Tribunal du travail, 11 mai 2017, Monsieur s. N. c/ SAM JULIUS BAER WEALTH MANAHGEMENT MONACO

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Abstract🔗

Contrat de travail - Tribunal du travail - Sentence arbitrale - Autorité de chose jugée (oui) - Recevabilité des demandes devant le Tribunal du travail (non)

Résumé🔗

L'autorité de la chose jugée ne s'attache qu'à ce qui a été décidé sans condition ni réserve. En effet, lorsque le Juge ne rend pas de décision mais ne fait que réserver les droits des parties, il ne saurait y avoir autorité de chose jugée puisqu'il n'y a pas jugement. Ces principes ne peuvent être appliqués en l'espèce dans la mesure où la sentence arbitrale a statué sur l'ensemble des demandes présentées par Monsieur N. le Juge américain de la Cour Suprême de l'État de New York n'ayant procédé qu'à la confirmation de cette sentence, sans par ailleurs statuer sur la demande de réserve objectée par Monsieur N. se contentant de l'acter.

Enfin, Monsieur N. rappelle le caractère exclusif et d'ordre public de la compétence rationae materiae du Tribunal du Travail pour connaître des différends s'élevant à l'occasion d'un contrat de travail et par conséquent la nullité des sentences arbitrales rendues en la matière. Il convient de relever dans un premier temps que Monsieur N. a saisi lui-même la FINRA et que dans le cadre des débats devant les arbitres, l'attention de celui-ci avait été attirée sur la règle de compétence dont il se prévaut aujourd'hui ; malgré ce, Monsieur N. a poursuivi la procédure arbitrale, renonçant ainsi volontairement à la compétence du Tribunal du Travail de la Principauté de Monaco. Ensuite, la Cour de cassation Française a considéré que l'autorité de la chose jugée, qui s'attache à un jugement dès son prononcé, s'impose même en cas de méconnaissance d'un principe d'ordre public (Cass. 2e civ., 25 oct. 2007, n° 06-19.151 : JurisData n° 2007-040999). Cette jurisprudence s'applique d'autant plus dans le présent litige dans la mesure où Monsieur N. a décidé, en toute connaissance de cause, d'éluder la compétence des juridictions monégasques.

Il résulte des explications développées supra que les demandes présentées par Monsieur N. devant la présente juridiction sont irrecevables.


Motifs🔗

TRIBUNAL DU TRAVAIL

AUDIENCE DU 11 MAI 2017

En la cause de Monsieur s. N. demeurant : « X1» X1à MONACO (98000),

demandeur, ayant élu domicile en l'Etude de Maître Géraldine GAZO, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par Maître Donald MANASSE, avocat au barreau de Nice,

D'une part ;

Contre :

La société anonyme monégasque dénommée JULIUS BAER WEALTH MANAGEMENT MONACO, dont le siège social se situe : « Prince de Galles » 5, Avenue des Citronniers à MONACO (98000),

défenderesse, plaidant par Maître Jean-Pierre LICARI, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et ayant élu domicile en son Etude,

D'autre part ;

Le Tribunal,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu la requête introductive d'instance en date du 19 mars 2014, reçue le 20 mars 2014 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 7 juillet 2014 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Géraldine GAZO, avocat-défenseur, au nom de Monsieur s. N. en date des 2 octobre 2014, 2 avril 2015 et 3 décembre 2015 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Jean-Pierre LICARI, avocat-défenseur, au nom de la société anonyme monégasque dénommée JULIUS BAER WEALTH MANAGEMENT MONACO, en date des 17 février 2015, 16 octobre 2015 et 11 janvier 2016 ;

Après avoir entendu Maître Donald MANASSE, avocat au barreau de Nice, pour Monsieur s. N. et Maître Jean-Pierre LICARI, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, pour la société anonyme monégasque dénommée JULIUS BAER WEALTH MANAGEMENT MONACO, en leurs plaidoiries ;

Vu les pièces du dossier ;

s. N. a été embauché par la SAM MERRILL LYNCH (devenue la SAM JULIUS BAER WEALTH MANAGEMENT) à compter du 4 février 1991.

