Tribunal de première instance, 16 octobre 1986, Ordre des architectes c/ État.

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Abstract🔗

Responsabilité de l'Etat

Question préjudicielle - Appréciation préalable de validité de décisions administratives (non) - Compétence du Tribunal (oui)

Résumé🔗

L'action intentée contre l'État par l'Ordre des architectes de Monaco faisant grief à celui-ci d'avoir transgressé les dispositions de l'article 9 de l'ordonnance-loi n° 341 du 24 mars 1942 du fait de n'avoir pas eu recours au concours d'un architecte inscrit à l'Ordre des architectes de Monaco, s'analyse en une action en responsabilité pour faute, laquelle relève en application de l'article 12 de la loi n° 783 du 15 juillet 1965 portant organisation judiciaire, de la compétence du Tribunal de première instance, juge de droit commun en matière administrative, en premier ressort, de tous les litiges autres que ceux dont la connaissance est expressément attribuée par la Constitution ou par la Loi au Tribunal suprême ou à une autre juridiction.

L'exception préjudicielle soulevée par l'État tendant à surseoir à statuer jusqu'à ce que le Tribunal suprême ait apprécié la validité d'un non-acte de l'administration consistant pour celle-ci à se dispenser de se délivrer à elle-même un permis de construire apparaît irrecevable dès lors que les opérations incriminées ont fait l'objet d'un permis de construire.

L'État entreprenant une construction sur son domaine public ou privé est dispensé d'une demande préalable d'autorisation de bâtir et partant d'avoir recours obligatoirement au concours d'un architecte faisant partie de l'Ordre des architectes de Monaco, ainsi qu'il s'ensuit de l'interprétation des dispositions de l'ordonnance n° 1349 du 30 juin 1956 qui opèrent une discrimination déterminante entre les projets de travaux à exécuter pour le compte de l'État et de la Commune et des travaux à exécuter par des particuliers quant au régime dont ils relèvent.


Motifs🔗

LE TRIBUNAL,

Attendu que suivant exploit du 11 février 1966, l'Ordre des architectes de la Principauté de Monaco, invoquant les dispositions de l'article 4 de l'ordonnance souveraine n° 2120 du 16 novembre 1959, modifiée par l'ordonnance souveraine n° 2783 du 17 mars 1962, prise en application de l'ordonnance-loi n° 674 du 3 novembre 1959 concernant l'Urbanisme, la Construction et la Voirie, ainsi que l'article 9 de l'ordonnance-loi n° 341 du 24 mars 1942 réglementant le titre et la profession d'architecte et instituant l'Ordre des architectes, et faisant grief au Gouvernement de la Principauté d'avoir fait exécuter des travaux pour lesquels le Ministre d'État a donné un permis de construire sans que les plans réglementaires et les pièces annexées aient été signés par un architecte autorisé dans la Principauté et sans que les travaux aient été contrôlés par un tel architecte, a assigné le Ministère d'État aux fins de l'entendre condamner, ès-qualités, à lui payer la somme de 1 franc à titre de dommages-intérêts, ainsi qu'aux dépens ;

Que par conclusions du 15 février 1971, l'Ordre des architectes a repris l'objet de sa demande en précisant les travaux exécutés par l'État sans le concours d'un architecte monégasque, savoir :

  • surélévation et transformation de l'ancienne Poste de Monaco-Ville, place de la Mairie,

  • surélévation du Lycée de Monaco,

  • Théâtre en plein air du Fort Antoine,

  • poursuite des travaux pour la construction de l'immeuble « Bel-Air »,

  • transformation de l'École des Frères de Monaco-Ville,

  • construction de l'aile sud du Columbarium du Cimetière de Monaco ;

