, ont conclu un compromis, ultérieurement modifié par avenants du 30 juin 1984, 15 septembre 1984 et 14 septembre 1985 ;

En définitive, ce compromis désigne trois arbitres, les deux premiers choisis par chacune des parties et le troisième désigné conjointement entre elles, « en accord avec les deux arbitres déjà désignés », fixe au 31 décembre 1985 le délai imparti aux arbitres pour rendre leur sentence et impartit au collège arbitral la mission suivante :

« 1° Décider, au vu des justifications produites par les parties, en s'appuyant sur tous éléments de preuve sans avoir égard aux restrictions quant à l'admissibilité desdits éléments prévue par les articles 1315 et suivants du Code civil et, au besoin, en ayant recours à toute mesure d'instruction,

a) de la qualité juridique de chacune des parties,

b) du montant et de la nature de leurs versements,

c) du rôle tenu par chacune d'elles ou leurs représentants dans les opérations immobilières ayant fait l'objet des conventions des 30 novembre 1966, 19 décembre 1966 et 8 et 17 mars 1969, et ce, avant les conventions des 30 novembre et 19 décembre 1966, entre le 19 décembre 1966 et le 8 mars 1969, depuis la convention des 8-17 mars 1969 ;

2° Dire et juger si l'une des parties établit que, dans l'exécution des conventions intervenues entre elles, ou autrement, une autre des parties a commis des fautes lui ayant causé un préjudice et, dans l'affirmative, la condamner à réparer celui-ci ;

3° Dire et juger si les fautes dans l'exécution des conventions qui viendraient à être ainsi reconnues sont de nature à entraîner la résolution desdites conventions ; dans l'affirmative, prononcer cette résolution à la charge de la partie fautive, ou, éventuellement, aux torts réciproques des parties ; évaluer le ou les dommages subis et prononcer condamnation en conséquence en tenant compte s'il y a lieu du partage des responsabilités ; en tout cas, prononcer les restitutions de droit ;

4° En toute hypothèse, arrêter les comptes entre les parties, et condamner celle d'entre elles qui serait débitrice du solde de ceux-ci à en payer le montant » ;

Pour ce faire, le compromis prévoit que le droit monégasque régira les opérations d'arbitrage, que les arbitres statueront comme amiables compositeurs et que leurs décisions ne seront pas susceptibles d'appel ;

La sentence arbitrale a été rendue sous la date du 20 décembre 1985 entre V. R. d'une part et la S.F.G. et la B.F.I. d'autre part ;

Elle contient, outre les considérations ci-dessous rapportées, un rappel succinct des faits, des conventions passées et des procédures engagées devant les juridictions monégasques et françaises ;

Il y est en particulier énoncé à ce stade :

  • que dans le courant des années 1963 et 1964, V. R. a consenti des prêts aux S.C.I. Castel Regina, Florentina, Amirauté et San Maria créées en vue de la réalisation d'ensembles immobiliers à Nice et Menton ;

  • que R., alors administrateur délégué de la B.F.I., et R. ont conclu le 19 décembre 1966 une convention par laquelle ils déclarent former entre eux ès qualités un « syndicat financier » ayant pour objet la réalisation des opérations de construction et de vente d'appartements achevés, en cours, ou projetés par le groupe des S.C.I. sus-désignées, reconnaissent que les prêts déjà consentis par eux aux sociétés, considérées comme formant un ensemble, s'élèvent au 30 novembre 1966 à 5 500 000 F pour R., ès qualités, et à 3 850 000 F et 2 750 000 F, soit au total 6 600 000 F pour R. (les arbitres précisant ici que les parties s'accordent désormais pour déclarer que la somme de 3 850 000 F correspond « à des prêts faits par un sieur S. par l'intermédiaire de M. R. », tandis que la somme de 2 750 000 F est constituée par des avances personnelles de celui-ci), ces prêts, remboursables en fin d'opérations, portant intérêts à 10 % l'an, conviennent que pour faciliter le démarrage des opérations de construction en suspens R. apportera au syndicat un prêt d'un montant maximum de 5 000 000 F en garantie duquel le syndicat s'oblige à hypothéquer les biens des diverses sociétés, et décident que les bénéfices nets réalisés par le syndicat en fin d'opérations seront partagés entre les parties dans la proportion de 2/3 à R. et 1/3 à R. ;