Le 27 octobre 2009, le salarié a été convoqué à un entretien préalable en vue d'une sanction pouvant aller jusqu'au licenciement, fixé au 29 octobre suivant.

Par courrier du 5 novembre 2009, Monsieur N. a été licencié aux motifs du non-respect de plusieurs règles notamment en matière de connaissance du client et de vérification de la source des fonds.

Il a été dispensé d'exécuter son préavis de trois mois.

Le 11 février 2011, Monsieur N. a saisi la FINRA (FINANCIAL INDUSTRY REGULATORY AUTHORITY) afin de soumettre le litige l'opposant à son employeur à son arbitrage.

Le 15 août 2013, le salarié a été débouté de toutes ses demandes.

Le 19 mars 2014, la sentence arbitrale de la FINRA a été confirmée par la Cour Suprême de l'État de New York.

Par requête en date du 19 mars 2014, reçue le 20 mars 2014, Monsieur N. a saisi le Tribunal du Travail en conciliation des demandes suivantes :

  • La somme de 124.620,46 euros nets correspondant au solde dû au titre de l'indemnité de congédiement (l'indemnité de congédiement versée à Monsieur N. est d'un montant de 124.269,31 euros calculé sur une durée d'ancienneté inférieure à la durée réelle qui est de 35 ans (du 19 mai 1975 au 5 février 2010) et non de 19 ans),

  • La somme de 107.636,28 euros nets au titre de l'indemnité de licenciement, les motifs de licenciement invoqués n'étant pas valables,

  • La somme de 43.295,16 euros bruts correspondant au solde dû au titre de l'indemnité compensatrice de préavis (durant la période de préavis de trois mois que Monsieur N. a été dispensé d'exécuter, il n'a été rémunéré qu'à concurrence de son salaire mensuel brut de base, sans que les commissions liées à l'exécution de son contrat de travail n'aient été prises en compte),

  • La somme de 4.329,51 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,

  • La somme de 100.602,53 $, soit la contrevaleur en euros de 73.130,47 euros, au titre du « Growth Award Plan »,

  • Les 4.836 actions de BANK OF AMERICA que Monsieur N. détient dans le cadre du « FA ACCUMULATION AWARD », soit la contrevaleur en euros de 58.868 euros,

  • La somme de 150.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la rupture abusive,

  • Les intérêts au taux légal à compter de la demande,

  • L'exécution provisoire sur l'ensemble des condamnations,

  • La remise des documents rectifiés suivants :

  • Bulletin de salaire rectifié du mois de février 2010,

  • Solde de tout compte rectifié,

  • Attestation destinée au Pôle emploi rectifiée.

Aucune conciliation n'ayant pu intervenir, l'affaire a fait l'objet d'un renvoi devant le Bureau de Jugement.

Monsieur N. a déposé des conclusions les 2 octobre 2014, 2 janvier et 3 décembre 2015 dans lesquelles il fait valoir essentiellement :

Sur la sentence arbitrale rendue le 15 août 2013 :

  • Le juge RAMOS qui a confirmé la sentence a émis des réserves sur le droit de Monsieur N. d'engager des poursuites devant les Tribunaux étrangers,

  • La décision américaine n'est pas revêtue de l'autorité de la chose jugée,

  • La force exécutoire de cette décision est subordonnée à ce qu'elle soit préalablement déclarée exécutoire à Monaco,

  • Le Tribunal Arbitral n'a pas statué sur les questions relatives au respect ou non du droit monégasque et à l'indemnité de licenciement monégasque,

  • Son action devant la FINRA s'analysait en une action en responsabilité et l'objet des demandes n'était pas identique à celles formées devant le Tribunal du Travail,

