Cour d'appel, 12 avril 2011, Madame s., s. X et autres c/ Monsieur le Professeur Pierre Z et Monsieur le Professeur Claude A

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Abstract🔗

Responsabilité civile – Responsabilité médicale – Conditions – Faute personnelle (non)

Résumé🔗

En application des articles 2 et 3 de la loi n° 983, les médecins praticiens hospitaliers ne peuvent être déclarés civilement responsable envers l'administration ou les tiers qu'en raison de leur faute personnelle, laquelle s'entend de celle qui est dépourvue de tout lien avec le service ou de celle qui, bien que non dépourvue de tout lien avec le service, se détache de celui-ci en raison de son anormale gravité ou de l'intention de nuire ou de l'intérêt personnel dont elle procède.

L'information du malade qui, au moment des faits pouvait se prouver par tous moyens, (et donc par présomptions) doit par ailleurs être appréciée en fonction de la conscience qu'il avait de la gravité de son état, (espérance de vie à court terme) et des souffrances physiques et morales qu'il était susceptible d'endurer.

Il doit être admis que pour éviter une deuxième anesthésie, l'intervention chirurgicale ait été pratiquée immédiatement après l'endoscopie, ce qui justifie que le praticien ait informé son patient de cette éventualité avant même l'exploration endoscopique et n'ait pas réitéré cette information entre les deux actes, le consentement éclairé du malade ayant déjà été recueilli et celui-ci ne pouvant à l'évidence qu'acquiescer une nouvelle fois, si l'intervention chirurgicale avait été différée.


Motifs🔗

COUR D'APPEL

ARRÊT DU 12 AVRIL 2011

En la cause de :

  • - Madame s., s. X veuve de Monsieur v. Y, née le jj/mm/aa à Menton, de nationalité monégasque, demeurant x1 à Monaco ;

  • - Monsieur j.-v., j.-b., g. Y, né le jj/mm/aa à Monaco, de nationalité monégasque, directeur de sociétés, demeurant « Le G. », X2 à Monaco ;

  • - Monsieur p., r., s., i. Y, né le jj/mm/aa à Monaco, de nationalité monégasque, administrateur de sociétés, demeurant X3 ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Jacques SBARRATO, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par Maître Gilbert RIVOIR, avocat au Barreau de Nice, et Maître François HONNORAT, avocat au Barreau de Paris ;

APPELANTS,

d'une part,

contre :

  • - Monsieur le Professeur Pierre Z, pris en sa qualité de chef du Service de Médecine d'Hématologie Oncologie à l'établissement public de droit monégasque I., demeurant X4, 06230 - Villefranche - sur - mer ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par Maître Claude-André CHAS, avocat au Barreau de Nice ;

  • - Monsieur le Professeur Claude A, pris en sa qualité de Chef du service de Chirurgie à l'établissement public de droit monégasque I., demeurant X5 - 06360- Eze Village (Alpes Maritimes France) ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Joëlle Y-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par Maître Jean-François ABEILLE, avocat au Barreau de Marseille ;

INTIMÉS,

d'autre part,

LA COUR,

Vu le jugement rendu par le Tribunal de première instance, le 12 mars 2009 (R.3327) ;

Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 29 mai 2009 ;

Vu les conclusions déposées les 6 octobre 2009 et 23 mars 2010, par Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur, au nom de Monsieur le Professeur Z ;

Vu les conclusions déposées les 6 octobre 2009, 23 mars 2010, 15 juin 2010 et 27 décembre 2010, par Maître Joëlle Y-BENSA, avocat-défenseur, au nom de Monsieur le Professeur Claude A ;

Vu les conclusions déposées les 11 janvier 2010, 25 mai 2010, 23 novembre 2010, 9 février 2011 et 14 février 2011, par Maître Jacques SBARRATO, avocat-défenseur, au nom des consorts Y ;

Ouï les conseils des parties en leurs plaidoiries ;

Ouï le ministère public ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

La Cour statue sur l'appel relevé par s. X veuve Y, j.-v. Y, p. Y, à l'encontre d'un jugement du Tribunal de Première Instance du 12 mars 2009.

