Cour d'appel, 27 février 2007, D. c/ V.

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Abstract🔗

Exequatur

Convention franco-judiciaire, relative à l'aide mutuelle judiciaire - Conditions : article 18 de la convention du 21 septembre 1949

Arrêt de la cour d'appel française contraire à l'ordre public monégasque

a) en cumulant l'indemnité de licenciement et l'indemnité de congédiement, en violation des dispositions de l'article 3 de la loi du 27 janvier 1968 prohibant ce cumul

b) en accordant pour un licenciement ayant un caractère injustifié des dommages et intérêts reposant sur la commission d'un abus dans la rupture du contrat de travail alors que le droit monégasque n'ouvre droit qu'à une indemnité de licenciement prévue à l'article 2 de la loi n° 845 du 27 janvier 1968

Résumé🔗

Selon l'article 18 de la Convention relative à l'aide mutuelle judiciaire entre la France et la Principauté de Monaco du 21 septembre 1949 rendue exécutoire à Monaco par l'ordonnance n° 106 du 2 décembre 1949, les jugements exécutoires dans l'un des deux pays seront déclarés exécutoires dans l'autre par le Tribunal de première instance du lieu où l'exécution doit être poursuivie qui vérifiera seulement :

1 si d'après la loi du pays où a été rendue la décision, l'expédition qui en est produite réunit les conditions nécessaires à son authenticité,

2 si d'après la même loi, cette décision émane d'une juridiction compétente,

3 si d'après cette loi, les parties ont été régulièrement citées,

4 si d'après la même loi, le jugement est passé en force de chose jugée,

5 si les dispositions dont l'exécution est poursuivie n'ont rien de contraire à l'ordre public ou aux principes de droit public du pays où l'exequatur est requis ;

Sur le point 5 ci-dessus rappelé pour fonder sa décision, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a retenu :

« Attendu en définitive que non seulement la preuve de la faute grave n'est pas rapportée mais que le licenciement paraît injustifié.

Que compte tenu de l'ancienneté de 13 ans de Monsieur V. et de son salaire brut (11 745 francs) la somme de 140 940 francs à titre de dommages-intérêts qu'il sollicite n'est nullement exagérée.

Qu'il peut prétendre selon la législation monégasque :

a) à une indemnité de congédiement de 15 268,50 francs (article 1, loi du 27 janvier 1968),

b) à une indemnité de licenciement de 61 755,96 francs (article 2, loi du 27 juin 1968),

c) à une indemnité pour inobservation du délai-congé de 23 490 francs (article 7-N, loi du 13 mars 1963),

d) à des congés payés afférents de 2 349 francs,

Que Monsieur V. a donc droit (compte tenu du non-cumul de l'article 3) à la somme globale de 6 988,55 euros ».

La somme des indemnités susdites 140 940 francs + 15 268,50 francs + 61 755,96 francs + 23 490 francs est de 243 803,46 francs soit 37 167,67 euros.

Cette somme est à rapprocher du cumul des indemnités accordées par la cour d'appel d'Aix-en-Provence qui ressort à 36 988,55 euros.

Sous la réserve de cette faible erreur de calcul, il apparaît que la cour d'appel d'Aix-en-Provence a accordé à F. V. la totalité des indemnités dont elle avait fixé le montant, procédant ainsi au cumul de l'indemnité de licenciement prévue à l'article 2 de la loi du 27 janvier 1968 et de l'indemnité de congédiement prévue à l'article 1 de la même loi, en violation des dispositions de l'article 3 de la loi du 27 janvier 1968 qui prohibent ce cumul.

La mention « compte tenu du non-cumul de l'article 3 » est insuffisante à caractériser l'application de la loi monégasque au litige par la juridiction française, la règle de non-cumul édictée à l'article 3 de la loi du 27 janvier 1968 n'ayant en fait pas reçu application.

Au surplus, après avoir précisé que le licenciement était injustifié ce que le Tribunal a justement analysé comme assimilable à la notion de motif non valable admise par le droit monégasque et susceptible d'ouvrir droit à l'indemnité de licenciement prévue à l'article 1 de la même loi, la cour d'appel a accordé la somme de 140 940 francs de dommages-intérêts à F. V.

L'article 13 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, dispose « toute rupture abusive d'un contrat de travail peut donner lieu à des dommages-intérêts qui seront fixés par le juge à défaut d'accord des parties. Les dommages-intérêts ne se confondent ni avec l'indemnité pour inobservation de préavis ni avec l'indemnité de licenciement ».

Il ne peut être déduit de l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, faute de motivation, que la somme de 140 940 francs accordée à titre de dommages-intérêts à F. V. repose sur la commission d'un abus dans la rupture de son contrat de travail.

Cette allocation suit immédiatement la motivation de la décision sur le caractère injustifié du licenciement qui assimilé à la notion de motif non valable n'ouvre droit en droit monégasque qu'à l'indemnité de licenciement prévue à l'article 2 de la loi n° 845 du 27 janvier 1968.

