Tribunal de première instance, 22 mars 1973, Syndicat de défense des créanciers de la S.C.I. Monte-Carlo Résidence Palace représenté par son Président, P. N. c/ O. ès qualités de syndic de la faillite de la M.C.R.P., G., Hoirs A., R., J. et J. N., R. et S.A.M. Sereatec.

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Abstract🔗

Faillites

Contredit - Contre-lettre - Créanciers hypothécaires - Tiers - Inopposabilité

Résumé🔗

Si des créanciers hypothécaires d'une société sont, par suite de la faillite de cette société, devenus les ayants-causes de celle-ci comme substitués à ses droits, ils n'en ont pas moins la qualité de tiers dès lors qu'ils ont des droits à défendre contre les actes de la société faillie et notamment intérêt à conserver dans l'actif de celle-ci des valeurs qu'elle en aurait fait sortir. Ils sont, en conséquence, fondés à demander la nullité d'une contre-lettre souscrite par la société faillie même si elle l'a été au profit d'autres créanciers de celle-ci car ils doivent être protégés contre les actes passés, sinon nécessairement en fraude de leurs droits, du moins sans qu'ils aient été en mesure d'en avoir connaissance. La contre-lettre leur est d'autant moins opposable qu'elle est frappée d'une nullité absolue et d'ordre public.


Motifs🔗

LE TRIBUNAL,

Attendu que par acte du 12 mai 1972, le syndicat de défense des créanciers hypothécaires de la S.C.I. Monte-Carlo Residence Palace, représenté par son Président le sieur P. N., a formé deux contredits contre l'admission au passif de la faillite de ladite société civile immobilière, d'une part des sieurs G. et A., respectivement pour la somme de 5 244 000 F et celle de 3 510 000 F à titre privilégié, d'autre part des architectes : N. - R. – R. et S.E.R.E.A.T.E.C., pris in globo, pour une somme de 675 000 F à titre chirographaire ;

Attendu que ces deux contredits dont les causes sont différentes n'étant unis par aucun lien de connexité, il y a lieu de les disjoindre et de statuer sur chacun d'eux par jugement séparé ;

Attendu qu'en des conclusions du 6 juillet 1972, le syndicat de défense des créanciers de la société civile immobilière Monte-Carlo Résidence Palace, régulièrement autorisé à ester et groupant les porteurs de grosses hypothécaires en premier, deuxième et troisième rang, soutenait qu'il avait le plus grand intérêt à ce que le passif de la S.C.I. faillie soit le moins élevé possible pour que puisse être proposé un concordat à 100 % ; que G. et A. ayant vendu leurs biens à ladite S.C.I. pour le prix de 6 000 000 sur lequel ils ont reçu, en décembre 1966 : 500 000 F. en décembre 1967 : 1 250 000 F. et postérieurement à l'acte 1 250 000 F., leur production doit être réduite d'autant ;

Qu'invoquant l'existence d'une procédure pendante devant ce tribunal, opposant les sieurs G. et R. à A. en présence du syndic O. et au cours de laquelle une partie de la créance dudit A. était contestée, il concluait, au principal, à un sursis à statuer jusqu'à solution de ce litige, subsidiairement à la réduction du montant de l'admission de G. et A. de la somme de 3 000 000, plus subsidiairement encore à une expertise aux fins de vérification des créances contestées ;

Attendu que répondant le 5 octobre 1972, G. et A. objectaient que le versement effectué à leur profit par la S.C.I. Monte-Carlo Résidence Palace dans les conditions ci-dessus rappelées, constituait, antérieurement à l'acte de vente dont s'agit, le règlement d'une contre-lettre passée entre eux et ladite S.C.I. ; que cette contre-lettre a été exécutée en sorte que le contredisant est mal fondé à invoquer le bénéfice de l'article 1168 du Code civil ; qu'au demeurant la créance de 3 000 000 comprise dans le montant de l'admission et représentée par une grosse nominative dont le règlement est contesté était parfaitement connue des demandeurs puisque figurant expressément dans tous les actes passés et transcrits par la S.C.I. Monte-Carlo Résidence Palace ; qu'en cet état et compte tenu de la jurisprudence de ce tribunal qui fait de la publicité d'une créance hypothécaire la condition nécessaire et suffisante de l'opposabilité de ladite créance aux tiers, les prétentions du syndicat apparaissent sans fondement ;

Qu'ils concluent en conséquence au déboutement dudit syndicat des fins de son contredit et de ses conclusions subsidiaires tendant soit à un sursis à statuer soit à une expertise ;

Attendu que le tribunal ayant statué, par jugement du 11 janvier 1973, sur la procédure encore pendante devant lui à la date du dépôt des conclusions des parties, le syndicat de défense des créanciers hypothécaires de la S.C.I. Monte-Carlo Résidence Palace limite en définitive sa demande au moyen principal énoncé dans ses conclusions du 6 juillet 1972 auquel les défendeurs répondent en réitérant de manière ampliative leur argumentation, du 5 octobre 1972 ; que le syndic O. déclare s'en remettre à justice sur le mérite de la demande ;

