Tribunal correctionnel, 29 mars 2011, Ministère public c/ b. RA

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Abstract🔗

Garde à vue - Droit au silence - Droit à l'assistance d'un avocat - Convention européenne - Compétence territoriale article 21 alinéa 2 du Code de procédure pénale - Corruption

Résumé🔗

Le droit au procès équitable reconnu par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme recouvre le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination. Le gardé à vue doit, pour que ce droit soit effectif, être informé de son droit de n'effectuer aucune déclaration a fortiori lorsqu'il n'est pas assisté d'un avocat. Entendu avant d'avoir pu rencontrer un avocat, le mis en cause non avisé de son droit au silence a effectué des déclarations confortant l'accusation. La nullité de cet interrogatoire s'impose donc. Les auditions suivantes n'ayant pas aggravé sa situation pénale, leur nullité n'a pas lieu d'être prononcée.

(À rapprocher des jugements de ce Tribunal des 11 janvier 2011 et 1er février 2011)

Le prévenu ayant obtenu ses renseignements en raison de ses fonctions de policier à Monaco soit au sein de la Sûreté Publique soit par des collègues étrangers avec lequel il échangeait des renseignements policiers, le Tribunal est compétent pour connaître du délit de corruption passive par application de l'article 21, alinéa 2 du Code de procédure pénale dès lors que l'un des éléments constitutifs de l'infraction a été accompli à Monaco.


Motifs🔗

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TRIBUNAL CORRECTIONNEL

2007/000444INF. J. I. B10/07

JUGEMENT DU 29 MARS 2011 ___________________

En la cause du MINISTERE PUBLIC ;

Contre le nommé :

- b. RA., né le 17 février 1957 à MONT-DE-MARSAN (40), d'Angelo et de feue Filomena CO., de nationalité française, retraité de police, demeurant « Y », X à MENTON (06500), placé sous contrôle judiciaire par l'Ordonnance du 7 mars 2008 ;

Prévenu de :

- CORRUPTION- RECEL DE FAUX DOCUMENT ADMINISTRATIF- VIOLATION DU SECRET PROFESSIONNEL

- présent aux débats, assisté de Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur près la Cour dappel et plaidant par ledit avocat-défenseur ;LE TRIBUNAL, jugeant correctionnellement après débats à laudience du 1er mars 2011 ;

Vu l'ordonnance de renvoi devant le Tribunal correctionnel de Monsieur le magistrat instructeur en date du 14 octobre 2010 ;

Vu la citation signifiée, suivant exploit, enregistré, de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 5 novembre 2010 ;

Ouï Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur pour le prévenu, qui soulève in limine litis des exceptions de nullité ;

Ouï le Ministère Public en réponse ;

Ouï Monsieur le Président qui, après avoir pris lavis de ses assesseurs, décide de joindre lincident au fond ;

Ouï le prévenu en ses réponses ;

Ouï le Ministère Public en ses réquisitions ;

Ouï Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur pour le prévenu, en ses moyens de défense, plaidoiries et conclusions en date du 25 février 2011, par lesquels il sollicite la nullité de lensemble des procès-verbaux de garde à vue et en conséquence la nullité de lensemble des actes de linformation intervenus postérieurement à sa garde à vue et la relaxe de son client ;

Ouï le prévenu, en dernier, en ses moyens de défense ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Aux termes d'une ordonnance de Monsieur le magistrat instructeur en date du 14 octobre 2010, Monsieur b. RA. a été renvoyé par devant le Tribunal correctionnel, sous la prévention :

« 1 - D'avoir à Cap-D'ail, le 2 août 2006, avant prescription de » l'action publique,

« - étant agent d'une administration publique, en l'espèce Agent de Police, reçu des dons ou présents pour faire des actes de sa fonction ou de son emploi,

» DÉLIT prévu et réprimé par l'article 113 du Code pénal ;

« 2 - D'avoir à Monaco, courant 2004, 2005 et jusqu'au 22 janvier 2006 et en tout cas avant prescription de l'action publique,

» - sciemment recelé une carte de police fabriquée ou falsifiée, document délivré par une Administration publique en vue de constater une identité ou une qualité,

« DÉLIT prévu et réprimé par les articles 97, 26, 339 et 325 du Code pénal ;

» 3 - D'avoir à Monaco courant 2004, 2005, 2006 et en tout cas avant prescription de l'action publique,

« - étant dépositaire par sa profession d'agent de Police de secrets, révélé ceux-ci hors des cas où la loi l'autorise,

» DÉLIT prévu et réprimé par les articles 26 et 308 du Code pénal «.

