Tribunal de première instance, 12 mars 2009, Consorts P. c/ CHPG, D., H., A.

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Abstract🔗

Responsabilité de la Puissance Publique

Centre Hospitalier : Loi n° 983 du 26 mai 1976

- Chirurgien hospitalier

- Manquement au devoir d'information et à l'obligation de recueillir le consentement éclairé du patient préalablement à son intervention chirurgicale

- Faute de service dépourvue d'anormale gravité

- Responsabilité du Centre Hospitalier

- Manquement à l'obligation de se rendre au chevet d'un malade souffrant, placé sous sa surveillance

- Faute personnelle grave détachable du service

- Responsabilité in solidum du médecin et du Centre Hospitalier

Résumé🔗

Conformément à l'article 11 de l'Ordonnance Souveraine n° 7.928 du 6 mars 1984 portant statut du personnel médical et assimilé du Centre Hospitalier Princesse Grace, et à l'article 26 de l'Ordonnance Souveraine n° 13.839 du 29 décembre 1998 portant statut des praticiens hospitaliers, les médecins exerçant des fonctions au centre hospitalier sont, en ce qui concerne leur responsabilité civile, régis par les dispositions de la loi n° 983 du 26 mai 1976 sur les responsabilité civile des agents publics.

Selon l'article 2 de la loi n° 983, aucun agent public ne peut être déclaré civilement responsable, soit envers l'Administration soit envers les tiers, si ce n'est en raison de sa faute personnelle.

L'article 3 de la même loi définit la faute personnelle comme celle qui est dépourvue de tout lien avec le service, et y assimile la faute qui, bien que non dépourvue de tout lien avec le service, se détache de celui-ci en raison de son anormale gravité ou de l'intention de nuire ou de l'intérêt personnel dont elle procède.

En ce qui concerne le professeur P. D.

Les demandeurs reprochent au professeur P.D., qui dirigeait le service de médecine interne où V.P. a été transféré le 10 mars 2002 vers 13 heures, une très forte animosité personnelle à l'égard du professeur C.H., à l'origine d'une rupture dans la qualité des soins dispensés au patient ; que le professeur P.D. ne serait pas enquis du transfert du dossier médical et ne se serait pas assuré de ce que le personnel infirmier était informé de la situation de V.P.

La mésentente entre médecins ne peut être constitutive d'une faute par elle-même ; que si le professeur P.D. a indiqué au professeur C. H. que son service était en mesure d'accueillir V.P., il n'est pas démontré qu'il ait été particulièrement insistant au mépris de la santé du malade ; que la décision de transfert a été prise par le professeur C. H. le matin du 10 mars 2002, au cours d'une conversation téléphonique avec un médecin de son propre service ayant rencontré le patient ; que cette décision relevait de la seule responsabilité de l'équipe chirurgicale ; que le professeur P. D. ne peut donc se voir reprocher un transfert précipité au prématuré.

Qu'aucune faute n'a été relevée par les experts dans l'organisation du service dont le professeur P. D. assumait la direction ;

En ce qui concerne le Professeur C. H.

Les demandeurs reprochent au professeur C. H. ;

- un défaut d'information du patient préalablement à la colectomie pratiquée le 6 mars 2002, dans le prolongement immédiat de la coloscopie, alors qu'il n'existait aucune urgence ;

- un défaut de surveillance du patient à la suite de l'opération, et l'absence d'instructions précises données au personnel infirmier ;

- une absence de diagnostic et un défaut de diligence le matin du 11 mars 2002 ;

- l'inadéquation de l'intervention secondaire ;

L'exécution de l'obligation d'information

Sur le premier point les consorts P. font valoir à bon droit que les médecins, hors le cas d'urgence et d'impossibilité manifeste, sont tenus de recueillir un consentement éclairé de leur patient sur le traitement qu'ils envisagent, en particulier avant une intervention chirurgicale comportant l'ablation partielle d'un organe, et doivent à ce titre donner au malade une information suffisante sur son état de santé, les traitements envisageables, les risques de ceux-ci et les avantages que l'on peut en attendre.

Conformément à l'article 1162, alinéa 2 du Code civil, il incombe à celui qui prétend avoir satisfait à son obligation de rapporter la preuve des faits qu'il allègue.

En l'espèce les experts n'ont pas retrouvé d'éléments permettant d'affirmer que le professeur C. H. avait satisfait à son devoir d'information.

La décision d'opérer a donc été prise par le professeur C. H. seul, durant l'anesthésie de V. P., alors même que, selon les explications du professeur P. D. et du docteur B. T., le choix initial s'orientait vers une chimiothérapie première, motivée par la présence de nombreuses métastases osseuses.

Le professeur C. H. affirme que la colectomie était en l'espèce un préalable nécessaire à la mise en œuvre d'une chimiothérapie, et si, selon de rapport d'expertise, ce choix ne peut être considéré comme une erreur ou une faute, le professeur C. H. ne soutient pas, et il ne résulte d'aucun élément du dossier, que l'opération pratiquée le 6 mars 2002 était nécessaire en urgence, sans pouvoir s'assurer au préalable du consentement éclairé du patient ; que les demandeurs soulignent au contraire à juste titre que le caractère sténosant de la tumeur n'empêchait pas son franchissement par l'endoscope.

En conséquence que même si l'opération chirurgicale ne relevait pas d'une erreur ni d'une faute, et même si la colectomie pouvait s'avérer nécessaire avant la chimiothérapie, la décision de la pratiquer a été prise, en tout état de cause, sans avoir recueilli au préalable le consentement de V.P., lequel aurait pu être éclairé par le résultat d'une discussion multidisciplinaire médico-chirurgicale, au vu du compte rendu de la coloscopie et en considération des risques encourus et des avantages que l'on pouvait raisonnablement attendre du traitement envisagé, compte tenu de l'avancement de la maladie.

L'anastomose pratiquée lors de l'intervention secondaire ne peut donc être reprochée au professeur C. H.

En ce qui concerne le Professeur P.A.

Le docteur P.A. était de garde au Centre Hospitalier Princesse Grace le 10 mars 2002 à compter de 20 heures 30 ; qu'il a été appelé par l'infirmière du service de médecine interne à quatre reprises au cours de la même nuit en raison des douleurs abdominales dont V.P. se plaignait.

Sans prendre aucune connaissance personnelle de l'état de santé du malade, le docteur P. A. a prescrit par téléphone des antalgiques simples, puis de la morphine et enfin de la morphine et un sondage vésical ; qu'il se présentera au chevet de V.P. seulement le 11 mars 2002 à 7 heures, soit plus de huit heures après le premier appel.

Le docteur P.A. n'invoque aucune circonstance l'ayant empêché de se rendre auprès du malade, ainsi qu'il en avait l'obligation ; que les experts n'ont identifié aucun problème particulier qui aurait pu expliquer une surcharge de travail du médecin de garde.