Pour ces motifs, l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence rendu le 5 mars 2002 est contraire à l'ordre public monégasque.

Le jugement doit être infirmé et qu'il échet de débouter F. V. de sa demande visant à l'exequatur de l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 5 mars 2002.


Motifs🔗

La Cour,

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

La Cour statue sur l'appel relevé par G. D. à l'encontre du jugement susvisé du Tribunal de première instance du 10 mars 2005,

Considérant les faits suivants :

Selon exploit du 11 février 2004, F. V. a fait assigner G. D. aux fins de voir déclarer exécutoire à Monaco avec toutes conséquences de droit par application de l'article 18 de la convention franco-monégasque du 21 septembre 1949 rendue exécutoire à Monaco par ordonnance n° 106 du 2 décembre 1949, l'arrêt rendu le 5 mars 2002 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence dont le dispositif est le suivant :

Statuant publiquement, contradictoirement, en matière prud'homale,

Réforme le jugement entrepris et, statuant à nouveau,

Dit que le licenciement de M. V. est injustifié,

Condamne M. D. à lui verser la somme de 36 988,55 euros outre une indemnité de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel,

Condamne Madame D. aux entiers dépens. «

Cet arrêt a été notifié le 11 mars 2002.

Le 19 mars 2003, le greffier en chef de la Cour de cassation délivrait un certificat de non-pourvoi.

Par jugement du 10 mars 2005, le Tribunal de première instance a déclaré exécutoire dans la Principauté de Monaco avec toutes conséquences de droit, l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 5 mars 2002, dont le dispositif était reproduit, a condamné G. D. aux dépens.

Par exploit d'assignation du 17 juin 2005, G. D. a interjeté appel du jugement.

Elle a sollicité l'infirmation du jugement et demande à la Cour de constater que la décision de la cour d'appel d'Aix-en-Provence est contraire à l'ordre public monégasque :

les juridictions françaises n'étaient pas compétentes, le contrat de travail ayant été signé à Monaco et exécuté dans ce pays,

si la cour d'appel mentionne faire application de la loi monégasque de fait, elle ne l'a pas appliquée en ce que :

elle n'a pas appliqué la règle du non cumul entre l'indemnité de congédiement et l'indemnité de licenciement (article 3, loi n° 845),

elle a alloué des dommages-intérêts au salarié sans avoir relevé que le licenciement était abusif, le terme de » licenciement injustifié « employé par la cour s'apparentant aux » motifs non valables «, ouvrant droit à la seule indemnité de licenciement,

les frais irrépétibles n'existent pas en droit monégasque.

Par conclusions du 18 octobre 2005, F. V. réplique :

qu'il travaillait sur l'ensemble de la Côte d'Azur,

que M. D. n'a pas formé contredit de compétence sur la décision du Conseil des Prud'hommes de Nice et a seulement interjeté appel au fond du jugement,

sur le non-cumul des indemnités (article 2, loi n° 845), il demande la confirmation du jugement en ce qu'une simple erreur de calcul sur ce point n'est pas contraire à l'ordre public monégasque,

que l'allocation de frais irrépétibles n'est pas non plus contraire à cet ordre public.

Il sollicite la confirmation du jugement.

Par arrêt du 2 décembre 2005, G. D. a été placée sous tutelle et Madame B. D. a été désignée en qualité d'administrateur.

La mission de l'administrateur a été par la suite étendue à la représentation en justice de la majeure sous tutelle.

B. D. ès qualités a conclu le 24 juin 2006 à l'infirmation du jugement ; outre les critiques formées contre le jugement par G. D., elle admet que les juridictions françaises étaient compétentes pour connaître du litige, mais que la saisine d'un for étranger est contraire à l'ordre public monégasque, le Tribunal du travail ayant compétence exclusive en vertu de l'article 1 de la loi n° 446 du 16 mai 1946.

Elle soutient qu'en cause d'appel, le salarié a présenté des demandes nouvelles, accueillies par la juridiction française alors qu'en droit monégasque, le Tribunal du travail est lié par les prétentions soumises au préalable de la conciliation.

Sur ce,

Considérant que selon l'article 18 de la convention relative à l'aide mutuelle judiciaire entre la France et la Principauté de Monaco du 21 septembre 1949 rendue exécutoire à Monaco par l'ordonnance n° 106 du 2 décembre 1949, les jugements exécutoires dans l'un des deux pays seront déclarés exécutoires dans l'autre par le Tribunal de première instance du lieu où l'exécution doit être poursuivie qui vérifiera seulement :

si d'après la loi du pays où a été rendue la décision, l'expédition qui en est produite réunit les conditions nécessaires à son authenticité,

si d'après la même loi, cette décision émane d'une juridiction compétente,

si d'après cette loi, les parties ont été régulièrement citées,

si d'après la même loi, le jugement est passé en force de chose jugée,

si les dispositions dont l'exécution est poursuivie n'ont rien de contraire à l'ordre public ou aux principes de droit public du pays où l'exequatur est requise ;

Considérant sur le point 5 ci-dessus rappelé que pour fonder sa décision, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a retenu :

Attendu en définitive que non seulement la preuve de la faute grave n'est pas rapportée mais que le licenciement paraît injustifié.

