Cour d'appel, 9 janvier 2001, Centre hospitalier Princesse Grace c/ C.

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Abstract🔗

Tribunal Suprême

Compétence d'attribution en matière administrative - Appréciation de la validité des actes administratifs (Const., art. 90.B.3°) - Décision de révocation prise par le directeur d'un établissement public - Sursis à statuer du Tribunal de première instance sur l'action indemnitaire du révoqué, en attendant décision de la Cour supérieure sur la validité de l'acte

Résumé🔗

La demande de C. tend à la réparation du préjudice que lui aurait causé une décision illégale d'une autorité administrative, la révocation jugée par lui abusive et dont il a fait l'objet par décision du 8 septembre 1998 du directeur du Centre Hospitalier Princesse Grace, établissement public.

En vertu des articles 12 de la loi n° 783 du 15 juillet 1965, et 21-2° du Code de procédure civile, le Tribunal de première instance a une compétence de droit commun, en matière administrative, et, à ce titre, connaît en premier ressort de tous les litiges et de toutes les actions autres que ceux dont la connaissance est expressément attribuée par la Constitution ou la loi au Tribunal suprême ou à une autre juridiction.

Il résulte de ces dispositions que le Tribunal suprême n'a, en matière administrative, qu'une compétence d'attribution. Celle-ci est déterminée par l'article 90.B de la Constitution qui dispose : « En matière administrative, le Tribunal suprême statue souverainement : 1° - sur les recours en annulation pour excès de pouvoir formés contre les décisions de diverses autorités administratives et les ordonnances souveraines prises pour l'exécution des lois, ainsi que sur l'octroi des indemnités qui en résultent ; 2° - sur les recours en interprétation et les recours en appréciation de validité des décisions des diverses autorités administratives et des ordonnances souveraines prises pour l'exécution des lois ». Les actions indemnitaires ne peuvent être ainsi portées devant le Tribunal suprême qu'en suite de l'annulation par cette juridiction d'une décision administrative ou d'une ordonnance souveraine, la compétence d'attribution de cette même juridiction supposant à ce titre l'exercice préalable d'un recours pour excès de pouvoir.

En l'espèce le recours de C. qui n'a pas pour objet l'annulation pour excès de pouvoir de la décision incriminée de révocation prise le 8 septembre 1998 par le directeur du Centre Hospitalier Princesse Grace, relève donc de la compétence de droit commun en matière administrative du Tribunal de première instance.

Toutefois, l'octroi des indemnités sollicitées par C. est subordonné à l'existence d'une faute résultant de l'illégalité alléguée, qui aurait été commise par l'administration lorsqu'elle a procédé à la révocation de son agent, en tant que cette mesure serait susceptible d'avoir causé un préjudice à ce dernier.

L'appréciation de validité d'une telle décision de l'administration relève, en revanche, de la compétence du Tribunal suprême, en vertu des dispositions précitées de l'article 90.B.3° de la Constitution.

Il en résulte que c'est à bon droit que les premiers juges ont sursis à statuer sur la demande en paiement de dommages-intérêts formée par A. C. et ont renvoyé cette partie à saisir le Tribunal suprême d'un recours en appréciation de la validité de la décision de révocation prise à son encontre par le directeur du Centre Hospitalier Princesse Grace le 8 septembre 1998.


Motifs🔗

La Cour,

Statuant sur l'appel interjeté le 1er août 2000 par l'établissement public Centre Hospitalier Princesse Grace, à l'encontre d'un jugement en date du 15 juin 2000,

Considérant les faits suivants :

A. C. a été embauché en 1991 en qualité d'agent d'entretien spécialisé par l'établissement public dénommé Centre Hospitalier Princesse Grace (CHPG).

En congé annuel au Maroc, C. a bénéficié d'un arrêt de travail, prescrit par un médecin de Casablanca, du 28 novembre au 7 décembre 1997, successivement reconduit jusqu'à l'été 1998.

S'étant présenté fin juillet 1998 au CHPG pour reprendre ses fonctions, C., était destinataire, le 7 août 1998 d'un courrier adressé par le directeur du CHPG l'informant de ce qu'il était considéré comme étant en situation d'abandon de poste depuis le 24 novembre 1997 et de ce qu'il faisait l'objet d'une suspension des fonctions et du traitement à compter du 25 novembre 1997 compte tenu de la faute grave qu'il avait commise en reprenant son travail plus de huit mois après la fin de son congé administratif et plus de six mois après une interruption de travail non validée par les organismes sociaux.