Que le 23 janvier 1978, l'État de Monaco, estimant qu'il n'était pas tenu de se délivrer à lui-même, ou à ses services administratifs sans personnalité morale, des permis de construire et que la demande de l'Ordre des architectes impliquait nécessairement et préalablement une appréciation de validité portant sur la décision administrative arguée d'irrégularité, laquelle consisterait pour l'Administration à se dispenser de se délivrer à elle-même un permis de construire, a demandé de surseoir à statuer sur la demande d'indemnisation jusqu'à ce que le Tribunal suprême - qui serait seul compétent en vertu de l'article 90 - B - 3° de la Constitution pour porter des appréciations sur le point de savoir si le Ministre d'État peut se dispenser ou au contraire ne devrait pas se dispenser de délivrer un permis de construire lorsque, dans l'intérêt général, il décide d'entreprendre une œuvre immobilière sur le domaine public ou le domaine privé - statue sur le recours en appréciation de validité qui paraît s'imposer à la diligence du demandeur ;

Attendu que, par jugement du 18 décembre 1980 - confirmé par arrêt de la Cour d'appel de Monaco en date du 18 janvier 1983 en ce qu'il a déclaré non valable le désistement d'instance proposé le 9 mai 1979 par l'Ordre des architectes - auquel il y a lieu de se référer pour plus ample exposé des faits et de la procédure, le Tribunal de première instance a relevé que l'Ordre demandeur, qui n'avait considéré la question préjudicielle ainsi soulevée que sous l'angle d'un moyen procédural se situant dans le cadre du désistement d'instance, ne s'était pas expliqué sur son bien-fondé et a sursis à statuer en enjoignant à l'Ordre de conclure pour faire valoir ses moyens de défense au regard de ladite question préjudicielle et de l'application de l'article 90 - B - 3° de la Constitution en précisant les irrégularités d'ordre administratif dont il se prévaut pour fonder son action en responsabilité contre l'État, et a réservé les dépens ;

Attendu que sur reprise de la procédure, l'Ordre des architectes (conclusions des 25 novembre 1983 et 3 octobre 1984) se référant à son exploit introductif d'instance déclare que le seul grief qui y est formulé contre l'État, et fondant sa demande en réparation du préjudice causé à l'Ordre, est d'avoir entrepris des travaux, après délivrance effective d'un permis de construire, mais sans que les plans et les pièces annexés à la demande d'autorisation aient été signés par un architecte autorisé à exercer dans la Principauté et sans que lesdits travaux aient été exécutés sous le contrôle d'un architecte, ce en infraction flagrante avec l'article 9 de l'ordonnance-loi n° 341 du 24 mars 1942 qui rend obligatoire le concours d'un architecte pour l'établissement des plans et devis et le contrôle de l'exécution des travaux pour lesquels la législation en vigueur impose une demande préalable d'autorisation de bâtir ;

Que reprenant dans ses écrits judiciaires les dispositions de

  • l'O.L. n° 674 du 3 novembre 1959 (art. 1er),

  • l'O.S. n° 2120 du 16 novembre 1959 intitulée « Règlement général de Voirie » (art. 1, 2, 6 - 1°, 6 - 5°),

  • l'O.S. n° 3387 du 25 septembre 1965, instituant un comité consultatif pour la construction (art. 2 - 2°),

il soutient que cet ensemble de textes, régissant la matière du permis de construire, exige l'obtention d'une autorisation de construire pour toute opération, quelle qu'elle soit, effectuée sur le territoire de la Principauté ;

Qu'affirmant que l'Ordre des architectes n'invoque pas, en l'espèce, des irrégularités d'ordre administratif mais qu'il fonde son action sur des infractions patentes aux dispositions légales en vigueur, il demande au Tribunal de dire et juger que la question préjudicielle soulevée est dénuée de tout fondement, de débouter l'État de Monaco de sa demande de sursis à statuer et de le condamner à payer à l'Ordre le franc sollicité à titre de dommages-intérêts ;

Attendu que l'État de Monaco (conclusions du 10 mai 1984) observe que la référence que fait l'Ordre des architectes à l'article 9 de l'ordonnance-loi n° 341 du 24 mars 1942 pose bien la question de savoir si les lois et règlements en vigueur imposaient à l'État une demande préalable d'autorisation de bâtir puisque ce n'est que dans le cas où une telle obligation existe qu'il y a recours obligatoire à un architecte ;

