Cour d'appel, 4 novembre 2013, La société civile immobilière O et autres c/ Monsieur C C

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Abstract🔗

Dénonciation téméraire - Plainte pour violation du secret bancaire - Auteur régulièrement titulaire d'un ou plusieurs comptes dans les livres de la banque (non) - Inculpation pour violation du secret bancaire - Préjudice moral - Indemnisation

Résumé🔗

Est coupable de dénonciation téméraire la société qui se plaint d'une violation du secret bancaire à son détriment par la remise soit à un ancien salarié de la banque, soit à l'huissier instrumentaire, de documents lui appartenant et afférents à sa propre situation bancaire au sein de la banque sans démontrer qu'elle était régulièrement titulaire d'un ou plusieurs comptes dans les livres de ladite banque.

L'ancien directeur général de la banque qui a fait l'objet d'une plainte pour violation du secret bancaire déposée manifestement avec légèreté et témérité subit seulement un préjudice moral en suite de son inculpation consécutive à la plainte qu'il convient d'indemniser par l'allocation à son profit à la charge de la société qui en est l'auteur de la somme de 40.000 euros à titre de dommages-intérêts.


Motifs🔗

Dossier PG n° 2004/002645

Cour d'Appel Correctionnelle

ARRÊT DU 4 NOVEMBRE 2013

En la cause de :

  • 1) La société civile immobilière O, dont le siège social est sis « 1X», 2X à MONACO, prise en la personne de sa gérante en exercice Madame J H veuve F, demeurant X (Belgique),

  • APPELANTE/INTIMÉE

  • 2) Monsieur E F B, né le 3 mai 1961 à NAMUR (Belgique), de nationalité belge, pharmacien, ayant droit économique, à la date du 27 septembre 2004, et porteur de parts, à dater du 15 juillet 2005, de la S. C. I. O, demeurant 3X (Belgique),

  • APPELANT/INTIMÉ

  • 3) Madame A M L épouse B, née le 16 juillet 1956 à NAMUR (Belgique), de nationalité belge, pharmacienne, ayant droit économique, à la date du 27 septembre 2004, et porteuse de parts, à dater du 15 juillet 2005, de la S. C. I. O, demeurant X (Belgique),

  • APPELANTE/INTIMÉE

  • représentés tous trois par Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur près la Cour d'Appel, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

  • 4) Madame J M veuve F, née le 6 mars 1931 à JUMET (Belgique), de nationalité belge, en qualité d'ayant droit économique, à la date du 27 septembre 2004, et porteuse de parts, à dater du 15 juillet 2005, demeurant X (Belgique),

  • représentée par Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur près la Cour d'Appel, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

  • APPELANTE/INTIMÉE

  • Poursuivis pour :

  • DÉNONCIATION TÉMÉRAIRE

  • (article 80 du Code de procédure pénale)

Contre :

  • - Monsieur C C, né le 22 septembre 1964 à FOLIGNO (Italie), de nationalité italienne, sans emploi, demeurant X à MONACO,

  • constitué partie civile poursuivante, représenté par Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur près la Cour d'Appel, plaidant par Maître Gaston CARRASCO, avocat au barreau de Nice ;

  • INTIMÉ/APPELANT

En présence du :

MINISTÈRE PUBLIC

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO, jugeant correctionnellement, après débats en Chambre du conseil à l'audience du 7 octobre 2013 ;

Vu le jugement contradictoire rendu par le Tribunal de Première Instance, statuant publiquement, après débats en Chambre du conseil, le 12 février 2013 ;

Vu les appels interjetés :

  • le 21 février 2013 par Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur et celui de la SCI O, d E F B et d A M L épouse B, poursuivis sur citation directe pour dénonciation téméraire,

  • le 25 février 2013 par Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur et celui de C C, partie civile poursuivante,

  • le 1er mars 2013 par Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur et celui de J H veuve F, poursuivie sur citation directe pour dénonciation téméraire, à l'encontre d'un jugement contradictoirement rendu par le Tribunal Correctionnel, statuant publiquement après débats en Chambre du conseil, le 12 février 2013 ;

Vu l'ordonnance de Madame le Premier Président en date du 7 mars 2013 ;

