Cour d'appel, 15 janvier 1974, Hoirs A. et G. c/ Syndicat de défense des créanciers du Monte-Carlo Résidence Palace et O. ès qualités.

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Abstract🔗

Faillite

Vérification des créances - Contredit

Résumé🔗

Un « syndicat de défense » dont l'unique objet est aux termes de ses statuts, de défendre les droits des créanciers d'une Société, constitue en réalité une association de défense groupant des personnes ayant des intérêts commun, associées uniquement pour défendre certains de leurs droits ; le contredit formé par une telle association est recevable dès lors que chacun des associés était un créancier vérifié au sens de l'art. 466 du Code de Commerce qui exclut toute distinction entre les différents créanciers et avait donc personnellement qualité pour engager l'action.


Motifs🔗

LA COUR,

Statuant sur l'appel formé par J. G. et les hoirs H. A., décédé en cours d'instance, d'un jugement rendu le 22 mars 1973, par le Tribunal de première instance de Monaco, dans un litige les opposant au Syndicat de Défense des Créanciers Hypothécaires de la S.C.I. Résidence Monte-Carlo Palace, ci-après en abrégé « Syndicat de défense des créanciers » en présence du sieur O., pris en sa qualité de syndic de la faillite de la S.C.I. Monte-Carlo Résidence Palace ;

Attendu qu'il résulte des documents de la cause, que G. et A. ont consenti le 17 février 1967 à la S.C.I. Monte-Carlo Résidence Palace «, une promesse de vente sous seings privés, portant à la fois sur les droits détenus par G. dans l'ensemble immobilier sis à Monte-Carlo, . et les actions détenues par A. de la S.A.M. Les Grands Hôtels de Londres et Monte-Carlo Palace, locataire principal dudit immeuble moyennant le prix de 9 000 000 de F. ; que par le même acte, les sieurs G. et A. ont donné quittance de la somme de 500 000 F. qui leur était remise à titre d'avance sur le prix et de dédit en cas de non réalisation de la vente avant le 31 octobre 1967 ; que l'acte de vente a été établi le 1er décembre suivant, moyennant le prix déclaré de 6 000 000 de F., ultérieurement converti en deux grosses nominatives de 3 000 000 de F. au profit de chacun des vendeurs dont la créance était garantie par une inscription hypothécaire de second rang ;

Que dès le lendemain, 2 décembre 1967, la S.C.I. Monte-Carlo Résidence Palace, a constitué sur l'ensemble immobilier qu'elle venait d'acquérir, une inscription hypothécaire de 2 500 000 F., somme dont un sieur O. était déclaré être le préteur et le premier porteur de 250 grosses de 10 000 F. chacune ; que le 15 novembre, soit quinze jours avant la signature de l'acte et la constitution de l'hypothèque, A. avait reçu du notaire Sangiorgio-Cazes, une attestation indiquant qu'il détenait à son étude, pour être mise à sa disposition et à celle de G., une somme de 1 250 000 F., et que le même notaire l'informait, le 2 décembre 1967, jour de l'établissement de l'acte O., qu'il détenait pour son compte et celui de G., 125 grosses au porteur de 10 000 F., chacune, résultant de cette dernière convention et devant leur être remise dès leur matérialisation ; que la somme de 1 250 000 F. leur a été payée par chèque du 5 décembre 1967 et que 125 grosses du prêt O. leur ont été remises le 22 décembre 1967, contre reçu par eux souscrit à cette date ;

Attendu qu'il résulte des écritures des parties, concordantes sur ce point, d'une part, que l'acte du 1er décembre 1967 portait dissimulation d'une partie du prix soit 3 000 000 de F., et qu'à cet égard, l'acte du 17 février constituait une contre lettre, d'autre part, que le prêt O. était fictif, le prêteur désigné n'ayant pas fait les fonds ;

Attendu que la S.C.I. Monte-Carlo Résidence Palace ayant été déclarée en faillite le 28 janvier 1972, le syndic a admis en qualité de créanciers privilégiés G. et A., respectivement pour les sommes de 5 244 000 F. et de 3 510 000 F., les créances de chacun d'eux résultant, en principal des deux grosses de 3 000 000 de F. chacune qui leur avaient été remises en exécution de l'acte de vente du 1er décembre 1967, et en outre, pour A. de 40 des grosses de 10 000 F., établies à l'occasion de l'acte O. du 2 décembre 1967 ;

