Cour d'appel, 15 janvier 2001, L. et P. c/ Mercedes Benz AG, devenue Daimler Benz AG Puis Daimler Chrysler AG

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Abstract🔗

Action paulienne

Cessation de paiements - Exercice de l'action par un créancier en cas d'inaction du syndic, sans concours de celui-ci - Recevabilité de l'action dès lors que le débiteur n'est pas directement visé et que l'action n'est pas exercée au nom du débiteur - Effet collectif de l'action

Cessation des paiements

Acte frauduleux du débiteur - Action paulienne exercée par un créancier - Recevabilité : condition

Résumé🔗

Dans son assignation du 12 août 1998 délivrée à H. et B. L. ainsi qu'au syndic de la liquidation des biens de la Société IRSAM ; déclarée en état de cessation de paiement le 29 juillet 1944 dont le président délégué avait été H. L., la Société demanderesse Mercedes Benz AG (devenue Daimler Benz AG, puis en dernier lieu Daimler Chrysler AG) a sur le fondement expresse de l'article 1022 du Code civil conclu au contradictoire du syndic, à l'inopposabilité à la masse des créanciers de la liquidation susvisée le virement de la somme de 7 000 000 de dollars US opéré à partir du compte de la société IRSAM le 21 octobre 1993 en faveur du compte ouvert par B. L. au Crédit Foncier de Monaco, le 12 novembre 1993, par l'intermédiaire du compte de son époux, et à la réintégration de cette somme augmentée des intérêts dans le patrimoine de la société IRSAM représentée par son syndic.

L'action révocatoire instituée par l'article 1022 susvisé, traditionnellement désignée sous le nom d'action paulienne, aboutit lorsqu'elle est fondée, à inopposabilité de l'acte qui en est l'objet à l'égard du seul créancier qui l'exerce.

Cependant l'effet simplement relatif de l'action paulienne est écarté lorsque le débiteur est lui-même déclaré en état de cessation des paiements.

Indépendamment des actions en inopposabilité à la masse des créanciers, visant les actes frauduleux du débiteur, qui seraient intervenus après sa cessation des paiements, actions prévues par les articles 456 et 457 du Code de commerce, il est en effet loisible au syndic de la procédure collective concernant ce même débiteur, d'exercer l'action paulienne prévue par l'article 1022 du Code civil au nom de la masse des créanciers ?

En cas d'inaction du syndic chaque créancier peut agir dans les conditions dudit article 1022 afin d'attaquer les actes frauduleux du débiteur, l'action paulienne ainsi dirigée par le créancier contre le tiers bénéficiaire de la fraude échappent, en effet, tant à la suspension des poursuites individuelles instituée par l'article 451 du Code de commerce, dès lors qu'elle ne vise pas directement le débiteur, qu'à la nécessité d'une action conjointe du syndic dans les conditions prévues à l'article 441 du Code de commerce, en tant qu'elle n'est pas non plus exercée au nom du débiteur.

La procédure collective ouverte contre le débiteur en vue du règlement de son passif confie alors à l'action paulienne des effets collectifs, même lorsque cette action n'est pas exercée par le syndic mais par un seul créancier ; elle lui fait perdre son caractère relatif et permet à tous les créanciers d'en bénéficier, même lorsque leur droit est né postérieurement à la fraude paulienne.

Il s'en suit que c'est à juste titre que le tribunal de première instance a déclaré recevable l'action paulienne introduite en l'occurrence par un seul créancier.


Motifs🔗

La Cour,

Considérant les faits suivants :

Dans le courant du mois d'avril 1994 la société de droit allemand dénommée Mercedes Benz AG, devenue depuis lors Daimler Chrysler AG, a sollicité et obtenu du Président du tribunal de première instance l'autorisation de procéder à diverses saisies et mesures conservatoires portant sur des meubles ou des immeubles considérés comme appartenant à H. L.