Vu les citations suivant exploit enregistré du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 28 mars 2013 ;

Vu les conclusions de Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur et celui de la SCI O, d E F B et d A M L épouse B, poursuivis pour dénonciation téméraire, en date du 7 juin 2013 ;

Vu les conclusions de Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur et celui de C C, en date du 3 octobre 2013 ;

Vu les pièces du dossier ;

Ouï Monsieur Gérard FORÊT-DODELIN, Vice-Président, en son rapport ;

Ouï Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur et celui de la SCI O, d E F B et d A M L épouse B, poursuivis pour dénonciation téméraire, en ses plaidoiries ;

Ouï Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur et celui de J H veuve F, poursuivie pour dénonciation téméraire, en ses plaidoiries ;

Ouï Maître Gaston CARRASCO, autorisé à plaider par Monsieur le Président, avocat au Barreau de Nice et celui de C C, partie civile poursuivante en ses demandes, fins et conclusions ;

Ouï le Ministère Public en ses réquisitions ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Par jugement contradictoire en date du 12 février 2013, le Tribunal Correctionnel, statuant publiquement après débats en Chambre du Conseil a :

  • déclaré irrecevable l'action sur le fondement de l'article 80 du Code de procédure pénale à l'égard de J H veuve F, E F B et A M L épouse B,

  • déclaré l'action à l'égard de la société civile immobilière O recevable,

  • débouté C C de ses demandes de dommages et intérêts pour dénonciation téméraire au titre du préjudice matériel et du pretium doloris,

  • condamné la société civile immobilière O à payer à C C la somme de 40.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,

  • condamné, en outre, la société civile immobilière O aux frais, comprenant les droits prévus par l'article 63 de l'ordonnance souveraine n° 15.173 du 8 janvier 2002, avec distraction au profit de Maître Didier ESCAUT et de Maître Arnaud ZABALDANO, avocats-défenseurs, dont la présence est reconnue effective et nécessaire aux débats.

Appels ont été respectivement relevés les :

  • 21 février 2013 par Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur et celui de la SCI O, de E F B et de A M L épouse B,

  • 25 février 2013 par Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur et celui de C C partie civile poursuivante,

  • 1er mars 2013 par Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur et celui de J H veuve F poursuivie.

Les appels réguliers en la forme sont recevables.

Considérant les faits suivants :

Le 11 novembre 2004, la société civile immobilière O se disant représentée par son gérant en exercice et élisant domicile au cabinet de Maître MICHEL, avocat-défenseur, déposait plainte avec constitution de partie civile devant le juge d'instruction à l'encontre de « la personne pénalement responsable de la SA P » du chef de violation de secret bancaire.

Elle exposait être titulaire d'un compte bancaire ouvert auprès de la SA P dont le directeur général était C C.

Après le licenciement par la SA P de son directeur commercial A C, la banque avait signifié à son ancien employé le 2 juillet 2004 des documents couverts par le secret bancaire parmi lesquels un courrier daté du 21 décembre 2001 de la SCS H adressé au siège de la 1X ancienne appellation de SA P, à l'attention de son salarié A C.

La plaignante arguait que cette signification à une personne qui n'était plus tenue par le secret professionnel constituait une violation du secret bancaire.

C C entendu d'abord comme témoin puis en qualité d'inculpé, déclarait que la SCI O n'était pas un client de la la SA P et contestait toute violation du secret bancaire.

Il expliquait qu'à la suite du licenciement d A C, il avait fait remettre à celui-ci des pièces que contenait son bureau parmi lesquelles la pièce « D2 » litigieuse qui constituait une correspondance privée de A C puisqu'elle faisait référence à « notre client commun » en exposant que les courriers portant la mention « à l'attention de » n'étaient pas répertoriés par la banque car considérés comme privés.

Il affirmait ne pas comprendre que la SCI O puisse se plaindre de la communication à A C d'un courrier qui avait été adressé à celui-ci, alors même que A C restait tenu à la confidentialité.