La faute commise par le docteur P.A. est dès lors suffisamment caractérisée ;

Le caractère personnel des fautes médicales

Le manquement du professeur C.H. à son devoir d'information et à son obligation de recueillir le consentement éclairé du patient, et la faute commise par le docteur P.A. en ne se rendant pas au chevet de V.P., outre qu'ils ont eu lieu pendant leur service, constituaient la violation d'obligations leurs incombant en raison même du service auquel ils étaient tenus ; que ces fautes ne sont pas manifestement dépourvues de tout lien avec le service, au sens de l'article 3, alinéa 1er de la loi n° 983.

Ces fautes ne résultaient pas d'une intention de nuire ; que si la violation par le professeur C. H. de son devoir d'information à l'égard du patient a pris place dans un contexte de mésentente avec le professeur P.D. qui avait envisagé une autre voie thérapeutique, cette circonstance ne suffit pas à affirmer que le professeur C.H. poursuivait un intérêt personnel.

Un manquement au devoir d'information ne relève pas, par lui-même, des fautes d'une anormale gravité se détachant de ce fait du service de celui qui les commet.

Aucun élément ne permet de justifier l'attitude du docteur P.A. au cours de la nuit du 10 au 11 mars 2002.

Pour contester l'extrême gravité de la faute commise, le docteur P.A. soutient que l'existence de prescriptions faites par téléphone était une pratique habituelle au Centre Hospitalier Princesse Grace, à laquelle les autres médecins ont également eu recours dans le cas présent, qu'il ne savait pas que le malade hospitalisé dans le service de médecin interne avait été opéré depuis peu, et que l'infirmière, qui ne lui a précisé ni l'identité du patient ni son historique, ne lui a pas demandé de se déplacer lors des trois premiers appels téléphoniques ; qu'il invoque également la présence d'une seule infirmière dans le service, au lieu de deux.

Cependant la faute reprochée au docteur P.A. ne réside pas tant dans l'existence d'instructions données par téléphone que dans le fait de n'avoir pas pris connaissance de la situation du malade et de n'avoir procédé à aucun examen, et d'avoir prescrit un traitement à une personne sans avoir aucune connaissance de son état de santé ; que ce comportement a persisté durant plus de huit heures malgré trois appels téléphoniques de l'infirmière du service, alors que les traitements par Viscéralgine forte et morphine n'avaient pas permis d'apaiser les souffrances d'un patient dont l'infirmière notait, le 11 mars 2002 à 4 heures, qu'il hurlait de douleur.

L'ignorance dans laquelle le docteur P.A. déclare avoir été tenu en ce qui concerne l'opération récente subie par le malade, loin de réduire la gravité de sa faute, démontre au contraire l'absence totale des diligences les plus élémentaires ; que le docteur P.A. ne pouvait attendre de l'infirmière présente dans le service qu'elle pose un diagnostic sur l'origine des douleurs du malade, la gravité des symptômes et le traitement opportun, ni même qu'elle apprécie la nécessité d'un déplacement du médecin de garde au regard du dossier médical du patient que si le docteur P.A. invoque à juste titre la charge de travail importante reposant sur les infirmières, en particulier le soir, et l'existence d'une charge psychologique aggravant la charge physique, cette circonstance ne peut exonérer le médecin de garde de sa faute mais souligne au contraire la gravité de sa carence.

La faute commise par le docteur P.A. est donc constitutive d'une faute d'une anormale gravité au sens de l'article 3, alinéa 2 de la loi n° 983.

Sur la responsabilité du Centre Hospitalier Princesse Grace

Conformément à l'article 4 de la loi n° 983, le tiers victime d'une faute personnelle d'un agent public non dépourvue de tout lien avec le service peut, outre son recours contre l'agent, demander réparation du préjudice, pour la totalité, à l'Administration, qu'il en est de même dans le cas où une faute de service a concouru avec la faute personnelle de l'agent public à la production du dommage ; que l'action contre l'Administration et celle contre l'agent peuvent être engagées indépendamment ou concurremment ; que l'Administration et l'agent sont tenus in solidum envers l'intéressé.

L'application de la loi n° 983 à son personnel médical, le Centre Hospitalier Princesse Grace est assimilé à l'Administration.

En l'espèce selon les propres conclusions du Centre Hospitalier Princesse Grace « la faute personnelle que (le docteur P. A.) a commise ne saurait être considérée comme étant dépourvue de tout lien avec le service ; qu'en effet, cette faute a été commise durant le service de l'intéressé, alors qu'il était de garde au Centre Hospitalier Princesse Grace, et a consisté à ne pas accomplir les tâches lui incombant au titre de ce service.

Les demandeurs sont donc, en tout état de cause, bien fondés à demander réparation du préjudice, pour la totalité, au Centre Hospitalier Princesse Grace sans que celui-ci puisse, dans ses rapports avec eux, prétendre que la faute du praticien l'exonère de sa responsabilité.

Au surplus que la faute personnelle du docteur P.A. s'est conjuguée avec un défaut de coordination entre les services, caractérisé notamment par l'absence d'appel au chirurgien de garde, alors que le malade était un opéré récent, ou au médecin d'astreinte du service dans lequel V.P. était hospitalisé, alors même que ce médecin avait prescrit un premier traitement à visée antalgique en demandant d'être informé des suites de celui-ci ; que ce mauvais fonctionnement est constitutif d'une faute de service au sens de la loi n° 983, sans qu'il soit nécessaire de caractériser une faute commise dans l'organisation du service ;

Le Centre Hospitalier Princesse Grace sera donc tenu in sodidum avec le docteur P.A. à l'égard des consorts P.


Motifs🔗

Le Tribunal,

Considérant les faits suivants :

V. P. atteint d'un cancer du côlon, a été hospitalisé le 5 mars 2002 dans le service de médecine interne-hématologieoncologie du Centre hospitalier PRINCESSE GRACE, dirigé par le professeur P. D. ; le 6 mars 2002 une coloscopie, puis une colectomie droite et la mise en place d'un dispositif veineux implantable, ont été pratiquées par le professeur C. H., chef du service de chirurgie ; le dimanche 10 mars 2002, vers midi, V. P. a été transféré du service de chirurgie au service de médecine interne ;

Au cours de la nuit du 10 au 11 mars 2002, alors que le docteur P. A. était de garde au centre hospitalier, V. P. s'est plaint de douleurs abdominales importantes ; une nouvelle intervention chirurgicale a été pratiquée en urgence le 11 mars à 14 heures ; néanmoins l'état de santé du patient a continué de se dégrader et son décès a été constaté le 13 mars 2002 à 4 heures 30 ;

Par acte d'huissier du 7 mars 2003, S. S. veuve P., J. V. P. et P. P. ont fait assigner le Centre hospitalier PRINCESSE GRACE, le professeur P. D., le professeur C. H. et le docteur P. A. devant le Tribunal, afin de faire constater l'existence de fautes ayant entraîné le décès de V. P., en sollicitant au préalable l'organisation d'une mesure d'expertise destinée à déterminer les causes de ce décès, et notamment à établir la chronologie des soins dispensés du 5 au 13 mars 2002, à préciser les circonstances du transfert du patient d'un service à un autre, et à rechercher l'existence d'éventuelles carences dans l'organisation du service ou de fautes personnelles commises par le personnel ;