  • Les articles 1er et 54 de la loi n° 446 donne une compétence exclusive d'ordre public au Tribunal du Travail pour connaître des différends s'élevant à l'occasion d'un contrat de travail,

Sur l'indemnité de congédiement :

  • Au moment de son licenciement, il disposait d'une ancienneté de plus de 34 ans,

  • Il reste dès lors un reliquat d'un montant de 124.620,46 euros nets à ce titre,

  • Les modalités de calcul de l'employeur sont erronées,

  • Au regard de son ancienneté très importante, l'indemnité de congédiement est bien supérieure à l'indemnité de licenciement plafonnée à 6 mois de salaire,

Sur l'indemnité de licenciement :

  • Son licenciement n'est pas justifié par un motif valable,

  • La preuve des griefs reprochés n'est pas rapportée par l'employeur,

  • Il est devenu le conseiller financier de Monsieur G. à compter de 1979 et ce jusqu'à son licenciement,

  • Monsieur G. était client du groupe MERRILL LYNCH depuis 1964 jusqu'en octobre 2009, date à laquelle la filiale monégasque a décidé de rompre soudainement toutes les relations avec la famille G.

  • Monsieur G. a toujours été très satisfait de ses prestations,

  • La société MERRILL LYNCH a d'abord accepté, puis refusé le transfert des fonds issus de la vente d'un bien immobilier à Londres et a clôturé l'ensemble des comptes dont Monsieur G. était directement ou indirectement titulaire dans ses livres,

  • La banque ne l'informait pas des raisons de cette clôture soudaine,

  • L'employeur avait mis fin à son contrat de travail dès le 28 octobre 2009, sans attendre la tenue de l'entretien préalable,

  • L'origine des fonds litigieux était parfaitement connue de l'employeur,

  • C'est donc de manière fallacieuse que l'employeur lui a reproché de ne pas avoir respecté les règles de procédure en matière de connaissance du client et de vérification de la source des fonds,

  • La transaction constituait une opération légale, transparente et habituelle,

  • La famille G. a toujours réalisé des opérations financières licites,

  • La société MERRILL LYNCH détenait toutes les informations nécessaires aux procédures internes du « Know your customer »,

  • L'acquisition du bien immobilier en cause par la société FORESTAL avait été réalisée à partir de fonds provenant de la banque MERRILL LYNCH,

  • Il avait une parfaite connaissance du client qu'il suivait depuis 1979,

  • Il avait parfaitement identifié l'origine des fonds, lesquels étaient virés à partir du compte séquestre de l'avocat anglais qui lui-même les avait reçus de l'acquéreur du bien. Il n'y avait dès lors aucun risque que les fonds proviennent d'une opération de blanchiment d'argent,

  • Il n'a ainsi aucunement manqué à ses obligations,

  • Il existait en outre un système interne de vérification automatique de tous les fonds entrants. Il ne peut dès lors lui être reproché une quelconque faute à ce titre,

  • La banque connaissait de graves difficultés économiques et son licenciement s'est inscrit dans le cadre d'une restructuration du groupe et sa reprise par BANK OF AMERICA,

  • Il n'a subi aucun reproche en 34 années de présence au sein du groupe MERRILL LYNCH.

Dans le dernier état de ses écritures, Monsieur N. sollicite le rejet des débats des pièces n° 40 et 45 ter produites par la défenderesse et non traduites en français.

La SAM JULIUS BAER WEALTH MANAGEMENT (la JULIUS BAER) venant aux droits de la SAM MERRILL LYNCH a déposé des conclusions les 17 février et 16 octobre 2015, 11 janvier 2016 dans lesquelles elle s'oppose aux prétentions émises à son encontre et sollicite reconventionnellement la somme de 25.000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive et vexatoire.

Elle demande encore de prononcer la nullité des attestations versées aux débats par Monsieur N. en pièces n° 28, 29 et 30 et de voir écarter desdits débats la pièce adverse n° 21 faute de faire l'objet d'une traduction en langue française.