Le 8 septembre 1998 le Directeur du CHPG a prononcé la révocation de C. à compter du 24 novembre 1997 sans suspension de ses droits à pension après avis conforme du conseil de discipline du 3 septembre 1998.

Saisi par C. d'une demande tendant, d'une part, à ce que sa révocation soit jugée abusive et, d'autre part, à la condamnation du CHPG à lui payer la somme de 300 000 francs à titre de dommages-intérêts, le CHPG ayant invoqué, quant à lui, l'incompétence de la juridiction saisie, le Tribunal de première instance, par le jugement entrepris du 15 juin 2000, a sursis à statuer sur la demande en paiement de dommages-intérêts formée par A. C., renvoyé cette partie à saisir le Tribunal suprême d'un recours en appréciation de validité de la décision de révocation prise à son encontre par le directeur du CHPG le 8 septembre 1998 et ordonné le maintien de la cause au rôle général.

Le CHPG conclut à la recevabilité de son appel et demande à la cour de réformer parte in qua le jugement entrepris, de dire et juger que les « juridictions de l'ordre judiciaire » sont incompétentes pour connaître de l'ensemble des demandes formées par A. C. tant pour ce qui concerne l'appréciation de la validité de sa révocation que pour l'indemnité sollicitée comme conséquence de l'annulation éventuelle de cette décision, eu égard à l'article 90 B de la constitution monégasque du 7 décembre 1962.

Il demande en outre la condamnation d'A. C. aux entiers dépens.

Il fait valoir que c'est à juste titre que le Tribunal de première instance s'est déclaré incompétent pour connaître du recours d'A. C. qui tend à l'appréciation de la qualification juridique d'une mesure administrative de révocation, à savoir ses motifs, et de sa légalité externe.

Que les premiers juges n'ont toutefois pas tenu compte des dispositions de l'article 90 B de la constitution du 17 décembre 1962, en vertu duquel, en matière administrative, le Tribunal suprême statue souverainement sur les recours en annulation pour excès de pouvoir formés contre les décisions des diverses autorités administratives et les ordonnances souveraines prises pour l'exécution des lois ainsi que sur l'octroi des indemnités qui en résultent.

Que si le Tribunal suprême s'est toujours déclaré incompétent lorsqu'il se trouvait saisi d'une demande d'indemnité ou de dommages-intérêts indépendamment de toute contestation d'une décision administrative, il s'est toutefois toujours reconnu exclusivement compétent pour connaître des demandes d'indemnités lorsqu'elles étaient formées à l'occasion d'une demande tendant à remettre en question la validité d'une décision émanant de l'autorité administrative.

Qu'ainsi les premiers juges ont méconnu les dispositions de l'article 90 B de la Constitution en considérant qu'ils étaient compétents pour connaître de la demande d'A. C. tendant au paiement d'une indemnité qui serait la conséquence de l'annulation éventuelle d'une décision administrative.

A. C. conclut à la recevabilité de son appel incident et demande à la cour de dire et juger, d'une part, que son action se situe dans le cadre d'un recours « de plein contentieux » et non dans celui d'un recours en annulation pour excès de pouvoir et, d'autre part, que le Tribunal de première instance était matériellement compétent pour en connaître, de statuer au fond, sans appréciation de validité préalable par le Tribunal suprême, de renvoyer l'affaire devant le Tribunal de première instance afin qu'il soit statué au fond et subsidiairement de confirmer le jugement entrepris et de condamner le CHPG aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Il fait valoir qu'il n'était pas en situation d'abandon de poste mais immobilisé au Maroc par une rechute de sciatique et dégénérescence discale ayant entraîné une hospitalisation et une opération d'urgence.

Qu'il n'a pu faire valoir ses droits devant le conseil de discipline ; que la décision de révocation est intervenue tardivement ; que le CHPG ayant eu une attitude irrégulière qui lui a causé un très grave préjudice financier, il a saisi le Tribunal de première instance, statuant en matière administrative, afin que sa révocation soit jugée abusive et que le CHPG soit condamné à lui payer la somme de 300 000 francs à titre de dommages-intérêts.

Que le CHPG confond, en contestant la compétence du Tribunal de première instance, le contentieux de l'annulation et le « plein contentieux ».

Que si le Tribunal suprême est compétent pour le contentieux de l'annulation, lui-même ne demande pas l'annulation de sa révocation mais une indemnisation pour le préjudice qu'elle lui cause.

