Cour de révision, 14 octobre 2015, M. m. CI. c/ M. s. GO.

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Abstract🔗

Procédure civile - Exception de nullité - Acte - Défaut d'accomplissement de formalités légales de signification - Droit d'accès au juge - Nullité de l'exploit (non)

Sociétés - Société fictive - Condamnation solidaire du dirigeant (oui)

Résumé🔗

Si l'acte de signification en date du 24 mars 2014 ne précise pas s'il a été délivré par un clerc assermenté, pas plus que n'est visée par l'huissier la mention portée par un clerc sur l'original concernant la personne ayant reçu l'exploit, les dispositions de l'article 84 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 ne sauraient porter atteinte au droit d'accès au juge consacré par l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. M. CI. ne peut être tenu pour responsable du défaut d'accomplissement des formalités prévues par l'article 84 précité. La législation nationale confie la signification des actes judiciaires et extrajudiciaires aux huissiers de justice et que le respect des modalités de telles significations relève principalement de leur responsabilité. L'exception de nullité de l'exploit d'appel du 24 mars 2014 doit être rejetée.

Au cours de la procédure pénale, M. CI. a reconnu avoir encaissé le chèque de M. GO. sur le compte de la société offshore M SA dont il était le bénéficiaire économique, que cette société dont le siège est aux Iles vierges britanniques n'a pas de comptabilité ni de bureaux et que l'argent de M. GO. aurait servi à payer, parfois en espèces, des fournisseurs d'une société algérienne contrôlée par M. CI., qui serait en liquidation. Au vu de ces éléments, c'est à juste titre que le tribunal, après avoir relevé les divers transferts financiers entre les sociétés dont M. CI. était associé ou dirigeant ainsi que les retraits d'espèce opérés, a retenu l'existence de relations financières anormales avec des mouvements de fonds inexpliqués et constaté que la société M constituait manifestement une société de façade dont M. CI. était le dirigeant et seul bénéficiaire de cette entité économique fictive. Il s'ensuit que la condamnation solidaire de M. CI. et de la société M au remboursement de la somme de 150.000 euros à M. GO. doit être confirmée.


Motifs🔗

Pourvoi N° 2014-70 en session

COUR DE RÉVISION

ARRÊT DU 14 OCTOBRE 2015

En la cause de :

  • - M. m. CI., né le 17 juillet 1952 à Santa Margharita Ligure (Italie), de nationalité italienne, demeurant et domicilié X Rapallo (Italie),

Ayant élu domicile en l'étude de Maître Yann LAJOUX, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

APPELANT,

d'une part,

Contre :

  • - M. s. GO., né le 27 mai 1975 à Albi (France), de nationalité française, jardinier, domicilié et demeurant X à 83120 Sainte Maxime (France),

Ayant élu domicile en l'étude de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

INTIMÉ,

d'autre part,

LA COUR DE RÉVISION,

VU :

  • - l'arrêt de la Cour de révision du 26 mars 2015, cassant et annulant l'arrêt de la Cour d'appel, du1er juillet 2015 et renvoyant l'affaire à la prochaine session de la Cour de révision autrement composée ;

  • - les conclusions additionnelles déposées le 20 mai 2015 au greffe général, par Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur, au nom de M. s. GO., signifiées le même jour ;

  • - les conclusions additionnelles déposées le 3 juin 2015 au greffe général, par Maître Yann LAJOUX, avocat-défenseur, au nom de M. m. CI., signifiées le même jour ;

  • - le certificat de clôture établi le 29 juin 2015, par le Greffier en Chef attestant que tous les délais de la loi sont expirés ;

  • - les conclusions, après cassation, du Ministère Public en date du 1er juillet 2015 ;

Ensemble le dossier de la procédure,

À l'audience du 5 octobre 2015 sur le rapport de Mme Cécile PETIT, Conseiller,

Après avoir entendu les conseils des parties ;