Considérant les faits suivants :

Le jugement entrepris auquel il convient de se référer pour l'exposé des faits et de la procédure antérieure :

  • - a constaté l'existence d'une faute personnelle commise par le Docteur p. B et d'une faute de service incombant à l'établissement public de droit monégasque I,

  • - a dit que ces fautes ont porté atteinte à la dignité de v. Y,

  • - a déclaré l'établissement public de droit monégasque I, et le Docteur p. B tenus de réparer l'entier dommage causé à v. Y ainsi qu'à s. X veuve Y, j.-v. Y et p. Y (ses fils),

  • - a condamné in solidum l'établissement public de droit monégasque I, et le Docteur p. B à payer à s. X veuve Y, j.-v. Y et p. Y la somme de 1 euro chacun en réparation de leur préjudice moral personnel,

  • - a donné acte à ces derniers de leurs réserves quant à la réparation d'un éventuel préjudice économique,

  • - les a déboutés de leurs demandes à l'encontre du Professeur Pierre Z et du Professeur Claude A.

Pour parvenir à cette décision, le Tribunal au visa des dispositions de l'article 11 de l'Ordonnance Souveraine n° 7.928 du 6 mars 1984, de l'article 26 de l'Ordonnance Souveraine n°13.839 du 29 décembre 1998 et celles de la loi n°983 du 26 mai 1976 (notamment ses articles 2 et 3) a considéré :

  • - qu'aucune faute ne pouvait être reprochée au Professeur Z ni dans la décision de transférer le patient dans son service de médecine interne dont il n'a pas pris l'initiative, ni dans le manque d'information du personnel infirmier de ce service sur l'état de ce patient, ni dans le retard apporté aux soins nécessités par l'aggravation de son état le matin du 11 mars 2002,

  • - que le Professeur Claude A a manqué à son obligation de donner au patient une information suffisante sur son état et les perspectives de traitement ou d'intervention chirurgicale ainsi qu'à son obligation de recueillir son consentement éclairé à ladite intervention qui ne revêtait pas de caractère d'urgence,

  • - que cette faute qui n'était pas dépourvue de tout lien avec le service ne procédait cependant pas d'une intention de nuire ou de la poursuite d'un intérêt personnel et qu'elle ne présentait pas un caractère d'anormale gravité de sorte qu'au regard de l'article 3 de la loi n° 983 elle ne pouvait être considérée comme une faute personnelle et que le Professeur Claude A ne pouvait donc être déclaré civilement responsable conformément à ce que dispose l'article 2 de ce texte qui écarte dans ce cas une telle déclaration de responsabilité,

  • - que le Professeur Claude A n'avait manqué à aucune autre de ses obligations ni dans la surveillance du patient après son transfert dans le service de médecine interne, ni dans le retard pris le 11 mars 2002 en matinée pour décider et pratiquer une deuxième intervention chirurgicale, ni dans le choix de ce type d'intervention (anastomose) qui pouvait apparaître appropriée à l'état du malade,

  • - que le Docteur p. B a commis en revanche une faute d'une anormale gravité en ne se rendant pas au chevet du patient dans la nuit du 10 mars au 11 mars 2002 alors qu'il était de garde à l'établissement public de droit monégasque I. et qu'il a été alerté à quatre reprises par l'infirmière du service à laquelle il s'est borné à donner des instructions téléphoniques en lui précisant d'administrer de la morphine au malade pour calmer sa douleur,

  • - qu'en application de l'article 4 de la loi n° 983 l'action en réparation du préjudice causé pouvait être concurremment engagée contre le Docteur p. B et l'établissement public de droit monégasque I.,

  • - que de surcroît l'établissement public de droit monégasque I. devait voir sa responsabilité engagée en raison d'un défaut de coordination des services de l'établissement constitutif d'une faute de service.

Les consorts Y ont relevé partiellement appel de ce jugement en intimant uniquement le Professeur Z et le Professeur Claude A.

Dans leur acte d'appel, puis dans leurs conclusions postérieures, ils demandent la réformation du jugement déféré en ce qu'il n'a pas retenu l'existence de fautes personnelles des deux intimés.

Ils considèrent qu'en réalité ces deux praticiens ont chacun commis des fautes personnelles détachables du service en raison de leur anormale gravité et qu'ils doivent en conséquence être tenus à réparation in solidum avec le Docteur p. B et l'établissement public de droit monégasque I., en soulignant que ces fautes ont porté atteinte à la dignité du malade.