Ladite société faisait alors valoir qu'en 1993 elle était entrée en relation avec la société anonyme monégasque dénommée Intercontinental Ressources Sam (IRSAM), dont le président délégué était H. L., et que ce dernier lui avait proposé de la faire bénéficier, de la part des autorités de l'ancienne Union Soviétique, d'une commande de 10 000 véhicules automobiles pour un montant de 870 millions de dollars US.

Cette commande étant subordonnée à un préfinancement de 20 millions de dollars destiné à l'installation des infrastructures appropriées à l'importation des véhicules, la société Mercedez Benz avait en définitive conclu, par lettres des 8 et 9 juillet 1993, une convention avec H. L., agissant personnellement et au nom de la société IRSAM, en exécution de laquelle elle avait immédiatement remis à L. un chèque de 20 millions de dollars US.

Il avait été convenu, en effet :

  • qu'en contre-partie de son intervention dans la négociation de la vente de 10 000 véhicules Mercedes aux autorités de l'ex Union Soviétique pour le prix de 870 millions de dollars US, la société IRSAM recevrait une commission de 20 millions de dollars US ;

  • que cette commission ne serait toutefois acquise qu'après règlement effectif par les acquéreurs des 870 millions de dollars US ;

  • que dans l'immédiat un chèque de 20 millions de dollars US équivalent au montant de la commission serait remis à la société IRSAM en vue de financer le début de l'affaire ;

  • qu'en particulier si la vente n'était pas réalisée au 31 octobre 1993, et si le prix de vente de 870 millions de dollars US n'était pas versé sur les comptes de la société Mercedes Benz AG avant le 31 décembre 1993, la société IRSAM devrait rembourser à celle-ci, avant le 31 janvier 1994, les 20 millions de dollars US reçus, outre 9,60 % d'intérêts.

Faute de réalisation de la vente, la société Mercedez Benz s'estimait en définitive créancière d'une somme principale de 16 055 555,55 dollars US, correspondant à sa créance de restitution de la somme de 20 millions de dollars US, majorée des intérêts, sous déduction d'une caution de 5 millions de dollars US lui ayant été donnée par la banque luxembourgeoise Nagelmackers 1747.

Statuant sur les saisies et mesures conservatoires dont la validation lui avait été dès lors demandée, le Tribunal de première instance, par jugement du 20 juin 1996 a, notamment, condamné H. L. à payer à la société Mercedes Benz AG ladite somme de 16 005 555,55 dollars US, en son équivalent en francs à la date du 31 janvier 1999, outre intérêts calculés au taux légal à compter de cette même date.

Cette condamnation était fondée sur un engagement de caution retenu par le Tribunal comme imputable à H. L. quant aux obligations à la société IRSAM.

À l'occasion de l'instance, objet de cette décision, la société Mercedes Benz AG avait, par ailleurs, saisi le Tribunal d'une action dirigée contre H. L. pris personnellement et comme dirigeant de sa société IRSAM, ainsi que contre son épouse B. P.

Cette action tendait, d'une part, à la révocation d'une donation de 7 millions de dollars US, prétendument consentie à celle-ci par l'intermédiaire d'H. L., et, d'autre part, à ce que ladite somme réintègre, au profit exclusif de la demanderesse, le patrimoine de la société IRSAM.

Il est constant, en effet, qu'à la date du 21 octobre 1993 une somme de 7 millions de dollars US a été virée à partir d'un compte détenu par la société IRSAM auprès de la banque luxembourgeoise Nagelmackers 1747, sur un compte ouvert par H. L. auprès de l'Union des Banques Suisses, et qu'ensuite, le 12 novembre 1993, ledit compte a été débité de la même somme par la voie d'un virement ayant crédité un compte de B. L., née P., auprès du Crédit Foncier de Monaco.

La société Mercedes Benz AG avait dès lors prétendu que l'opération ainsi réalisée constituait, en fait, une donation déguisée, par laquelle H. L., avec la complicité de sa femme, avait eu pour dessein d'organiser son insolvabilité et celle de sa société.

