Cour d'appel, 15 janvier 2019, Monsieur s. NA. c/ la société JULIUS BAER WEALTH MANAGEMENT (MONACO) SAM

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Abstract🔗

Procédure civile - Autorité de chose jugée (oui) - Identité de parties - Identité de faits - Identité d'objet - Identité de cause

Procédure civile - Appel abusif (non) - Éléments constitutifs - Intention de nuire, malveillance ou erreur équipollente au dol

Résumé🔗

Il résulte de l'article 1198 du Code civil qu'il y a autorité de chose jugée lorsque la même question litigieuse oppose les mêmes parties et procède de la même cause que la précédente sans que ne soient invoqués des faits nouveaux ayant modifié la situation juridique des parties.

S'agissant de l'identité d'objet, seul ce qui est tranché par le dispositif de la décision peut avoir l'autorité de la chose jugée mais rien n'interdit d'éclairer la portée de ce dispositif par les motifs de la décision. Si l'autorité de chose jugée s'attache seulement au dispositif de la décision et non aux motifs, celle-ci s'étend à ce qui est implicitement contenu dans le dispositif.

S'agissant de l'identité de cause, celle-ci est justement retenue lorsque le droit ou le bénéfice légal invoqué par l'une des parties, par voie d'action ou d'exception, a le même fondement que celui sur lesquels s'est prononcée la précédente décision puisque les demandes sont fondées sur les mêmes faits et la même argumentation juridique.

L'autorité de la chose jugée se distingue à la fois de la force exécutoire et de la force de chose jugée. Même sans exequatur, un jugement étranger est un acte juridictionnel qui peut, par lui-même, produire un certain nombre d'effets, notamment l'autorité de la chose juge et ce, indépendamment de la force exécutoire qui, elle, ne concerne que la possibilité d'une exécution forcée.

L'autorité de la chose jugée ne s'attache qu'à ce qui a été décidé sans condition ni réserve.

L'appelant étant à l'origine de la saisine lui-même du tribunal arbitral et, dans le cadre des débats devant les arbitres, son attention n'ayant pas manqué d'être appelée sur la règle de compétence d'attribution dont il entend se prévaloir rétrospectivement, il a marqué sa volonté de poursuivre la procédure arbitrale qu'il avait entreprise, renonçant par la même volontairement à la compétence d'attribution du Tribunal du Travail monégasque. L'autorité de la chose jugée s'attache à un jugement dès son prononcé, quand bien même celui-ci serait intervenu en violation d'un principe d'ordre public à l'initiative de celui qui s'en prévaut.

L'action en justice constitue l'exercice d'un droit ; l'appréciation erronée qu'une partie fait de ses droits n'est pas, en soit, constitutive d'un abus en dehors d'une intention de nuire, d'une malveillance ou d'un erreur équipollente au dol.


Motifs🔗

COUR D'APPEL

R.

ARRÊT DU 15 JANVIER 2019

En la cause de :

- Monsieur s. NA., né le 29 août 1951 à Beyrouth (Liban), de nationalité française et libanaise, demeurant X1à 98000 Monaco ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Géraldine GAZO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Donald MANASSE, avocat au barreau de Nice ;

APPELANT,

d'une part,

contre :

- La société JULIUS BAER WEALTH MANAGEMENT (MONACO) SAM, société anonyme monégasque, dont le siège est situé 1, avenue des Citronniers à 98000 Monaco, venant aux droits de la société MERRILL LYNCH SAM, prise en la personne de son Président délégué, y domicilié en cette qualité ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

INTIMÉE,

d'autre part,

LA COUR,

Vu le jugement rendu par le Tribunal du travail, le 11 mai 2017 ;

Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 21 juin 2017 (enrôlé sous le numéro 2017/000168) ;

Vu l'arrêt avant dire droit en date du 16 janvier 2018 ;

Vu les conclusions déposées les 10 avril 2018 et 22 juin 2018 par Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur, au nom de la société JULIUS BAER WEALTH MANAGEMENT (MONACO) SAM ;

Vu les conclusions déposées le 15 mai 2018 par Maître Géraldine GAZO, avocat-défenseur, au nom de Monsieur s. NA. ;

À l'audience du 6 novembre 2018, ouï les conseils des parties en leurs plaidoiries ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

La Cour statue sur l'appel relevé par Monsieur s. NA. à l'encontre d'un jugement du Tribunal du travail du 11 mai 2017.