Le 18 mai 2005, H G agissant en sa qualité de gérant de la SCI O adressait un courrier au juge d'instruction pour lui expliquer qu'il n'avait jamais été mandaté par les associés pour déposer plainte ni mandaté un avocat à cette fin et qu'il s'agissait manifestement d'une démarche spontanée des associés.

Le 24 mai 2005 J M, A M L épouse B et E F B se présentaient devant le juge d'instruction et déclaraient être les ayants droits économiques de la SCI O.

Ils étaient entendus par le juge d'instruction le 4 mars 2009 en présence de leur conseil, lequel déclarait avoir été approché par A C puis par J M et les époux épouse B.

A M L épouse B déclarait qu'A C avait été leur banquier et les avait informés avoir reçu signification de documents secrets contrairement aux règles déontologiques.

A C les avait invités « à ne pas en rester là ».

A M L épouse B indiquait avoir été en relation bancaire avec A C depuis de nombreuses années mais disait ne pas se souvenir si la SCI O disposait d'un compte auprès de la SA P.

E F B précisait que Monsieur F. était leur conseil juridique en Principauté et que J M était la gérante de la SCI O depuis l'année 2005.

Au terme de son information, le juge d'instruction constatant que celle-ci n'avait pas permis de caractériser la commission du délit de violation du secret bancaire ou professionnel à défaut d'établir que la SCI O était cliente de la SA P, alors qu'au contraire il apparaissait qu'A C n'avait reçu signification que de courriers qui lui étaient personnels et totalement étrangers à l'activité bancaire de la société SA P, les soldes bancaires y apparaissant n'étant pas détenus au sein de cet établissement, et qu'en outre les conditions de la plainte déposée par la SCI O apparaissaient ressortir du contentieux opposant A C à son ancien employeur et n'avait d'autre but que de peser sur le litige dont était saisi le Tribunal du travail, la SCI O n'alléguant aucun préjudice à raison de cette divulgation, rendait dès lors le 12 mars 2010 une ordonnance disant n'y avoir lieu à suivre contre C C du chef de violation du secret bancaire ou professionnel.

Le 5 juillet 2011, C C qui y avait été préalablement autorisé, a fait délivrer citation directe à la SCI O, à J H veuve F, à E F B et à A M L épouse B par devant le Tribunal correctionnel du chef de dénonciation téméraire sur le fondement de l'article 80 du Code de procédure pénale pour solliciter l'indemnisation des divers chefs de préjudice qu'il dit avoir subis à raison de la dénonciation téméraire dont il a fait l'objet, à savoir :

  • 757.760 euros au titre de son préjudice matériel,

  • 50.000 euros au titre de son pretium doloris,

  • 100.000 euros au titre de son préjudice moral.

Aux termes du jugement désormais entrepris, le Tribunal correctionnel a :

  • déclaré irrecevables les demandes formées à l'encontre de J H veuve F, E F B et A M L épouse B personnellement,

  • considéré que la plainte de la SCI O avait été déposée par elle manifestement avec légèreté et témérité, même si la volonté de nuire n'était pas démontrée,

  • C C subissait seulement un préjudice moral en suite de l'inculpation consécutive à la plainte dont il avait été l'objet qu'il convenait d'indemniser par l'allocation à son profit à la charge de la SCI O de la somme de 40.000 euros à titre de dommages-intérêts.

En vue de l'audience devant la Cour d'appel le conseil de la SCI O, E F B et A M L épouse B a déposé le 10 juin 2013 des conclusions accompagnées de pièces aux termes desquelles il demande de voir :

  • confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a déclaré l'action irrecevable à l'encontre des défendeurs personnes physiques,

  • réformer la dite décision pour le surplus et débouter C C de l'ensemble de ses demandes comme irrecevables et mal fondées.