  • que R. et R. ont passé une nouvelle convention le 8 mars 1969 ayant pour objet de décider de procéder au partage des biens appartenant aux S.C.I. ci-dessus mentionnées, dont ils sont copropriétaires indivis grâce à la constitution du « syndicat financier », et d'attribuer d'ores et déjà les biens de la S.C.I. Amirauté à R. et ceux de la Société San Maria à R., cette attribution emportant propriété exclusive et jouissance desdits biens ;

  • que devant le tribunal arbitral, la B.F.I. et la S.F.G. ne contestent plus devoir éventuellement répondre des actes de R. dans la gestion du syndicat ;

  • que la B.F.I. est considérée comme personnellement responsable, en fait comme en droit, de la gestion des sociétés pour y avoir été représentée ou s'y être ingérée par l'intermédiaire de R. ;

Le jugement arbitral mentionne ensuite les prétentions des parties :

Après avoir constaté que la résolution des conventions susvisées n'est plus demandée par les parties, les arbitres énoncent leurs réclamations respectives ;

Sur la demande en remboursement du total des avances consenties par R., celui-ci s'abstient de réclamer la somme de 3 850 000 F qui constituerait non un apport personnel de sa part mais proviendrait de S. ;

R. sollicite par ailleurs les intérêts conventionnels des sommes prêtées à compter de sa première demande en justice (10 octobre 1972), au besoin à titre de dommages-intérêts compensatoires, outre le remboursement d'une somme de 300 000 F et le paiement de dommages-intérêts complémentaires ;

La S.F.G. et la B.F.I. soutiennent qu'en l'absence de faute commise par R. dans l'exécution de la convention du 19 décembre 1966 et en l'état de l'insolvabilité actuelle des S.C.I., les parties ne se doivent respectivement plus rien ; la B.F.I. demande cependant réparation du préjudice que lui auraient causé les mesures conservatoires abusivement prises à son encontre par R., et présente, conjointement avec la S.F.G., des demandes accessoires ;

Les motifs de la sentence arbitrale sont alors énoncés ; sur les demandes de R., il peut être retenu que le Tribunal arbitral :

  • en ce qui concerne les sommes versées par R. au titre de l'article 4 de la convention du 19 décembre 1966, a considéré que R. et la B.F.I. ont commis une faute en s'abstenant de faire consentir par les quatre sociétés l'hypothèque promise en garantie des avances effectuées, faute dont la B.F.I. et la S.F.G. doivent réparation à R., dont le préjudice est égal au montant desdites avances dûment justifiées, déduction faite d'un retrait opéré par R., soit en définitive 1 880 000 F ;

  • en ce qui concerne les autres demandes, a admis le bien-fondé de la réclamation tendant à être dédommagé du déséquilibre constaté à son détriment dans les apports respectifs que les parties s'étaient engagées à maintenir jusqu'à la fin des opérations immobilières des sociétés (fin 1976), a recherché les apports nets de chacune des parties après déduction des retraits opérés par elles, pour ce faire a inclus dans les retraits du compte de R. ceux effectués par S., au motif que R. en demeure responsable, mais n'a pas tenu compte d'un retrait qui aurait été opéré par R. dès lors que les comptes ne tiennent pas compte de l'apport originaire de celui-ci, a constaté que les apports réciproques étaient irrémédiablement perdus et considéré que l'équilibre devait être rétabli quant à la répartition des pertes, a réparti celles-ci en fonction des apports respectifs des groupes et a condamné la B.F.I. et la S.F.G. à payer à R. à ce titre la somme de 1 081 421 F, les autres prétentions formulées sous cette rubrique ayant été écartées par le Tribunal arbitral ;

  • a accueilli le principe du paiement d'intérêts moratoires sur ces sommes totalisant 2 961 421 F, au taux conventionnel de 10 %, mais à compter de la première demande de réparation explicite valant mise en demeure, qu'il a fixée au 25 novembre 1976, date d'une requête présentée au président du Tribunal de grande instance de Nice par R., précisant les causes et le montant de sa réclamation ;

  • en ce qui concerne la demande en remboursement de la somme de 300 000 F formée contre la B.F.I., a fait droit à cette réclamation, en l'assortissant des intérêts au taux légal à compter du 22 novembre 1984 ;

Sur les demandes de la B.F.I. et de la S.F.G., le Tribunal arbitral a écarté les prétentions pécuniaires formulées par ces parties, puis a prononcé sa sentence dont le dispositif est ainsi conçu :

Sur les demandes de M. R. :