Ils soutiennent et font valoir à cet effet, en ce qui concerne le Professeur Z :

  • - que responsable du service dans lequel le patient avait été transféré, il devait assurer sa prise en charge et son suivi, et qu'il a manqué à ses obligations en lui prescrivant par téléphone le 11 mars à 7H des substances toxiques sans l'examiner, ce qui a eu pour effet de retarder le diagnostic ayant conduit à une deuxième intervention chirurgicale le même jour à 13H, étant ajouté que cette injection de morphine n'a pas été mentionnée sur les feuilles de soins,

  • - que de même il a manqué à ses obligations en ne tenant pas immédiatement informé le service de chirurgie de l'évolution péjorative du malade le 11 mars au matin alors qu'il aurait dû alerter aussitôt le chirurgien de garde (Docteur C),

  • - que ces fautes personnelles qui se situent dans un contexte d'opposition de personnes entre le Professeur Z et le Professeur A, constituent des manquements graves au sens de l'article 3 alinéa 2 de la loi n° 983 et sont détachables du service.

S'agissant du Professeur A les appelants soutiennent :

  • - qu'il a manqué à son obligation d'information du patient qui était apte à la recevoir et qu'il s'est abstenu de recueillir son consentement éclairé sur l'intervention chirurgicale qu'il a pratiquée (colectomie) le 6 mars, alors qu'il n'y avait aucune urgence à la réaliser,

  • - qu'il a en outre commis une faute en retardant l'intervention chirurgicale du 11 mars 2002 alors que par nature cette intervention (anastomose) doit être réalisée en urgence et que selon les experts ce retard de diagnostic de péritonite et de son traitement est la cause du décès du patient,

  • - que cette intervention n'a pas en outre été réalisée conformément aux règles de l'art,

  • - que l'ensemble de ces manquements constituent des fautes personnelles détachables du service en raison des considérations personnelles qui les ont déterminées, à savoir une opposition avec le Professeur Z ou tout au moins une divergence de points de vue qu'une concertation multidisciplinaire aurait évitée, laquelle n'a pas eu lieu même après le transfert du patient dans le service de médecine du Professeur Z,

  • - que leur anormale gravité doit être retenue au sens de l'article 3 alinéa 2 de la loi n° 983.

Dans leurs dernières conclusions du 14 février les appelants demandent que soit écartée des débats l'attestation que le Professeur A s'est délivrée à lui-même.

Le Professeur Z conclut au contraire à la confirmation du jugement critiqué en ce qu'il a exclu toute faute de sa part et toute responsabilité.

Il reprend devant la Cour les moyens et arguments soutenus avec succès devant les premiers juges en faisant essentiellement valoir pour réfuter ceux qui lui sont opposés :

  • - que sa responsabilité ne pourrait être personnellement engagée que dans l'hypothèse où il aurait commis une ou plusieurs fautes et à la condition que celles-ci revêtent une anormale gravité les rendant détachables du service et qu'elles soient la cause du décès du malade,

  • - que tel n'est pas le cas, les manquements qui lui sont reprochés n'étant pas caractérisés,

  • - qu'en effet la prohibition des prescriptions par téléphone ne concerne que les médecins de garde ce qui n'était pas son cas ; qu'il n'y a eu recours qu'en raison de l'inquiétude de l'épouse du patient qui l'a appelé au téléphone à son domicile le 11 mars 2002 à 7h00 ; qu'il s'est rendu aussitôt au chevet du malade (à 8 h00),

  • - que la malade quoique transféré dans son service de médecine interne relevait encore de la responsabilité du service de chirurgie,

  • - qu'il a tout de même pris soin, dès son arrivée à l'hôpital le 11 mars à 8h000, de faire procéder à une radiographie et à un scanner de l'abdomen du malade et que le personnel de son service avait alerté celui du Professeur A afin qu'il se rende rapidement auprès du patient,

  • - qu'en tout état de cause, à les supposer établis, ces manquements ne revêtent pas le caractère d'une faute d'une anormale gravité la rendant détachable du service.