C'est ainsi qu'ils exposent que :

  • la SCI O en la personne de ses ayants droits économiques a déposé plainte contre X du chef de violation du secret bancaire en exposant que la SCI O était « titulaire dans les comptes des livres de la SA P » et que parmi les documents que la banque avait fait remettre à son directeur A C par voie d'huissier se trouvait notamment un courrier adressé par la SCS H et Cie en charge de la gestion de la SCI O contenant des informations confidentielles sur la situation financière de la société alors qu'il était détenu par la banque SA P en sa qualité de dépositaire de fonds appartenant à la SCI O,

  • un litige s'étant fait jour entre les ayants droits économiques de la société O et leur conseil la SCS H, Monsieur H avait donné pour instruction au gérant de ne pas confirmer la constitution de partie civile,

  • cette situation a contraint les associés de la SCI ayant mandaté à cette fin un Avocat-Défenseur, à confirmer personnellement la plainte déposée pour le compte de leur société et lors de leur audition par le juge d'instruction ils ont déclaré qu'était anormal que des documents confidentiels aient été communiqués à un huissier par la Banque et de surcroît signifiés à A C qui n'était plus préposé de cette banque, tout en indiquant qu'ils envisageaient de s'en désister,

  • les faits relevés par l'ordonnance de non lieu sont inexacts en ce sens que la SCI O avait bien une relation bancaire avec la Banque SA P,

  • c'est de leur propre gré que les ayants droits de la société O ont déposé plainte et non à la demande de A C.

Ils arguent d'autre part que :

  • leur dénonciation ne revêtait aucun caractère téméraire alors qu'ils ont toujours cru que la SCI O détenait un compte dans les livres de la succursale monégasque de la SA P, même s'ils n'ont pas été en mesure d'en rapporter la preuve, faisant grief au demeurant au juge d'instruction de ne pas avoir investigué de ce chef,

  • la SCI O a disposé d'un compte auprès de la SA D qui a des liens avec la SA P,

  • Il ne saurait être contesté que A C a reçu ces documents en sa seule qualité de salarié de la banque,

  • l'existence d'une relation contractuelle et professionnelle entre la SA P et sa cliente est attestée par la lettre adressée par le Conseil juridique de 3X du Luxembourg, ancienne dénomination de la SA P, courriers adressés à A C es-qualité de salarié de la SA D du Luxembourg en employant le terme « notre cliente commune »,

  • la Banque étant dépositaire des documents litigieux a commis une faute en les transmettant à des tiers ce qui enlève à leur dénonciation tout caractère téméraire,

  • même s'ils ne l'ont pas fait, ils voulaient se désister de leur plainte pour la seule raison de son ancienneté,

  • ils n'ont pas agi à la demande de A C même si celui-ci leur avait indiqué que le comportement de la Banque était contraire aux règles déontologiques et qu'il convenait de ne pas en rester là,

  • les faits dénoncés sont matériellement exacts,

  • ils ont subi un préjudice au moins moral du fait de la divulgation d'informations personnelles à deux tiers extérieurs à la Banque,

  • la plainte a été déposée contre X et non contre personne dénommée,

  • cette plainte n'a causé aucun préjudice au plaignant alors que C C n'a été licencié par son employeur qu'en raison de sa gestion calamiteuse de l'établissement la SA P MONACO et non en suite de la plainte,

  • contrairement à ce qu'a estimé le Tribunal, E F B, A M L épouse épouse B et J MN étaient bien les bénéficiaires économiques de la SCI O et avaient mandaté par écrit leur conseil Maître MICHEL à l'effet de déposer plainte du chef de violation du secret bancaire de sorte qu'il résulte tant de l'ordonnance de non lieu que de l'arrêt de la Cour d'appel que la plainte déposée par la SCI O par ses ayants droits économiques était régulière,

  • les premiers juges n'ont pas tenu compte du contenu de la lettre du 21 décembre 2001 adressée par la SCS H à la SA D du Luxembourg qui établit l'existence de ce compte,

  • seule l'existence de ce compte peut justifier que la SA P soit en possession de relevés de comptes de la SCI O,

  • le fait que C C ait bénéficié d'un non-lieu est la conséquence de la renonciation par eux à cette plainte, renonciation exclusivement motivée par le fait que la procédure d'instruction ait duré plus de 8 ans sans avancée notable,

  • subsidiairement le tribunal a excessivement apprécié le montant du préjudice subi par C C.