Condamne la B.F.I. et la S.F.G. à payer in solidum à M. R. la somme de 2 961 421 F en principal pour les causes sus-énoncées ; les condamne en outre à payer sur ces sommes des intérêts moratoires au taux de 10 % l'an à compter du 25 novembre 1966 et jusqu'au jour du paiement du principal ;

Condamne la B.F.I. à payer à M. R. la somme de 300 000 F avec intérêts au taux légal à compter du 22 novembre 1984 jusqu'à parfait paiement ;

Dit n'y avoir lieu, en l'état, de ce chef à astreinte ;

Sur les demandes de la B.F.I. et de la S.F.G. :

  1. Déboute la B.F.I. de la demande de dommages-intérêts par elle formée à l'encontre de M. R. pour abus de procédure ;

  1. Dit que M. R. sera tenu, dans la huitaine, du paiement intégral des condamnations prononcées ci-dessus à son profit, de donner mainlevée des mesures conservatoires par lui prises à l'encontre de la B.F.I. et ce sous une astreinte comminatoire de 1 000 F par jour de retard, l'allocation de dommages-intérêts à la B.F.I. en ce cas étant réservée à l'appréciation de la juridiction compétente éventuellement saisie ;

  1. Dit qu'est réservée à la B.F.I. et à la S.F.G. la faculté d'exercer contre M. R. tout recours en garantie en cas d'action dirigée contre elles par tout tiers pour des causes connexes à celles sur lesquelles est fondée la présente instance, le bien-fondé de tels recours étant soumis à l'appréciation de la juridiction compétente éventuellement saisie ;

  1. Déboute en l'état la B.F.I. et la S.F.G. de leur demande tendant à faire dire que les parties devraient respectivement supporter dans la proportion de 2/3 pour M. R. et d'1/3 pour elles les condamnations prononcées au profit de tiers à la présente instance ;

  1. Déclare irrecevable la demande de la B.F.I. et de la S.F.G. tendant à la remise des parts et actions des sociétés Amirauté et San Maria qui seraient respectivement détenues par les parties ;

Met les dépens du présent arbitrage pour moitié à la charge de la B.F.I. et de la S.F.G. et pour moitié à la charge de M. R. ;

Ce jugement arbitral a été régulièrement rendu exécutoire par ordonnance du président du Tribunal de première instance du 19 février 1986, la minute du jugement ayant été déposée au greffe général conformément aux dispositions de l'article 956 du Code de procédure civile ; seule cette ordonnance, à l'exclusion du jugement lui-même, apparaît avoir été signifiée par R. à la B.F.I. et la S.F.G. suivant exploit de Maître Escaut-Marquet, huissier, du 27 février 1986 ;

Par acte introductif d'instance en date du 25 mars 1986, la S.F.G. et la B.F.I. ont fait assigner V. R. à l'effet d'obtenir d'une part, la rétractation, dans son intégralité, du jugement arbitral sur la base de l'article 428-4° du Code de Procédure civile, en ce qu'il ne s'est pas prononcé sur la qualité juridique de chacune des parties et le rôle tenu par chacune d'elles ou leurs représentants, avant novembre et décembre 1966, entre décembre 1966 et mars 1969 et depuis la convention des 8 et 17 mars 1969, alors que toutes les sommes que les parties pourraient respectivement se devoir découlent de cette question préalable non tranchée par le Tribunal arbitral qui ne pouvait en conséquence se prononcer en connaissance de cause, la décharge de toutes les condamnations prononcées à leur encontre étant dès lors sollicitée par la B.F.I. et la S.F.G., et, d'autre part, la rétractation de la sentence arbitrale sur la base de l'article 428-5° du Code de procédure civile, en ce que :

1° elle fixe au 25 novembre 1976 le point de départ des intérêts moratoires au taux de 10 % l'an des sommes auxquelles la B.F.I. et la S.F.G. sont condamnées in solidum au profit de R., le Tribunal de première instance, statuant à nouveau, devant alors juger que dans le cas où par impossible les sociétés demanderesses seraient condamnées à payer certaines sommes à V. R., les intérêts ne pourraient courir qu'à compter du jour de la décision ;

2° elle a décidé qu'il n'y avait pas lieu de tenir compte du retrait effectué par R., le Tribunal de première instance statuant à nouveau devant alors dire au contraire qu'il y a lieu de réintégrer cette somme dans les retraits effectués par R. ;