Elle fait essentiellement valoir :

Sur l'irrecevabilité de l'action en raison de la force jugée de la décision américaine :

  • Les demandes formées par Monsieur N. devant le Tribunal du travail procèdent des mêmes fondements que celles soumises au Juge américain et dont il a été définitivement débouté par la Cour Suprême de l'État de New York,

  • Elle a attiré l'attention de Monsieur N. sur le risque qu'il prenait à écarter le Juge monégasque,

  • En poursuivant sa procédure devant la FINRA, Monsieur N. a consciemment abandonné l'idée de pouvoir un jour se tourner vers le Juge monégasque, s'il venait à être débouté par la FINRA. Il a délibérément choisi d'évincer l'ordre public social monégasque et la compétence exclusive du Tribunal du Travail,

  • La réserve formulée par le Juge américain ne peut avoir de sens qu'au regard des questions qui n'auraient pas été tranchées par un Juge,

  • Le principe de l'autorité de la chose jugée ne saurait être confondu avec la force exécutoire ou non d'une décision dans le pays où elle est invoquée,

Sur le fond :

  • Monsieur N. a cherché à permettre aux consorts G. de finaliser une opération, en essayant de cacher à son employeur des informations décisives, faisant peser sur la SAM MERRILL LYNCH le risque d'être inquiétée pour complicité dans une opération financière illicite,

  • Le 22 septembre 2009, elle a été informée par l'avocat chargé de la transaction que la famille G. n'était pas le propriétaire du bien et que le bénéficiaire de la vente et des fonds présentait un profil suspect au regard du plan de lutte anti-blanchiment,

  • A cette même date, Monsieur N. a contacté le client pour l'aviser que les éléments recueillis allaient conduire au rejet du transfert,

  • Les conversations téléphoniques mettent en évidence que non seulement Monsieur N. maîtrisait parfaitement la stratégie mise en place pour le transfert des fonds, mais aussi que lorsque le groupe MERRILL LYNCH a déclenché la procédure de vérification, il a directement suggéré au client quelles solutions il pourrait mettre en œuvre pour éluder le contrôle de conformité,

  • Monsieur N. connaissait les règles de conformité (« compliance »),

  • Il a incité son assistante à ne pas transmettre des informations pertinentes au responsable de la conformité,

  • Il a expliqué au client comment il pourrait contourner les systèmes de détection et signalement du groupe MERRILL LYNCH concernant l'opération menée,

  • Il a directement aidé et suggéré au client des façons de le faire en l'avisant de la manière dont il pouvait structurer les opérations à cette fin,

  • Il a impliqué son assistante dans ses actions,

  • Lors de l'entretien préalable, Monsieur N. a apporté des réponses mensongères aux questions posées,

  • C'est sur les conseils de Monsieur N. que Monsieur G. a envisagé que les fonds soient d'abord déposés sur un compte d'une banque chypriote, avant d'être rapatriés via une société LA CHAPELLE en compte à la MERRILL LYNCH, et ce pour tenter d'éluder les exigences de conformité,

  • La société FORESTAL PROPERTY n'était pas cliente de MERRILL LYNCH,

Sur l'indemnité de congédiement :

  • Aucune disposition contractuelle n'a repris l'ancienneté de Monsieur N. au sein du groupe, mais la SAM MERRILL LYNCH lui en a pourtant fait bénéficier,

  • L'indemnité de congédiement se trouve être supérieure de près du double à l'indemnité de licenciement qui devrait être l'indemnité maximale pouvant être octroyée au salarié,

  • L'ancienneté d'un salarié ne saurait prendre le pas sur les fautes qu'il a commises au moment où se pose la question de l'indemnisation de la rupture de son contrat de travail, le seul critère devant rester celui de la validité ou non du motif évoqué,

Sur l'absence d'abus dans la rupture :

  • L'employeur a mené une enquête interne afin d'apprécier la responsabilité de Monsieur N. et définir la sanction appropriée,

  • Le salarié a été convoqué à un entretien préalable, pendant lequel il a pu s'exprimer librement ainsi qu'il résulte du compte rendu,

  • C'est après un délai de réflexion de quelques jours qu'il a été procédé à son licenciement,

  • Monsieur N. ne peut invoquer aucun caractère soudain ou brutal,

  • L'indemnité de congédiement a été calculée à son avantage.