Le conseil de C C a déposé des conclusions le 3 octobre 2013 aux termes desquelles il sollicite :

  • l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a débouté de ses demandes de dommages-intérêts pour dénonciation téméraire au titre du préjudice matériel et du pretium doloris et a condamné la SCI O à lui payer la somme de 40.000 euros en réparation de son préjudice moral,

  • de voir écarter comme non fondés les moyens invoqués par la SCI O, E F B et A M L épouse B,

  • de le voir déclarer fondé en sa demande de réparation pour abus de droit et de condamner en conséquence la SCI O à lui verser

    • 757.760 euros au titre de son préjudice matériel,

    • 50.000 euros au titre du pretium doloris,

    • 100.000 euros au titre du préjudice moral avec intérêts au taux légal à compter de la date du jugement à intervenir,

  • de condamner la SCI O aux entiers dépens.

C'est ainsi qu'il fait valoir que :

  • l'information a incontestablement établi nonobstant ses prétentions contraires que la SCI O n'était pas titulaire d'un compte dans les livres de la SA P,

  • la SCI O, E F B et A M L épouse B sont dans leurs conclusions d'une parfaite mauvaise foi et dénaturent les faits pour accuser faussement C C (pages 11 à 29 de ses conclusions),

  • contrairement aux prétentions de ses adversaires, il n'a jamais été licencié pour raisons disciplinaires ou insuffisance professionnelle mais pour la seule raison de la « suppression » de son poste,

  • la décision de restituer par voie d'huissier à A C les pièces lui appartenant et étrangères à la banque a été prise en accord avec sa hiérarchie, et n'a jamais été considérée comme fautive,

  • A C pour se venger de lui, a incité ses amis belges ayants droits économiques de la SCI O, à déposer plainte à son encontre ce qu'ils ont accepté de faire tout en sachant que la SCI O n'était titulaire d'aucun compte auprès de la SA P MONACO,

  • les 5 notes d'honoraires établissent que A C exerçait lorsqu'il travaillait chez la SA P en complicité avec la SCS H, une activité de conseil juridique et fiduciaire à titre personnel de manière illicite et à l'insu de son employeur,

  • ni le courrier de la SCS H du 21 décembre 2001 ni celui deSARL I du 20 mars 2002 ne prouvent l'existence d'un compte de la SCI O dans les livres de la SA P Monaco,

  • la plainte a été déposée par la SCI O à l'instigation d A C et à la demande des trois ayants droits économiques dans le seul but de lui nuire, et constitue une machination à son encontre,

  • elle lui a causé un préjudice matériel par l'impossibilité de retrouver un emploi dans son secteur, un pretium doloris pour avoir vu son état de santé s'en ressentir et un préjudice moral,

  • le jugement est critiquable en ce qu'il a dit que la volonté de nuire n'était pas démontrée alors que toutes les auditions réalisées démontrent que A C en était l'instigateur sur la base de faits délictueux qu'il savait faux.

Lors de l'audience devant la Cour, les Conseils des parties ont repris verbalement de contenu des écritures d'audience par eux déposées.

Maître ZABALDANO conseil de J MN veuve F a sollicité la confirmation du jugement en ce qu'il a déclaré irrecevables les prétentions de C C à son encontre.

Le Ministère Public s'en est rapporté à justice.

SUR CE,

Attendu qu'il est constant aux termes de la pièce cotée D 1 du dossier d'information que le 15 novembre 2004, Maître Frank MICHEL Avocat-Défenseur rendait destinataire le juge d'instruction de la Principauté d'une plainte avec constitution de partie civile pour le compte de la Société Civile Immobilière « O » (en réalité O) « agissant poursuites et diligences de son gérant en exercice Monsieur H G » et élisant domicile en son Etude en exposant que la SCI O était « titulaire d'un compte dans les livres de la succursale monégasque de la SA D Luxembourg SA dont Monsieur C C est le Directeur Général » et que la Banque avait pris l'initiative de signifier par voie d'huissier à A C son ancien salarié, quatre mois après son licenciement « divers documents qui émanent de clients de cette banque, dont plusieurs concernent la requérante » en violation du secret bancaire auquel elle était tenue ;

Que le 15 mai 2005, le gérant en exercice de la SCI O contestait avoir été mandaté par les associés de la SCI pour « porter plainte au nom de la SCI O » en laissant entendre que les « associés avaient agi directement en mandatant un avocat pour régler un différend avec un établissement bancaire » ;