Attendu que le syndicat des créanciers hypothécaires ayant formé un contredit contre cette admission au motif que l'acte du 1er décembre 1967 ayant constaté un prix de 6 000 000 de F., les vendeurs, G. et A., pouvaient produire pour le montant des deux grosses de 3 000 000 de F. chacune qu'ils avaient reçues en représentation de ce prix, mais sous déduction des diverses sommes d'un montant de 3 000 000 de F., qu'ils avaient également perçues sur le prix de la vente considérée, le Tribunal, par le jugement déféré du 22 mars 1973, a fait droit à sa demande et a ordonné la modification de l'état des créances de G. et d'A. par déduction, pour chacune d'elles, de la somme de 1 500 000 F. ;

Attendu que pour décider ainsi, le Tribunal a estimé, de même qu'il l'avait fait dans un jugement du 11 janvier 1973, rendu dans une instance opposant les sieurs G. et R. au sieur A. et autres, que le versement global à A. et G., en plus des 2 grosses de 3 000 000 de F. chacune, résultant de l'acte du 1er décembre 1967, de la somme globale de 3 000 000 de F., à savoir 500 000 F. le 17 février 1967, 1 250 000 F. le 5 décembre de la même année et 125 obligations de 10 000 F. chacune du » prêt « O. le 22 décembre suivant, devait être considéré comme l'exécution de la contre-lettre incluse dans la promesse de vente du 17 février 1967 ; que ce versement avait diminué d'autant l'actif de la société ; que même exécutée inter partes, la contre-lettre n'était pas opposable aux tiers qui n'y avaient pas été parties, l'avaient ignorée et avaient intérêt à en repousser l'application ; qu'au surplus, une telle contre-lettre était nulle, d'ordre public, par application de l'article 38 de l'Ordonnance du 29 avril 1828, qui édicte que » toute contre-lettre faite sous signature privée, qui aurait pour objet une augmentation du prix stipulé dans un acte public, ou dans un acte sous signature privée précédemment enregistré, est déclarée nulle et de nul effet « ;

Attendu que par leur acte d'appel, le sieur G. et les hoirs A. reprochent au jugement entrepris d'avoir imputé sur les sommes qui leur étaient dues en vertu de l'acte du 1er décembre 1967, transcrit et opposable à tous, des sommes antérieurement perçues en vertu de l'acte secret et d'avoir ainsi méconnu les dispositions des articles 1168 et 1169 du Code Civil qui n'autorisent pas les tiers à tenir pour nulle la convention occulte une fois qu'elle a été exécutée ; qu'ils soutiennent qu'ayant acquis le 2 décembre 1967 les 125 grosses de l'acte O. au moyen des 125 000 F., qui avaient été mis à leur disposition le 15 novembre précédant en l'étude du notaire Sangiorgio-Cazes et qu'ayant reçu pour solde du montant de la dissimulation un chèque de 1 250 000 F., émis le 5 décembre 1967, l'acte occulte se trouvait exécuté à cette date ; qu'ainsi, il pouvait être valablement opposé aux créanciers de second rang, dont le titre n'a été transcrit que le 21 décembre 1967, et, a fortiori, aux créanciers des rangs subséquents ; que par ailleurs, les créanciers hypothécaires de premier rang étant sans intérêt pour agir en l'espèce, le syndicat de défense des créanciers qui groupe à la fois des créanciers de premier, second et troisième rang, ne pouvait contester les effets, tels que réalisés entre les parties, de l'acte secret ; qu'ils critiquent également l'affirmation du Tribunal, selon laquelle, du fait de l'exécution de la contre-lettre l'actif de la S.C.I. Monte-Carlo Résidence Palace se serait trouvé appauvri au détriment des créanciers ; qu'estimant enfin que l'obstruction systématique du syndicat intimé, qui n'aurait d'autre but que d'empêcher à tout prix une vente judiciaire des biens de la société faillie, leur cause un préjudice, ils demandent sa condamnation à leur payer, pour chacun d'eux, la somme de 50 000 F., à titre de dommages-intérêts ;

Attendu que par conclusions postérieures les appelants critiquent également la représentativité du syndicat de défense des créanciers qui ne représenterait que 368 grosses au porteur sur un total de 850 ; qu'ils contestent sa qualité de syndicat et soutiennent que même à admettre qu'il s'agisse d'une association régie par la loi n° 492 du 3 janvier 1949, son contredit serait irrecevable au vu des dispositions de l'article 466 du Code de commerce qui n'autorise qu'un créancier vérifié ou porté au bilan, à former un contredit ou une réclamation sur l'état des créances déposé par le syndic ; qu'ils font valoir enfin, que le Tribunal a fait une fausse application de l'article 38 de l'ordonnance du 29 avril 1828 qui, selon eux, ne frapperait de nullité que la contre-lettre concomitante ou postérieure à l'acte public, ce qui ne serait pas le cas en l'espèce, l'acte occulte étant antérieur de près de 10 mois à l'acte de vente définitif ;