Que les demandes indemnitaires ne peuvent être présentées que dans le cadre d'un recours de « plein contentieux ».

Qu'en droit privé, un salarié n'a pas l'obligation de demander préalablement l'annulation de son licenciement pour pouvoir demander des indemnités et des dommages-intérêts.

Par conclusions déposées le 28 novembre 2000, le CHPG fait valoir, en outre, que A. C. conteste tant la légalité externe que la légalité interne de la décision de révocation.

Que la demande d'A. C. tendant à l'allocation de dommages-intérêts ne peut relever de l'appréciation du « juge judiciaire » dès lors que cette demande est fondée sur l'absence prétendue de légalité d'une décision administrative dont elle est l'accessoire et la conséquence et dont l'appréciation relève exclusivement du Tribunal suprême, également exclusivement compétent pour connaître de l'indemnité éventuelle pouvant être allouée comme conséquence de l'absence de légalité.

Sur ce :

Considérant que la demande de C. tend à la réparation du préjudice que lui aurait causé une décision illégale d'une autorité administrative, la révocation jugée par lui abusive et dont il a fait l'objet par décision du 8 septembre 1998 du directeur du Centre Hospitalier Princesse Grâce, établissement public ;

Considérant qu'en vertu des articles 12 de la loi n° 783 du 15 juillet 1965, et 21-2° du Code de procédure civile, le Tribunal de première instance a une compétence de droit commun, en matière administrative, et, à ce titre, connaît en premier ressort de tous les litiges et de toutes actions autres que ceux dont la connaissance est expressément attribuée par la Constitution ou la loi au Tribunal suprême ou à une autre juridiction ;

Qu'il résulte de ces dispositions que le Tribunal suprême n'a, en matière administrative, qu'une compétence d'attribution ;

Considérant que celle-ci est déterminée par l'article 90 B de la Constitution, qui dispose : « En matière administrative, le Tribunal suprême statue souverainement : 1° sur les recours en annulation pour excès de pouvoir formés contre les décisions de diverses autorités administratives et les ordonnances souveraines prises pour l'exécution des lois, ainsi que sur l'octroi des indemnités qui en résultent, 2° sur les recours en interprétation et les recours en appréciation de validité des décisions des diverses autorités administratives et des ordonnances souveraines prises pour l'exécution des lois » ;

Considérant que les actions indemnitaires ne peuvent être ainsi portées devant le Tribunal suprême qu'en suite de l'annulation par cette juridiction d'une décision administrative ou d'une ordonnance souveraine, la compétence d'attribution de cette même juridiction supposant à ce titre l'exercice préalable d'un recours pour excès de pouvoir ;

Considérant qu'en l'espèce le recours de C. qui n'a pas pour objet l'annulation pour excès de pouvoir de la décision incriminée de révocation prise le 8 septembre 1998 par le directeur du Centre Hospitalier Princesse Grace, relève donc de la compétence de droit commun en matière administrative du Tribunal de première instance ;

Considérant, toutefois, que l'octroi des indemnités sollicitées par C. est subordonné à l'existence d'une faute résultant de l'illégalité alléguée qui aurait été commise par l'administration lorsqu'elle a procédé à la révocation de son agent en tant que cette mesure serait susceptible d'avoir causé un préjudice à ce dernier ;

Considérant que l'appréciation de validité d'une telle décision de l'administration relève, en revanche, de la compétence du Tribunal suprême, en vertu des dispositions précitées de l'article 90 B-3° de la Constitution ;

Considérant qu'il en résulte que c'est à bon droit que les premiers juges ont sursis à statuer sur la demande en paiement de dommages-intérêts formée par A. C. et ont renvoyé cette partie à saisir le Tribunal suprême d'un recours en appréciation de validité de la décision de révocation prise à son encontre par le directeur du Centre Hospitalier Princesse Grace le 8 septembre 1998.

Considérant que les dépens doivent être réservés en fin de cause ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS :

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco,

  • Confirme en toutes ses dispositions le jugement du 15 juin 2000 du Tribunal de première instance.

Composition🔗

MM. Landwerlin prem. prés. ; Mme Le Lay prem. subst. proc. gén. ; Mes Michel et Licari av. déf.

Note🔗

Cet arrêté confirme le jugement du 15 juin 2000 en toutes ses dispositions : cette décision étant également publiée.

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