Cour d'appel, 29 septembre 2014, La Société dénommée V et autre c/ Madame j. j. HO. épouse TR.
Abstract🔗
Accident maritime – Responsabilité civile – Action – Délai – Recevabilité (non)
Résumé🔗
Selon l'article 524-19 alinéa 4, alors applicable, du Code de la Mer « en cas de dommages corporels, des protestations écrites doivent être adressées par le passager ou pour son compte quinze jours au plus tard après la date du débarquement : faute de ce faire le passager n'est pas recevable à intenter l'action en responsabilité, à moins qu'il ne prouve que l'absence de protestation est la conséquence d'un retard qui ne lui est pas imputable ». En l'espèce, il n'est pas contesté que l'accident dont a été victime Madame j. TR. est survenu le 16 mai 2008, que le débarquement a eu lieu le 25 mai, date initialement prévue, mais que la réclamation est intervenue le 6 octobre 2008, hors du délai de 15 jours. Madame TR. ne fait pas état d'un retard qui ne lui serait pas imputable, mais excipe d'une stipulation du billet de croisière portant conditions générales du contrat de traversée délivré par la SAM V, organisateur du voyage, et identifiant le transporteur comme étant la société N, stipulation qui lui ferait bénéficier d'un délai plus favorable de six mois. L'article 11 du contrat indique, selon la traduction française non contestée de ce contrat produite identiquement aux dossiers des parties, « Aucune action ou procédure, y compris, sans s'y limiter, réelle et/ou personnelle, ne sera maintenue à l'encontre du transporteur pour toute perte, dommage ou préjudice envers le passager résultant de toute cause quelle qu'elle soit, y compris, sans s'y limiter, tout dommage de biens, retard, immobilisation, préjudice corporel, maladie ou décès à moins qu'une notification écrite de la requête avec les détails précis ne soit remise au transporteur au X1 MC 98000 Monaco dans un délai de six (6) mois à compter du jour de la perte, du dommage ou préjudice subi par le passager. En aucun cas une action pour tout motif, tant réel que personnel, ne sera intentée ou maintenue à l'encontre du transporteur concernant le retard, l'immobilisation, le préjudice corporel, la maladie ou le décès, qu'il ait lieu à bord du bateau ou à l'extérieur, à moins que l'action n'ait commencé un (1) an à compter du jour où est survenu le dommage, retard, immobilisation, préjudice corporel, maladie ou décès nonobstant toute disposition légale contraire de tout état ou pays ». Mais l'article 21 du contrat dispose qu'« il est par les présentes convenu que toutes réclamations, litiges ou différends de quelque nature que ce soit résultant du présent contrat ou inhérent à celui-ci et au transport fourni seront intentés, déposés et poursuivis, le cas échéant tous, devant un tribunal compétent situé en Principauté de Monaco et seront régis et interprétés en vertu des lois de la Principauté de Monaco ». Il résulte de cette dernière disposition que le délai de 15 jours édicté par l'article 524-19 alinéa 4 du Code de la mer est applicable alors que les parties ont fait explicitement le choix dans le contrat de l'application des lois de la Principauté de Monaco. Sauf à dénaturer les dispositions contractuelles, il résulte de l'article 11 qu'un délai de six mois se superpose à compter du dommage avec le délai légal de 15 jours qui a le même point de départ, ce délai contractuel étant édicté pour que la réclamation soit maintenue sous la condition qu'une notification écrite de la requête avec les détails précis soit remise au transporteur au X2 MC 98000 Monaco, étant au surplus observé que cette adresse est précisément celle de la SAM V. Cette clause ne saurait être réinterprétée comme une substitution du délai de six mois au délai légal de quinze jours d'autant que la seconde phrase de la même clause précise qu'une action ne pourra être intentée ou maintenue, les termes étant bien distincts, à l'encontre du transporteur dans un second délai d'un an sous certaines conditions. Il y a lieu en conséquence d'infirmer le jugement, de constater l'irrecevabilité des demandes de Madame j. TR. en l'absence des protestations écrites du passager dans le délai légal de 15 jours, faisant obstacle à ce que soit intentée toute action en responsabilité après l'expiration de ce délai.