Considérant les faits suivants :

s. NA. a été embauché par la SAM MERRILL LYNCH (devenue la SAM JULIUS BAER WEALTH MANAGEMENT) à compter du 4 février 1991.

Le 27 octobre 2009, s. NA. a été convoqué à un entretien préalable en vue d'une sanction pouvant aller jusqu'au licenciement, fixé au 29 octobre suivant.

Par courrier du 5 novembre 2009, il a été licencié aux motifs du non-respect de plusieurs règles notamment en matière de connaissance du client et de vérification de la source des fonds et a été dispensé d'exécuter son préavis de trois mois.

Le 11 février 2011, s. NA. a saisi la FINRA (FINANCIAL INDUSTRY REGULATORY AUTHORITY) afin de soumettre le litige l'opposant à son employeur à son arbitrage et par décision du 15 août 2013, ce dernier a été débouté par la FINRA de toutes ses demandes.

Le 19 mars 2014, la Cour Suprême de l'État de New-York a confirmé la sentence arbitrale de la FINRA.

Par requête en date du 19 mars 2014, reçue le 20 mars 2014, s. NA. a saisi le Tribunal du travail en conciliation des demandes suivantes :

  • 124.620,46 euros nets correspondant au solde dû au titre de l'indemnité de congédiement,

  • 107.636,28 euros nets au titre de l'indemnité de licenciement,

  • 43.295,16 euros bruts correspondant au solde dû au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

  • 4.329,51 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,

  • 100.602,53 dollars, soit la contrevaleur en euros de 73.130,47 euros, au titre du « Growth Award Plan »,

  • 58.868 euros correspondant à la contrevaleur en euros des 4.836 actions de BANK OF AMERICA,

  • 150.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la rupture abusive. Aucune conciliation n'ayant pu intervenir, l'affaire a fait l'objet d'un renvoi devant le Bureau de Jugement. Par jugement en date du 11 mai 2017, le Tribunal du travail a statué comme suit :

  • déclare s. NA. irrecevable en ses demandes,

  • déboute la SAM JULIUS BAER WEALTH MANAGEMENT de sa demande de dommages et intérêts,

  • condamne s. NA. aux dépens.

Au soutien de cette décision, les premiers juges ont en substance relevé que les demandes présentées par ce salarié devant la FINRA étaient fondées sur la rupture du contrat de travail le liant à la société MERRILL LYNCH et s'avéraient donc identiques à celles présentées devant eux ; que dès lors qu'elles portaient sur la même chose et le même droit, l'identité d'objet et de cause pouvait être retenue, l'ensemble des prétentions se trouvant fondé sur des faits semblables et une même argumentation juridique. Il en était déduit l'irrecevabilité des demandes présentées par s. NA. devant le Tribunal du travail.

Par exploit en date du 21 juin 2017, s. NA. a interjeté appel de ce jugement, à l'effet de voir infirmer cette décision en ce qu'elle l'a déclaré irrecevable en ses demandes et l'a condamné aux dépens et confirmer en ce qu'elle a débouté la société MERRILL LYNCH, aux droits de laquelle se trouve la société JULIUS BAER WEALTH MANAGEMENT, de sa demande de dommages-intérêts.