Que le 24 mai 2005 et en réponse à une convocation adressée par le juge d'instruction à la SCI O et à son Conseil le 11 mai 2005, J H veuve F, E F B et A M L épouse B se présentaient au Greffe du juge d'instruction en leurs qualités d'ayants droits économiques de la SCI O ;

Que les premiers juges ayant à juste titre constaté qu'à la date du 24 mai 2005 ces ayants droits économiques n'avaient aucunement la qualité d'associé laquelle ne leur sera acquise que passée la date du 15 juillet 2005 à partir de laquelle ils deviendront cessionnaires des parts précédemment détenues par la SA G et la société V, c'est à bon droit que le tribunal a pu valablement considérer que le dépôt de cette plainte engageant la SCI O, bien que régularisée plus tard, avait manifestement été réalisée avec légèreté ;

Que les mandats de représentation produits ultérieurement par J H veuve F, E F B et A M L épouse B en suite de leur audition par le juge d'instruction le 4 mars 2009, quoique portant la date du 27 septembre 2004 antérieure au dépôt de plainte réalisé mais qui n'ont pas été produits lors du dépôt de celle-ci, laquelle n'avait pas été formalisée en leur nom mais seulement en ce qu'elle était au nom de la SCI O, participent dans les mêmes conditions de la légèreté mise en exergue par le Tribunal ;

Qu'en l'état de ce que la SCI O a été déclarée régulièrement constituée partie civile, c'est toutefois à bon droit que le tribunal a déclaré irrecevable l'action initiée par C C à l'encontre de J H veuve F, E F B et A M L épouse B ;

Attendu qu'il est constant d'autre part que pour pouvoir légitimement se plaindre de la violation du secret bancaire à son détriment par la remise soit à A C lui-même alors qu'il n'était plus salarié de la banque, soit à l'huissier instrumentaire, des documents lui appartenant et afférents à sa propre situation bancaire au sein de la SA D, il incombait préalablement à la SCI O de démontrer qu'elle était régulièrement titulaire d'un ou plusieurs comptes dans les livres de la dite banque dont la remise à des tiers de documents y afférents aurait pu constituer l'infraction fondant la plainte par elle déposée ;

Attendu que la SCI O, E F B et A M L épouse B ont de leur propre aveu en page 7 de leurs écritures d'audience convenu que « cette situation (tenant au particularisme de la SCI O et de ce que ressortissants belges ils ne se rendaient pratiquement jamais en Principauté et avaient confié le soin au Conseil juridique de la SCS H de gérer l'ensemble de leurs affaires y compris les relations avec les banques) explique qu'aucun des trois associés de la SCI O ne connaissaient précisément les comptes ouverts au nom de cette SCI et qu'ils n'ont jamais disposé d'aucune documentation bancaire » ;

Que la Cour observe toutefois que sur la base de la reconnaissance par la SCI O, E F B et A M L épouse B de leur situation d'ignorance de l'existence ou non de ces comptes et sauf à s'exposer au grief de témérité désormais articulé à leur encontre, il leur appartenait nécessairement avant de déposer plainte, de s'assurer auprès de leur conseil juridique de la pertinence et du bien fondé de celle-ci, étant observé qu'il n'incombait pas à l'information d'établir que la SCI O était bien ainsi qu'ils le prétendaient détentrice de comptes auprès de la banque SA P;

Que la Cour observe toutefois que sur l'interpellation que lui a adressée le juge d'instruction le 4 mars 2009, leur propre conseil a reconnu qu'à l'origine il avait été approché pour agir dans cette procédure par le seul A C qui intervenait en tant que tiers par rapport à la SCI O et que c'est par la suite que les trois ayants droits de la SCI O lui avaient donné pouvoir pour agir ;

Que A M L épouse B a en outre précisé que c'est à la suite de la réception par A C dans le cadre de son licenciement, de documents bancaires relatifs à la SCI O de manière contraire aux règles déontologiques de sa profession qu'il les « avait incités à ne pas en rester là » de sorte qu'en compagnie de son mari elle avait confié l'affaire à son Avocat ;

