Cour d'appel, 23 juin 1997, W. c/ Ministère public

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Abstract🔗

Escroquerie

Annonce publicitaire d'un gain - Réalisation subordonnée au tirage d'un numéro gagnant - Participation gratuite à un jeu non soumise à une obligation d'achat - Absence de manœuvres frauduleuses : délit d'escroquerie ou de tentative d'escroquerie non constitué

Faux en écriture privée - Usage

Reproduction du cachet d'un officier public - Absence d'altération de la vérité : l'huissier ayant prêté son concours lors du tirage au sort

Résumé🔗

Étant constaté que les annonces de gain, figurant sur les documents personnalisés, reçus par les clients de la société monégasque impliquée, sont en réalité toutes subordonnées à la réalisation d'une condition, à savoir que le numéro attribué figure, lors du tirage ultérieur parmi les numéros gagnants et que ces messages s'incluant dans une vaste campagne publicitaire n'ont d'autre but, par une rédaction volontairement subtile et attractive, que d'inciter les consommateurs à passer commande, il ne saurait en être inférée la constitution de manœuvres frauduleuses, sauf à contester l'existence même de la publicité, seul outil promotionnel dans les ventes par correspondance.

Une lecture attentive des documents envoyés par cette société, dont le règlement de la loterie, permettait à un consommateur normalement avisé de savoir que l'annonce du lot ne s'inscrivait que dans le cadre d'une participation à une loterie et qu'en tout état de cause l'obtention de celui-ci était subordonné au tirage d'un numéro gagnant ; par ailleurs les documents envoyés par la société monégasque à sa clientèle ne contenaient aucune mention de nature à provoquer une remise de fond ; ils ne constituaient que des bons de participation à un jeu, cette participation étant gratuite et non soumise à une obligation d'achat.

Ainsi, les délits d'escroqueries et de tentatives d'escroqueries reprochés ne sont pas constitués.

S'agissant du faux en écriture privée par ailleurs reproché au prévenu, la prévention se rapporte en fait à certains imprimés publicitaires reproduisant à l'identique, en format réduit, le cachet professionnel de Me X huissier qui selon la citation aurait été falsifié puis utilisé. Mais si ces simples reproductions ont incontestablement eu pour objet d'accréditer, par une manière d'authenticité destinée à inspirer confiance, le sérieux du tirage au sort proposé, elles ne sont pas pour autant constitutives du délit de faux, dès lors qu'elles ne comportent aucune altération de la vérité, faute de procéder d'une quelconque falsification, étant relevé que l'officier public concerné a effectivement prêté son ministère à certains tirages au sort organisés par la société monégasque, à propos desquels l'huissier a d'ailleurs attesté par écrit de sa participation effective.


Motifs🔗

La Cour

La Cour statue sur les appels interjetés par le Ministère public, par le prévenu et par Maître E.-M., partie civile, contre un jugement du Tribunal correctionnel du 18 février 1997 ayant condamné A. W. à la peine de 50 000 francs d'amende pour escroqueries et tentatives d'escroqueries.

Les faits, la procédure et les prétentions des parties peuvent être ainsi résumés :

Courant 1995 et 1996, de nombreuses personnes se plaignaient auprès des autorités monégasques d'avoir été victimes d'agissements frauduleux de la part de la SAM C., spécialisée dans la vente par correspondance de chaussures et autres produits de faible valeur.

Tous les plaignants relataient les faits de manière quasiment identique, à savoir qu'ils avaient reçu une ou des correspondances de ladite société leur promettant l'envoi imminent d'un chèque d'un montant important, dans la plupart des cas, en les invitant à confirmer leur demande d'attribution de lot, leur laissant clairement entendre qu'ils étaient en possession d'un numéro gagnant.

Aucun d'entre eux n'avait reçu le prix correspondant.

L'organisation de cette loterie incluait l'envoi de dossiers personnalisés, dont certains contenaient le cachet de Maître E.-M., huissier de justice.

A. W., administrateur de la SAM C. indiquait que les plaignants avaient, en réalité, confondu les documents de participation au jeu avec ceux attribuant les lots et omis de faire la distinction entre le fait d'être sélectionnés et celui d'être désignés gagnants.

Prévenu d'escroqueries et de tentatives d'escroqueries, de faux et d'usage de faux en écriture privée, en présence de Maître E.-M., MM. B., B., D., R., C., M., C. et Mme T., parties civiles, M. W. a été condamné pour escroqueries et tentatives d'escroqueries mais relaxé des chefs de faux et d'usage.

Le Tribunal correctionnel a, par ailleurs, débouté Maître E.-M. de sa demande en dommages-intérêts sur le fondement de l'article 392, alinéa 1, du Code de procédure pénale.

Il a enfin condamné M. W. à payer à Mme T., MM. D., C., B., C., M. et R., la somme de 10 000 francs à chacun en réparation de leur préjudice moral.

Pour asseoir leur décision, les premiers juges ont relevé que :

  • la publicité à laquelle s'est livrée la SAM C. en ce qu'elle tend dans tous les cas à faire croire que le destinataire est désigné gagnant, revêt un caractère volontairement trompeur et mensonger.

  • les procédés utilisés (occultation d'un numéro à découvrir ; envoi de fac-similés de chèques, reproduction de cachet d'huissier) n'ont d'autre but que de conforter le destinataire du ou des courriers qu'il a gagné un lot.

  • la SAM C. a donné une apparence d'authenticité à sa promotion publicitaire en se prévalant d'une organisation interne purement fictive, les noms de P. D., présenté comme directeur général, comme ceux de B., P. ou M. ayant été simplement inventés.