Il demandait à la Cour de :

  • dire et juger qu'il est recevable et fondé en ses demandes, fins et conclusions,

Et, y faisant droit, de :

  • dire et juger qu'à la date de prise d'effet du licenciement soit le 5 février 2010 l'ancienneté était de 34 ans et 9 mois,

  • dire et juger que les sommes versées par la société MERRILL LYNCH, aux droits de laquelle se trouve la société JULIUS BAER WEALTH MANAGEMENT à l'issue de son licenciement, devront être régularisées en tenant compte de la totalité de son ancienneté, soit une base de 34 ans et 9 mois outre les modalités de calcul exposées,

  • dire et juger que le motif de licenciement invoqué par cette société n'est pas valable,

  • par conséquent condamner la société JULIUS BAER WEALTH MANAGEMENT venant aux droits de la société MERRILL LYNCH à lui payer les sommes suivantes :

  • 124.620,46 euros nets correspondant au solde dû au titre de l'indemnité de congédiement,

  • 107.636,28 euros nets au titre de l'indemnité de licenciement, les motifs de licenciement invoqués n'étant pas valables,

  • 43.295,16 euros bruts correspondant au solde dû au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, 4.329,51 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,

  • 100.602,53 dollars soit la contre-valeur en euros de 73.130,47 euros, au titre du Growth Award Plan,

  • 58.868 euros, ou, tout au moins la somme de 55.557,52 euros correspondant à la contre-valeur des 4.836 actions de Bank of America qu'il détient dans le cadre du FA Accumulation Award,

  • 150.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la rupture abusive de son contrat de travail,

  • condamner la société JULIUS BAER WEALTH MANAGEMENT venant aux droits de la société MERRILL LYNCH à lui remettre les documents rectifiés suivants : le bulletin de salaire rectifié du mois de février 2010, le solde de tout compte rectifié et l'attestation destinée au pôle emploi rectifiée,

  • dire et juger que les condamnations prononcées à l'encontre de la société JULIUS BAER WEALTH MANAGEMENT seront majorées des intérêts au taux légal à compter de la demande en justice,

  • débouter la société JULIUS BAER WEALTH MANAGEMENT, venant aux droits de la société MERRILL LYNCH, de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions et la condamner aux entiers dépens.

Statuant sur une exception de nullité de l'acte d'appel soulevée par la SAM JULIUS BAER WEALTH MANAGEMENT, la Cour d'appel par arrêt du 16 janvier 2018 l'en a déboutée et a renvoyé les parties à conclure au fond.

Par conclusions en date du 10 avril 2018 et du 22 juin 2018, la SAM JULIUS BAER WEALTH MANAGEMENT, appelante incidente, sollicite de la Cour de :

« - confirmer le jugement du Tribunal du travail en date du 11 mai 2017 en ce qu'il a déclaré Monsieur s. NA. irrecevable en ses demandes,

Subsidiairement, pour le cas où Monsieur s. NA. serait accueilli en son appel,

  • dire et juger que les attestations versées aux débats par Monsieur s. NA. sous les numéros 28, 29 et 30 sont nulles et devront en conséquence être écartées des débats,

  • donner acte à la SAM JULIUS BAER (Monaco) de ce qu'elle retire sa demande tendant à voir écarter des débats la pièce adverse n° 21, celle-ci faisant l'objet d'une traduction en langue française sous le numéro 21 bis,

  • dire que le licenciement de Monsieur s. NA. repose sur un motif valable,

  • dire que le licenciement de Monsieur s. NA. ne revêt aucun caractère abusif,

  • débouter Monsieur s. NA. de l'ensemble de ses demandes comme étant radicalement infondées,

Dans tous les cas,

  • recevoir la SAM JULIUS BAER (Monaco) en son appel incident,

  • l'y déclarer bien fondée,

En conséquence,

  • condamner Monsieur s. NA. à payer à la SAM JULIUS BAER (Monaco) venant aux droits de la SAM MERRILL LYNCH la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et vexatoire,

  • condamner Monsieur s. NA. aux entiers dépens de première instance distraits au profit de Maître Jean-Pierre LICARI aux droits duquel vient Maître Sarah FILIPPI, ès-qualités d'administrateur ad hoc, et d'appel distraits en ce compris tous frais et accessoires, tels que frais d'huissier, au profit de Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur sous sa due affirmation » ;

aux motifs essentiellement que :

  • les demandes formées par s. NA. devant le Tribunal du travail procèdent des mêmes fondements que celles soumises au Juge américain et dont ce dernier a été définitivement débouté par une Cour américaine étatique en l'espèce, la Cour Suprême de l'État de New-York,