Suivant jugement avant dire droit du 8 janvier 2004, auquel il convient de se référer pour un plus ample exposé de la procédure antérieure, le Tribunal a confié à un collège d'experts le soin de rechercher les causes du décès de V. P., en indiquant notamment s'il est en relation avec une mauvaise organisation du service ou une faute personnelle, et en précisant le cas échéant le niveau de gravité des fautes constatées ;

Les experts judiciaires ont déposé le 5 novembre 2004, un rapport préliminaire daté du 10 octobre 2004, puis le 4 juillet 2005, un rapport daté du 14 juin 2005 concluant, à titre principal, que :

1) V. P. avait avec certitude un cancer du côlon droit avec des métastases hépatiques, péritonéales et osseuses,

2) il a subi une colectomie droite le 6 mars 2002, et une réintervention pour péritonite post-opératoire le 11 mars 2002,

3) les soins apportés dans la nuit du dimanche 10 au lundi 11 mars 2002 n'étaient ni consciencieux ni attentifs,

4) l'état du consentement de V. P. pour la colectomie du 6 mars 2002 n'a pu être précisé ;

Suivant jugement avant dire droit du 15 mars 2007, auquel il convient également de se référer pour un plus ample exposé, le Tribunal a rejeté les exceptions d'appel en garantie soulevées par les défendeurs, et a invité les experts à compléter leur rapport en décrivant la seconde opération chirurgicale subie par V. P., en disant si elle a été effectuée conformément à l'état de l'art médical et aux données acquises de la science, et en précisant ses conséquences sur l'état de santé du patient ainsi que son éventuelle relation avec le décès de celui-ci ;

Le 29 mai 2007, l'expert judiciaire spécialisé en chirurgie digestive a déposé seul, en accord avec les deux autres membres du collège expertal, un rapport complémentaire concluant que la seconde intervention chirurgicale a été réalisée conformément à l'état de l'art et aux données acquises de la science et que l'état de V. P. avant la réintervention suffit largement à expliquer son décès, sans nécessaire élément aggravant supplémentaire, cette dernière hypothèse étant de surcroît peu probable ; la cause du décès se trouverait avant tout dans le retard au diagnostic et au traitement de la péritonite ;

Par conclusions récapitulatives déposées le 14 mai 2008, et leurs écritures complémentaires du 19 décembre 2008, S. S. veuve P., J.-V. P. et P. P. font valoir que V. P., admis le 10 mars 2002 vers 13 heures dans le service du professeur P. D. s'est plaint de douleurs abdominales durant l'après-midi et la nuit sans qu'aucun médecin ne l'examine ; ni le docteur B. T., médecin d'astreinte du service, ni le docteur P. A. médecin de garde présent dans l'hôpital, ne se seraient déplacés ; des antalgiques simples, de la morphine et un sondage vésical auraient été prescrits par téléphone ; le docteur P. A. aurait vu le patient pour la première fois le 11 mars 2002 à 7 heures, puis le professeur P. D. se serait présenté à 8 heures, et enfin le professeur G. H. accompagné du docteur B. T. se seraient rendus au chevet du malade à 9 heures ; la décision d'opérer à nouveau aurait été prise en fin de matinée ;

Ils soutiennent que la rupture dans la continuité des soins au cours de l'hospitalisation de V. P. caractérise une très grave carence dans l'organisation du système de surveillance des patients, alors même qu'il existait un risque avéré de péritonite post-opératoire ; la rupture dans la continuité des soins trouverait son origine dans une absence de coopération entre les services de médecine et de chirurgie et dans l'existence de prescriptions par téléphone sans examen des patients ; le défaut de surveillance aurait été accentué par le manque de personnel infirmier, qui serait sans doute à l'origine du fait que le chirurgien de garde cette nuit-là n'a pas été prévenu de la dégradation de l'état de santé du malade ; la faute de service imputable au Centre hospitalier PRINCESSE GRACE serait donc caractérisée ;

Par ailleurs les praticiens hospitaliers auraient commis des fautes personnelles détachables du service en raison de leur particulière gravité ;

Le professeur C. H. n'aurait pas informé V. P. de sa décision de procéder à une colectomie dans le prolongement immédiat de la coloscopie du 6 mars 2002 ; en particulier le risque d'une péritonite post-opératoire n'aurait jamais été porté à la connaissance du malade ; de plus, contrairement aux préconisations en cette matière, la décision d'opérer aurait été prise sans discussion multidisciplinaire préalable, et en dehors de toute urgence, alors même que, selon les experts, un traitement par chimiothérapie aurait pu être pratiqué sans faute avant tout traitement chirurgical ;

Par la suite, le professeur C. H. aurait autorisé un transfert prématuré vers le service de médecine du professeur P. D., sans assurer le suivi post-opératoire dans ce nouveau service alors même que tout nouvel opéré doit en principe être visité trois fois par jour par un chirurgien de garde ; le personnel infirmier lui-même n'aurait pas été informé des risques de complications graves auxquels était exposé le patient qui avait fait l'objet d'une colectomie ;

Enfin, après avoir visité le malade le 11 mars 2002 à 9 heures, puis à trois reprises dans les heures qui ont suivi, le professeur C. H. n'aurait posé aucun diagnostic et n'aurait pas envisagé de réintervention chirurgicale avant la fin de la matinée, alors même qu'il ne pouvait ignorer l'existence d'un risque grave de péritonite imposant un traitement chirurgical en urgence ;

Les demandeurs déclarent qu'ils s'interrogent également sur l'intervention secondaire du 11 mars 2002 ayant consisté à rétablir la continuité digestive, alors même que l'origine de la perforation demeurait mystérieuse ;

En réponse aux arguments du professeur C. H., ils soulignent que l'existence d'un pronostic grave ne décharge pas le médecin de son obligation d'information et de soins, et que celui-ci ne saurait se retrancher derrière une prétendue volonté d'alléger les souffrances de son patient sans porter atteinte à la dignité de celui-ci ; ils ajoutent que la présentation des faits par le professeur C. H. est contredite par tous les éléments recueillis à l'époque, et que V. P. ne peut en aucun cas être présenté comme ayant été dès l'origine » un patient en fin de vie « ;

En ce qui concerne le professeur P. D., S. S. veuve P., J.-V. P. et P. P. invoquent la très forte animosité personnelle qui l'opposait au professeur C. H., laquelle se serait cristallisée à l'occasion du transfert de V. P. d'un service à l'autre ;

L'hébergement du patient aurait constitué entre les deux médecins un enjeu étranger à tout intérêt médical ; de ce fait, aucune collaboration n'aurait été possible entre les deux services, ce qui serait à l'origine de la rupture des soins ; en particulier, le professeur P. D. ne se serait pas assuré que le dossier médical du patient était transmis à son service, ni que le personnel infirmier était informé des risques particuliers liés à l'opération récente ; le docteur B. T., placé sous la responsabilité du professeur P. D., ne se serait d'ailleurs même pas déplacé lorsqu'il a été informé des douleurs ressenties par V. P. au cours de l'après-midi ;