Le Professeur Claude A conclut principalement au débouté des appelants et fait appel incident en soutenant :

  • - qu'il a fourni au patient toutes les informations nécessaires pour ce qui concerne l'intervention chirurgicale du 6 mars ainsi que l'indiquent le docteur D et le Docteur E dans leurs écrits, ce moyen de preuve étant parfaitement admissible au regard de la jurisprudence applicable au moment des faits,

  • - que compte tenu de l'état du patient dont la gravité était avérée, il était en toute hypothèse, autorisé à limiter l'information qu'il lui devait,

  • - que de plus cette intervention s'imposait dans l'urgence afin d'éviter le risque d'une occlusion intestinale très rapide,

  • - que le patient compte tenu de cette situation n'aurait pu que consentir à l'intervention,

  • - que cette intervention était parfaitement indiquée dans le cas de ce malade sans qu'il soit nécessaire de recourir à une concertation multidisciplinaire, une chimiothérapie préalable présentant des inconvénients majeurs si l'obstruction intestinale n'avait pas été auparavant résolue,

  • - qu'elle a été pratiquée selon les règles de l'art ainsi que les experts l'ont relevé,

  • - que la deuxième opération à laquelle il a procédé le 11 mars a été rendue nécessaire par l'aggravation de l'état du patient qui avait été transféré dans le service de médecine interne sur l'insistance du Professeur Z, mais qu'elle n'a pu avoir lieu avant 14H en raison de l'état de choc du malade et de l'effet de la morphine qui lui avait été administrée qui masquait les signes cliniques abdominaux et rendait plus difficile un diagnostic précis,

  • - qu'elle a également été réalisée conformément aux règles de l'art,

  • - que l'état du patient dès son hospitalisation était tellement grave que son espérance de vie était très limitée et que la perspective d'un décès proche était avérée quelle que soit la stratégie thérapeutique et/ou chirurgicale envisagée qui n'avait pour but que de soulager ses souffrances.

À titre subsidiaire, le Professeur Claude A soutient qu'ainsi que l'a retenu le Tribunal, la faute qu'il aurait commise ne pourrait être considérée comme personnelle et détachable du service, son statut de praticien hospitalier le soumettant à la loi n° 983 et notamment son article 2.

De même il fait valoir que le préjudice subi ne pourrait résulter que d'une éventuelle perte de chance pour le patient laquelle serait extrêmement réduite du fait de son état et que les consorts Y n'auraient de ce fait subi aucun préjudice matériel.

Dans l'hypothèse où une nouvelle expertise serait ordonnée, il souhaite qu'elle soit confiée à un chirurgien digestif éloigné de la Principauté.

SUR CE,

  • 1 - Sur la recevabilité de l'attestation établie par le Professeur Claude A

Attendu que ce document intitulé « attestation sur l'honneur », date du 10 février 2011, ne prétend pas constituer un élément de preuve valant témoignage au sens des articles 323 et 324 du Code de Procédure Civile ;

Qu'il reprend les moyens et arguments déjà développés dans les conclusions déposées par le conseil de l'intéressé ;

Attendu qu'il n'a en conséquence ni la valeur d'une attestation, ni celle d'écritures judiciaires qui ne peuvent être établies que par avocat-défenseur ;

Qu'il constitue seulement une pièce du dossier de l'intimé sans valeur procédurale ;

  • 2 - Sur le fond

Attendu qu'il convient de constater que le débat devant la Cour n'est lié qu'entre les consorts Y d'une part, et les Professeurs Pierre Z et Claude A, d'autre part, le Docteur p. B et l'établissement public de droit monégasque I. n'ayant pas relevé appel et n'ayant pas été intimés par les appelants ;

Attendu que la responsabilité du Docteur p. B et celle de l'établissement public de droit monégasque I. ont été retenues par le Tribunal et ont donc acquis l'autorité de la chose jugée ;

Attendu que le tribunal a justement rappelé les principes régissant la responsabilité civile des médecins praticiens hospitaliers en soulignant, qu'en application des articles 2 et 3 de la loi n°983, ils ne peuvent être déclarés civilement responsable envers l'administration ou les tiers qu'en raison de leur faute personnelle, laquelle s'entend de celle qui est dépourvue de tout lien avec le service ou de celle qui, bien que non dépourvue de tout lien avec le service, se détache de celui-ci en raison de son anormale gravité ou de l'intention de nuire ou de l'intérêt personnel dont elle procède ;