Que le conseil des plaignants a d'ailleurs déclaré que Monsieur et Madame épouse B entretenaient uniquement des relations avec Monsieur A C, lequel était seul en mesure d'affirmer sans pouvoir en justifier que la SCI O était bien titulaire d'un compte bancaire auprès de la SA D du Luxembourg ;

Qu'il s'évince dès lors nécessairement de ces éléments qu'à la date à laquelle ils ont déposé plainte au nom de la SCI O, les requérants étaient dans la totale ignorance de la situation exacte de leur société au regard de la Société SA D;

Attendu que pour combattre l'argumentaire retenu par le juge d'instruction selon lequel la SCI O n'avait jamais été titulaire de comptes dans les livres de la banque SA P et établir ainsi la légitimité de leur plainte, la SCI O, E F B et A M L épouse B se prévalent devant la Cour de deux documents spécifiques sur l'analyse desquels ils concluent qu'ils établissent incontestablement la qualité de client de la SCI O à l'égard de la SA D.

Attendu que contrairement à l'interprétation que veulent bien faire les plaignants du document adressé par la SCS H et Cie à la SA D du Luxembourg le 21 décembre 2001 « à l'attention de Monsieur A C » et faisant référence à « notre client commun la SCI O », il convient d'observer que ce document doit s'analyser comme une demande adressée par la SCS H, laquelle était à cette date le mandataire de la SCI O (cote D 41), à A C personnellement, à l'effet de lui voir créditer le compte bancaire de la SCI O à la SAM E, compte dont la position créditrice était insuffisante pour faire face aux dépenses afférentes à un avis d'imposition et à un appel de charges, la SCI O n'apparaissant dès lors « commune » qu'à la seule SCS H et à A C ;

Qu'en tout état de cause le fait pour la SCI O, E F B et A M L épouse B de ne pas être en mesure de produire la réponse faite par A C en réponse à la demande de la SCS H enlève toute pertinence à leur affirmation ;

Que la Cour voudra notamment pour preuve de l'absence de compte de la SCI O à la Banque SA P, la pièce 130 produite par A C dont il résulte que pour satisfaire aux demandes de la SCS H en paiement des sommes qui pouvaient être dues par des sociétés qu'il avait personnellement en portefeuille (O, P, A SCI ) et dont il assurait manifestement la gestion, A C était conduit à procéder à des opérations de crédit au profit de la SCS H par le débit de son compte personnel auprès de SA R de Monaco ;

Attendu que la SCI O, E F B et A M L épouse B entendent se prévaloir en dernier lieu de la pièce 1 « situation bancaire au 4 juin 2004 (14 feuillets) » qu'ils ont communiquée en vue de l'audience ;

Attendu que cette pièce qui concerne apparemment la situation du « Compte COBEA » dont serait titulaire « épouse B Client 500024 » auprès de SA P ne peut aucunement établir, en l'absence de toute indication de ce chef, l'existence d'un compte à son nom dans les livres de la banque ainsi que ne cesse de le revendiquer sans l'établir la SCI O ;

Attendu enfin que la Cour ne peut manquer d'observer que la témérité de la plainte déposée résulte également du mécanisme selon lequel les documents litigieux ont été remis à A C, dès lors que si les documents retrouvés dans le bureau de ce dernier avaient concerné la Banque SA P ils auraient nécessairement fait l'objet d'un reclassement au fichier central de la banque ou au fichier du client et que ce n'est qu'en raison de leur totale extranéité à ces deux composantes du secret bancaire qu'ils ont été remis à l'huissier en charge de les acheminer au domicile personnel de A C ;

Que la Cour constate en outre que la SA D qui a repris en mars 2005 une partie du fonds de commerce de la la SA P a expliqué en cote D 34 qu'à la date de cette reprise, aucun compte au nom de la SCI O ne lui avait été transféré dans ses livres ;

Que de la même manière lors du changement de la personne du gérant de la SCI O intervenu le 15 juillet 2005 (D 44), le procès-verbal de l'assemblée générale dans sa quatrième résolution porte sur le changement du signataire autorisé sur le seul compte de la SCI O ouvert à la SA D agence de Monaco à l'exclusion de tout autre compte au sein d'une autre banque et a fortiori de la Banque SA P;