Le docteur P. A. se serait abstenu sans raison valable de répondre aux sollicitations répétées du personnel infirmier, alors même que les antalgiques simples et la morphine prescrits par téléphone ne suffisaient pas à apaiser les douleurs ; le refus du médecin de garde de se déplacer au chevet d'un malade caractériserait l'existence d'une faute personnelle ;

Ces fautes auraient toutes porté atteinte à la dignité de V. P., et auraient causé à ses proches, par ricochet, un préjudice moral dont les demandeurs sollicitent réparation à concurrence d'un euro chacun ; ils déclarent se réserver la faculté de réclamer ultérieurement la réparation du préjudice économique subi du fait du décès de V. P., et demandent au Tribunal de leur en donner acte ;

Par conclusions du 17 décembre 2007, le Centre hospitalier PRINCESSE GRACE soutient que les experts judiciaires n'ont relevé l'existence d'aucune faute dans l'organisation du service, tant en ce qui concerne l'organisation des soins que l'organisation des gardes médicales ; une infirmière et deux aides soignantes auraient été présentes dans le service du professeur P. D., constitué de 26 lits dont 22 étaient occupés, et une astreinte opérationnelle aurait été organisée dans ce service, assurée par le docteur B. T. au moment des faits ; de plus il y aurait eu quatre médecins de garde au centre hospitalier : deux présents aux urgences, outre le docteur P. A. chargé des services de médecine et le docteur Serge TERCIER chargé des services de chirurgie ;

Durant la nuit du 10 au 11 mars 2002, l'infirmière présente auprès de V. P. aurait contacté à quatre reprises le médecin de garde, qui n'était pas occupé auprès d'autres patients et qui était tenu de se déplacer ; or le docteur P. A. serait venu au chevet du patient seulement le 11 mars 2002 à 7 heures ; la rupture dans la continuité des soins serait donc la conséquence d'une faute personnelle du médecin de garde ; la gravité de la faute ainsi commise la détacherait du service ; dès lors, cette faute du docteur P. A. exonèrerait le Centre hospitalier PRINCESSE GRACE de sa responsabilité ;

Par conclusions déposées le 12 décembre 2007, le professeur P. D. affirme qu'il n'a jamais réclamé le transfert de V. P. dans son service, mais qu'il a seulement transmis les doléances de l'épouse du malade concernant les conditions d'hébergement ; il n'aurait même pas été informé de la décision de transfert prise par le professeur C. H. le dimanche 10 mars 2002 ; par ailleurs il n'aurait commis aucune faute dans l'organisation de son service ;

Le 11 mars 2002, le professeur P. D., appelé en urgence auprès de V. P., aurait constaté que les douleurs étaient calmées et aurait prescrit une radio et un scanner abdominal ; il aurait demandé expressément au professeur C. H. de venir examiner le patient ; contrairement aux affirmations du chirurgien, en aucun cas V. P. n'aurait été en état de choc à ce moment là ; aucune faute personnelle ne pourrait donc être reprochée au professeur P. D. ;

Par conclusions récapitulatives déposées le 30 octobre 2008, le docteur P. A. expose qu'il a pris son service le 10 mars 2002 à 20 heures 30 et que l'infirmière qui l'a appelé ne lui a pas demandé de se déplacer durant la nuit du 10 au 11 mars 2002, ni ne l'a informé de la situation exacte du malade, notamment de ce qu'il avait été récemment opéré ; elle lui aurait uniquement demandé si elle pouvait administrer l'antalgique prescrit précédemment par le docteur B. T., puis lui aurait demandé si elle pouvait réactiver le traitement à base de morphine, et enfin si elle pouvait effectuer un sondage évacuateur ;

L'infirmière aurait réclamé sa présence le 11 mars 2002 à 7 heures ; il serait venu immédiatement et aurait constaté un état clinique sans commune mesure avec les descriptions téléphoniques qui lui avaient été faites, en même temps qu'il découvrait qu'il s'agissait d'un malade récemment opéré ; au même moment, le professeur P. D. aurait lui-même prescrit par téléphone des injections de morphine ; de son côté, le docteur P. A. aurait avisé le médecin d'astreinte au service chirurgical, lequel se serait mis en rapport avec le professeur C. H. ;

Le docteur P. A. soutient qu'il n'a jamais refusé de se rendre au chevet de V. P. ; le dossier lui-même confirmerait que les prescriptions téléphoniques étaient une pratique courante au sein du Centre hospitalier PRINCESSE GRACE ; dans le cas présent, la plupart des médecins y auraient eu recours, tant le 8 que le 10 ou le 11 mars ; la visite du docteur R. R.-C., le 10 mars 2002 entre 13 et 14 heures, ne serait d'ailleurs pas certaine dans la mesure où elle aurait été mentionnée sur le cahier des prescriptions médicales bien après le décès du patient ; la note de service diffusée le 18 mars 2002 afin de limiter les prescriptions téléphoniques à l'indication éventuelle d'un somnifère, démontrerait qu'auparavant il était largement recouru à une telle pratique ;

Par ailleurs en cas de problème grave, les infirmières auraient eu pour consigne d'alerter le médecin d'astreinte, ce qui, en l'espèce n'aurait pas été fait ; le docteur P. A. relève également qu'une seule infirmière était présente dans le service la nuit du 10 au 11 mars 2002, alors que l'effectif aurait dû être de deux ;

Il ajoute que, nonobstant les règles habituellement en vigueur concernant la continuité des soins, le professeur C. H. affirme lui-même qu'il incombait au service du professeur P. D. de suivre le patient qu'il accueillait ; cela démontrerait que les règles n'étaient ni claires ni cohérentes et que, dans les faits, les relations entre le service du professeur C. H. et celui du professeur P. D. étaient totalement contraires aux règles théoriques ;

Le docteur P. A. conteste que la faute qui lui est reprochée puisse exonérer le Centre hospitalier PRINCESSE GRACE de sa responsabilité ; il relève que V. P. s'est plaint de douleurs bien avant le début de sa garde et que jamais le médecin d'astreinte n'a été informé de l'état du patient ; compte tenu des nombreuses failles dans l'organisation du service, la faute du docteur P. A. n'aurait pas un caractère de faute personnelle mais s'inscrirait dans un contexte général de dysfonctionnements imputables au Centre hospitalier PRINCESSE GRACE ;

Par conclusions récapitulatives déposées le 31 décembre 2008, le professeur C. H. soutient qu'il n'a commis aucune faute et que, compte tenu de l'état de santé de V. P., l'opération chirurgicale réalisée le 6 mars 2002 était indispensable afin de lui éviter des souffrances supplémentaires en fin de vie ;

Il aurait rempli son devoir d'information en avisant V. P. que si la coloscopie confirmait l'existence d'un cancer du côlon il pratiquerait au cours de la même anesthésie la colectomie et la pose d'un dispositif veineux implantable, le docteur B. T. étant entièrement d'accord avec ce projet ; le caractère sténosant de la tumeur aurait pleinement justifié cette colectomie avant le début de la chimiothérapie, malgré l'existence de métastases importantes ;