SUR CE,

Sur la recevabilité des demandes

Aux termes des dispositions de l'article 1198 du Code civil, « l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait le jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit relative aux mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité » ;

Il y a autorité de chose jugée lorsque la même question litigieuse oppose les mêmes parties et procède de la même cause que la précédente sans que ne soient invoqués des faits nouveaux ayant modifié la situation juridique des parties ;

Il appartient aux parties de présenter dès l'instance initiale l'ensemble des moyens qu'elles estiment de nature, soit à fonder la demande, soit à en permettre le rejet ;

En l'espèce, l'identité de parties est manifeste entre la présente instance et celle ayant donné lieu à la sentence arbitrale de la FINRA en date du 15 août 2013, confirmée par la Cour Suprême de l'État de New York le 7 avril 2014.

Le Tribunal relève que la plainte déposée par Monsieur N. auprès de la FINRA est fondée sur les mêmes faits que ceux pour lesquels il a saisi la présente juridiction.

En effet, Monsieur N. évoque :

  • la relation de travail avec le groupe MERRILL LYNCH depuis 1975,

  • ses relations avec la famille G.

  • la transaction litigieuse ayant donné lieu à son licenciement,

  • les manœuvres de l'employeur dans ladite transaction,

  • la rupture abusive de son contrat de travail.

En page 10 paragraphe 32 de la plainte, Monsieur N. indique :

« En conséquence de la rupture abusive de MERRILL LYNCH et des actions faisant l'objet de la plainte telles qu'indiquées ci-dessus, M. N. a subi un préjudice important et a été contrainte d'encourir des frais de justice et d'autres débours ».

En page 12 paragraphe 42 de la plainte, Monsieur N. demande :

« En conséquence de la conduite préjudiciable du défendeur telle qu'alléguée ci-dessus, M. N. a subi un préjudice et demande respectueusement que les arbitres rendent une sentence en sa faveur et à l'encontre de MERRILL LYNCH, en demandant à MERRILL LYNCH de verser à M. N. des dommages et intérêts d'une valeur non encore déterminée dans les buts suivants :

  • Compenser le fait que le demandeur n'a pas perçu de rémunération et n'a pas bénéficié d'actions subalternes, de primes différées, d'avantages et d'autres prestations dus qui ont été retenus et que MERRILL LYNCH devait au demandeur au moment de la résiliation du contrat de travail, ainsi que toute rémunération que MERRIL LYNCH considère perdue pour le demandeur du fait de la rupture abusive et de mauvaise foi par MERRIL LYNCH,

  • Compenser le fait que le demandeur a subi des préjudices affectant sa réputation et ses moyens de subsistance en conséquence de la rupture de contrat abusive et de mauvaise foi du défendeur, y compris, sans toutefois s'y limiter, du fait que le demandeur a perdu ses clients réels et potentiels en raison du manquement du défendeur,

  • Contraindre le défendeur à rendre les sommes qui l'ont injustement enrichi et qu'il a acquises grâce aux efforts fournis par le demandeur,

  • Verser un dédommagement au demandeur à hauteur de toutes les dépenses encourues en liaison avec la rupture abusive du contrat du demandeur par le défendeur,

  • Contraindre le défendeur à retirer les déclarations fausses et trompeuses du formulaire U-5 et retirer publiquement les déclarations fausses et trompeuses de façon à atténuer les préjudices causés par le défendeur à la réputation du demandeur et exiger la soumission d'un formulaire U-5 modifié pour tenir compte de tels retraits,