La société Mercedes Benz AG avait ainsi invoqué expressément les dispositions de l'article 1022 du Code civil, instituant l'action paulienne, qui permet aux créanciers d'attaquer les actes d'un débiteur faits en fraude de leurs droits.

La société Mercedes Benz AG s'estimait donc en droit d'obtenir que l'opération en cause lui soit déclarée inopposable et, par voie de conséquence, que la somme litigieuse de 7 millions de dollars américains réintègre à son profit exclusif le patrimoine de la société IRSAM, dont elle était créancière.

En son jugement précité du 20 juin 1996, le Tribunal de première instance, en l'état des prétentions de la société Mercedes Benz AG ainsi exprimées, a considéré que la révocation poursuivie par celle-ci devait s'entendre comme visant l'ensemble de l'opération de virements ci-dessus décrite, et non point le seul virement opéré par H. L. au profit de sa femme, ce qui aurait impliqué, contrairement à ce qui avait été demandé, que les fonds litigieux réintègrent l'unique patrimoine d'H. L.

Le Tribunal a dès lors considéré que l'acte argué de fraude paulienne par la société Mercedes Benz AG s'identifiait au virement de la somme de 7 millions de dollars US opéré par la société IRSAM au profit, en définitive, de B. P., H. L. n'intervenant alors qu'en tant qu'intermédiaire.

Au regard de ces circonstances, le Tribunal de première instance a cependant rappelé que l'action paulienne dont il avait été saisi impliquait la mise en cause par le créancier de toutes les parties à l'acte argué de fraude, soit le débiteur et le tiers contractant, ce qui aurait dû conduire en l'occurrence à l'assignation, outre les époux L., de la société IRSAM.

Relevant que l'état de cessation des paiements de ladite société avait été judiciairement constaté par un précédent jugement du 29 juillet 1994, confirmé en appel par arrêt du 13 décembre 1994, le Tribunal de première instance a dès lors estimé qu'en l'absence du syndic G., alors désigné mais non attrait aux débats, la société Mercedes Benz AG devait être d'office déclarée irrecevable en sa demande sur le fondement de l'article 441 (alinéa 2) du Code de commerce, comme ayant agi à rencontre de la société IRSAM sans que celle-ci ne soit assistée dudit syndic.

Au surplus, le Tribunal de première instance a rappelé qu'à supposer même que la mise en cause du syndic eût été effectuée, la société Mercedes Benz AG aurait été infondée en sa demande puisqu'en toute hypothèse, même à tenir pour frauduleux le virement incriminé, son inopposabilité devait nécessairement profiter à l'ensemble des créanciers de la société IRSAM et non point à la seule demanderesse, ce à raison de l'unité et de l'indivisibilité de la procédure collective de règlement du passif alors ouverte contre cette société.

Par le jugement susvisé du 20 juin 1996, le Tribunal de première instance a, en définitive, déclaré irrecevable l'action paulienne tendant à la révocation du virement de 7 millions de dollars US opéré le 12 novembre 1993 sur le compte de B. P. épouse L. auprès de la banque Crédit Foncier de Monaco.

Devant la Cour, saisie de plusieurs appels concernant diverses dispositions dudit jugement, A. G., indiquant agir comme syndic de la liquidation des biens de la société IRSAM, prononcée entre temps par jugement du 11 juillet 1997, a déclaré former un appel incident, tout comme la société Mercedes Benz AG, afin d'obtenir la révocation rétroactive de la donation susvisée consentie à B. L. par la société IRSAM.

Ces appels incidents ont toutefois été déclarés irrecevables par la Cour d'appel, aux termes d'un arrêt rendu le 19 mai 1998, passé depuis lors en force irrévocable de chose jugée.

Au regard de cet ensemble de décisions la société Mercedes Benz AG, devenue d'abord Daimler Benz AG, puis en dernier lieu, Daimler Chrysler AG, a une nouvelle fois fait assigner B. L. née P., ainsi qu'H. L. pris tant en son nom personnel qu'en qualité d'ancien président de la société IRSAM, en révocation de la donation litigieuse.