  • elles se heurtent à l'autorité de la chose jugée qui ne doit pas être confondue avec la force exécutoire d'une décision dans le pays où elle est invoquée,

  • les fonctions de ces deux attributs sont différentes et il n'y a pas lieu de rejuger ce qui a déjà été jugé à l'étranger,

  • l'autorité de la chose jugée s'acquiert dès le prononcé du jugement et a valeur de présomption légale,

  • elle a attiré l'attention de la FINRA et de s. NA. sur le risque qu'il prenait à écarter le Juge monégasque,

  • le fait qu'en sa qualité d'employeur, elle ait informé la FINRA en tant qu'autorité régulatrice qui délivre les agréments, du licenciement de s. NA. n'a rien à voir avec l'action indemnitaire que ce dernier a engagé auprès d'elle,

  • en poursuivant sa procédure devant la FINRA, l'appelant a délibérément abandonné l'idée de pouvoir se tourner vers le Juge monégasque, s'il venait à être débouté par la FINRA et a choisi d'évincer l'ordre public social monégasque prescrivant la compétence exclusive du Tribunal du travail,

  • la réserve formulée par le Juge américain ne peut avoir de sens qu'au regard des questions qui n'auraient pas été tranchées par le juge,

  • le fait d'acter une réserve est sans effet sur l'autorité de la chose jugée,

  • la triple identité de parties, de faits et de fondement juridique prévue par l'article 1198 du Code civil est parfaitement établie,

  • les demandes étant identiques même si certaines ne présentent pas la même terminologie, elles sont donc irrecevables.

Elle développe également dans ses écritures auxquelles il est fait expressément référence des moyens sur le fond du litige relatifs au rejet des demandes de l'appelant d'indemnité de congédiement et d'indemnité de licenciement fondée sur l'abus de rupture.

Par conclusions récapitulatives en date du 15 mai 2018, s. NA. demande à la Cour de :

« - accueillir Monsieur NA. en son appel et l'y déclarant bien-fondé,

  • infirmer le jugement rendu par le Tribunal du travail le 11 mai 2017 en ce qu'il a déclaré Monsieur NA. irrecevable en ses demandes et l'a condamné aux dépens,

  • le confirmer en ce qu'il a débouté la société MERRILL LYNCH SAM, aux droits de laquelle se trouve la société JULIUS BAER WEALTH MANAGEMENT (MONACO) SAM, de sa demande de dommages et intérêts,

Et statuant à nouveau :

  • dire et juger que Monsieur s. NA. est recevable et bien fondé en ses demandes, fins et conclusions, Y faisant droit :

  • dire et juger qu'à la date de prise d'effet du licenciement de Monsieur s. NA. soit le 5 février 2010, l'ancienneté de celui-ci était de 34 ans et 9 mois,

  • dire et juger que les sommes versées par la société MERRILL LYNCH SAM, aux droits de laquelle se trouve la société JULIUS BAER WEALTH MANAGEMENT (MONACO) SAM, à l'issue du licenciement de Monsieur s. NA. devront être régularisées en tenant compte de la totalité de son ancienneté, soit sur la base de 34 ans et 9 mois et les modalités de calcul telles qu'exposées ci-dessus,

  • dire et juger que le motif de licenciement invoqué par la société MERRILL LYNCH SAM, aux droits de laquelle se trouve la société JULIUS BAER WEALTH MANAGEMENT (MONACO) SAM, n'est pas valable,

Par conséquent :

  • condamner la société JULIUS BAER WEALTH MANAGEMENT (MONACO) SAM, venant aux droits de la société MERRILL LYNCH SAM, à verser à Monsieur s. NA. les sommes de :

  • 124.620,46 euros nets correspondant au solde dû au titre de l'indemnité de congédiement (l'indemnité de congédiement qui a été versée à Monsieur NA. est d'un montant de 124.269,31 euros, calculée sur une durée d'ancienneté inférieure à la durée réelle qui est de 34 ans et 9 mois (du 19 mai 1975 au 5 février 2010) et non de 19 ans et suivant des modalités de calcul erronées),