Les suites de cette opération auraient été simples dans les premiers jours ; néanmoins, à la demande du professeur P. D., et bien qu'une sortie du service de chirurgie lui parût encore trop précoce, il aurait autorisé le transfert du patient dans le service de médecine interne le 10 mars 2002 en début d'après-midi ; le suivi aurait alors été assuré par le service de médecine et la prise en charge thérapeutique par le médecin d'astreinte de ce service ;

Le 11 mars 2002 vers 9 heures, le professeur C. H. aurait découvert V. P. en très mauvaise condition, sans jamais avoir été avisé auparavant de la dégradation de l'état de santé du patient ; l'état de choc septique n'aurait pas permis d'opérer V. P. avant 14 heures ; l'intervention secondaire aurait révélé une péritonite très exceptionnelle, résultant d'une perforation de l'intestin grêle alors même que cet organe n'avait subi aucun traumatisme ; la cause de cette perforation demeurait mystérieuse, et en aucun cas ne pourrait résulter d'une maladresse lors de l'opération précédente ;

Par ailleurs le pronostic vital du patient aurait été très mauvais dès son admission au centre hospitalier, notamment en raison de la présence de métastases hépatiques, péritonéales et surtout osseuses ; la colectomie aurait eu pour seul but d'alléger les souffrances en évitant une occlusion en cours de chimiothérapie ;

À supposer même qu'une faute puisse être retenue à son encontre, en aucun cas elle ne pourrait être considérée comme une faute personnelle ;

L'affaire a été plaidée à l'audience du 15 janvier 2008, puis mise en délibéré jusqu'à ce jour ;

Sur quoi,

Sur la responsabilité civile des médecins

Attendu que conformément à l'article 11 de l'ordonnance souveraine n° 7.928 du 6 mars 1984 portant statut du personnel médical et assimilé du Centre hospitalier PRINCESSE GRACE, et à l'article 26 de l'ordonnance souveraine n° 13.839 du 29 décembre 1998 portant statut des praticiens hospitaliers, les médecins exerçant des fonctions au centre hospitalier sont, en ce qui concerne leur responsabilité civile, régis par les dispositions de la loi n° 983 du 26 mai 1976 sur la responsabilité civile des agents publics ;

Attendu que selon l'article 2 de la loi n° 983, aucun agent public ne peut être déclaré civilement responsable, soit envers l'Administration soit envers les tiers, si ce n'est en raison de sa faute personnelle ;

Attendu que l'article 3 de la même loi définit la faute personnelle comme celle qui est dépourvue de tout lien avec le service, et y assimile la faute qui, bien que non dépourvue de tout lien avec le service, se détache de celui-ci en raison de son anormale gravité ou de l'intention de nuire ou de l'intérêt personnel dont elle procède ;

1° En ce qui concerne le professeur P. D.

Attendu que les demandeurs reprochent au professeur P. D., qui dirigeait le service de médecine interne où V. P. a été transféré le 10 mars 2002 vers 13 heures, une très forte animosité personnelle à l'égard du professeur C. H., à l'origine d'une rupture dans la qualité des soins dispensés au patient ; que le professeur P. D. ne se serait pas enquis du transfert du dossier médical et ne se serait pas assuré de ce que le personnel infirmier était informé de la situation de V. P. ;

Attendu cependant que la mésentente entre médecins ne peut être constitutive d'une faute par elle-même ; que si le professeur P. D. a indiqué au professeur C. H. que son service était en mesure d'accueillir V. P., il n'est pas démontré qu'il ait été particulièrement insistant au mépris de la santé du malade ; que la décision de transfert a été prise par le professeur C. H. le matin du 10 mars 2002, au cours d'une conversation téléphonique avec un médecin de son propre service ayant rencontré le patient ; que cette décision relevait de la seule responsabilité de l'équipe chirurgicale ; que le professeur P. D. ne peut donc se voir reprocher un transfert précipité ou prématuré ;

Attendu qu'il n'est pas démontré que le professeur P. D. a été informé immédiatement de cette décision ; qu'il ne peut donc lui être reproché de ne pas avoir suffisamment attiré l'attention du personnel infirmier de son service sur la situation particulière de ce patient, et de ne pas s'être enquis du dossier médical, dès le dimanche 10 mars 2002 ;

Attendu en outre que selon les explications concordantes des parties, en cas de transfert d'un opéré récent dans un service autre que celui de chirurgie, les chirurgiens continuent en principe de suivre intégralement le patient, le service d'accueil assurant seulement l'hébergement ; qu'il n'est justifié d'aucun obstacle mis par le service de médecine à l'intervention de chirurgiens auprès de V. P. ; que bien au contraire, le 10 mars 2002 vers 13 heures 30, le docteur R. R.-C., anesthésiste réanimateur, a appelé téléphoniquement le docteur B. T., alors d'astreinte opérationnelle, pour l'informer qu'elle ne passerait plus voir V. P. et qu'elle le confiait au servie de médecine interne pour la suite de la prise en charge ; que le professeur P. D. appellera lui-même le professeur C. H. au chevet du patient, dès sa première visite le matin du 11 mars 2002 ; qu'il ne peut donc être reproché au professeur P. D. d'avoir retardé les soins devant être prodigués à V. P. ;

Attendu enfin qu'aucune faute n'a été relevée par les experts dans l'organisation du service dont le professeur P. D. assumait la direction ;

Attendu en conséquence que l'existence d'une faute commise par le professeur P. D. n'est pas démontrée ;

2° En ce qui concerne le professeur C. H.

Attendu que les demandeurs reprochent au professeur C. H. :

  • un défaut d'information du patient préalablement à la colectomie pratiquée le 6 mars 2002, dans le prolongement immédiat de la coloscopie, alors qu'il n'existait aucune urgence ;

  • un défaut de surveillance du patient à la suite de l'opération, et l'absence d'instructions précises données au personnel infirmier,

  • une absence de diagnostic et un défaut de diligence de matin du 11 mars 2002,

  • l'inadéquation de l'intervention secondaire ;

a) L'exécution de l'obligation d'information

Attendu sur le premier point que les consorts P. font valoir à bon droit que les médecins, hors le cas d'urgence et d'impossibilité manifeste, sont tenus de recueillir un consentement éclairé de leur patient sur le traitement qu'ils envisagent, en particulier avant une intervention chirurgicale comportant l'ablation partielle d'un organe, et doivent à ce titre donner au malade une information suffisante sur son état de santé, les traitements envisageables, les risques de ceux-ci et les avantages que l'on peut en attendre ;

Attendu que conformément à l'article 1162, alinéa 2 du Code civil, il incombe à celui qui prétend avoir satisfait à son obligation de rapporter la preuve des faits qu'il allègue ;

Attendu en l'espèce que les experts n'ont pas retrouvé d'éléments permettant d'affirmer que le professeur C. H. avait satisfait à son devoir d'information ;