L'assignation alors délivrée le 12 août 1998 l'a été en présence du Crédit Foncier de Monaco et, cette fois, au contradictoire du syndic A. G., régulièrement attrait aux débats par cet acte.

Sur la base de celui-ci, comme des écritures judiciaires qui lui ont fait suite, et qui tendaient en particulier à l'octroi d'une somme de 50 000 francs de dommages-intérêts aux époux L., le Tribunal de première instance a rendu contradictoirement, le 20 janvier 2000, un jugement par lequel il a :

  • déclaré l'action de la société Daimler Chrysler AG recevable et fondée ;

  • déclaré inopposable à la masse des créanciers de la liquidation des biens de la société IRSAM le virement de la somme de 7 000 000 de dollars US opéré à partir du compte de cette société le 21 octobre 1993 en faveur du compte ouvert par B. L. au Crédit Foncier de Monaco, le 12 novembre 1993, par l'intermédiaire du compte d'H. L. ;

  • ordonné en conséquence la réintégration de cette somme, augmentée des intérêts qu'elle avait pu produire, dans le patrimoine de la société IRSAM, représentée par son syndic A. G. ;

  • débouté par ailleurs H. L. et B. P. épouse L. de l'ensemble de leurs prétentions en les condamnant à payer à la société Daimler Benz AG la somme de 30 000 francs à titre de dommages-intérêts ;

  • ordonné l'exécution provisoire du jugement et condamné enfin, H. L. et B. P. épouse L. aux dépens.

Pour statuer de la sorte le Tribunal de première instance a d'abord retenu que la société IRSAM était manifestement débitrice de la demanderesse, dès lors que celle-ci avait, par le premier jugement devenu définitif, du 20 juin 1996, obtenu la condamnation d'H. L. en sa qualité d'avaliste de la société IRSAM et qu'elle avait été définitivement admise pour la somme de 95 millions de francs du passif de cette même société.

Le Tribunal de première instance a ensuite rappelé que l'action de l'article 1022 du Code civil, dite action paulienne, appartient à tout créancier qui entend faire déclarer inopposable un acte accompli par son débiteur en fraude de ses droits : qu'il est admis en jurisprudence que l'ouverture d'une procédure collective à l'encontre du débiteur ne fait pas obstacle à l'exercice individuel par un créancier de l'action paulienne à l'encontre d'un acte frauduleux passé par le débiteur avant l'ouverture de la procédure collective ; qu'aucune règle du droit de la faillite ne prohibe l'exercice d'une telle action par un créancier, étant relevé que cette action se distingue de l'action en inopposabilité des articles 456 et 457 du Code de commerce que la loi réserve au seul syndic de la procédure collective.

Le Tribunal de première instance en a donc déduit que l'action paulienne de la société Daimler, devant bénéficier à l'ensemble des créanciers de la procédure collective, compte tenu du principe d'égalité auquel ils étaient soumis, devait être déclarée recevable, sans égard pour une jurisprudence isolée dont s'étaient prévalu les époux L., car la décision par eux citée à ce propos ne concernait pas l'action paulienne de l'article 1022 du Code civil, mais l'action dite oblique de l'article 1021 de ce code, et s'avérait en conséquence inopérante en la cause.

Le Tribunal de première instance a également reçu le syndic A. G. en ses conclusions, qui tendaient à l'acceptation expresse de la révocation qui avait été sollicitée par la société demanderesse.

Quant au fond de cette révocation, il a retenu pour l'essentiel ; que les virements incriminés de 7 millions de dollars US, respectivement opérés le 21 octobre 1993 par la société IRSAM au profit d'H. L., puis le 12 novembre 1993 par ce dernier au profit de son épouse, révélaient une opération frauduleuse eu égard à des présomptions suffisamment graves, précises et concordantes existant en la cause.

Le Tribunal de première instance a, en effet, considéré que l'objet de cette opération était étranger à l'activité de la société IRSAM, avait eu pour conséquence de distraire d'importantes liquidités bancaires du patrimoine de cette personne morale, et caractérisait la volonté d'H. L. de soustraire les fonds en cause du droit de gage général dont la société Mercedes Benz AG était titulaire.