  • Compenser le fait que le demandeur ait subi un préjudice ayant affecté sa réputation et ses moyens de subsistance en conséquence des déclarations fausses et diffamatoires du défendeur, et

  • Contraindre le défendeur à payer les frais de justice, les honoraires raisonnables d'avocat, les honoraires d'experts et les indemnités de témoin, ainsi que tous les coûts et dépenses encourus par le demandeur en liaison avec le présent arbitrage et dans le cadre de la défense présentée en réponse à l'enquête de la FINRA,

À cela s'ajoute l'intérêt en faveur du demandeur et contre le défendeur à compter de la date de la résiliation du contrat de travail jusqu'à ce que le paiement dû soit effectué conformément à la sentence rendue en vertu des présentes, ainsi que tout autre remède additionnel pouvant sembler juste et équitable.

DOMMAGES-INTÉRÊTS PUNITIFS

La conduite de MERRILL LYNCH vis-à-vis de M. N. était dolosive et constituait une négligence grave et abusive, entraînant des dommages-intérêts exemplaires. Aucune justification ne peut excuser les actes préjudiciables de MERRILL LYNCH tels que susmentionnés, dans la mesure où ils ont été commis de mauvaise foi et dans l'intention de nuire à M. N. l'enquête de M. N. se poursuit. M. N. se réserve le droit de modifier sa plainte si nécessaire ».

La sentence arbitrale rendue le 15 août 2013 reprend un résumé de l'affaire de la manière suivante :

« La requérante Monsieur N. a avancé les motifs d'action en procédure d'arbitrage suivant : rupture de contrat de travail injustifié et mauvaise foi, perturbation délibérée avec l'intention d'en tirer un avantage économique, enrichissement illégitime et mauvaise foi, attribution d'actions assorties de restrictions et reports de primes, rupture de contrat, rupture d'engagement de bonne foi de transaction équitable, et diffamation... ».

Il est également fait état des demandes de réparation :

« ... Lors de l'audience, la requérante a demandé des dommages-intérêts à titre de commissions d'un montant de 7.881.118,01 USD ; trois mois de pertes de commissions d'un montant de 52.721,21 USD ; 4.836 actions de la BANK OF AMERICA au titre d'indemnité de capitalisation ; une indemnité de croissance pour la période 2006-2008 d'un montant de 100.602,53 USD ; des dommages-intérêts à titre d'indemnité de licenciement d'un montant de 283.485,53 USD ; des frais d'instruction de la FINRA d'un montant de 100.962,47 USD ; des frais de justice d'un montant de 677.850,39 USD ; des frais d'experts d'un montant de 85.139 USD ; des dommages-intérêts punitifs ; et des intérêts au taux annuel de 9% dus jusqu'au paiement effectif du montant fixé par la sentence arbitrale ».

Le demandeur estime que son action devant la FINRA doit s'analyser en une action en responsabilité et que l'objet de ses demandes n'était pas identique à celles formées devant la présente juridiction.

Le Juge Arbitral a rejeté l'ensemble des demandes présentées par Monsieur N.

Seul ce qui est tranché par le dispositif de la décision peut avoir l'autorité de la chose jugée mais il n'est pas interdit d'éclairer la portée de ce dispositif par les motifs de la décision.

En outre, si l'autorité de chose jugée s'attache seulement au dispositif de la décision et non aux motifs, celle-ci s'étend à ce qui est implicitement contenu dans le dispositif.

Ainsi et contrairement à ce que soutient le demandeur, il est manifeste en l'espèce que ses demandes telles que présentées devant la FINRA étaient fondées sur la rupture du contrat de travail le liant à MERRILL LYNCH.

Bien plus, les termes employés pour ce faire montrent que Monsieur N. a souhaité obtenir l'indemnisation des conséquences d'une rupture de son contrat de travail qu'il estimait et estime toujours abusive.