Attendu qu'il doit être rappelé que G. et A. ont consenti, le 17 février 1967, à la S.C.I. Monte-Carlo Résidence Palace, une promesse de vente passée en l'étude de Maître Sangiorgio-Cazes alors notaire, portant à la fois, sur les deux tiers indivis de l'immeuble et les actions de la S.A.M. « Les Grands Hôtels de Londres et Monte-Carlo Palace » locataire principale ; que l'acte de vente, a été établi le 1er décembre 1967, date à laquelle a été créée au profit de chaque vendeur une grosse nominative de 3 000 000 de F. représentant le prix d'achat déclaré par ladite société ; que dès le lendemain, 2 décembre 1967, cette dernière constituait sur l'ensemble immobilier une inscription hypothécaire de 2 500 000 F., somme dont un sieur O., reporter photographe était déclaré être le prêteur et premier porteur de 250 grosses de 10 000 F. chacune, sans avoir aucunement prêté la moindre somme ; que le 15 novembre, soit 15 jours avant la signature de l'acte et la constitution d'hypothèque, A. recevait du notaire précité une attestation indiquant qu'il détenait, en son étude, pour être mise à sa disposition et celle de G. dans la proportion de moitié chacun lors de la signature de l'acte, une somme de 1 250 000 F. et que le même notaire l'informait le 2 décembre 1967, jour de la constitution du prêt O., qu'il détenait pour son compte et celui de G. 125 grosses au porteur de 10 000 F. chacune résultant de cette dernière convention et devant leur être remises dès leur matérialisation ; qu'une somme de 500 000 F. avait déjà été versée aux vendeurs par chèques du 17 février 1967, que celle de 1 250 000 F. susvisée leur était également payée par chèque du 5 décembre 1967, et qu'enfin les 125 grosses du prêt O. leur étaient remises le 22 décembre 1967 contre reçu par eux souscrit à cette date ;

Attendu que par jugement rendu le 11 janvier 1973 dans une instance engagée par les sieurs G. et R. contre les défendeurs au contredit litigieux, le tribunal a jugé que les sommes et grosses reçues par G. et A. de la S.C.I. Monte-Carlo Résidence Palace dans les conditions spécifiées ci-dessus constituaient les 3 000 000 de dissimulation de l'acte de vente passé entre eux et cette société le 1er décembre 1967 et que cette dissimulation s'analysait en une contre-lettre au sens de l'article 1168 du Code civil, ce qui n'est d'ailleurs pas démenti par les défendeurs selon qui toutes les parties sont actuellement d'accord pour admettre que la promesse de vente du 17 février 1967 a été établie pour un chiffre de 9 000 000, bien que la S.C.I. acquéreuse n'ait déclaré dans l'acte ostensible qu'une somme de 6 000 000 ;

Attendu que si le syndicat demandeur entend invoquer à l'appui de son contredit l'inopposabilité de la contre-lettre dont s'agit en sa qualité de tiers, il n'en conteste pas moins le fait que ses membres aient été instruits de ladite dissimulation lors de leur contractation avec la S.C.I. Monte-Carlo Résidence Palace, les grosses qui leur ont été remises en contrepartie des sommes par eux prêtées ne reproduisant que les causes et conditions de l'affectation hypothécaire figurant dans l'acte ostensible du 1er décembre 1967 ;

Que le tribunal ne saurait déduire - à défaut d'éléments suffisants - de la seule invocation par ledit syndicat de la contre-lettre litigieuse dans la présente procédure, la preuve que celui-ci n'ignorait pas l'existence de cette contre-lettre qui n'a fait l'objet d'aucune transcription - seul l'acte ostensible ayant été soumis à cette formalité - alors surtout qu'aux termes de la jurisprudence, la connaissance que les tiers ont eue de la dissimulation d'une contre-lettre ne saurait s'induire de ce que la dissimulation a été alléguée dans un procès ;

Attendu que s'il suit de l'article 1168 du Code civil, aux termes duquel les contre-lettres peuvent avoir un effet entre les parties mais n'en ont point contre les tiers, que la faculté réservée à ces derniers d'invoquer l'inopposabilité de la convention occulte ne va pas, en cas d'exécution des conditions de la contre-lettre, jusqu'à leur conférer le droit de faire annuler les effets légitimes que l'accord secret a produit entre ceux qui l'ont signé puisque une telle contre-lettre s'analyse en un contrat liant les parties et, à l'instar de toute autre convention, produisant en principe ses effets entre celles-ci en application de l'article 989 du Code civil, il en résulte aussi que cette contre-lettre, même exécutée inter partes, n'est en aucun cas opposable à ceux qui n'y ont pas été parties, l'ont ignorée et ont intérêt à en repousser l'application ;