3° elle décide, pour liquider les comptes du pool, que les pertes devaient être supportées à proportion des apports, après avoir évoqué les dispositions de l'article 1691 alinéa 1 du Code civil, alors que l'esprit et la lettre de ce texte ne pouvaient précisément que conduire à faire supporter les pertes à raison de 2/3 à charge de R. et 1/3 à leur charge, le Tribunal de première instance statuant à nouveau devant alors dire que les comptes devront être repris sur ces bases ;

A l'appui de ces demandes, la S.F.G. et la B.F.I., qui affirment que le jugement arbitral n'a jamais été signifié et concluent à la recevabilité de leur action en rétractation par application des dispositions combinées des articles 983 et 428 du Code de procédure civile, soutiennent dans leurs écrits judiciaires, sur le quatrième cas d'ouverture de la rétractation (omission de se prononcer sur l'un des chefs de demande) :

  • que les arbitres ont omis de statuer sur la qualité juridique et le rôle de chacune des parties, alors que les réponses données à ces questions conditionnent la solution du litige, ainsi que le juge des référés monégasque l'aurait d'ailleurs relevé dans une décision du 24 avril 1978, et démontrent qu'il s'agissait d'un point essentiel de la mission des arbitres que ceux-ci ont éludé, laissant ainsi en suspens « le problème S. » et de façon plus générale, la qualité (convention de porte-fort, de prête-nom, de mandat ?) en laquelle les parties sont intervenues aux conventions de 1966 et 1969 ;

Sur le cinquième cas d'ouverture de la rétractation (jugement contenant des dispositions contradictoires), les demanderesses exposent que les motifs de la sentence, justifiant le dispositif qui en découle, contiennent des contradictions sur les trois points suivants devant être dès lors rétractés :

  • les arbitres ont arrêté à la date du 25 novembre 1976 le point de départ des intérêts moratoires alloués à R., cette date étant celle d'une requête émanant de la Société San Maria et des actionnaires de cette société (dont R.) et visant à obtenir une mesure conservatoire à l'encontre de la B.F.I. ; or, les arbitres avaient constaté que par l'effet du partage décidé par la convention du 17 mars 1969, la Société San Maria se trouvait dans le lot de J. R., donc de la B.F.I. ; le Tribunal arbitral ne pouvait donc sans se contredire entériner le partage intervenu en 1969 et admettre dans le même temps comme point de départ du droit à intérêts la date d'une requête méconnaissant la convention de partage ;

  • alors qu'il est constant (selon les demanderesses) que l'apport R. est inclus dans les apports de S., eux-mêmes englobés dans les apports du Groupe R., les arbitres, tout en prenant en considération les retraits effectués par S., ont refusé de tenir compte du retrait fait par R. et se sont ainsi contredits ;

  • bien que la convention prévoyait (toujours selon les demanderesses) le partage des bénéfices et des pertes à raison de 1/3 pour R. et 2/3 pour R., les arbitres se sont cependant référés à l'article 1691 du Code civil dont les conditions d'application supposent que l'acte de société ne détermine pas la part de chaque associé dans les bénéfices ou pertes ; ils ne pouvaient donc sans se contredire en déduire que la part dans les pertes devait être supportée à proportion des apports ;

Pour conclure à l'irrecevabilité et au rejet au fond de la demande en rétractation, et solliciter à titre reconventionnel la condamnation de la B.F.I. et de la S.F.G. à lui payer 500 000 F à titre de dommages-intérêts, V. R. fait valoir en réponse :

  • sur la recevabilité, que les arbitres ont notifié la sentence aux parties dès la fin de l'année 1985 et que l'assignation introductive de la présente instance a été formée hors délai, l'ordonnance d'exequatur ayant au surplus été notifiée le 27 février 1986 de telle sorte qu'elle serait devenue définitive passé un délai de 15 jours ; que l'action en rétractation doit donc être rejetée comme tardive ;

  • au fond,

• que la qualité juridique et le rôle des parties ou de leurs représentants sont précisés par le jugement arbitral, comme ils l'ont d'ailleurs été par l'arrêt de la Cour du 15 mars 1983 dont la décision suppléerait s'il en était besoin l'omission alléguée, à la supposer établie,

• que le dispositif du jugement arbitral ne contient aucune disposition contradictoire et qu'il n'y a pas lieu d'apprécier d'éventuelles contradictions de motifs, eu égard au cas de rétractation limitativement fixé par l'article 428-5° du Code de procédure civile,

• que la présente action tend artificiellement à faire remettre en cause une décision rendue en dernier ressort, qui ne présente d'ailleurs pas les contradictions alléguées par les demanderesses,