  • 107.636,28 euros nets au titre de l'indemnité de licenciement, les motifs de licenciement invoqués n'étant pas valables,

  • 43.295,16 euros bruts correspondant au solde dû au titre de l'indemnité compensatrice de préavis (durant la période de préavis de trois mois que Monsieur NA. a été dispensé d'exécuter, il n'a été rémunéré qu'à concurrence de son salaire mensuel brut de base, sans que les commissions liées à l'exécution de son contrat de travail n'aient été prises en compte),

  • 4.329,51 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,

  • 100.602,53 dollars, soit la contrevaleur en euros de 73.130,47 euros, au titre du » Growth Award Plan «,

  • 58.868 euros ou tout au moins la somme de 55.557,52 euros correspondant à la contrevaleur des 4.836 actions de Bank of America que Monsieur s. NA. détient dans le cadre du » FA Accumulation Award «,

  • 150.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par Monsieur s. NA. du fait de la rupture abusive de son contrat de travail,

  • condamner la société JULIUS BAER WEALTH MANAGEMENT (MONACO) SAM, venant aux droits de la société MERRILL LYNCH SAM, à remettre à Monsieur s. NA. les documents rectifiés suivants :

  • bulletin de salaire rectifié du mois de février 2010, solde de tout compte rectifié,

  • attestation destinée au Pôle Emploi rectifiée.

  • dire et juger que les condamnations qui seront prononcées à l'encontre de la société JULIUS BAER WEALTH MANAGEMENT (MONACO) SAM, venant aux droits de la société MERRILL LYNCH SAM, seront majorées des intérêts au taux légal à compter de la demande en justice,

  • débouter la société JULIUS BAER WEALTH MANAGEMENT (MONACO) SAM, venant aux droits de la société MERRILL LYNCH SAM, de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, en ce compris sa demande tendant à voir à ce que les pièces 21 et 28 à 30 communiquées par Monsieur NA. soient écartées des débats,

  • débouter la société JULIUS BAER WEALTH MANAGEMENT (MONACO) SAM, venant aux droits de la société MERRILL LYNCH SAM, de son appel incident,

  • condamner la société JULIUS BAER WEALTH MANAGEMENT (MONACO) SAM, venant aux droits de la société MERRILL LYNCH SAM, aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Géraldine GAZO, avocat-défenseur, sous sa due affirmation » ;

aux motifs essentiellement que :

  • son action est recevable car les conditions prévues par l'article 1198 du Code civil ne sont pas réunies dans la mesure où la décision américaine n'est pas revêtue de l'autorité de la chose jugée,

  • le juge américain qui a confirmé la sentence arbitrale a émis des réserves sur son droit d'engager une action devant les Tribunaux étrangers comme il le lui demandait,

  • il n'a pas renoncé à son action indemnitaire devant les juridictions monégasques,

  • la sentence traite de l'affaire FINRA uniquement et n'a aucun impact sur une quelconque cause d'action potentielle pouvant être à sa disposition,

  • il a saisi la FINRA non en vertu d'une clause compromissoire mais en sa qualité de conseiller financier agréé auprès de la FINRA,

  • la force exécutoire de cette sentence arbitrale est subordonnée à ce qu'elle soit préalablement déclarée exécutoire à Monaco,

  • une sentence arbitrale étrangère ne saurait produire un quelconque effet à Monaco,

  • le Tribunal arbitral n'a pas statué sur les questions relatives au respect ou non du droit monégasque et à l'indemnité de licenciement monégasque,

  • son ex-employeur a lui-même précisé que les questions relatives au respect ou non du droit monégasque et à l'indemnité de licenciement monégasque ne relevaient pas du panel saisi et par suite, le Tribunal arbitral n'a pas eu à statuer sur ces questions,

  • son action devant la FINRA s'analyse en une action en responsabilité délictuelle et l'objet des demandes n'était pas identique à celles formées devant le Tribunal du travail,

  • les articles 1er et 54 de la loi n° 446 du 16 mai 1946 donnent une compétence exclusive d'ordre public au Tribunal du travail pour connaître des différends s'élevant à l'occasion d'un contrat de travail et leur violation rend nulle la sentence arbitrale, ce qui a déjà été jugé par le Tribunal du travail pour une clause compromissoire.