Le Tribunal relève que les demandes formées par Monsieur N. devant la présente juridiction sont identiques à celles formées devant le Juge américain, et présentent ainsi le même objet, même si certaines ne présentent pas la même terminologie.

Les demandes actuelles portent sur la même chose et le même droit que ceux sur lesquels la sentence arbitrale a déjà statué.

L'identité d'objet doit dès lors être retenue.

L'identité de cause doit également être retenue dans la mesure où le droit ou le bénéfice légal invoqué par l'une des parties, en l'espèce Monsieur N. par voie d'action ou d'exception, a le même fondement que celui sur lequel s'est prononcée une précédente décision ; ce qui est le cas dans le présent litige entre ce qui a été demandé par Monsieur N. lors de la procédure d'arbitrage et ce qui est demandé devant le présent tribunal, ces demandes étant fondées sur les mêmes faits et la même argumentation juridique.

Monsieur N. soutient encore que l'autorité de force jugée ne saurait être appliquée à la décision étrangère au motif qu'elle n'a pas fait l'objet d'une procédure en exequatur.

Même sans exequatur, un jugement étranger est un acte juridictionnel qui peut, par lui-même, produire un certain nombre d'effets, notamment l'autorité de la chose jugée. C'est le cas pour le jugement étranger (on ne rejugera pas ce qui a été jugé à l'étranger), et ce, indépendamment de la force exécutoire (qui elle concerne la possibilité d'une exécution forcée).

Ce faisant l'argumentation tenant à l'obligation d'un exequatur pour que la sentence arbitrale soit revêtue de l'autorité de la chose jugée sera rejetée.

L'autorité de la chose jugée se distingue donc à la fois de la force exécutoire et de la force de chose jugée.

Monsieur N. estime que le Juge de la Cour Suprême de l'État de New York qui a confirmé la sentence arbitrale de la FINRA a émis des réserves sur le droit de Monsieur N. d'engager des poursuites devant les tribunaux étrangers.

La réserve ainsi retenue par le Juge américain est constituée par une objection déposée par l'avocat américain de Monsieur N.et reproduite ainsi :

« LA COUR : Avez-vous reçu une opposition dans le cadre de cette affaire ?

M. M. G. : Oui, nous avons reçu des documents d'opposition. Ils ont été déposés par voie électronique par l'avocat du défendeur.

LA COUR : J'ai l'avis d'objection.

M. M. G. : C'est tout, M. le juge. Il y a ensuite une brève opposition.

LA COUR : De Chicago dans l'Illinois. Je ne suis pas surpris qu'ils ne soient pas là.

M. M. G. : C'est vrai.

LA COUR : C'est une objection peu courante, mais... et je ne voudrais pas dénigrer les avocats de Chicago, ceci a peut-être un sens dans l'Illinois que je ne comprends pas. L'objection à la requête visant à confirmer la sentence arbitrale est la suivante : déclarer que la sentence traite de l'affaire FINRA uniquement et qu'elle n'a aucun impact sur une quelconque cause d'action potentielle pouvant être à la disposition du défendeur dans un quelconque pays étranger.

Il semble que quelqu'un souhaite faire valoir ses droits à Monaco.

M. M. G. : C'est ce que je comprends, M. le juge.

LA COUR : Je pense que nous pouvons accepter le fait que ces documents représentent simplement une indication à l'effort visant à préserver certains droits. Mais dans tous les cas, ceci ne constitue pas un motif suffisant pour rejeter la confirmation d'une sentence arbitrale.

La sentence est confirmée avec cette réserve de droits - je ne sais pas si ceci a une valeur ou non - figurant au dossier, par ailleurs sans opposition... ».

Il résulte de cette retranscription des débats devant le Juge de la Cour Suprême de New York que celui-ci s'est contenté d'acter la demande de réserve présentée par Monsieur N. sans qu'il lui fasse produire un quelconque effet juridique.