Qu'ils concluent, en conséquence, à l'infirmation du jugement entrepris, à leur admission définitive au passif de la faillite pour les sommes arrêtées par le juge commissaire et figurant sur l'état des créances telles que modifiées par les jugements du 22 février 1973, définitifs, à la condamnation du Syndicat à leur payer les dommages-intérêts réclamés et à ce que acte leur soit donné de leurs réserves d'engager éventuellement une action tendant à voir déclarer indivisible la promesse de vente du 17 février 1967 et la vente authentique du 1er décembre 1967 et à prononcer leur nullité par application de l'article 1027 du Code civil ;

Attendu qu'en réponse à l'acte d'appel le Syndicat a sollicité la confirmation de la décision entreprise, pour les motifs retenus par les premiers juges, tout en précisant que son intérêt étant que le passif soit le moins élevé possible, il était fondé, quelles que soient les dates auxquelles ses membres avaient acquis des grosses, à soutenir l'inopposabilité à son égard et même la nullité de l'acte occulte dont l'exécution avait eu pour effet de diminuer d'autant le gage général des créanciers ; que par ailleurs, il n'a pas répondu aux conclusions ultérieures des appelants relatives à son défaut de qualité ;

Attendu que de son côté, le sieur O., ès-qualités a déclaré s'en rapporter à justice ;

Sur la recevabilité de l'action du Syndicat de Défense des Créanciers

Attendu qu'il résulte des pièces versées aux débats, que le groupement intimé dit Syndicat de Défense des Créanciers Hypothécaires de la S.C.I. Monte-Carlo Résidence Palace, constitue une association régie par la loi n° 492 du 3 janvier 1949 ;

Attendu qu'une telle association, si elle a qualité pour défendre le patrimoine social et les principes généraux en vue desquels elle est formée, ne peut, en principe se substituer à ses adhérents pour défendre en justice leurs droits éventuels ;

Attendu toutefois qu'une exception à ce principe est admise pour les associations dites » de défense « qui groupent des personnes ayant des intérêts communs, associées uniquement pour défendre certains de leurs droits, lorsque l'action sociale a pour objet la somme des intérêts personnels de chacun de ses adhérents ; qu'il serait en effet illogique et contraire à la volonté commune des associés de leur refuser de faire collectivement ce que chacun d'eux aurait pu faire antérieurement à titre individuel ; qu'il suffit alors pour rendre recevable l'action sociale que soit démontré que chacun des associés, pris individuellement, a été directement et personnellement lésé dans les intérêts dont il a confié la défense collective à l'association,

Attendu qu'il ressort des statuts du » Syndicat de défense des créanciers « (article 4) que son unique objet est de défendre les droits des créanciers de la S.C.I. Résidence Monte-Carlo Palace ; qu'il s'agit donc bien d'une association » de défense «, au sens susvisé, à laquelle les articles 10 et 22 de ses statuts donnent en outre le pouvoir exclusif de » gérer les intérêts communs « de ses adhérents ; que l'action par elle intentée entre dans le cadre de son objet social et qu'il reste dès lors, pour apprécier sa recevabilité, à rechercher si chacun des associés avait personnellement qualité pour intenter l'action, ce que contestent les appelants au motif que certains associés, créanciers hypothécaires de premier rang, sont sans intérêt à agir relativement aux créances de créanciers hypothécaires de rang subséquent ;

Attendu que l'article 466 du Code de commerce autorise » tout créancier vérifié « à former des contredits à l'état des créances ; que la généralité de ces termes exclut toute distinction entre les différents créanciers ; qu'au surplus, il est inexact de soutenir, ainsi que le font les appelants, que les créanciers hypothécaires de premier rang n'ont pas intérêt à contester les créances de créanciers de rang subséquents ou même de créanciers chirographaires alors qu'en cas d'insuffisance de leur gage ils concourent avec eux pour ce qui leur reste dû ;

Attendu qu'il échet en conséquence de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré recevable le contredit formé par l'association dite » Syndicat de défense des créanciers hypothécaires de la S.C.I. Résidence Monte-Carlo Palace « ;