Attendu que ce médecin ne précise d'ailleurs pas quelles auraient été les informations données à V. P., mais se contente d'invoquer les déclarations du docteur B. T. selon lesquelles celui-ci aurait » entendu Monsieur H. évoquer avec Monsieur P. une possible colectomie en cas de mise en évidence d'une tumeur très sténosante lors de la coloscopie prévue le 6 mars 2002 « ;

Attendu que les faits ainsi relatés ne démontrent pas que V. P. a reçu une information suffisante sur son état de santé, les traitements envisageables et les risques inhérents à ceux-ci, et qu'il avait consenti en toute connaissance de cause à l'ablation du côlon droit ;

Attendu en effet que la coloscopie avait pour but de vérifier l'origine digestive des métastases hépatiques multiples constatées en février 2002, et dont la nature tumorale avait été prouvée par des biopsies percutanées ; que l'intervention envisagée à l'origine, pour laquelle il a été fait appel au professeur C. H., consistait uniquement à poser un dispositif veineux implantable pour les besoins d'une chimiothérapie ;

Attendu qu'aucune autre opération ne pouvait être acceptée de manière éclairée par le patient avant même le résultat de l'exploration prévue le 6 mars 2002 ; qu'en effet, selon le rapport d'expertise, si le traitement de référence des cancers coliques est l'exérèse chirurgicale de la partie du côlon qui porte la tumeur, lorsqu'il existe des métastases à distance un traitement par chimiothérapie est indiqué, et il existe un débat médical sur l'opportunité du traitement à mettre en œuvre en premier, le plan thérapeutique étant, en général, décidé au cours d'une discussion multidisciplinaire médico-chirurgicale ;

Attendu que la seule information que le professeur C. H. prétend avoir donnée à V. P., et rapportée par le docteur B. T., consiste à l'avoir avisé de ce que la présence d'une tumeur importante entraînant un risque élevé d'occlusion pouvait justifier une intervention chirurgicale ; que le docteur B. T. conteste avoir lui-même été informé d'un quelconque projet de colectomie lors d'une discussion antérieure avec le professeur C. H. ; que cela est conforme au compte rendu de l'opération établi par ce médecin, qui n'inscrit pas son intervention dans un projet concerté avec le service de médecine interne, mais mentionne » une coloscopie est faite qui découvre un cancer du colon droit. Décision opératoire immédiate « ;

Attendu que la décision d'opérer a donc été prise par le professeur C. H. seul, durant l'anesthésie de V. P., alors même que, selon les explications du professeur P. D. et du docteur B. T., le choix initial s'orientait vers une chimiothérapie première, motivée par la présence de nombreuses métastases osseuses ;

Attendu que si le professeur C. H. affirme que la colectomie était en l'espèce un préalable nécessaire à la mise en œuvre d'une chimiothérapie, et si, selon de rapport d'expertise, ce choix ne peut être considéré comme une erreur ou une faute, le professeur C. H. ne soutient pas, et il ne résulte d'aucun élément du dossier, que l'opération pratiquée le 6 mars 2002 était nécessaire en urgence, sans pouvoir s'assurer au préalable du consentement éclairé du patient ; que les demandeurs soulignent au contraire à juste titre que le caractère sténosant de la tumeur n'empêchait pas son franchissement par l'endoscope ;

Attendu en conséquence que même si l'opération chirurgicale ne relevait pas d'une erreur ni d'une faute, et même si la colectomie pouvait s'avérer nécessaire avant la chimiothérapie, la décision de la pratiquer a été prise, en tout état de cause, sans avoir recueilli au préalable le consentement de V. P., lequel aurait pu être éclairé par le résultat d'une discussion multidisciplinaire médico-chirurgicale, au vu du compte rendu de la coloscopie et en considération des risques encourus et des avantages que l'on pouvait raisonnablement attendre du traitement envisagé, compte tenu de l'avancement de la maladie ;

Attendu que le professeur C. H. a donc manqué à son devoir d'information à l'égard de V. P., et à son obligation de recueillir un consentement éclairé préalablement à l'intervention chirurgicale ;

b) La surveillance au cours de la journée du 10 mars 2002

Attendu s'agissant du défaut de surveillance invoqué par les demandeurs que l'expertise n'a mis en évidence aucune faute commise personnellement par le professeur C. H. ; que le transfert a été décidé quatre jours après l'opération sans que soit relevée une incompatibilité de celui-ci avec l'état de santé du patient ; que les demandeurs ne précisent pas quelles informations le professeur C. H. aurait omis de communiquer au personnel infirmier ;

Attendu que selon le professeur C. H. lui-même, les malades récemment opérés doivent être suivis par les médecins du service de chirurgie, même lorsqu'ils sont hébergés dans un autre service ; qu'il ne peut en être déduit que le professeur C. H. avait l'obligation d'assurer lui-même le suivi de V. P. le dimanche 10 mars 2002, mais seulement qu'il devait, en sa qualité de chef de service, s'assurer de l'existence d'un dispositif adapté pour la poursuite des soins ;

Attendu qu'en l'espèce le docteur S. T. chirurgien du même service qui avait visité V. P. avec le professeur C. H. la veille, était de garde au Centre hospitalier PRINCESSE GRACE ; qu'il existait également un médecin de garde pour les services de médecine, outre les médecins d'astreinte opérationnelle ; qu'aucune faute n'est donc caractérisée dans l'organisation du dispositif de surveillance et de suivi du malade récemment opéré ;

Attendu qu'aucune faute personnelle ne peut donc être reprochée au professeur C. H. au titre de l'organisation de la surveillance médicale de l'opéré au cours de la semaine ayant suivi l'opération ;

c) Les diligences le matin du 11 mars 2002

Attendu que le professeur C. H. s'est rendu au chevet de V. P. le 11 mars 2002 à 9 heures, en présence du docteur B. T. ; que l'anesthésiste était également présent au chevet du patient à 9 heures 15 ; que le professeur C. H. a revu trois fois le malade avant de prendre la décision d'opérer ;

Attendu que selon le rapport d'expertise, jusqu'à 10 heures 30 V. P. n'était pas en état de choc, que son état s'est aggravé ensuite, qu'il est passé en réanimation à midi, qu'il a été conduit au bloc opératoire à 13 heures, où une réanimation a été entreprise avant l'induction anesthésique en raison de troubles tensionnels ; que l'intervention chirurgicale a mis en évidence une péritonite post-opératoire par perforation du grêle, dont l'origine n'a pas été déterminée ;

Attendu que le délai de quatre heures écoulé entre la visite du professeur C. H., appelé en urgence au chevet de V. P., et l'admission au bloc opératoire n'était pas justifié uniquement par l'état de santé du patient ; qu'il a donc participé au » retard diagnostique et thérapeutique de la péritonite post opératoire « relevé par les experts comme ayant fait perdre une chance de survie à V. P. ;