Motifs🔗
COUR D'APPEL
ARRÊT DU 29 SEPTEMBRE 2014
En la cause de :
1/ - La Société dénommée V, société anonyme monégasque dont le siège social est X3 à Monaco, agissant poursuites et diligences de son administrateur délégué en exercice, demeurant et domicilié en cette qualité audit siège,
2/ - La Société dénommée N SA, société de droit luxembourgeois en liquidation dont le siège social est X4 Luxembourg, agissant poursuites et diligences de son liquidateur, la société de droit luxembourgeois dénommée « N », société anonyme dont le siège social est X5 Luxembourg, demeurant et domiciliée en cette qualité à ladite adresse,
Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
APPELANTES,
d'une part,
contre :
- Madame j. j. HO. épouse TR., demeurant X - California (Etats-Unis d'Amérique) ;
Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
INTIMÉE,
d'autre part,
LA COUR,
Vu le jugement rendu par le Tribunal de première instance, le 13 mars 2014 (R.3868) ;
Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 13 mai 2014 (enrôlé sous le numéro 2014/000159) ;
Vu les conclusions déposées le 1er juillet 2014, par Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de j. j. HO. épouse TR. ;
À l'audience du 8 juillet 2014, vu la production de leurs pièces par les conseils des parties ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Considérant les faits suivants :
La Cour statue sur l'appel interjeté par la SAM V et la société de droit luxembourgeois N SA à l'encontre d'un jugement rendu le 13 mars 2014 par le Tribunal de première instance de Monaco qui a:
« dit que la pièce n° 5 produite par Madame j. TR. doit être écartée des débats,
déclaré nulles les attestations correspondant aux pièces n° 9, n° 10 et n° 11 communiquées par Madame j. TR.,
déclaré l'action en responsabilité formée par Madame j. TR. recevable,
dit n'y avoir lieu de mettre hors de cause la SAM V,
AVANT DIRE DROIT
ordonné la réouverture des débats à l'audience du mercredi 9 avril 2014 à 9 heures et enjoint à la SAM V et la SA N SA de produire :
le rapport de mer établi par le capitaine du navire relatant l'incident corporel survenu le 16 mai 2008 lors de l'embarquement de j. TR. ou tout autre élément permettant de déterminer les circonstances de l'accident,
dit qu'à défaut, il en sera tiré toutes conséquences,
sursis à statuer dans l'attente sur les autres demandes,
réservé les dépens en fin de cause »
La SAM V et la société de droit luxembourgeois N SA demandent à la Cour de :
« Les accueillir en leur appel,
Les y déclarer recevables et bien fondées,
Reformer le jugement dont appel en ce qu'il a :
déclaré l'action en responsabilité formée par Madame TR. recevable,
ordonné avant dire droit la réouverture des débats et enjoint aux appelantes de produire le rapport de mer établi par le capitaine du navire relatant l'incident corporel survenu le 16 mai 2008 lors de l'embarquement de j. TR. ou tout autre élément permettant de déterminer les circonstances de l'accident, dit qu'à défaut il sera tiré toutes conséquences et sursis à statuer dans l'attente sur les autres demandes.