Ouï le Ministère Public ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Attendu que, M. s. GO., désireux d'effectuer un investissement en Principauté de Monaco, a établi le 1er mars 2008, un chèque de 150.000 euros à l'ordre de la société M et que le 4 mars 2008, M. m. CI., « Managing Director » de cette société, a rédigé un document aux termes duquel il reconnaissait avoir reçu ladite somme de M. GO., à rendre avant le 15 juin 2008 ; qu' un second reçu, établi le 1er février 2009 par M. CI., mentionnait la somme de 150.000 euros, à rendre avant le 15 mai 2009, avec intérêts plus 7500 euros ; que le 26 novembre 2010, M. GO. a fait délivrer à M. CI. commandement de payer les sommes de 150.000 euros avec intérêts au taux légal et 7500 euros à valoir sur les dommages et intérêts ; qu'ensuite d'une procédure pénale diligentée sur plainte de M GO., à l'encontre de M. CI., pour abus de confiance et escroqueries, clôturée par une décision de non-lieu, M. GO. a été autorisé, par ordonnance du 26 octobre 2012, à faire pratiquer une saisie-arrêt auprès de l'établissement bancaire Crédit du Nord à concurrence de la somme de 160.000 euros, sur toutes sommes ou valeurs dues à M. CI. et/ou la société M ; que M. GO. a saisi le tribunal de première instance aux fins de validation de la saisie-arrêt, sollicitant la condamnation solidaire de M. CI. et de la société M au paiement, d'une part, de la somme de 150.000 euros avec intérêts au taux légal à compter du commandement de payer et la capitalisation des intérêts en application de l'article 1009 du code civil, d'autre part, de la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et réparation de ses préjudices matériel et moral ;

Attendu que par jugement du 19 décembre 2013, le tribunal de première instance a condamné solidairement M. CI. et la société M à verser à M. GO. la somme de 150.000 euros outre les intérêts au taux légal à compter du 26 novembre 2010, ainsi que la somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts, ordonnant la capitalisation des intérêts échus sur ces sommes ; qu'il a déclaré régulière et valide la saisie-arrêt pratiquée et ordonné l'exécution provisoire à l'égard de la société M à hauteur de 117.500 euros déboutant la société M de sa demande de délai de paiement et M. GO. du surplus de ses demandes ;

Attendu que sur appel de M. CI., la cour d'appel, par arrêt du 1er juillet 2014, a prononcé la nullité de l'exploit d'appel et assignation du 24 mars 2014 avec toutes conséquences de droit ; que la Cour de révision, par arrêt du 26 mars 2015, a cassé et annulé cette décision, renvoyant l'affaire à la première session utile de la Cour de révision autrement composée ;

Attendu que par conclusions additionnelles du 3 juin 2015, M. CI. demande à la cour de rejeter l'exception de nullité soulevée par M. GO. relative à l'exploit d'assignation et appel, lequel contiendrait toutes les dispositions requises par les articles 136 du Code de procédure civile et 84 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 ; qu'au fond, il sollicite la réformation du jugement entrepris, au motif que les premiers juges ont, à tort, estimé qu'il entretenait une confusion des patrimoines ce qui tendait à donner du crédit à l'affirmation de M. GO. quant à la fictivité de la société M, que le tribunal n'aurait pas démontré qu'il était impossible de dissocier l'activité et le patrimoine de la société de celui de son dirigeant ou que cette activité s'exercerait au travers d'une société fictive ou de pure façade, ajoutant qu'il n'aurait jamais personnellement bénéficié des prêts consentis par M. GO. à la société M ; qu'il conclut en conséquence à sa mise hors de cause et à la condamnation de M. GO. à lui verser la somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts pour usage abusif d'un moyen de procédure ;

Attendu que, par conclusions additionnelles du 20 mai 2015, M. GO. demande, à titre principal, de constater la nullité de l'exploit d'appel et assignation qui ne satisferait pas aux prescriptions de l'article 84 de la loi n° 1.398 dès lors qu'il n'apparaîtrait pas que c'est un clerc assermenté qui a officié et que l'huissier n'a pas visé la mention démontrant que seul le clerc assermenté a officié au lieu et place de l'huissier, que de surcroît, les dispositions des articles 136 et 427 du Code de procédure civile n'auraient pas été respectées ; qu'à titre subsidiaire, il sollicite la confirmation en toutes ses dispositions du jugement déféré, la condamnation solidaire de M. CI. et de la société M au paiement d'une somme de 30.000 euros complémentaire à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive à paiement ainsi que pour les préjudices matériel et moral qui lui ont été causés ;

Attendu que par conclusions du 1er juillet 2015, le Procureur général a dit s'en rapporter quant au fond ;

SUR CE :

  • Sur la nullité de l'exploit d'appel et assignation :