• qu'en effet le choix de la date de présentation de la requête comme étant celle d'une mise en demeure procède d'une appréciation souveraine par les arbitres statuant comme amiables compositeurs, et est au surplus conforme à la plus élémentaire équité eu égard au préjudice occasionné,

• et que la liquidation des comptes du syndicat financier ne contient pas de dispositions contradictoires, le Tribunal arbitral n'ayant là encore fait qu'user de son pouvoir souverain d'apprécier la situation en équité, comme l'y autorisait le compromis convenu entre les parties ;

Sur quoi,

Sur la recevabilité,

Attendu que les parties au compromis ayant renoncé par cet acte à la faculté de faire appel du jugement arbitral, celui-ci a été rendu en dernier ressort ; qu'il apparaît au surplus insusceptible de pourvoi en révision par application de l'article 965 du Code de procédure civile ; que la voie de la rétractation est cependant ouverte par l'article 963 dudit code, sous réserve de satisfaire aux cas, formes et délais déterminés par les articles 428 et suivants du même code ;

Attendu à cet égard que la sentence arbitrale, passée en force de chose jugée comme en l'espèce, peut faire l'objet d'une demande en rétractation aux termes de l'article 430, dans les trente jours de sa signification ;

Qu'alors qu'il est constant qu'elle n'a pas été signifiée dans les formes de la loi - la signification de l'ordonnance d'exequatur ne pouvant valoir comme celle de la sentence elle-même - la demande en rétractation, au demeurant formée dans le mois ayant suivi la signification de cette ordonnance, apparaît recevable en la forme ; qu'il doit en conséquence être passé outre à l'exception d'irrecevabilité, à laquelle au surplus R. apparaît avoir renoncé à l'audience des plaidoiries ;

Sur l'omission de statuer,

Attendu à cet égard que si le compromis assignait aux arbitres la mission de décider de la qualité juridique et du rôle tenu par chacune des parties ou leurs représentants dans les opérations immobilières objet des conventions de 1966 et 1969, ce point particulier de la mission n'apparaît en réalité constituer qu'un moyen permettant de statuer sur l'essentiel de la demande, dont la finalité consistait à déterminer les sommes dues par l'une des parties à l'autre à titre de réparation, et ne revêt pas à proprement parler le caractère d'un chef de demande au sens de l'article 428-4° du Code de procédure civile ;

Attendu que s'il devait en tout état de cause être considéré comme tel, l'on ne saurait pour autant soutenir que les arbitres ont laissé ce chef de demande sans réponse ; qu'il s'évince en effet de leur sentence qu'ils se sont à suffisance prononcé sur la qualité et le rôle des parties à l'arbitrage :

  • tant à l'égard de V. R., en énonçant notamment qu'il a consenti des prêts aux sociétés précitées antérieurement à la convention de 1966, qu'il a apporté des fonds à titre de prêts, personnellement et pour le compte d'autrui - ainsi que les parties se sont accordées pour le déclarer - pour un montant total arrêté à 6 600 000 F au 30 novembre 1966 et qu'il a encore fait l'avance de fonds pour le fonctionnement du syndicat financier créé par la convention du 19 décembre 1966, et en jugeant qu'il demeurait responsable du retrait par S. des sommes qu'il avait apportées pour le compte de celui-ci, sans avoir égard pour la promesse de porte-fort invoquée ;

  • qu'à l'égard de la B.F.I. et de la S.F.G., dont les arbitres ont notamment précisé qu'elles étaient engagées, à tout le moins, comme mandantes apparentes, par les conventions conclues en leur nom par R., qu'elles admettaient d'ailleurs devoir répondre des fautes de celui-ci dans la gestion du syndicat financier au sein duquel R. agissait au nom de la B.F.I., et, en ce qui concerne la B.F.I., qu'elle assurait en droit ou en fait la gestion des quatre sociétés sous sa responsabilité propre ;

Qu'il ne saurait être reproché aux arbitres de ne pas être entré plus avant dans des considérations relevant de la technique juridique - comme les décisions judiciaires antérieurement intervenues, auxquelles ils ont au demeurant fait référence en les reprenant au moins partiellement à leur compte, avaient pu le faire -, considérations dont il leur était loisible de s'écarter en tant qu'amiables compositeurs ;