L'autorité de la chose jugée ne s'attache qu'à ce qui a été décidé sans condition ni réserve. En effet, lorsque le Juge ne rend pas de décision mais ne fait que réserver les droits des parties, il ne saurait y avoir autorité de chose jugée puisqu'il n'y a pas jugement.

Ces principes ne peuvent être appliqués en l'espèce dans la mesure où la sentence arbitrale a statué sur l'ensemble des demandes présentées par Monsieur N. le Juge américain de la Cour Suprême de l'État de New York n'ayant procédé qu'à la confirmation de cette sentence, sans par ailleurs statuer sur la demande de réserve objectée par Monsieur N. se contentant de l'acter.

Enfin, Monsieur N. rappelle le caractère exclusif et d'ordre public de la compétence rationae materiae du Tribunal du Travail pour connaître des différends s'élevant à l'occasion d'un contrat de travail et par conséquent la nullité des sentences arbitrales rendues en la matière.

Il convient de relever dans un premier temps que Monsieur N. a saisi lui-même la FINRA et que dans le cadre des débats devant les arbitres, l'attention de celui-ci avait été attirée sur la règle de compétence dont il se prévaut aujourd'hui ; malgré ce, Monsieur N. a poursuivi la procédure arbitrale, renonçant ainsi volontairement à la compétence du Tribunal du Travail de la Principauté de Monaco.

Ensuite, la Cour de Cassation Française a considéré que l'autorité de la chose jugée, qui s'attache à un jugement dès son prononcé, s'impose même en cas de méconnaissance d'un principe d'ordre public (Cass. 2e civ., 25 oct. 2007, n° 06-19.151 : JurisData n° 2007-040999).

Cette jurisprudence s'applique d'autant plus dans le présent litige dans la mesure où Monsieur N. a décidé, en toute connaissance de cause, d'éluder la compétence des juridictions monégasques.

Il résulte des explications développées supra que les demandes présentées par Monsieur N. devant la présente juridiction sont irrecevables.

Sur la demande en dommages et intérêts présentée par la JULIUS BAER

L'action en justice constitue l'exercice d'un droit et que l'appréciation erronée qu'une partie fait de ses droits n'est pas, en soi, constitutive d'un abus, sauf démonstration, non rapportée au cas d'espèce, d'une intention de nuire, d'une malveillance ou d'une erreur équipollente au dol.

Monsieur N. n'apparaît pas avoir commis d'abus en saisissant le Tribunal du Travail, n'ayant commis aucune faute dans l'exercice de ce recours ni d'erreur équipollente au dol, ni fait preuve d'une quelconque intention de nuire envers la défenderesse, compte tenu notamment de la complexité de la matière et de la diversité de la jurisprudence ; il a donc pu se méprendre sur l'étendue de ses droits, l'appréciation erronée du bien-fondé de ses demandes ne suffisant pas à caractériser un abus à l'encontre de la société défenderesse ;

La demande de dommages-intérêts formulée par la JULIUS BAER sera purement et simplement rejetée ;

Succombant dans ses prétentions, Monsieur N. sera condamné aux dépens.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Statuant par jugement contradictoire, en premier ressort, après en avoir délibéré,

Déclare s. N. irrecevable en ses demandes,

Déboute la SAM JULIUS BAER WEALTH MANAGEMENT de sa demande de dommages et intérêts, Condamne s. N. aux dépens.

Composition🔗

Ainsi jugé par Monsieur Michel SORIANO, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Messieurs Alain GALLO, Nicolas MATILE, membres employeurs, Messieurs Jean-Pierre PIZZOLATO, Bernard ASSO, membres salariés, et prononcé en audience publique du Tribunal du Travail de la Principauté de Monaco, au Palais de Justice, le onze mai deux mille dix-sept, par Monsieur Michel SORIANO, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, en présence de Messieurs Alain GALLO et Jean-Pierre PIZZOLATO, Messieurs Nicolas MATILE et Bernard ASSO étant empêchés, assistés de Madame Catherine CATANESE, Secrétaire en Chef.

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