Il développe également dans ses écritures auxquelles il est fait expressément référence des moyens sur le fond du litige tendant à faire droit à ses demandes d'indemnité de congédiement et d'indemnité de licenciement fondée sur l'abus de rupture.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.

SUR CE,

Sur la recevabilité des demandes

Attendu qu'aux termes des dispositions de l'article 1198 du Code civil, « l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait le jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité » ;

Qu'il y a autorité de chose jugée lorsque la même question litigieuse oppose les mêmes parties et procède de la même cause que la précédente sans que ne soient invoqués des faits nouveaux ayant modifié la situation juridique des parties ;

Attendu que s'agissant de l'identité de parties qui n'est pas contestée par l'appelant, celle-ci apparaît manifeste entre la présente instance et celle ayant donné lieu à la sentence arbitrale de la FINRA en date du 15 août 2013, confirmée par la Cour Suprême de l'État de New-York par décision du 7 avril 2014 ;

Que s'agissant de l'identité de faits, le Tribunal a relevé justement que la plainte qui avait été déposée par s. NA. auprès de la FINRA était fondée sur des faits identiques à ceux pour lesquels il avait saisi le Tribunal du travail ;

Qu'en effet, ce dernier y évoquait notamment les éléments suivants :

  • sa relation de travail avec le groupe MERRILL LYNCH depuis 1975, ses relations avec la famille GA., la transaction litigieuse ayant donné lieu à son licenciement, les manœuvres de l'employeur dans ladite transaction et la rupture abusive de son contrat de travail ;

Qu'il précisait en page 10 paragraphe 32 de sa plainte :

« En conséquence de la rupture abusive de MERRILL LYNCH et des actions faisant l'objet de la plainte telles qu'indiquées ci-dessus, M. NA. .a subi un préjudice important et a été contraint d'encourir des frais de justice et d'autres débours » ;

et en page 12 paragraphe 42 :

« En conséquence de la conduite préjudiciable du défendeur telle qu'alléguée ci-dessus, M. NA. a subi un préjudice et demande respectueusement que les arbitres rendent une sentence en sa faveur et à l'encontre de MERRILL LYNCH, en demandant à MERRILL LYNCH de verser à M. NA. des dommages et intérêts d'une valeur non encore déterminée dans les buts suivants :

A. Compenser le fait que le demandeur n'a pas perçu de rémunération et n'a pas bénéficié d'actions subalternes, de primes différées, d'avantages et d'autres prestations dus qui ont été retenus et que MERRILL LYNCH devait au demandeur au moment de la résiliation du contrat de travail, ainsi que toute rémunération que MERRIL LYNCH considère perdue pour le demandeur du fait de la rupture abusive et de mauvaise foi par MERRIL LYNCH,

B. Compenser le fait que le demandeur a subi des préjudices affectant sa réputation et ses moyens de subsistance en conséquence de la rupture de contrat abusive et de mauvaise foi du défendeur, y compris, sans toutefois s'y limiter, du fait que le demandeur a perdu ses clients réels et potentiels en raison du manquement du défendeur,

C. Contraindre le défendeur à rendre les sommes qui l'ont injustement enrichi et qu'il a acquises grâce aux efforts fournis par le demandeur,

D. Verser un dédommagement au demandeur à hauteur de toutes les dépenses encourues en liaison avec la rupture abusive du contrat du demandeur par le défendeur,

E. Contraindre le défendeur à retirer les déclarations fausses et trompeuses du formulaire U-5 et retirer publiquement les déclarations fausses et trompeuses de façon à atténuer les préjudices causés par le défendeur à la réputation du demandeur et exiger la soumission d'un formulaire U-5 modifié pour tenir compte de tels retraits,