Attendu que contrairement aux explications données par le professeur C. H. après le décès, V. P. ne pouvait être considéré comme » moribond « à 9 heures ; qu'il n'était pas en état de choc, même s'il était déshydraté, et qu'il n'a pas été pris en charge en réanimation immédiatement mais seulement en fin de matinée après une nouvelle dégradation de son état de santé ; que la période d'attente de quatre heures, voire cinq, n'était donc pas » indispensable pour une remise en condition acceptable en vue d'une nouvelle anesthésie et d'une réintervention « ;

Attendu que les explications données par les autres intervenants permettent cependant de considérer que, contrairement à ce que soutient le professeur C. H., celui-ci n'a pas pris la décision de réopérer dès 9 heures 30, et non qu'il a indûment tardé à mettre en œuvre une telle décision ; que cela résulte également du rapport établi par l'infirmière L. F., qui mentionne que les médecins attendaient les résultats du scanner avant de prendre la décision d'opérer, qu'à 10 heures tous les examens étaient terminés et que le docteur B. T. lui a alors demandé de laisser le patient » à jeun strict pour l'instant pour un éventuel passage au bloc qui n'était toujours pas décidé à ce moment là « ;

Attendu que les experts soulignent que » le diagnostic de péritonite post opératoire peut être extrêmement difficile à établir précocement surtout chez un patient dont les douleurs sont calmées par la morphine « ; qu'ils n'ont relevé aucune erreur grossière dans la pose du diagnostic, ni dans la prise en charge de V. P., au cours de la matinée du 11 mars 2002 ;

Attendu que le professeur C. H. était incontestablement présent auprès du malade au cours de cet épisode ; que l'absence d'explications satisfaisantes de sa part sur le retard dans la prise en charge de la péritonite post-opératoire ne peut suffire à caractériser une faute médicale ;

d) L'adéquation de l'intervention secondaire

Attendu que S. S. veuve P., J.-V. P. et P. P. émettent des doutes sur le caractère adéquat de l'intervention secondaire ayant consisté à rétablir la continuité digestive en pratiquant une suture dans le pus, alors même que l'origine de la perforation demeurait mystérieuse ;

Attendu cependant que selon le rapport d'expertise aucun élément ne permet de considérer comme fautive la réalisation d'une suture/anastomose du grêle ; que l'alternative offerte au chirurgien, à savoir la mise à la peau de la perforation, aurait nécessité des soins post-opératoires importants ainsi qu'une ou plusieurs réinterventions pour rétablir la continuité digestive ; que de ce fait, le professeur C. H. a pu apprécier sans commettre d'erreur, en fonction notamment de l'état du grêle et du péritoine, mais également de l'état général du malade, qu'une anastomose était possible sans lui faire courir de risque supplémentaire ;

Attendu que l'anastomose pratiquée lors de l'intervention secondaire ne peut donc être reprochée au professeur C. H. ;

3° En ce qui concerne le docteur P. A.

Attendu que le docteur P. A. était de garde au Centre hospitalier PRINCESSE GRACE le 10 mars 2002 à compter de 20 heures 30 ; qu'il a été appelé par l'infirmière du service de médecine interne à quatre reprises au cours de la même nuit en raison des douleurs abdominales dont V. P. se plaignait ;

Attendu que sans prendre aucune connaissance personnelle de l'état de santé du malade, le docteur P. A. a prescrit par téléphone des antalgiques simples, puis de la morphine et enfin de la morphine et un sondage vésical ; qu'il se présentera au chevet de V. P. seulement le 11 mars 2002 à 7 heures, soit plus de huit heures après le premier appel ;

Attendu que le docteur P. A. n'invoque aucune circonstance l'ayant empêché de se rendre auprès du malade, ainsi qu'il en avait l'obligation ; que les experts n'ont identifié aucun problème particulier qui aurait pu expliquer une surcharge de travail du médecin de garde ;

Attendu que la faute commise par le docteur P. A. est dès lors suffisamment caractérisée ;

4° Le caractère personnel des fautes médicales

Attendu que le manquement du professeur C. H. à son devoir d'information et à son obligation de recueillir le consentement éclairé du patient, et la faute commise par le docteur P. A. en ne se rendant pas au chevet de V. P., outre qu'ils ont eu lieu pendant leur service, constituaient la violation d'obligations leur incombant en raison même du service auquel ils étaient tenus ; que ces fautes ne sont pas manifestement dépourvues de tout lien avec le service, au sens de l'article 3, alinéa 1 de la loi n° 983 ;

Attendu que ces fautes ne résultaient pas d'une intention de nuire ; que si la violation par le professeur C. H. de son devoir d'information à l'égard du patient a pris place dans un contexte de mésentente avec le professeur P. D. qui avait envisagé une autre voie thérapeutique, cette circonstance ne suffit pas à affirmer que le professeur C. H. poursuivait un intérêt personnel ;

Attendu qu'un manquement au devoir d'information ne relève pas, par lui-même, des fautes d'une anormale gravité se détachant de ce fait du service de celui qui les commet ;

Attendu en outre que, selon les observations du docteur B. T., l'éventualité d'une colectomie dans les suites immédiates de la coloscopie avait été évoquée devant le patient ; que, nonobstant la violation du devoir d'information, l'intervention chirurgicale pouvait être considérée par le professeur C. H. comme nécessaire préalablement à la chimiothérapie, compte tenu de l'avancement de la maladie ; que l'existence de risques supplémentaires pour le patient, du fait de l'immédiateté de la colectomie à la suite de la coloscopie, n'est pas démontrée, même si l'intervention était elle-même rendue plus difficile ;

Attendu que ces circonstances permettent de considérer qu'en l'espèce l'ablation d'une partie du côlon sans avoir recueilli le consentement éclairé du patient ne constitue pas une faute d'une anormale gravité au sens de l'article 3 alinéa 2 de la loi n° 983 ;

Attendu que le manquement du professeur C. H. à ses obligations n'est donc pas de nature à justifier qu'il soit déclaré personnellement responsable du préjudice causé ;

Attendu en revanche qu'aucun élément ne permet de justifier l'attitude du docteur P. A. au cours de la nuit du 10 au 11 mars 2002 ;

Attendu que pour contester l'extrême gravité de la faute commise, le docteur P. A. soutient que l'existence de prescriptions faites par téléphone était une pratique habituelle au Centre hospitalier PRINCESSE GRACE, à laquelle les autres médecins ont également eu recours dans le cas présent, qu'il ne savait pas que le malade hospitalisé dans le service de médecine interne avait été opéré depuis peu, et que l'infirmière, qui ne lui a précisé ni l'identité du patient ni son historique, ne lui a pas demandé de se déplacer lors des trois premiers appels téléphoniques ; qu'il invoque également la présence d'une seule infirmière dans le service, au lieu de deux ;

Attendu cependant que la faute reprochée au docteur P. A. ne réside pas tant dans l'existence d'instructions données par téléphone que dans le fait de n'avoir pas pris connaissance de la situation du malade et de n'avoir procédé à aucun examen, et d'avoir prescrit un traitement à une personne sans avoir aucune connaissance de son état de santé ; que ce comportement a persisté durant plus de huit heures malgré trois appels téléphoniques de l'infirmière du service, alors que les traitements par Viscéralgine forte et morphine n'avaient pas permis d'apaiser les souffrances d'un patient dont l'infirmière notait, le 11 mars 2002 à 4 heures, qu'il hurlait de douleur ;