Que compte tenu de l'ancienneté de 13 ans de Monsieur V. et de son salaire brut (11 745 francs) la somme de 140 940 francs à titres de dommages-intérêts qu'il sollicite n'est nullement exagérée.

Qu'il peut prétendre selon la législation monégasque :

a) à une indemnité de congédiement de 15 268,50 francs (article 1, loi du 27 janvier 1968),

b) à une indemnité de licenciement de 61 755,96 francs (article 2, loi du 27 juin 1068),

c) à une indemnité pour inobservation du délai-congé de 23 490 francs (article 7-N, loi du 13 mars 1963),

d) à des congés payés afférents de 2 349 francs,

Que Monsieur V. a donc droit (compte tenu du non-cumul de l'article 3) à la somme globale de 36 988,55 euros »

Considérant que la somme des indemnités susdites 140 940 francs + 15 268,50 francs + 61 755,96 francs + 23 490 francs + 2 349 francs est de 243 803,46 francs soit 37 167,67 euros ;

Considérant que cette somme est à rapprocher du cumul des indemnités accordées par la cour d'appel d'Aix-en-Provence qui ressort à 36 988,55 euros ;

Considérant que sous la réserve de cette faible erreur de calcul, il apparaît que la cour d'appel d'Aix-en-Provence accordé à F. V. la totalité des indemnités dont elle avait fixé le montant, procédant ainsi au cumul de l'indemnité de licenciement prévue à l'article 2 de la loi du 27 janvier 1968 et de l'indemnité de congédiement prévue à l'article 1 de la même loi, en violation des dispositions de l'article 3 de la loi du 27 janvier 1968 qui prohibent ce cumul ;

Considérant que la mention « compte tenu du non-cumul de l'article 3 » est insuffisante à caractériser l'application de la loi monégasque au litige par la juridiction française, la règle de non-cumul édictée à l'article 3 de la loi du 27 janvier 1968 n'ayant en fait pas reçu application ;

Considérant au surplus qu'après avoir précisé que le licenciement était injustifié ce que le Tribunal a justement analysé comme assimilable à la notion de motif non valable admise par le droit monégasque et susceptible d'ouvrir droit à l'indemnité de licenciement prévue à l'article 1 de la même loi, la cour d'appel a accordé la somme de 140 940 francs de dommages-intérêts à F. V. ;

Considérant que l'article 13 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, dispose « toute rupture abusive d'un contrat de travail peut donner lieu à des dommages-intérêts qui seront fixés par le juge à défaut d'accord des parties. Les dommages-intérêts ne se confondent ni avec l'indemnité pour inobservation de préavis ni avec l'indemnité de licenciement » ;

Considérant qu'il ne peut être déduit de l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, faute de motivation, que la somme de 140 940 francs accordé à titre de dommages-intérêts, à F. V. repose sur la commission d'un abus dans la rupture de son contrat de travail ;

Considérant que cette allocation suit immédiatement la motivation de la décision sur le caractère injustifié du licenciement qui assimilé à la notion de motif non valable n'ouvre droit en droit monégasque qu'à l'indemnité de licenciement prévue à l'article 2 de la loi n° 845 du 27 janvier 1968 ;

Considérant que pour ces motifs, l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence rendu le 5 mars 2002 est contraire à l'ordre public monégasque ;

Considérant que le jugement doit être infirmé et qu'il échet de débouter F. V. de sa demande visant à l'exequatur de l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 5 mars 2002 ;

Considérant qu'il échet de condamner F. V. qui succombe aux dépens de première instance et d'appel ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,

Reçoit B. D., en son intervention en qualité d'administrateur des biens de G. D., autorisée à la représenter en justice,

Infirme le jugement du Tribunal de première instance du 10 mars 2005,

Déboute F. V. de sa demande visant à l'exequatur de l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 5 mars 2002,

Condamne F. V. aux dépens de première instance et d'appel, distraits au profit de Maître F. Michel, avocat défenseur, sous sa due affirmation,

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état pas le Greffier en chef, au vu du tarif applicable.

Composition🔗

Mme François, prem. prés. ; M. Dubes, prem. subs. proc. gén. ; Mes Lorenzi et Michel, av. déf. -

Note🔗

Cet arrêt infirme le jugement rendu le 10 mars 2005 qui avait déclaré exécutoire dans la Principauté avec toutes ses conséquences de droit l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 5 mars 2002.

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