Le Tribunal de première instance en a déduit qu'il y avait lieu d'admettre l'action de la société Daimler et de déclarer inopposable à l'ensemble des créanciers de la société IRSAM, en liquidation des biens, le virement ci-dessus analysé, effectué en fraude de leurs droits de sorte qu'il convenait d'ordonner la réintégration de la somme de 7 millions de dollars US, augmentée des intérêts qu'elle avait pu produire, dans le patrimoine de la société IRSAM.

Par l'exploit d'appel et d'assignation susvisé du 10 mars 2000 régulièrement signifié tant à la société Daimler Chrysler AG qu'au syndic A. G. et à l'établissement Crédit Foncier de Monaco, H. et B. L. demandent désormais qu'il plaise à la Cour :

  • réformer en toutes ses dispositions le jugement ainsi rendu le 20 janvier 2000, et, statuant à nouveau ;

  • dire et juger irrecevable l'action introduite par la société de droit allemand Daimler Chrysler AG pour celle-ci n'appartenir qu'au Syndic de la liquidation des biens de la société IRSAM ;

  • subsidiairement, et pour autant que l'exception d'irrecevabilité soit rejetée, débouter la société Daimler Chrysler AG de toutes ses demandes, fins et conclusions pour celles-ci violer l'autorité de la chose jugée en l'état des dispositions du jugement rendu par le Tribunal de première instance le 20 juin 1996 et confirmé par l'arrêt rendu par la Cour d'appel le 19 mai 1998 ; - condamner la société Daimler Chrysler AG à payer à H. L., agissant tant à titre personnel qu'en sa qualité d'ancien président de la société IRSAM, et à B. L., une somme de 50 000 francs à titre de dommages-intérêts.

À l'appui de leur recours les appelants ont invoqué à titre principal divers moyens d'irrecevabilité de la demande de la société Daimler Chrysler AG.

Ils estiment à ce propos, et en premier lieu, que l'action de cette société s'analyse comme celle d'un créancier qui sollicite au bénéfice de son débiteur, soumis à une procédure collective, la réintégration d'un élément d'actif considéré comme appartenant à ce débiteur.

Les appelants prétendent, dès lors, que cette action n'appartient qu'à la masse des créanciers conformément aux dispositions des articles 441 alinéa 3 et 451 alinéa 2 du Code de commerce, ce qui devait interdire à la demanderesse de l'introduire en première instance.

En deuxième lieu les appelants rappellent les termes du jugement du Tribunal de première instance du 20 juin 1996, ci-dessus mentionné, conduisant à rejeter l'action de la société Mercedes Benz AG en tant qu'exercée sans le contradictoire du syndic G. et pour le seul profit de ladite société, alors soutiennent-ils que seul le syndic pouvait exercer une telle action et seulement au profit de la masse des créanciers de la procédure collective de règlement du passif de la société IRSAM.

Les appelants maintiennent donc que la société Mercedes Benz AG était irrecevable à agir lorsqu'elle a de nouveau saisi le Tribunal de première instance, par assignation du 12 août 1998, puisque cet acte n'émanait pas du syndic ni non plus de la société IRSAM, et que l'acquiescement du syndic formulé en première instance quant à l'action de la société Mercedes Benz AG ne pouvait nullement couvrir l'irrecevabilité originaire de la demande.

H. et B. L. considèrent en outre que c'est au mépris de ce que soutenait la société Daimler Chrysler elle-même que l'action de celle-ci aurait pu être qualifiée « d'action paulienne » par le Tribunal de première instance, puisque ladite société n'avait poursuivi que la « révocation rétroactive » de la donation litigieuse de 7 millions de dollars US.

