Tribunal de première instance, 5 mai 1977, Veuve R. c/ État de Monaco

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Abstract🔗

Puissance publique

Refus de concours de la force publique - Responsabilité de l'État.

Résumé🔗

Le justiciable, nanti d'une sentence judiciaire revêtue de la formule exécutoire, est en droit de compter sur l'appui de la force publique pour assurer l'exécution du titre qui lui a ainsi été délivré.

Si l'autorité administrative a le besoin d'apprécier les conditions de cette exécution et le droit de refuser le concours de la force publique tant qu'elle estime qu'il y a danger pour l'ordre et la sécurité, le préjudice, qui ne peut résulter de ce refus, ne saurait être regardé comme une charge incombant à l'intéressé. Celui-ci est en droit d'en obtenir réparation de la part de l'État, soit sur le fondement de la responsabilité délictuelle, lorsque le refus n'était pas justifié par des motifs valables, soit par application de la responsabilité fondée sur le risque, lorsque le refus était justifié par des motifs valables.


Motifs🔗

Le Tribunal,

Attendu que, par l'exploit susvisé, la demanderesse a assigné le Ministre d'État aux fins d'obtenir paiement de la somme de 26 833,62 F., représentant l'indemnité d'occupation due par le sieur V. et sa famille, pour la période du 1er janvier 1970 au 31 décembre 1976, pour un appartement que celui-ci occupe à ., ainsi que celle de 9 357,60 F., montant des charges locatives pour la même période, dame R. demandant en outre condamnation du défendeur au paiement de l'indemnité d'occupation et des charges correspondant à la période pendant laquelle les lieux continueront à être occupés ;

Attendu que dame R. expose qu'elle est propriétaire de l'appartement susvisé et que, par jugement du 11 décembre 1969, le Tribunal de Première Instance de Monaco a déclaré V., son locataire, déchu du droit au maintien dans les lieux et a ordonné son expulsion, ainsi que de tous occupants de son chef, par toutes voies de droit au besoin avec l'aide de la force publique ;

Attendu que la grosse de ce jugement lui a été délivrée le 9 janvier 1970 ; que celle-ci a été signifiée le 16 janvier 1970, suivant exploit Marquet, huissier, qui, par le même acte a fait sommation de quitter les lieux ; qu'une tentative d'expulsion, du 26 janvier suivant, s'est révélée vaine ; que le 20 mars 1970, le Procureur Général de Monaco, à l'issue d'une tentative de conciliation, a déclaré ne pas s'opposer à ce que Monsieur le Commissaire de Police fasse droit aux réquisitions de l'huissier chargé de l'expulsion ; que depuis, si V. a quitté, les lieux, son épouse a continué à les occuper et s'y trouve à l'heure actuelle encore, dame R. n'ayant pu obtenir l'assistance de la force publique, laquelle lui a été constamment refusée, et pour la dernière fois le 7 juillet 1976, date d'une lettre du Conseiller pour l'Intérieur qui a accordé un ultime délai au 30 avril 1977, compte tenu du cas social que représente la situation de dame V. ; que celle-ci, non seulement, se maintient dans les lieux, mais n'a payé aucun loyer ni aucune indemnité depuis la date du jugement ; que, dès lors, le Ministre d'État ayant empêché l'exécution du jugement susvisé, faute d'avoir accordé l'assistance de la force publique et ayant permis à dame V. de se maintenir dans les lieux, sans rien payer, dame R. s'estime fondée à s'adresser à la justice pour obtenir que le Ministre d'État soit condamné à lui payer l'indemnité d'occupation à laquelle elle a droit et qui constitue la réparation du préjudice qu'il lui a causé, en l'espèce ;

Attendu que le Ministre d'État conclut au déboutement de cette demande et précise que l'assistance de la force publique a été refusée en fonction de considérations humanitaires qui, compte tenu du caractère spécifique des conditions de vie dans la Principauté, doivent être considérées comme de nature à caractériser le trouble à l'ordre public, circonstance justifiant le refus d'accorder l'assistance de la force publique ;

Attendu que le justiciable nanti d'une sentence judiciaire revêtue de la formule exécutoire est en droit de compter sur l'appui de la force publique pour assurer l'exécution du titre qui lui a ainsi été délivré ; que si l'autorité administrative a le devoir d'apprécier les conditions de cette exécution et le droit de refuser le concours de la force publique tant qu'elle estime qu'il y a danger pour l'ordre et la sécurité, le préjudice qui peut résulter de ce refus ne saurait être regardé comme une charge incombant à l'intéressé et que celui-ci est en droit d'en obtenir réparation de la part de l'État, soit sur le fondement de la responsabilité délictuelle, lorsque le refus n'était pas justifié par des motifs valables, soit par application de la responsabilité fondée sur le risque, lorsque le refus était justifié par des motifs valables ;

Attendu en conséquence, sans qu'il y ait lieu pour le Tribunal, compte tenu de la formulation de la demande de dame R., qui se borne à solliciter paiement du loyer légalement dû, de rechercher le fondement sur lequel la responsabilité de l'État est engagée, que cette demande doit être accueillie, la réalité du préjudice, conséquence directe et nécessaire de la non-exécution du jugement susvisé, n'étant ni contestable ni contestée ; que toutefois, il n'y a pas lieu de prononcer une condamnation in futurum pour la période de temps à courir pendant laquelle dame V. demeurera dans les lieux ;

Que les dépens suivent la succombance ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Condamne Monsieur le Ministre d'État de la Principauté de Monaco à payer à la dame R. la somme de 26 833,22 F. plus 8 357,60 F. ; rejette les autres demandes de dame R. 

Composition🔗

MM. François prés., Mme Picco-Margossian subst. proc. gén., MMes Marquilly et J.-Ch. Marquet av. déf.

Note🔗

NOTE : Voir infra les décisions rendues par la Cour d'appel le 21 mars 1978, la Cour de révision les 13 octobre 1978 et 4 mai 1979 et la note signée R. Vialatte.

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