  • 2-1 Le Professeur Pierre Z

Attendu que par une exacte analyse des faits de la cause, le tribunal a retenu que le transfert du patient du service de chirurgie du Professeur Claude A à celui de médecine interne du Professeur Z avait été effectué dans des conditions qui ne permettent pas de caractériser une faute ;

Qu'en effet il est établi que ce transfert a été réalisé à la demande de la famille du patient et qu'il a été autorisé par le Professeur Claude A après que l'état du malade ait été jugé compatible avec un tel transfert ;

Que le début du séjour du patient dans le service du Professeur Z n'a suscité aucune inquiétude particulière celui-ci paraissant même se trouver dans un état satisfaisant jusqu'au 10 mars ainsi que le démontre le certificat du Docteur C (du 27 juillet 2002) et ainsi que les experts le soulignent dans leur rapport ;

Attendu que le grief fait au Professeur Z d'avoir prescrit des antalgiques par téléphone ne peut être retenu au regard des circonstances dans lesquelles cette prescription a été réalisée ;

Qu'en effet, alerté à son domicile personnel par un appel téléphonique de l'épouse du patient le 11 mars à 7H, le Professeur Z s'est immédiatement rendu à son chevet à 8H mais qu'entre temps, pour calmer sa souffrance tout autant que l'inquiétude de son entourage, il a ordonné cette prescription momentanée ;

Que cette décision que la réglementation de l'établissement public de droit monégasque I. ne prohibait pas (l'interdiction des prescriptions par téléphone ne s'appliquant qu'aux médecins de garde sur site) n'est donc pas constitutive d'une faute ;

Que contrairement à ce que soutiennent les appelants, l'administration de ces antalgiques sur prescription du Professeur Z n'a pas eu pour effet de retarder le diagnostic ayant conduit à l'intervention du 11 mars à 13h, celle-ci n'ayant pu être réalisée qu'après des examens radiologiques préalablement nécessaires (scanner abdominal) ;

Attendu que contrairement à ce que soutiennent les appelants le Professeur Z a immédiatement alerté le service du Professeur A le 11 mars au matin dès qu'il s'est rendu compte de l'aggravation subite de l'état du malade afin que des dispositions soient prises ;

Attendu dès lors que c'est à bon droit que les premiers juges ont considéré que le Professeur Z n'avait commis aucune faute et que sa responsabilité qui, en toute hypothèse, n'aurait pu être retenue qu'en cas de faute détachable du service ou d'anormale gravité, devait être écartée ;

  • 2-2 Le Professeur Claude A

Attendu que les premiers juges ont retenu et que les appelants soutiennent que même si la colectomie à laquelle le Professeur A a procédé le 6 mars s'avérait nécessaire avant un traitement par chimiothérapie, la décision de la pratiquer a été prise sans avoir recueilli préalablement le consentement du patient lequel aurait pu être éclairé par le résultat d'une discussion multidisciplinaire médico-chirurgicale au vu du compte rendu de la coloscopie et en considération des risques encourus et des avantages que l'on pouvait raisonnablement attendre du traitement envisagé, compte tenu de l'avancement de la maladie ;

Mais attendu que par un courrier du 18 avril 2002 le Docteur D indique qu'elle a réalisé la consultation pré-anesthésie de v. Y et qu'à cette occasion elle a constaté, après l'avoir interrogé, qu'il était parfaitement informé de la démarche thérapeutique envisagée au point qu'il l'avait questionnée sur le « circuit » qui le conduirait du service d'endoscopie (ou était prévue cette mesure d'exploration) au bloc opératoire (où se déroulerait le cas échéant l'intervention chirurgicale qui a finalement eu lieu) ;

Que ce médecin anesthésiste précise même qu'elle s'était engagée à prévenir l'épouse du malade après l'examen endoscopique d'une décision chirurgicale éventuelle, ce qui démontre que cette intervention avait bien été envisagée ;

Attendu que les dires du Docteur D confirment donc les affirmations du Professeur A selon lesquelles il a bien informé le patient de ce que, en fonction du déroulement et des résultats de l'endoscopie, un acte chirurgical serait entrepris dans le prolongement de cet examen ;

Attendu de même que dans un courrier adressé aux experts (page 5 du rapport) le Docteur E a confirmé « avoir entendu le Professeur A évoquer avec Monsieur Y une possible colectomie en cas de mise en évidence d'une tumeur très sténosante » ;