F. Compenser le fait que le demandeur ait subi un préjudice ayant affecté sa réputation et ses moyens de subsistance en conséquence des déclarations fausses et diffamatoires du défendeur, etc. » ;

Qu'en outre, la sentence arbitrale en date du 15 août 2013 rappelle les demandes de réparation portées devant elle et les motifs avancés comme suit :

« La requérante s. NA. a avancé les motifs d'action en procédure d'arbitrage suivant : rupture de contrat de travail injustifié et mauvaise foi, perturbation délibérée avec l'intention d'en tirer un avantage économique, enrichissement illégitime et mauvaise foi, attribution d'actions assorties de restrictions et reports de primes, rupture de contrat, rupture d'engagement de bonne foi de transaction équitable, et diffamation ... » ;

« ... Lors de l'audience, la requérante a demandé des dommages-intérêts à titre de commissions d'un montant de 7.881.118,01 USD ; trois mois de pertes de commissions d'un montant de 52.721,21 USD ; 4.836 actions de la BANK OF AMERICA au titre d'indemnité de capitalisation ; une indemnité de croissance pour la période 2006-2008 d'un montant de 100.602,53 USD ; des dommages-intérêts à titre d'indemnité de licenciement d'un montant de 283.485,53 USD ; des frais d'instruction de la FINRA d'un montant de 100.962,47 USD ; des frais de justice d'un montant de 677.850,39 USD ; des frais d'experts d'un montant de 85.139 USD ; des dommages-intérêts punitifs ; et des intérêts au taux annuel de 9 % dus jusqu'au paiement effectif du montant fixé par la sentence arbitrale. » ;

Attendu que s'agissant de l'identité d'objet, contrairement à ce que soutient l'appelant qui estime que son action devant la FINRA doit s'analyser en une action en responsabilité délictuelle et que l'objet de ses demandes n'est pas identique à celles formées devant le Tribunal du travail, le premier juge a justement rappelé d'une part, que seul ce qui est tranché par le dispositif de la décision peut avoir l'autorité de la chose jugée mais que rien n'interdit d'éclairer la portée de ce dispositif par les motifs de la décision et d'autre part, que si l'autorité de chose jugée s'attache seulement au dispositif de la décision et non aux motifs, celle-ci s'étend à ce qui est implicitement contenu dans le dispositif ;

Qu'en effet, il apparaît que les demandes de l'appelant, même si certaines ne présentent pas la même terminologie, telles que présentées devant la FINRA étaient fondées sur la rupture du contrat de travail le liant à son employeur et que les termes employés pour ce faire démontrent que l'appelant a poursuivi l'indemnisation des conséquences d'une rupture de son contrat de travail qu'il estimait abusive ;

Attendu que s'agissant de l'identité de cause, il apparaît que celle-ci a été également justement retenue dans la mesure où le droit ou le bénéfice légal invoqué par l'une des parties, en l'espèce par voie d'action ou d'exception, a le même fondement que celui sur lequel s'est prononcée la précédente décision puisque les demandes de s. NA. sont fondées sur les mêmes faits et la même argumentation juridique ;

Attendu que pour voir écarter la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de chose jugée, l'appelant soutient aussi que ce caractère ne saurait résulter d'une décision étrangère au motif que celle-ci n'a pas fait l'objet d'une procédure en exequatur ;

Que sur ce point le Tribunal a rappelé, à bon droit, que l'autorité de la chose jugée se distinguait à la fois de la force exécutoire et de la force de chose jugée et que même sans exequatur, un jugement étranger était un acte juridictionnel qui pouvait, par lui-même, produire un certain nombre d'effets, notamment l'autorité de la chose jugée et ce, indépendamment de la force exécutoire qui elle ne concernait que la possibilité d'une exécution forcée ;

Que l'appelant soutient également qu'il ne saurait y avoir autorité de chose jugée sur ce qui a été réservé sur les droits des parties en arguant que le Juge de la Cour Suprême de l'État de New-York qui a confirmé la sentence arbitrale de la FINRA a émis des réserves sur son droit à engager des poursuites devant les tribunaux étrangers ;