Et, statuant à nouveau,
À TITRE PRINCIPAL :
Vu l'article L 524-14 du Code de la mer,
Vu le « CONTRACT OF PASSAGE » du 10 avril 2008,
Déclarer irrecevable l'action en responsabilité intentée par Madame TR.,
SUBSIDIAIREMENT :
Vu l'article L 524-15 du Code de la mer,
Vu l'article 1162 alinéa ter du Code civil,
Débouter purement et simplement Madame TR. de l'ensemble de ses demandes,
EN TOUT ÉTAT DE CAUSE :
Condamner Madame TR. aux entiers dépens distraits au profit de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur, sous sa due affirmation » ;
La SAM V et la société de droit luxembourgeois N SA font valoir, sur la recevabilité de la demande, que l'article 524-19 alinéa 4 du Code de la mer prévoit qu'en cas de dommage corporel les protestations doivent être adressées 15 jours au plus tard après la date du débarquement à peine d'irrecevabilité, dispositions érigées au rang d'ordre public en interdisant d'y déroger par l'article 524-29 alinéa 1 ;
Elles observent que l'accident s'est produit le 16 mai 2008, le débarquement le 25 mai, date initialement prévue, que la réclamation est du 6 octobre 2008 hors délai ;
Les stipulations de l'article 11 du contrat de passage qui prévoient un délai de 6 mois ne peuvent selon elles déroger aux dispositions légales et doivent être interprétées restrictivement, s'agissant d'un second délai s'ajoutant au délai de 15 jours pour que la réclamation soit maintenue avec des détails précis afin de pouvoir écarter les réclamations insuffisamment étayées ;
En tout état de cause, ces stipulations contractuelles lient la passagère au seul transporteur la société N et non la SAM V, organisateur de la croisière ;
Sur la preuve de la faute, les appelants font valoir que la responsabilité du transporteur maritime ne relève que d'une obligation de moyens, qu'en l'espèce il s'agissait d'une croisière à bord d'un voilier de haute mer qui comportait nécessairement des risques de mer, sciemment acceptés par la passagère ;
Le Tribunal aurait inversé la charge de la preuve en imposant aux sociétés en cause la production de documents en vue d'apprécier leur responsabilité alors qu'il appartient à la passagère d'apporter la preuve de cette faute, cette disposition du jugement équivalant à une production forcée d'un document dont les sociétés ne se prévalaient pas ;
Cette preuve n'étant pas rapportée, le débouté de l'ensemble des demandes de la passagère s'imposerait.
Madame j. TR. demande à la Cour de débouter les sociétés SAM V et N SA des fins de leur appel et assignation du 13 mai 2014, confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris rendu par le Tribunal de première instance le 13 mars 2014, condamner les sociétés appelantes aux dépens distraits au profit de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur sous sa due affirmation.
Madame j. TR. fait valoir, en ce qui concerne la recevabilité, que l'article 11 du contrat de passage est une clause plus favorable au passager qui fait la loi des parties, seules les stipulations au détriment des passagers étant expressément écartées par la loi. Le terme « maintenu » doit se comprendre comme une action qui sera acceptée ou reçue, ce qui rend recevable l'action en responsabilité, le sinistre ayant été déclaré dans les formes et délais prévus au contrat. La société V est bien partie au contrat car elle a accepté les négociations entreprises lors de la réclamation, elle est le lien entre le contrat et la compétence monégasque et en tout état de cause elle est l'organisateur de la croisière.
En ce qui concerne la preuve de la faute, il n'y a pas, selon l'intimée, inversion de la charge de cette preuve, celui qui se prétend libéré de son obligation devant en justifier, s'agissant d'une obligation de moyens. En s'opposant à cette injonction du Tribunal, les sociétés en cause feraient obstacle à la manifestation de la vérité et une réouverture des débats s'imposait.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.
SUR CE,
Attendu que les dispositions du jugement relatives à la nullité des attestations 9, 10 et 11 et à la mise à l'écart des débats de la pièce 5 sont définitives comme n'ayant pas été frappées d'appel ;
Attendu que selon l'article 524-19 alinéa 4, alors applicable, du Code de la Mer « en cas de dommages corporels, des protestations écrites doivent être adressées par le passager ou pour son compte quinze jours au plus tard après la date du débarquement : faute de ce faire le passager n'est pas recevable à intenter l'action en responsabilité, à moins qu'il ne prouve que l'absence de protestation est la conséquence d'un retard qui ne lui est pas imputable » ;
Attendu qu'il n'est pas contesté que l'accident dont a été victime Madame j. TR. est survenu le 16 mai 2008, que le débarquement a eu lieu le 25 mai, date initialement prévue, mais que la réclamation est intervenue le 6 octobre 2008, hors du délai de 15 jours ;
Attendu que Madame TR. ne fait pas état d'un retard qui ne lui serait pas imputable, mais excipe d'une stipulation du billet de croisière portant conditions générales du contrat de traversée délivré par la SAM V, organisateur du voyage, et identifiant le transporteur comme étant la société N, stipulation qui lui ferait bénéficier d'un délai plus favorable de six mois ;