Sur la nullité de la contre-lettre

Attendu que le caractère de contre-lettre de l'acte du 17 février 1967 portant augmentation du prix porté à l'acte du 1er décembre de la même année n'est pas contesté ; qu'une telle contre-lettre, faite sous signature privée, tombe sous le coup des dispositions de l'article 38 de l'Ordonnance du 29 avril 1828 qui énonce que » toute contre-lettre, faite sous signature privée, qui aurait pour objet une augmentation du prix stipulé dans un acte public, ou dans un acte sous signature privée précédemment enregistré, est déclarée nulle et de nul effet « ; que vainement les appelants, se fondant sur les termes » précédemment enregistré « qui selon eux qualifieraient tant » l'acte public « que l' » acte sous signature privée «, font plaider que ce texte n'édicterait que la nullité de la contre-lettre postérieure à l'acte ostensible, alors que la virgule apposée après les mots » acte public « et l'absence de virgule entre les mots » acte sous signature privée « et les termes » précédemment enregistré « ne permettent pas une telle interprétation ;

Attendu au surplus que l'article 38 susvisé, d'ordre fiscal, tend à sanctionner une fraude qui ne se trouve réalisée qu'après que l'acte non secret ait acquis ce caractère pour avoir été soumis à l'impôt ; qu'un acte public s'y trouve soumis par sa nature même, en dehors de la volonté des parties, alors que s'agissant d'un acte sous signature privée, l'intervention d'au moins l'une d'entre elles est nécessaire pour son enregistrement ; qu'ainsi les termes » précédemment enregistré « n'ont d'autre sens que de préciser que lorsque l'acte ostensible est constitué par un acte sous signature privée, ce n'est que par son enregistrement qu'il acquiert ce caractère et ce n'est qu'après son enregistrement, la fraude étant alors consommée, que la nullité de la contre-lettre est encourue,

Sur les conséquences de la nullité de la contre-lettre

Attendu que l'acte entaché de fraude étant par lui-même dépourvu de toute efficacité, c'est avec raison que les premiers juges ont décidé que seul l'acte ostensible, portant un prix de 6 000 000 de F, devait être pris en considération, et qu'en conséquence les vendeurs, qui se prévalaient du prix occulte de 9 000 000 de F., devaient voir leur créance réduite de la différence entre ces deux sommes, soit de 1 500 000 de F. pour chacun d'eux ; qu'il échet en conséquence de confirmer en son principe ce chef de la décision entreprise,

Attendu certes, que les appelants soutiennent que cette décision, rapprochée d'un jugement rendu le 11 janvier 1973 dans une affaire opposant les hoirs A. à certains autres créanciers de la S.C.I. » Résidence Monte-Carlo Palace « et confirmé par arrêt de ce jour en ce qu'il a, dans le cadre d'une procédure de saisie immobilière intentée par A., déclaré que celui-ci, porteur de mauvaise foi, ne pouvait se prévaloir des grosses n° 1 à 40 provenant du prêt » O. «, aboutirait » à les priver non seulement des grosses qui leur avaient été remises en exécution de la promesse de vente, mais encore à amputer leur créance résultant de l'acte authentique de ces mêmes sommes de telle sorte qu'(ils) seraient doublement et inéquitablement pénalisés « :

Mais attendu, d'une part, que G., non partie au jugement du 11 janvier 1973 et à l'arrêt partiellement confirmatif de ce jour, ne saurait s'en plaindre ni s'en prévaloir ; que d'autre part, en ce qui concerne A., il est inexact de soutenir ainsi que le font ses héritiers qu'il » est doublement pénalisé « puisqu'il a été admis à l'état des créances de la faillite en vertu notamment des grosses n° 1 à 40 susvisées qui n'ont pas été contestées en tant que telles ; qu'au demeurant, même si sa production relative aux dites grosses avait été annulée, il n'y aurait pas eu pour autant contrariété de décisions mais simple cumul des sanctions résultant de deux irrégularités différentes, d'une part, la nullité de la contre-lettre sanctionnant sa fraude fiscale, d'autre part, l'inopposabilité entre ses mains des grosses n° 1 à 40 résultant du défaut de cause de l'acte dont elles proviennent ;

Attendu que le dernier argument des appelants étant ainsi écarté, il échet de confirmer la décision entreprise et, par voie de conséquence, de débouter les appelants de leur demande reconventionnelle,

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

et ceux non contraires des premiers juges,

Statuant dans les limites de l'appel,

En la forme, reçoit le sieur G. et les hoirs A. en leur appel.

Au fond, confirme la décision entreprise en ce qu'elle a, après avoir déclaré recevable le contredit formé par le » Syndicat de défense des créanciers hypothécaires de la S.C.I. Monte-Carlo Résidence Palace ", ordonné la modification de l'état du passif de ladite société en faillite par déduction du montant des créances admises de G. et A., respectivement de la somme de 1 500 000 F. ;

Déboute les appelants de leur demande reconventionnelle,

Leur décerne le donné acte par eux sollicité et visé aux motifs,

Note🔗

Sur pourvoi cf. C.R. 17 avril 1975 (A) et C.R. 17 avril 1975 (B).

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