Sur les dispositions contradictoires,

Attendu que la jurisprudence française, en l'état de textes alors comparables aux textes actuels monégasques, s'est clairement prononcée sur la portée devant être conférée à la cause de rétractation relative « aux dispositions contradictoires » contenues dans le jugement ; qu'elle a interprété avec constance ce cas d'ouverture en exigeant une contradiction entre les différentes branches du dispositif de la décision, une contrariété n'affectant que les motifs s'exposant non à la rétractation (ancienne requête civile) mais à la cassation ;

Attendu qu'il n'y a pas lieu de s'écarter à Monaco de cette interprétation, d'ailleurs commandée par le texte même de l'article 428-5° qui exige que le jugement contienne des « dispositions » contradictoires, en ce sens que le dispositif, exclusivement, doit comporter des décisions insusceptibles d'être simultanément exécutées ;

Attendu que tel n'est pas le cas en l'espèce, aucune contradiction ne pouvant être relevée dans les diverses branches du dispositif de la sentence arbitrale, lesquelles s'articulent au contraire logiquement, ce que les demanderesses, qui se sont bornées à faire ressortir les points contradictoires dont seraient entachés les motifs de la sentence, n'ont au demeurant pas contesté ;

Attendu au surplus que la contradiction alléguée sur les trois points invoqués par les demanderesses n'apparaît pas, en tout état de cause, caractérisée :

  • que sur la date constituant le point de départ des intérêts moratoires, il s'est agi pour les arbitres de rechercher en équité, compte tenu des circonstances de l'espèce, la première initiative de R. pouvant être assimilée à une mise en demeure de remboursement ; qu'il peut être observé que la date retenue est approximativement celle de la fin des opérations des sociétés qui devait entraîner, selon l'article 3 de la convention de 1966, le remboursement des prêts consentis antérieurement au 30 novembre 1966 ; que par ailleurs, la B.F.I. et la S.F.G., qui n'ont pas exécuté la convention de partage puisqu'elles ont admis que la S.F.G. conserve des parts de la Société Amirauté (comprise dans le lot de R.), ne sauraient faire grief aux arbitres d'avoir méconnu ladite convention ;

  • qu'en ce qui concerne l'apport R., les arbitres ont souverainement énoncé que le compte de R. ne tient pas compte de cet apport ; que c'est donc sans se contredire qu'ils n'ont pas comptabilisé un éventuel retrait dudit apport ;

  • que s'agissant de la contribution aux bénéfices et pertes, alors que le contrat de 1966 n'envisageait que la répartition des bénéfices, ils ont estimé équitable de se référer aux règles régissant les sociétés dans cette hypothèse, et, raisonnant par analogie hors toute contradiction, ont réparti les pertes en fonction des apports ;

Attendu en conséquence que les conditions de la rétractation du jugement arbitral n'étant pas réunies, il y a lieu de débouter la B.F.I. et la S.F.G. de leur demande ;

Sur la demande reconventionnelle,

Attendu que tout en s'abstenant d'indiquer les motifs de sa demande, V. R. sollicite à titre reconventionnel la condamnation de la B.F.I. et de la S.F.G. à lui payer 500 000 F de dommages-intérêts, sans autre précision ;

Attendu que s'il peut à la rigueur être implicitement déduit des écrits judiciaires de R. qu'il estime fautive la demande en rétractation dont il fait l'objet, rien ne permet d'affirmer que cette faute lui a occasionné un préjudice devant être réparé par l'allocation de 500 000 F à son profit ;

Qu'à défaut de s'expliquer sur la nature et de justifier du quantum du préjudice qu'il invoque, R. ne saurait être suivi en sa demande ;

Qu'il y a lieu toutefois, par application de l'article 434 du Code de procédure civile, de lui octroyer l'indemnité imposée par la loi, le jugement arbitral devant être assimilé en l'espèce à un jugement du Tribunal de première instance ;

Attendu que les dépens suivent la succombance ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Déclare recevable la demande en rétractation du jugement arbitral du 20 décembre 1985 formée par la Banque de financement industriel et la Société financière de gestion ;

Au fond, la rejette et déboute les demanderesses de leurs prétentions ;

Les condamne à payer à V. R. l'indemnité prévue par l'article 434 du Code de procédure civile ;

Composition🔗

MM. Landwerlin, vice-prés. ; Truchi, prem. subst. ; MMe Karczag-Mencarelli et Boisson, av. déf. ; Cornec, av. (Barreau de Paris) ; Charles, av. (Barreau de Nice) ; Cénac, av. (Cour d'appel d'Aix-en-Provence).

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