Attendu que l'ignorance dans laquelle le docteur P. A. déclare avoir été tenu en ce qui concerne l'opération récente subie par le malade, loin de réduire la gravité de sa faute, démontre au contraire l'absence totale des diligences les plus élémentaires ; que le docteur P. A. ne pouvait attendre de l'infirmière présente dans le service qu'elle pose un diagnostic sur l'origine des douleurs du malade, la gravité des symptômes et le traitement opportun, ni même qu'elle apprécie la nécessité d'un déplacement du médecin de garde au regard du dossier médical du patient ; que si le docteur P. A. invoque à juste titre la charge de travail importante reposant sur les infirmières, en particulier le soir, et l'existence d'une charge psychologique aggravant la charge physique, cette circonstance ne peut exonérer le médecin de garde de sa faute mais souligne au contraire la gravité de sa carence ;

Attendu que la faute commise par le docteur P. A. est donc constitutive d'une faute d'une anormale gravité au sens de l'article 3 alinéa 2 de la loi n° 983 ;

Sur la responsabilité du Centre hospitalier PRINCESSE GRACE

Attendu que conformément à l'article 4 de la loi n° 983, le tiers victime d'une faute personnelle d'un agent public non dépourvue de tout lien avec le service peut, outre son recours contre l'agent, demander réparation du préjudice, pour la totalité, à l'Administration ; qu'il en est de même dans le cas où une faute de service a concouru avec la faute personnelle de l'agent public à la production du dommage ; que l'action contre l'Administration et celle contre l'agent peuvent être engagées indépendamment ou concurremment ; que l'Administration et l'agent sont tenus in solidum envers l'intéressé ;

Attendu que pour l'application de la loi n° 983 à son personnel médical, le Centre hospitalier PRINCESSE GRACE est assimilé à l'Administration ;

Attendu en l'espèce que selon les propres conclusions du Centre hospitalier PRINCESSE GRACE » la faute personnelle que [le docteur P. A.] a commise ne saurait être considérée comme étant dépourvue de tout lien avec le service " ; qu'en effet, cette faute a été commise durant le service de l'intéressé, alors qu'il était de garde au Centre hospitalier PRINCESSE GRACE, et a consisté à ne pas accomplir les tâches lui incombant au titre de ce service ;

Attendu que les demandeurs sont donc, en tout état de cause, bien fondés à demander réparation du préjudice, pour la totalité, au Centre hospitalier PRINCESSE GRACE sans que celui-ci puisse, dans ses rapports avec eux, prétendre que la faute du praticien l'exonère de sa responsabilité ;

Attendu au surplus que la faute personnelle du docteur P. A. s'est conjuguée avec un défaut de coordination entre les services, caractérisé notamment par l'absence d'appel au chirurgien de garde, alors que le malade était un opéré récent, ou au médecin d'astreinte du service dans lequel V. P. était hospitalisé, alors même que ce médecin avait prescrit un premier traitement à visée antalgique en demandant d'être informé des suites de celui-ci ; que ce mauvais fonctionnement est constitutif d'une faute de service au sens de la loi n° 983, sans qu'il soit nécessaire de caractériser une faute commise dans l'organisation du service ;

Attendu que le Centre hospitalier PRINCESSE GRACE sera donc tenu in solidum avec le docteur P. A. à l'égard des consorts P. ;

Sur l'indemnisation

Attendu que S. S. veuve P., J.-V. P. et P. P. soutiennent à juste titre que les fautes commises dans les soins apportés à V. P. au cours de la nuit du 10 au 11 mars 2002 ont porté atteinte à la dignité de celui-ci ;

Attendu que l'épouse et les enfants de V. P. sont bien fondés à invoquer le préjudice moral personnel qu'ils ont subi du fait de cette atteinte à la dignité d'un être cher ;

Attendu que leur demande tendant à obtenir la somme d'un euro chacun à titre de dommages et intérêts en réparation de chef de préjudice n'est pas contestée ; qu'il convient dès lors de leur allouer la somme ainsi réclamée ;

Attendu qu'il leur sera donné acte de leurs réserves en ce qui concerne la réparation d'un éventuel préjudice économique, qui n'a pas été soumis à l'appréciation du Tribunal ;

Sur les dépens

Attendu que, conformément à l'article 231 alinéa 1 du Code de procédure civile, tous jugements, autres que les jugements d'instruction, condamnent même d'office aux dépens la partie qui succombe ;

Attendu que le docteur P. A. et Centre hospitalier PRINCESSE GRACE seront donc condamnés aux dépens de la présente instance à laquelle ils succombent ;

Attendu que selon l'article 233 du même Code, les avocats-défenseurs pourront demander la distraction des dépens à leur profit, en affirmant qu'ils ont fait la plus grande partie des avances ; qu'ils convient de faire droit à la demande de distraction de Maître Jacques SBARRATO et Maître Joëlle PASTOR-BENSA, sur leur affirmation de droit, et à celle de Maître Frank MICHEL, pour ce qui concerne le Professeur P. D. ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL, statuant contradictoirement,

Constate l'existence d'une faute personnelle commise par le docteur P. A. et d'une faute de service incombant au Centre hospitalier PRINCESSE GRACE,

Dit que ces fautes ont porté atteinte à la dignité de V. P.,

Déclare le Centre hospitalier PRINCESSE GRACE et le docteur P. A. tenus de réparer l'entier dommage causé à V. P. ainsi qu'à S. S. veuve P., J.-V. P. et P. P.,

Condamne in solidum le Centre hospitalier PRINCESSE GRACE et le docteur P. A. à payer à S. S. veuve P., J.-V. P. et P. P. la somme d'un euro chacun, en réparation de leur préjudice moral personnel,

Donne acte à S. S. veuve P., J.-V. P. et P. P. de leurs réserves quant à la réparation d'un éventuel préjudice économique,

Déboute S. S. veuve P., J.-V. P. et P. P. de leurs demandes à l'encontre du Professeur P. D. et du Professeur C. H.,

Condamne le Centre hospitalier PRINCESSE GRACE et le docteur P. A. aux dépens, distraits au profit de Maîtres Jacques SBARRATO, Joëlle PASTOR-BENSA et Frank MICHEL, avocats-défenseurs, sous leur due affirmation, chacun pour ce qui le concerne ;

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le greffier en chef, au vu du tarif applicable ;

Composition🔗

Mme GRINDA-GAMBARINI, Prés. ; M. RAYMOND, juge suppl. ff de Subst. du P. G. ; Mes SBARRATO, MICHEL, PASTOR BENSA et REY, av. déf. ; RIVOIR, av. au barreau de Nice ; HONORAT, av. au barreau de Paris ; CHAS, av. au barreau de Nice ; CUSINATO, av. au barreau de Marseille ; LADO, av. au barreau de Paris.

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