Attendu que l'article 11 du contrat indique, selon la traduction française non contestée de ce contrat produite identiquement aux dossiers des parties, « Aucune action ou procédure, y compris, sans s'y limiter, réelle et/ou personnelle, ne sera maintenue à l'encontre du transporteur pour toute perte, dommage ou préjudice envers le passager résultant de toute cause quelle qu'elle soit, y compris, sans s'y limiter, tout dommage de biens, retard, immobilisation, préjudice corporel, maladie ou décès à moins qu'une notification écrite de la requête avec les détails précis ne soit remise au transporteur au X6 MC 98000 Monaco dans un délai de six (6) mois à compter du jour de la perte, du dommage ou préjudice subi par le passager. En aucun cas une action pour tout motif, tant réel que personnel, ne sera intentée ou maintenue à l'encontre du transporteur concernant le retard, l'immobilisation, le préjudice corporel, la maladie ou le décès, qu'il ait lieu à bord du bateau ou à l'extérieur, à moins que l'action n'ait commencé un (1) an à compter du jour où est survenu le dommage, retard, immobilisation, préjudice corporel, maladie ou décès nonobstant toute disposition légale contraire de tout état ou pays » ;
Mais attendu que l'article 21 du contrat dispose qu'« il est par les présentes convenu que toutes réclamations, litiges ou différends de quelque nature que ce soit résultant du présent contrat ou inhérent à celui-ci et au transport fourni seront intentés, déposés et poursuivis, le cas échéant tous, devant un tribunal compétent situé en Principauté de Monaco et seront régis et interprétés en vertu des lois de la Principauté de Monaco » ;
Attendu qu'il résulte de cette dernière disposition que le délai de 15 jours édicté par l'article 524-19 alinéa 4 du Code de la mer est applicable alors que les parties ont fait explicitement le choix dans le contrat de l'application des lois de la Principauté de Monaco ;
Que, sauf à dénaturer les dispositions contractuelles, il résulte de l'article 11 qu'un délai de six mois se superpose à compter du dommage avec le délai légal de 15 jours qui a le même point de départ, ce délai contractuel étant édicté pour que la réclamation soit maintenue sous la condition qu'une notification écrite de la requête avec les détails précis soit remise au transporteur au X7 MC 98000 Monaco, étant au surplus observé que cette adresse est précisément celle de la SAM V ;
Attendu que cette clause ne saurait être réinterprétée comme une substitution du délai de six mois au délai légal de quinze jours d'autant que la seconde phrase de la même clause précise qu'une action ne pourra être intentée ou maintenue, les termes étant bien distincts, à l'encontre du transporteur dans un second délai d'un an sous certaines conditions ;
Attendu qu'il y a lieu en conséquence d'infirmer le jugement, de constater l'irrecevabilité des demandes de Madame j. TR. en l'absence des protestations écrites du passager dans le délai légal de 15 jours, faisant obstacle à ce que soit intentée toute action en responsabilité après l'expiration de ce délai ;
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,
statuant publiquement et contradictoirement,
Constate que les dispositions du jugement relatives à la nullité des attestations 9, 10 et 11 et à la mise à l'écart des débats de la pièce 5 sont définitives comme n'ayant pas été frappées d'appel,
Infirme le jugement,
Constate l'irrecevabilité de l'action en responsabilité engagée par Madame j. TR. à l'encontre des sociétés SAM V et N SA,
Rejette en tant que de besoin comme inutiles ou mal fondées toutes conclusions et demandes plus amples ou contraires des parties,
Condamne Madame j. TR. aux dépens de première instance et d'appel, distraits au profit de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur, sous sa due affirmation,
Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable.
Vu les articles 58 à 62 de la loi n° 1398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires,
Composition🔗
Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Brigitte GRINDA GAMBARINI, Premier Président, Officier de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Muriel DORATO-CHICOURAS, Conseiller, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Mademoiselle Magali GHENASSIA, Juge de Paix, complétant la Cour et remplissant les fonctions de conseiller en vertu de l'article 22 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires, assistés de Madame Laura SPARACIA-SIOLI, Greffier en chef adjoint, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles,
Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,
Lecture est donnée à l'audience publique du 29 septembre 2014, par Madame Brigitte GRINDA GAMBARINI, Premier Président, Officier de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Laura SPARACIA-SIOLI, Greffier en chef adjoint, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, en présence de Mademoiselle Cyrielle COLLE, Substitut du Procureur Général.