À l'occasion d'une information judiciaire ouverte en France pour escroquerie en bande organisée, abus de confiance et recel d'abus de confiance, le juge d'instruction du Tribunal de Grande Instance de Paris saisi de cette procédure adressait aux autorités monégasques une commission rogatoire internationale indiquant que des écoutes téléphoniques avaient mis en évidence une relation de corruption ancienne et régulière entre deux mis en cause du dossier, les dénommés RU. et RA., ce dernier ayant la qualité de fonctionnaire de police à Monaco. L'acte mentionnait que Monsieur RU. avait, notamment, sollicité Monsieur b. RA. pour obtenir l'annulation d'une mesure de refoulement ainsi que des renseignements concernant un de ses amis, Monsieur BR., ce qu'il avait obtenu moyennant le versement d'une somme de 1.000 euros reçue d'une prénommée p..

L'enquête et l'information judiciaire ouverte en Principauté pour ces faits établissaient qu'un dénommé d. BI., visé par un mandat d'arrêt Schengen, deux mandats d'arrêt italiens et un mandat d'arrêt international décernés pour escroquerie, association de malfaiteurs, fausses factures ainsi qu'en vue de l'exécution de deux peines emprisonnement, l'une de deux ans et trois mois, l'autre de cinq ans et six mois, s'était soustrait à un contrôle le 1er août 2006 à 15 heures 15 alors qu'il circulait au niveau de l'échangeur Saint Roman au volant d'un véhicule Audi ; que le dénommé BR. s'était ensuite rapproché de Monsieur g. RU. pour qu'il se » renseigne « auprès de la police de Monaco sur les raisons de cette tentative d'interpellation ; que c'était dans ces conditions qu'un rendez-vous avait été organisé quelques jours plus tard à Cap-D'ail entre Monsieur g. RU., Monsieur b. RA. et Madame p. VA., compagne de Monsieur d. BI. dont elle avait respecté les instructions en apportant avec elle l'enveloppe remplie d'argent, qu'il avait préparée à l'intention du prévenu ; que celui-ci s'en était emparée après avoir révélé que Monsieur d. BI. faisait l'objet d'une mesure de refoulement en Principauté et, selon les déclarations concordantes de Monsieur g. RU. et Madame p. VA., d'un mandat d'arrêt dont il avait montré les références inscrites sur un papier.

Par ailleurs, une perquisition du placard mis à la disposition du prévenu dans les vestiaires de la Sûreté Publique permettait aux enquêteurs de saisir :

  • deux feuilles comportant chacune une identité manuscrite suivie, pour l'une d'elles, des mentions » FPR Escroqueries diverses Retrait de permis de conduire à durée indéterminée «,

  • un courrier par lequel un dénommé MO. sollicitait de Monsieur b. RA. des renseignements sur la petite amie de son fils,

  • une fiche imprimante tirée du fichier des personnes nées à l'étranger,

  • un tirage informatique d'une fiche issue de la base de données des véhicules immatriculés en Principauté concernant la voiture d'un certain Monsieur TA..

Enfin, au domicile de Monsieur b. RA., une carte de police apocryphe supportant sa photographie et l'inscription imaginaire » Principauté de Monaco, Direction de la Sûreté Publique, Commissaire Spécial « était découverte dans un porte-carte placé au milieu de documents rangés sur l'étagère centrale d'un meuble de rangement de la cuisine.

Sur la procédure

Le conseil du prévenu soutient que l'entière procédure est entachée de nullité dès lors, qu'au cours de sa garde à vue, Monsieur b. RA. a été entendu une première fois par les enquêteurs avant la venue de son avocat et sans que lui soit préalablement notifiée la possibilité qui s'offrait à lui de ne pas répondre aux questions des enquêteurs puis, ultérieurement, sans l'assistance effective de ce même avocat auquel l'accès au dossier n'avait de surcroît pas été accordé, ce qui constituait des violations caractérisées de l'article 6 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme relatif au droit au procès équitable.

Le droit au procès équitable reconnu par l'article 6 de ladite Convention recouvre en effet de manière inextricable, selon une jurisprudence ancienne et constante de la Cour Européenne des Droits de l'Homme, le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et le droit de garder le silence, afin de protéger l'accusé contre une coercition abusive de la part des Autorités.