Qu'il sera observé en dernier lieu, que le 4 mars 2009 lorsqu'ils ont été entendus une dernière fois par le juge d'instruction, E F B et A M L épouse B continuaient de vouloir se « renseigner plus avant concernant l'ouverture d'un compte bancaire à la SA P SA au nom de la SCI O » renseignement dont ils semblaient considérer qu'il constituait une hypothétique condition de leur désistement à intervenir au regard de l'ancienneté des faits, mais dont ils auraient du s'assurer préalablement de l'existence si la SCI O qu'ils représentait, n'avait pas fait preuve de la témérité qui lui est désormais et à juste titre reprochée ;

Que c'est dès lors à bon droit que le Tribunal correctionnel a considéré que la plainte avait été déposée manifestement avec légèreté et témérité ;

Attendu sur le préjudice que C C, reprenant en cela les prétentions qu'il avait formalisées devant le tribunal correctionnel, sollicite 757.760 euros au titre de son préjudice matériel, 50.000 euros au titre de son pretium doloris et 100.000 euros au titre de son préjudice moral.

Attendu sur le préjudice matériel que la Cour observe que seul un employeur potentiel SARL H a fait connaître à C C le 30 avril 2009 qu'il n'était pas en mesure de l'embaucher compte tenu de la procédure en justice dont il faisait l'objet, dans des conditions dont le Tribunal a pu à juste titre considérer que ce refus dont la preuve était rapportée de manière unique n'était pas suffisant à établir les éléments du préjudice matériel dont il se prévalait de ce chef, alors même que ce n'est qu'en suite de la cessation des activités de la SA D dans le courant de l'année 2005 qu'il avait du rechercher un autre emploi qu'il avait immédiatement trouvé au sein de la SA N ;

Attendu que quoique C C entende se plaindre de douleurs éprouvées et/ou de la détérioration de son état de santé dans des conditions distinctes du préjudice moral dont il sollicite par ailleurs l'indemnisation, il ne justifie aucunement du lien de causalité entre les douleurs qu'il dit avoir subies et dont il rapporte imparfaitement la preuve au demeurant et l'inculpation dont il a été l'objet dans des conditions qui ont dès lors conduit le tribunal à le débouter de ce chef de prétentions ;

Attendu sur le préjudice moral subi par l'appelant, que le Tribunal a réalisé de celui-ci une exacte appréciation notamment en prenant en compte les effets perturbateurs de la légèreté et de la témérité dont a fait preuve la SCI O à son endroit, alors même qu'il n'avait agi que dans un cadre exclusivement professionnel en prenant la précaution de solliciter de sa hiérarchie l'avis de celle-ci quant au protocole à respecter ;

Que le jugement sera en conséquence confirmé dans toutes ses dispositions civiles ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS, et ceux non contraires des Premiers Juges,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO, statuant publiquement en matière correctionnelle, après débats en Chambre du Conseil, par arrêt contradictoire,

Reçoit C C en son appel,

Au fond confirme le jugement prononcé par le Tribunal correctionnel le 12 février 2013 en toutes ses dispositions déférées,

Condamne la Société Civile Immobilière O aux frais qui comprendront les droits prévus par l'article 63 de l'ordonnance souveraine n° 15.173 du 8 janvier 2002 avec distraction au profit de Maîtres Didier ESCAUT et Arnaud ZABALDANO, avocats-défenseurs dont la présence est reconnue effective et nécessaire aux débats,

Composition🔗

Ainsi jugé et prononcé en audience publique de la Cour d'appel de la Principauté de Monaco, au Palais de Justice, le quatre novembre deux mille treize, par Monsieur Gérard FORÊT-DODELIN, Vice Président, Madame Muriel DORATO-CHICOURAS, Conseiller, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Monsieur Marc SALVATICO, Conseiller, sur les réquisitions de Monsieur Gérard DUBES, Premier Substitut du procureur général, assistés de Madame Virginie SANGIORGIO, Greffier en Chef adjoint.

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