Qu'il reproche à l'Ordre demandeur de tenter d'éluder le débat sur la question préjudicielle en se bornant à soutenir que son grief ne serait pas que les travaux litigieux aient été réalisés par l'État sans autorisation de bâtir - étant relevé que les ouvrages incriminés ont été édifiés à une époque où l'État, qui a abandonné cette pratique, se délivrait à lui-même des permis de construire - et soutient de plus fort que la demande de sursis à statuer est justifiée par la nécessité de trancher la question préjudicielle que la demande pose nécessairement en raison de l'indivisibilité de l'article 9 du texte susvisé ;

Que reprenant les moyens développés dans ses conclusions du 23 janvier 1978, l'État estime au demeurant avoir démontré qu'il n'avait aucune obligation légale de s'adresser à lui-même une demande de permis de construire et que par conséquent l'absence de recours à un architecte ne pouvait constituer la faute qui, selon l'Ordre, constituerait la base légale de sa demande ;

Qu'il fait essentiellement valoir à cet égard :

  • que la législation monégasque ne comporte pas la disposition qui figure à l'article 421-1 du Code français de l'urbanisme (ancien article 84) aux termes de laquelle l'obligation d'obtenir un permis de construire préalable s'impose aux services publics comme aux personnes privées ;

  • que l'absence d'une disposition semblable dans la législation monégasque s'explique par le fait que l'ensemble du pouvoir gouvernemental et administratif est concentré dans la main du Ministre d'État sans que les divers services administratifs de l'État aient dans la Principauté de personnalité juridique distincte ;

  • qu'enfin, il a été jugé (Trib. suprême - décision H. du 17 mai 1972) que lorsque aucune des dispositions d'une loi qui est destinée à régir des personnes de droit privé n'étend son champ d'application à des personnes se trouvant dans une situation de droit public - ce qui est par définition le cas de l'État - lesdites dispositions ne peuvent être appliquées à ces dernières ;

Que l'État conclut à voir impartir à l'Ordre des architectes un délai de trois mois pour saisir le Tribunal suprême à défaut de quoi il devrait être débouté des fins de son exploit introductif d'instance et condamné aux dépens ;

Sur la demande du sursis à statuer :

Attendu que l'État de Monaco, qui ne dénie pas la compétence du Tribunal de première instance, statuant en matière administrative, pour connaître de la demande en dommages-intérêts formée par l'Ordre des architectes en réparation de son préjudice allégué, laquelle n'est au demeurant pas contestable en l'espèce, fonde sa demande de sursis à statuer sur l'exception préjudicielle qu'il invoque et aux termes de laquelle le Tribunal suprême aurait seul compétence, en vertu de l'article 90 - B - 3° de la Constitution, pour statuer sur le recours en appréciation de validité des décisions administratives prétendues irrégulières qu'impliquerait nécessairement la demande de l'Ordre et pour trancher sur le point de savoir si l'État est, ou non, astreint en vertu des textes visés, à l'obligation de se délivrer à lui-même, ou à ses services, un permis de construire lorsque, dans l'intérêt général, il décide d'entreprendre une œuvre immobilière sur le domaine public ou le domaine privé ;

Attendu qu'aux termes des dispositions de l'article 12 de la loi n° 783 du 15 juillet 1965 portant organisation judiciaire le Tribunal de première instance connaît, comme juge de droit commun en matière administrative, en premier ressort, de tous les litiges autres que ceux dont la connaissance est expressément attribuée par la Constitution ou par la loi au Tribunal suprême ou à une autre juridiction ;

Attendu que l'article 90 - B - 3° de la Constitution dispose :

« En matière administrative, le Tribunal suprême statue souverainement :

Sur les recours en interprétation et les recours en appréciation de validité des décisions des diverses autorités administratives et des ordonnances souveraines prises pour l'exécution des lois. »