Attendu que selon l'article 84 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013, l'huissier peut, à la condition d'avoir obtenu l'autorisation du Procureur Général, se faire suppléer, sous sa propre responsabilité, par un clerc assermenté, pour la signification des actes judiciaires et extrajudiciaires. L'huissier vise au préalable l'original et les copies des actes à signifier, il vise également les mentions portées par le clerc assermenté sur l'original, le tout à peine de nullité ;

Attendu que si l'acte de signification en date du 24 mars 2014 ne précise pas s'il a été délivré par un clerc assermenté, pas plus que n'est visée par l'huissier la mention portée par un clerc sur l'original concernant la personne ayant reçu l'exploit, les dispositions de l'article 84 précitées ne sauraient porter atteinte au droit d'accès au juge consacré par l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que M. CI. ne peut être tenu pour responsable du défaut d'accomplissement des formalités prévues par l'article 84 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 ; que la législation nationale confie la signification des actes judiciaires et extrajudiciaires aux huissiers de justice et que le respect des modalités de telles significations relève principalement de leur responsabilité ; que l'exception de nullité de l'exploit d'appel du 24 mars 2014 doit être rejetée ;

AU FOND :

Attendu que les premiers juges ont exactement retenu qu'il ressortait de l'analyse des différentes pièces produites, notamment des reçus signés par M. CI. les 4 mars 2008 et 1er février 2009 ainsi que de ses déclarations dans le cadre de la procédure pénale que ce dernier avait bien reçu, par l'intermédiaire de M. CH., le chèque de 150.000 euros libellé au nom de la société M remis par M. GO. à titre de prêt destiné à permettre à ce dernier de percevoir des intérêts élevés ;

Attendu que pour solliciter sa mise hors de cause, M CI. affirme qu'il n'a jamais personnellement bénéficié des prêts consentis par M. GO. lesquels étaient uniquement destinés à la Société M ;

Mais attendu qu'au cours de la procédure pénale, M. CI. a reconnu avoir encaissé le chèque de M. GO. sur le compte de la société offshore M SA dont il était le bénéficiaire économique, que cette société dont le siège est aux Iles vierges britanniques n'a pas de comptabilité ni de bureaux et que l'argent de M. GO. aurait servi à payer, parfois en espèces, des fournisseurs d'une société algérienne contrôlée par M. CI., qui serait en liquidation: qu'au vu de ces éléments, c'est à juste titre que le tribunal, après avoir relevé les divers transferts financiers entre les sociétés dont M. CI. était associé ou dirigeant ainsi que les retraits d'espèce opérés, a retenu l'existence de relations financières anormales avec des mouvements de fonds inexpliqués et constaté que la société M constituait manifestement une société de façade dont M. CI. était le dirigeant et seul bénéficiaire de cette entité économique fictive ; qu'il s'ensuit que la condamnation solidaire de M. CI. et de la société M au remboursement de la somme de 150.000 euros à M. GO. doit être confirmée ;

  • Sur les demandes de dommages et intérêts :

Attendu que M. CI., qui succombe en ses prétentions sur le fond, doit être débouté de sa demande de dommages et intérêts pour usage abusif d'un moyen de procédure ;

Attendu que M. GO. sollicite la condamnation de M. CI. à lui payer une somme complémentaire de 30.000 euros eu égard aux recours successifs abusifs ainsi qu'en réparation de son préjudice matériel et moral ;

Attendu qu'eu égard aux circonstances de l'espèce énoncées ci-dessus, il convient de condamner M. CI. au paiement d'une somme complémentaire de 10.000 euros en réparation du préjudice moral subi par M. GO. ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Rejette l'exception de nullité de l'exploit d'assignation et appel en date du 24 mars 2014 ;

Confirme le jugement déféré ;

y ajoutant,

Déboute M. CI. de sa demande de dommages et intérêts;

Condamne in solidum M. CI. et la société M à verser à M. GO. la somme de 10.000 euros en réparation de son préjudice moral,

Condamne in solidum M. CI. et la société M aux dépens dont distraction au profit de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.

Composition🔗

Ainsi jugé et prononcé le quatorze octobre deux mille quinze, par la Cour de révision de la Principauté de Monaco, composée de Monsieur Roger BEAUVOIS, premier-président, chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Cécile PETIT, rapporteur, conseiller, Messieurs François-Xavier LUCAS et Guy JOLY, conseillers, en présence du Ministère Public, assistés de Madame Béatrice BARDY, Greffier en Chef, chevalier de l'Ordre de Saint-Charles.

Le Greffier en Chef, le Premier Président.

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