Les appelants font alors grief au Tribunal de première instance d'avoir considéré que l'action paulienne dont il ne s'estimait saisi devait être distinguée de l'action en inopposabilité des articles 456 et 457 du Code de commerce réservée au seul syndic, tout en déclarant, d'une part, dans la même décision, inopposable à la masse des créanciers le virement consacrant l'opération litigieuse et en ordonnant, d'autre part, la réintégration de la somme qui en était l'objet au profit des créanciers de la société IRSAM, ce qui serait en réalité contradictoire.

Les appelants sollicitent, dès lors, le prononcé de l'irrecevabilité de l'action de la société Daimler Chrysler AG sur le fondement des articles 441, alinéa 3 et 451, alinéa 2, du Code de commerce respectivement relatifs, d'une part, à l'assistance obligatoire du débiteur par le syndic pour toutes actions relatives au patrimoine du débiteur, d'autre part, à la représentation de la masse des créanciers par le syndic.

Les appelants invoquent, enfin, comme ils l'avaient fait en première instance, un dernier moyen d'irrecevabilité de la demande de la société Daimler Chrysler, fondé sur une jurisprudence française qui conduit à déclarer irrecevable l'action oblique engagée par un créancier postérieurement au jugement déclaratif de l'état de cessation des paiements du débiteur, puisqu'une telle action suppose que ce soit le débiteur lui-même qui soit négligent, et non le syndic habilité à le représenter.

Pour le cas où ces divers moyens d'irrecevabilité ne seraient pas retenus en cause d'appel, H. et B. L. font, par ailleurs, valoir subsidiairement et quant au fond, que le Tribunal de première instance aurait omis de se prononcer sur la « révocation rétroactive » de la donation litigieuse qui lui était demandée, de sorte que le jugement entrepris devrait être réformé du seul fait qu'il a ordonné la réintégration de la somme objet de cet acte, non révoqué.

À ce propos, les appelants soutiennent cependant que le Tribunal de première instance ne pouvait nullement prononcer la révocation sollicitée, car la société Mercedes Benz AG avait été déclarée irrecevable en son action à cette fin, par le jugement ci-dessus mentionné du 20 juin 1996, devenu définitif sur ce point, et que l'autorité de chose jugée attachée à cette décision ferait désormais obstacle à une telle révocation par la voie d'une nouvelle action.

H. et B. L. déclarent enfin maintenir en cause d'appel leur demande rejetée en première instance, de 50 000 francs de dommages-intérêts formulée à l'encontre de la société Daimler Chrysler AG.

En défense, à l'appel ainsi présenté, qu'elle estime mal fondé, la société Daimler Chrysler AG poursuit la confirmation du jugement entrepris et la condamnation des appelants à lui payer également une somme de 50 000 francs à titre de dommages-intérêts supplémentaires.

Sur l'irrecevabilité prétendue de son action, la société Daimler Chrysler, qui rappelle qu'elle a bien saisi le Tribunal de première instance d'une action paulienne, précise qu'aucune confusion ne saurait s'instaurer comme le prétendent sans droit les appelants entre cette action et celles en inopposabilité de certains actes qu'instituent les articles 456 et 457 du Code de commerce, lesquelles sont effectivement réservées au seul syndic, sur le fondement de l'article 451 du même code.

La société Daimler Chrysler AG maintient donc que son action est recevable comme justifiée par l'article 1022 du Code civil, et distincte de l'action oblique objet de la jurisprudence invoquée à tort par les appelants.

Sur le fond, la Société Daimler Chrysler AG se référant aux motifs de la décision entreprise qui ont fait ressortir le caractère frauduleux de l'opération en cause, souligne que c'est implicitement mais en toute certitude que les premiers juges ont accueilli sa demande en révocation, dont ils étaient saisis sur le fondement de l'article 1022 du Code civil, dès lors qu'avant d'ordonner la réintégration des fonds visés par cette demande ils avaient déclaré inopposable à la masse des créanciers de la société IRSAM l'opération frauduleuse qu'ils avaient décrite.

La société Daimler Chrysler AG estime en définitive que les critiques du jugement entrepris émises par les époux L., au double plan de la recevabilité et du fond, sont injustifiées.