Attendu que le Tribunal est saisi par l'Ordre des architectes de Monaco d'une action tendant à la réparation du préjudice - ramené au franc symbolique de dommages, ce qui en démontre le caractère de principe - qu'aurait occasionné à l'Ordre le comportement de l'État de Monaco qui s'est abstenu de recourir au concours d'un architecte, pour les opérations immobilières de construction ou de rénovation en cause, ce qui, compte tenu des termes de l'article 9 de l'ordonnance-loi n° 341 du 24 mars 1942 invoqué, revient en définitive à déterminer si les lois et règlements en vigueur imposaient à l'État une demande préalable d'autorisation de bâtir puisque ce n'est que dans ce cas que le recours à un architecte est obligatoire ;

Attendu qu'une telle action s'analyse en une action en responsabilité pour faute, ce que l'État de Monaco admet expressément, et n'implique nullement une appréciation préalable de validité de décisions administratives, lesquelles auraient, aux termes des conclusions de l'État, consisté pour l'Administration à se dispenser de se délivrer à elle-même un permis de construire, situation étrangère à la présente espèce puisqu'il est constant que les opérations incriminées ont toutes fait l'objet d'un tel permis ;

Que ne soulevant pas une question relevant du domaine du recours en appréciation de validité et de nature à constituer une question préjudicielle, cette action ressortit à la compétence du Tribunal de première instance, juge de droit commun en matière administrative ;

Que la demande de sursis à statuer doit en conséquence être rejetée ;

Au fond :

Attendu que l'ordonnance n° 3387 du 25 septembre 1965, ayant modifié en dernier lieu l'article 1er de l'ordonnance n° 1349 du 30 juin 1956 et institué un comité consultatif pour la construction édicte, sous réserve des dispositions du 5e alinéa de l'article 6 de l'ordonnance n° 2120 modifiée du 16 novembre 1959, que ce comité est obligatoirement consulté, donne son avis et formule des suggestions :

1) sur tous les projets de travaux à exécuter par des particuliers et soumis à autorisation préalable en application des dispositions de l'article 1er de l'ordonnance-loi n° 674 du 3 novembre 1959 et de l'article 1er de l'ordonnance n° 2120 du 16 novembre 1959 ;

2) sur tous les projets, plans, opérations d'ensemble, constructions et travaux à exécuter pour le compte de l'État ou de la Commune ;

3) ...

Attendu qu'il résulte de ces dispositions - qui opèrent une discrimination déterminante entre les projets de travaux à exécuter pour le compte de l'État et de la Commune et les projets de travaux à exécuter par des particuliers quant au régime dont ils relèvent - que si le comité consultatif pour la construction est obligatoirement consulté, sous la réserve susvisée, dans tous les cas, seuls ces derniers projets sont soumis à autorisation préalable en vertu des textes cités ;

Attendu qu'il suit, sans qu'il y ait lieu dès lors de s'arrêter aux autres moyens développés par l'État de Monaco, que l'Ordre des architectes doit être débouté de sa demande fondée sur l'article 9 de l'ordonnance-loi n° 341 du 24 mars 1942 qui ne rend obligatoire le concours d'un architecte que pour les travaux pour lesquels les lois et règlements imposent une demande préalable d'autorisation de bâtir, étant relevé qu'il importe peu qu'à l'occasion des opérations en cause l'État ait estimé devoir délivrer des permis de construire suivant une pratique qui était observée à l'époque, dès l'instant qu'il n'y était pas légalement ou réglementairement astreint ;

Que les dépens suivent la succombance ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement et en matière administrative,

Rejette la demande de sursis à statuer formée par l'État de Monaco ;

Déclare mal fondée l'action de l'Ordre des architectes et l'en déboute ;

Composition🔗

MM. Huertas, prés. ; Truchi, prem. subst. proc. gén. ; MMe Clerissi, J.-Ch. Marquet, av. déf. ; Joselet, av.

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