Attendu, en l'espèce, que si le versement par la S.C.I. Monte Carlo Résidence Palace, alors in bonis, à G. et A. de la somme de 3 000 000 F de dissimulation dans les conditions sus-rappelées doit être considéré comme l'exécution de la contre-lettre résultant de la promesse de vente du 17 février 1967, ce versement a diminué d'autant l'actif de ladite S.C.I., constitutif du gage des créanciers hypothécaires composant le syndicat demandeur ;

Attendu que si ces créanciers hypothécaires sont, par suite de la faillite de la S.C.I. Monte Carlo Résidence Palace, devenus les ayants-cause de celle-ci comme substitués à ses droits, ils n'en ont pas moins la qualité de tiers dès lors qu'ils ont des droits à défendre contre les actes de la société faillie et notamment intérêt à conserver dans l'actif de celle-ci des valeurs qu'elle en aurait fait sortir ;

Qu'ils sont en conséquence fondés à demander la nullité d'une contre-lettre souscrite par la société faillie même si elle l'a été au profit d'autres créanciers de celle-ci dès lors qu'en cas de conflit entre des tiers ayant des intérêts opposés, la jurisprudence et la doctrine dominantes donnent la préférence aux créanciers se prévalant de l'acte ostensible par rapport à ceux qui invoquent la contre-lettre et ce, dans un souci de sauvegarde des intérêts des premiers qui doivent être protégés contre les actes passés, sinon nécessairement en fraude de leurs droits du moins sans qu'ils aient été en mesure d'en avoir connaissance ;

Attendu que la contre-lettre litigieuse est d'autant moins opposable au syndicat demandeur que, de surcroît, sa nullité résulte de l'ordonnance sur l'enregistrement du 29 avril 1828 dont l'article 38 stipule que « toute contre-lettre faite sous signature privée qui aurait pour objet une augmentation du prix stipulé dans un acte public ou dans un acte sous signature privée précédemment enregistré, est déclarée nulle et de nul effet » ; qu'à l'instar de la nullité édictée par l'article 1840 du Code général des Impôts français à l'encontre des contre-lettres ayant pour but de dissimuler partie du prix de vente d'immeubles, la nullité prévue par l'article 38 de l'ordonnance monégasque précitée est absolue et d'ordre public, viciant l'acte secret dès son origine et l'empêchant de produire aucun effet tout en laissant sa validité et sa force obligatoire à l'acte apparent dans lequel les contractants font état d'un prix inférieur à celui qu'il avaient convenu par leur convention secrète ;

Attendu dans ces conditions et dès lors qu'est établi le versement par la S.C.I. Monte Carlo Résidence Palace à G. et A. de la somme de 3 000 000 de francs en vertu de la contre-lettre dont s'agit, que les créanciers hypothécaires composant le syndicat contredisant sont fondés à demander que du montant de la production des défendeurs, prise in globo, au passif hypothécaire de la S.C.I. précitée, soit déduite ladite somme de trois millions de francs, dont l'actif de cette société constitutif de gage desdits créanciers s'est indûment appauvri à leur détriment ;

Qu'il échet en conséquence de faire droit à leur contredit et d'ordonner la modification de l'état des créances de la faillite de la S.C.I. Monte Carlo Résidence Palace par la déduction des productions de G. et A. qui s'étaient partagé le montant de la dissimulation du prix de vente, de la somme respective de 1 500 000 francs ;

Attendu que les dépens suivent la succombance,

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Rejetant comme inopérantes ou mal fondées toutes demandes, fins, et conclusions contraires ou plus amples des parties,

Accueille le syndicat de défense des créanciers hypothécaires de la S.C.I. Monte Carlo Résidence Palace (M.C.R.P.) en leur contredit à l'état du passif de cette société, déclarée en état de faillite ouverte par jugement du 28 janvier 1972 ;

Disjoint les contestations relatives à l'admission audit passif, d'une part des sieurs G. et A. respectivement pour la somme de 5 244 000 F et celle de 3 510 000 F à titre privilégié, d'autre part des sieurs N., R., R. et société S.E.R.E.A.T.E.C., à titre chirographaire, et statuant par le présent jugement, sur la première contestation, déclare le syndicat précité, représenté par le sieur P. N., bien fondé en son contredit ;

Ordonne en conséquence la modification de l'état du passif de la société faillite Monte Carlo Résidence Palace par déduction du montant des créances admises de G. et A., respectivement de la somme de 1 500 000 F,

Donne acte au sieur O., ès qualités de syndic, de son rapport à justice ;

Composition🔗

MM. de Monseignat pr., François prem. subst. gén. MMe Boisson, Marquilly, Sanita av. déf., Cénac (du barreau d'Aix-en-Provence) av.

Note🔗

Sur appel et notamment sur la recevabilité de l'action du Syndicat de défense cf. Infra C.A. 15 janvier 1974 (A).

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