Elle fait valoir, en outre, qu'en poursuivant leur résistance fautive à sa demande, par leur recours constitutif d'un véritable abus de procédure, les époux L. lui ont occasionné un préjudice accru, lié à la nécessité de sauvegarder ses droits en justice, qui devrait être compensé par l'allocation à titre de dommages-intérêts de la somme supplémentaire de 50 000 francs sollicitée de ce chef.

S'associant à nouveau aux conclusions de la société Daimler Chrysler AG, en qualité de syndic de la liquidation des biens de la société IRSAM, A. G. a demandé à la Cour de rejeter l'appel des époux L. et de confirmer en toutes ses dispositions le jugement susvisé du Tribunal de première instance, du 20 janvier 2000.

Il fait valoir pour l'essentiel qu'il était de l'intérêt de la masse des créanciers que la somme de 7 millions de dollars US soit intégrée au patrimoine de la société IRSAM, et ce d'autant plus qu'à la date de la donation incriminée ladite société se trouvait déjà en état de cessation des paiements.

Enfin, et pour sa part, la société Crédit Foncier de Monaco a fait parvenir à la Cour un courrier par lequel elle déclare s'en rapporter à justice quant au règlement du litige, de sorte que, bien que n'ayant pas constitué avocat-défenseur, le présent arrêt sera réputé contradictoire à son égard.

Sur quoi :

Quant à la recevabilité de l'action :

Considérant que lors de l'assignation du 12 août 1998 qu'elle a fait délivrer à H. et B. L. ainsi qu'au syndic de la liquidation des biens de la société IRSAM, la société demanderesse Mercedes Benz AG (devenue Daimler Benz AG, puis en dernier lieu Daimler Chrysler AG), a expressément déclaré agir sur le fondement de l'article 1022 du Code civil ;

Considérant que l'action révocatoire instituée par ce texte, traditionnellement désignée sous le nom d'action paulienne, aboutit, lorsqu'elle est déclarée fondée, à l'inopposabilité de l'acte qui en est l'objet à l'égard du seul créancier qui l'exerce, ce qui la distingue d'une action en nullité, et lui confère des effets plus réduits que ceux que lui prêtait le droit romain en conséquence d'une demande formulée, au profit de tous les créanciers, par le Curator bonorum ;

Considérant cependant que, dans cet ordre d'idées, l'effet simplement relatif de l'action paulienne est écarté lorsque le débiteur est lui-même déclaré en état de cessation des paiements ;

Qu'indépendamment des actions en inopposabilité à la masse des créanciers, visant les actes frauduleux du débiteur qui seraient intervenus après sa cessation des paiements, actions prévues par les articles 456 et 457 du Code de commerce, il est en effet loisible au syndic de la procédure collective concernant ce même débiteur, d'exercer l'action paulienne prévue par l'article 1022 du Code civil au nom de la masse des créanciers ;

Considérant qu'en cas d'inaction du syndic chaque créancier peut agir dans les conditions de l'article 1022 précité afin d'attaquer les actes frauduleux du débiteur, l'action paulienne ainsi dirigée par le créancier contre le tiers bénéficiaire de la fraude échappant, en effet, tant à la suspension des poursuites individuelles instituée par l'article 461 du Code de commerce, dès lors qu'elle ne vise pas directement le débiteur, qu'à la nécessité d'une action conjointe du syndic dans les conditions prévues à l'article 441 du Code de commerce, en tant qu'elle n'est pas non plus exercée au nom du débiteur ;

Considérant que la procédure collective ouverte contre le débiteur en vue du règlement de son passif confère alors à l'action paulienne des effets collectifs, même lorsque cette action n'est pas exercée par le syndic mais par un seul créancier ;

Qu'elle lui fait perdre son caractère relatif et permet à tous les créanciers d'en bénéficier, même lorsque leur droit est né postérieurement à la fraude paulienne ;

Considérant qu'il s'ensuit que c'est à juste titre que le Tribunal de première instance a déclaré recevable l'action paulienne introduite en l'occurrence par un seul créancier ;