Attendu que l'information du malade qui, au moment des faits pouvait se prouver par tous moyens, (et donc par présomptions) doit par ailleurs être appréciée en fonction de la conscience qu'il avait de la gravité de son état, (espérance de vie à court terme) et des souffrances physiques et morales qu'il était susceptible d'endurer ;

Que le médecin devait donc, comme il l'a fait, délivrer cette information avec tact et délicatesse ;

Que de même il doit être admis que pour éviter une deuxième anesthésie, l'intervention chirurgicale ait été pratiquée immédiatement après l'endoscopie, ce qui justifie que le praticien ait informé son patient de cette éventualité avant même l'exploration endoscopique et n'ait pas réitéré cette information entre les deux actes, le consentement éclairé du malade ayant déjà été recueilli et celui-ci ne pouvant à l'évidence qu'acquiescer une nouvelle fois, si l'intervention chirurgicale avait été différée ;

Que les experts ont précisé que cette intervention était indiquée en raison de la découverte lors de la coloscopie d'une tumeur sténosante et qu'elle « correspond en tous points au standard du traitement des cancers coliques siégeant dans la partie droite du colon » ;

Que l'information donnée et le consentement recueilli l'ont donc été pour une intervention qui s'imposait à l'exclusion de toute autre ;

Attendu en conséquence que le défaut d'information et de recueil du consentement éclairé du malade imputé par les appelants au Professeur Claude A et retenu par le tribunal à son encontre n'est en réalité pas caractérisé, ce praticien établissant au contraire qu'il a respecté ses obligations à cet égard, compte tenu des circonstances particulières de l'espèce ci-dessus rappelées ;

Attendu s'agissant de l'intervention réalisée le 11 mars que contrairement à ce que les appelants soutiennent elle n'a pas été rendue nécessaire du fait d'un défaut de communication entre le service de chirurgie du Professeur A et le service de médecine interne du Professeur Z, ces deux médecins s'étant rendus au chevet du malade le 11 mars au matin dès que son état s'est brusquement aggravé ;

Que de plus cette intervention a été pratiquée le 11 mars à 13H après qu'il ait été procédé à des examens radiologiques préalables indispensables pour déterminer un diagnostic précis ;

Attendu que les experts ont indiqué que l'anastomose avait été réalisée dans les règles de l'art et que la péritonite, des suites de laquelle le patient est décédé le 13 mars, est due à une « perforation spontanée » de l'intestin grêle sans relation avec cette intervention ;

Attendu dès lors qu'aucune faute ne peut être imputée au Professeur Claude A ;

Attendu que les consorts Y seront en conséquence déboutés de leur appel principal ;

Attendu que l'appel incident du Professeur Claude A sera déclaré bien fondé ;

Attendu que les dépens seront à la charge des appelants principaux qui succombent ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,

statuant contradictoirement,

  • - Statuant dans les limites des appels interjetés contre le jugement du Tribunal de première instance du 12 mars 2009,

  • - Dit que le document intitulé « attestation sur l'honneur » du 10 février 2011 produit par le Professeur Claude A ne constitue pas un élément de preuve valant témoignage au sens des articles 232 et 234 du Code de Procédure Civile,

  • - Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a écarté l'existence d'une faute du Professeur Pierre Z,

  • - Le réforme en ce qu'il a retenu l'existence d'une faute du Professeur Claude A,

  • - Dit que le Professeur Claude A n'a commis aucune faute de quelque nature que ce soit dans la prise en charge médicale de v. Y,

  • - Déboute les consorts Y de leur appel,

  • - Les condamne aux dépens d'appel dont distraction au profit de Maître Frank MICHEL et Maître Joëlle Y-BENSA, avocats-défenseurs, sous leur due affirmation, chacun pour ce qui le concerne,

  • - Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable.

Composition🔗

Ainsi jugé et prononcé en audience publique de la Cour d'appel, au Palais de Justice, à Monaco, le douze avril deux mille onze par Monsieur Robert CORDAS, premier président, Madame Catherine MABRUT, vice-président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, et Monsieur Thierry PERRIQUET, conseiller, en présence de Monsieur Gérard DUBES, premier substitut du procureur général, assistés de Madame Béatrice BARDY, greffier en chef, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles.

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