Attendu que l'autorité de la chose jugée ne s'attache qu'à ce qui a été décidé sans condition ni réserve ;

Que la demande de réserve qui est évoquée par le Juge américain dans sa décision est constituée en réalité par une objection déposée par l'avocat américain de s. NA. que le Juge de la Cour Suprême de New-York s'est borné à acter sans que ce dernier ne lui ait fait produire un quelconque effet juridique ;

Qu'en effet, la retranscription des débats devant cette juridiction le fait apparaître de manière claire :

« LA COUR : C'est une objection peu courante, mais... et je ne voudrais pas dénigrer les avocats de Chicago, ceci a peut-être un sens dans l'Illinois que je ne comprends pas. L'objection à la requête visant à confirmer la sentence arbitrale est la suivante : déclarer que la sentence traite de l'affaire FINRA uniquement et qu'elle n'a aucun impact sur une quelconque cause d'action potentielle pouvant être à la disposition du défendeur dans un quelconque pays étranger. Il semble que quelqu'un souhaite faire valoir ses droits à Monaco.

M. M. GI. : C'est ce que je comprends, M. le juge.

LA COUR : Je pense que nous pouvons accepter le fait que ces documents représentent simplement une indication à l'effort visant à préserver certains droits. Mais dans tous les cas, ceci ne constitue pas un motif suffisant pour rejeter la confirmation d'une sentence arbitrale.

La sentence est confirmée avec cette réserve de droits -je ne sais pas si ceci a une valeur ou non- figurant au dossier, par ailleurs sans opposition. » ;

Attendu enfin, que l'appelant se prévaut du caractère exclusif et d'ordre public de la compétence rationae materiae du Tribunal du travail pour connaître des différends s'élevant à l'occasion d'un contrat de travail et par conséquent de la nullité des sentences arbitrales rendues en la matière ;

Qu'il est constant d'une part, que s. NA. est à l'origine de la saisine lui-même de la FINRA et d'autre part, que dans le cadre des débats devant les arbitres, son attention n'a pas manqué d'être appelée sur la règle de compétence d'attribution dont il entend se prévaloir rétrospectivement ;

Que nonobstant ce dernier a marqué sa volonté de poursuivre la procédure arbitrale qu'il avait entreprise, renonçant par la même volontairement à la compétence d'attribution du Tribunal du travail monégasque ;

Qu'à cet égard, l'autorité de la chose jugée s'attache à un jugement dès son prononcé, quand bien même celui-ci serait intervenu en violation d'un principe d'ordre public à l'initiative de celui qui s'en prévaut ;

Que dans ces conditions, le jugement sera confirmé en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes présentées par s. NA. ;

Attendu enfin, que l'action en justice constitue l'exercice d'un droit et l'appréciation erronée qu'une partie fait de ses droits n'est pas, en soi, constitutive d'un abus en dehors d'une intention de nuire, d'une malveillance ou d'une erreur équipollente au dol ;

Qu'à cet égard, l'intimée ne démontrant pas que l'appelant ait commis un abus dans l'exercice de ce recours, celle-ci a donc justement été déboutée de sa demande indemnitaire de ce chef ;

Attendu que l'appelant qui succombe, supportera les dépens de la présente instance ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,

statuant publiquement et contradictoirement,

Vu l'arrêt de la Cour d'appel en date du 16 janvier 2018, Déclare les appels mal fondés,

Confirme le jugement du Tribunal du travail en date du 11 mai 2017 en toutes ses dispositions,

Condamne s. NA. aux dépens d'appel distraits au profit de Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur, sous sa due affirmation,

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable,

Vu les articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.

Composition🔗

Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Muriel DORATO-CHICOURAS, Vice-Président, Officier de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Sylvaine ARFINENGO, Conseiller, Monsieur Éric SENNA, Conseiller, assistés de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint,

Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,

Lecture est donnée à l'audience publique du 15 JANVIER 2019, par Madame Muriel DORATO-CHICOURAS, Vice-Président, Officier de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Mademoiselle Bénédicte SEREN, Greffier, en présence de Monsieur Hervé POINOT, Procureur Général Adjoint.

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