Pour que ces droits aient un caractère effectif, il est essentiel que la personne interrogée soit informée de son droit de se taire avant toute audition, a fortiori lorsqu'elle n'est pas assistée d'un avocat.

Tel n'a pas été le cas en l'espèce puisque Monsieur b. RA. a été initialement entendu par les enquêteurs dès son placement en garde à vue, avant même que l'avocat dont il venait de solliciter l'assistance ait été informé de la mesure et sans être avisé de la faculté qui lui était offerte de ne pas répondre aux questions posées. Des lors que l'intéressé a été amené, dans ces conditions, à effectuer des déclarations tendant à conforter les accusations dont il faisait l'objet, ces irrégularités entachent de nullité le procès-verbal d'audition correspondant. En revanche, elles n'affectent pas la mesure de garde à vue elle-même ni les autres actes de la procédure, qui en sont parfaitement dissociables et n'ont pas eu pour support nécessaire les déclarations litigieuses.

S'agissant ainsi des deux auditions ultérieures de Monsieur b. RA. en cours de garde à vue, le Tribunal observe qu'elles n'ont en rien aggravé la situation pénale de leur auteur qui s'est borné à refuser de répondre aux questions posées ou à contester les faits qui lui étaient imputés, de sorte qu'il n'y a pas lieu de les annuler.

Sur le fond,

Sur le recel de faux document administratif

Monsieur b. RA. a reconnu à l'audience qu'il n'aurait jamais dû détenir la carte de police retrouvée dans sa cuisine et qui, d'après ses explications, lui avait été remise en » souvenir «. Les faits qu'était censée rappeler cette carte ont malgré tout échappé à sa mémoire, puisqu'il n'a pas été en mesure d'apporter la moindre précision à ce sujet. En tout état de cause l'intéressé, simple agent de police et non commissaire spécial comme indiqué sur le document, ne pouvait en ignorer la fausseté. Sa culpabilité de ce chef sera donc retenue.

Sur la violation du secret professionnel

Cette infraction est également reconnue par le prévenu qui a admis à l'audience avoir utilisé, à des fins personnelles, certains renseignements obtenus dans le cadre de sa profession et violé ainsi le secret professionnel auquel il était rigoureusement tenu.

Les documents retrouvés dans son placard illustrent d'ailleurs cette situation puisque Monsieur b. RA. a concédé, devant le Juge d'instruction, avoir vérifié si la » fille (que fréquentait le fils de Monsieur MO.) était connue ou pas « et recherché l'adresse de Monsieur TA. pour les besoins d'une affaire privée.

Entendu sur commission rogatoire, Monsieur g. RU. a, pour sa part, indiqué que Monsieur b. RA., qu'il connaissait depuis 1998-1999 pour l'avoir rencontré ivre dans une boite de nuit, lui avait rendu » de petits services, en toute amitié « : identification d'une femme rencontrée à partir de la plaque d'immatriculation de son véhicule, réservation de numéros de plaques minéralogiques pour des amis? .

Sur le délit de corruption

Lors de son audition sur commission rogatoire internationale, Monsieur g. RU. a également déclaré que Monsieur b. RA. avait sollicité une somme de 1.500 euros en échange des renseignements que souhaitait obtenir Monsieur d. BI. par l'intermédiaire de Monsieur BR., ajoutant » que cela tombait bien car il avait besoin d'argent «.

La réalité de cette demande résulte à l'évidence de la circonstance que le dénommé BI. a alors ordonné à sa compagne, Madame p. VA., de se rendre au rendez-vous de Cap-D'ail en se munissant d'une enveloppe d'argent qui se trouvait à leur domicile commun, comme celle-ci en a témoigné devant les enquêteurs.

Il ressort des déclarations concordantes de Monsieur g. RU. et de Madame p. VA., qui ne s'étaient jamais rencontrés avant de se rejoindre ce jour-là au bar Edmonds, que Monsieur b. RA. a révélé, à cette occasion, l'existence du mandat d'arrêt Schengen et de la mesure de refoulement dont Monsieur d. BI. faisait l'objet.