Qu'à cet égard la discussion instaurée par les époux L., fondée sur la distinction, d'une part, de l'action révocatoire et de l'action en nullité, d'autre part, de l'action paulienne et de l'action en inopposabilité à la masse, s'avère sans portée, tout comme le moyen tiré du défaut de concours du syndic à la demande ;

Qu'il en va de même du moyen formulé par les appelants, tenant aux conditions d'exercice de l'action oblique après le jugement déclaratif de la cessation des paiements du débiteur, ces conditions étant manifestement étrangères à l'action paulienne laquelle n'est nullement exercée, comme il vient d'être dit, au nom du débiteur mais par un créancier agissant de son propre chef ;

Que la société Daimler Chrysler AG doit donc être déclarée recevable en son action.

Quant au fond :

Considérant que les motifs des premiers juges quant à la réalité de la fraude paulienne relevée en l'occurrence s'avèrent à tous égards conformes aux circonstances de la cause et doivent être, comme tels, entièrement approuvés ;

Considérant que la décision du Tribunal de première instance consacrant l'inopposabilité à la masse des créanciers de l'acte frauduleux en cause doit être, par voie de conséquence, confirmée au regard des effets collectifs devant être actuellement reconnus à l'action paulienne exercée par la société Daimler Chrysler AG, et qui conduisent nécessairement, comme l'a soutenu celle-ci, à la révocation dudit acte envers la masse ;

Que cette décision n'apparaît pas, d'autre part, contrevenir à l'autorité de la chose jugée édictée par l'article 1198 du Code civil, en l'état du jugement susvisé du Tribunal de première instance du 20 juin 1996 dès lors, en effet, que la question litigieuse alors résolue, tenant à ce que le syndic n'avait pas été assigné en défense pour assister la société IRSAM, s'avère désormais distincte de celle actuellement soumise à la Cour au regard de la présence effective du syndic aux débats, qui modifie, ainsi, la situation des parties ;

Quant aux dommages-intérêts :

Considérant que la confirmation du jugement entrepris s'oppose à l'octroi des dommages-intérêts reconventionnellement sollicités en première instance et sur appel principal par les époux L. ;

Considérant, d'autre part, que l'introduction par ces derniers de la voie de recours actuellement exercée à l'encontre dudit jugement ne s'est pas accompagnée d'une demande de rapport de l'exécution provisoire ordonnée par cette décision ;

Que l'appel n'apparaît pas, dans ces conditions, purement dilatoire de l'exécution du jugement entrepris ;

Qu'il ne saurait être reproché aux appelants d'avoir, en l'espèce, abusivement exercé une voie de recours, eu égard à la nature et à l'importance du litige ;

Qu'il convient, dès lors, de rejeter la demande indemnitaire formulée par la société Daimler Chrysler AG, tout en maintenant la condamnation prononcée à l'encontre des époux L. par le Tribunal de première instance, au paiement de la somme de 30 000 francs à titre de dommages-intérêts, laquelle apparaît justifiée par les circonstances de la cause ;

Quant aux dépens,

Considérant, enfin, que H. et B. L. qui succombent en leur appel devront en supporter les dépens, par application des articles 231 et 435 du Code de procédure civile ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS :

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco, statuant par arrêt réputé contradictoire à l'égard de toutes les parties,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement susvisé du Tribunal de première instance du 20 janvier 2000,

Rejette le surplus des demandes des parties.

Composition🔗

M. Landwerlin, prem. prés. ; Mlle Le Lay, prem. subst. proc. gén. ; Mes Karczag-Mencarelli, Escaut et Lorenzi, av. déf. ; Cohen, bar de Nice. Me Fridmans, av. bar. de Paris.

Note🔗

Cet arrêt confirme en toutes dispositions le jugement du Tribunal de Première Instance rendu le 20 janvier 2000.

Le pourvoi formé contre cet arrêt le 23 mars 2001 a été rejeté par arrêt de la Cour de Révision du 4 octobre 2001.

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