Ces renseignements n'ayant été obtenus par le prévenu qu'en raison de ses fonctions de policier exercées à Monaco, soit directement au sein de la Sûreté Publique en ce qui concerne le refoulement ainsi qu'il la reconnu devant le Juge d'instruction, soit grâce aux collègues italiens ou français avec lesquels il échangeait officieusement des informations policières, le Tribunal est compétent pour connaître de ce délit de corruption passive par application de l'article 21, alinéa 2 du Code de procédure pénale, puisque l'un de ses éléments constitutifs a été bien accompli en Principauté.

Sur la peine

Les infractions reprochées à Monsieur b. RA. constituent des manquements multiples et particulièrement graves à ses devoirs de fonctionnaire de police.

Il s'agit en effet, pour l'essentiel, de violations habituelles du secret professionnel auquel il était astreint, dans le seul but de satisfaire des intérêts purement privés voire d'obtenir une contrepartie financière dans le cas de Monsieur d. BI., un délinquant d'envergure qu'il n'a pas hésité à renseigner utilement sur les risques d'arrestation qui pesaient sur lui.

Le rapport administratif établi à l'occasion de sa comparution devant le Conseil de discipline, pour ces faits, décrit un agent de police » consciencieux, dynamique, volontaire, disponible, motivé « mais dont la compétence réelle reste en retrait puisqu'il a » besoin d'être encadré «, qu'» il oublie parfois les impératifs de sa fonction sur la voie publique «, qu'» il a besoin de parfaire ses connaissances «, qu'» il manque parfois de raisonnement « et qu'» il voudrait en faire plus qu'il ne peut «.

En 2003, Monsieur b. RA. a été sanctionné pour avoir » pris son travail en état d'ivresse manifeste « et cet événement paraît avoir mis fin à une période de forte alcoolisation qui lui avait fait connaître Monsieur g. RU. dans un établissement de nuit.

Pour autant, le comportement professionnel de l'intéressé ne s'est pas fondamentalement amélioré, bien au contraire, car les faits poursuivis sont postérieurs à cette époque. Son sens de la légalité et du respect de ses obligations demeurent très imparfaits, comme en attestent notamment les violations régulières du contrôle judiciaire auquel il était astreint au cours de l'information.

Tenu d'informer le Juge d'instruction de tout déplacement à Monaco autre que pour les stricts besoins de son pointage et de sa défense, il s'est rendu en Principauté à plus de 80 reprises entre le 6 mars 2009 et le 6 juillet 2009 sans aviser quiconque et certainement pas pour y chercher ses enfants comme il l'a prétendu à l'audience, vu les heures de passage souvent très tardives qui ont été relevées. Le 25 septembre 2009, il se trouvait ainsi au restaurant de nuit le » Tip Top ", à 6 heures 15, aux côtés de son neveu qui se trouvait impliqué dans une altercation avec le personnel de l'établissement. Quelques jours auparavant, le 5 septembre 2009 à 3 heures 35 il avait fait l'objet d'une procédure pour conduite en état d'ivresse à Roquebrune-Cap-Martin.

En l'État de ces éléments de fait et de personnalité particulièrement défavorables, une peine de six mois d'emprisonnement sera donc prononcée à son encontre.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

statuant contradictoirement,

Constate la nullité du premier procès-verbal d'audition de Monsieur b. RA. dressé au début de sa garde à vue ;

Déclare Monsieur b. RA. coupable des faits qui lui sont reprochés ;

En répression, faisant application des articles visés par la prévention,

Le condamne à la peine de SIX MOIS D'EMPRISONNEMENT ;

Le condamne, en outre, aux frais.

Composition🔗

Ainsi jugé après débats du premier mars deux mille onze en audience publique, tenus devant le Tribunal Correctionnel, composé de Monsieur Marcel TASTEVIN, Vice-Président, Madame Emmanuelle CASINI-BACHELET, Juge, Madame Sophie LEONARDI-FLEURICHAMP, Juge, le Ministère public dûment représenté, et prononcé à laudience publique du vingt-neuf mars deux mille onze, par Monsieur Marcel TASTEVIN, Vice-Président, en présence de Monsieur Jean-Jacques IGNACIO, Substitut du Procureur Général, assistés de Madame Joëlle JEZ-ANDRIEU, Greffier.-

Note🔗

NOTE : Confirmé sur ces points par arrêt de la Cour d'appel du 15 décembre 2011.

Pour un exemple d'application du principe de compétence en cas de recel : Voir la décision de la Cour de révision du 26 juillet 2010 (F/MP).

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