  • l'utilisation de cachets et tampons d'huissier reproduits sans autorisation sur les documents constitue un acte matériel destiné à faire croire à l'intervention et au contrôle d'un officier public.

À cet égard, il y a lieu de souligner que Monsieur W. et Mme P., assistante publicitaire pour la SAM C., ont tous deux expliqué que le 24 février 1994, Maître E.-M. avait dressé constat de ce que la société s'engageait à attribuer un lot (une balance) à chaque client qui en ferait la demande et qu'il avait été alors demandé à cette dernière l'autorisation de reproduire un P. document publicitaire faisant état de son engagement ; cette autorisation a été donnée par l'intéressée qui a signé le fax envoyé à cet effet.

La SAM C. a fait dupliquer ce document en y ajoutant la mention « timbre à un franc », ledit document ayant été tiré à 2 ou 300 000 exemplaires.

En définitive, M. W. comme Mme P. ont précisé que si Maître E.-M. ne savait pas que par montage la mention « timbre à un franc » serait ajoutée, en revanche celle-ci savait que le document où figuraient son nom, sa signature et son cachet serait largement diffusé.

Le Tribunal correctionnel a relaxé M. W. des chefs de faux et d'usage en constatant que la reproduction du cachet, du nom et de la signature de l'huissier de justice concerné ne comportait aucune altération de la vérité d'autant plus que ce dernier avait prêté son concours à certains tirages organisés par la SAM C.

À l'audience du 26 mai 1997, M. W. a déclaré que ces loteries existaient depuis 30 ans et qu'en ce qui le concerne, sa société les organisait depuis 19 ans sans rencontrer de quelconques difficultés, les documents distribués aux participants étant parfaitement explicites.

Maître E.-M. a fait plaider que le cachet avait été reproduit à son insu sur des documents dont elle n'avait pas eu connaissance de telle sorte que selon elle les délits de faux et usage de faux sont constitués, l'altération de la vérité résultant de la reproduction du cachet sur ces documents.

En définitive, elle soutient que ces agissements lui ont causé un préjudice moral certain et sollicite l'allocation d'une somme de 100 000 francs à titre de dommages-intérêts.

Le Ministère public a requis quant à lui la confirmation de la décision en indiquant que la publicité menée par la SAM C. n'avait pour seule finalité que d'induire en erreur la clientèle et que contrairement aux affirmations de son directeur, les documents adressés laissaient clairement apparaître que leurs destinataires avaient gagné.

M. W. a fait plaider que la vente par correspondance exigeait l'existence d'un contact quasi permanent avec les clients et que les jeux concours poursuivaient précisément ce but, étant observé qu'ils sont gratuits et sans obligation d'achat.

L'appelant admet que la publicité est racoleuse en soulignant toutefois que les textes sont clairs, et qu'en tout état de cause, les éléments constitutifs du délit d'escroquerie ne sont pas réunis.

À cet égard, il indique que l'utilisation de noms fictifs dans les imprimés publicitaires n'a aucune incidence et que l'intervention d'un huissier ne peut être analysée comme une manœuvre frauduleuse dans la mesure où cet officier public ne fait que certifier une réalité à savoir l'authentification d'un tirage au sort.

Enfin, M. W. fait valoir que ces loteries n'ont généré aucune remise de fonds.

En définitive, il sollicite sa relaxe pure et simple.

Sur ce,

Considérant que les annonces de gain figurant sur les documents personnalisés reçus par les clients de la SAM C. sont en réalité toutes subordonnées à la réalisation d'une condition, à savoir que le numéro attribué figure, lors du tirage ultérieur parmi les numéros gagnants ;

Que cette constatation résulte de la seule lecture desdits documents ;

Qu'à titre d'exemple, il est mentionné :

  • pour M. D. :

« un chèque de 30 000 francs pour M. D. si celui-ci renvoie le numéro gagnant...

découvrez vite M. D. le premier prix que vous allez recevoir »

et : « une fois désigné gagnant dans la catégorie premier prix...

Ce bon spécial pour un premier prix pour autant que je vous retourne le numéro gagnant »

  • pour M. B. :

« Grâce à votre numéro, une fois désigné gagnant, vous êtes bien le propriétaire du prix... »

  • pour M. C. :

« Monsieur C., gagnant de 40 000 francs grâce à ce numéro unique ?

Vérifiez M. C., si ce numéro fait l'objet d'une confirmation de sélection certifiée... »

  • pour M. M. :

« Vous recevez M. M. le montant du chèque ci-joint. »

et plus bas : « pour peu que vous me renvoyiez sous 8 jours le numéro désigné gagnant lors du tirage, le montant du chèque est à vous. »

Qu'il apparaît ainsi que ces messages s'incluant dans une vaste campagne publicitaire n'ont d'autre but, par une rédaction volontairement subtile et attractive, que d'inciter les consommateurs à passer commande.

Que cependant ceux-ci ne sauraient constituer des manœuvres frauduleuses, sauf à contester l'existence même de la publicité, seul outil promotionnel dans les ventes par correspondance ;

Considérant qu'une lecture attentive des documents envoyés par la SAM C., dont le règlement de la loterie, permettait à un consommateur normalement avisé de savoir que l'annonce du lot ne s'inscrivait que dans le cadre d'une participation à une loterie et qu'en tout état de cause l'obtention de celui-ci était subordonnée au tirage d'un numéro gagnant ;

Considérant par ailleurs que les documents envoyés par la SAM C. à sa clientèle ne contenaient aucune mention de nature à provoquer une remise de fonds ;

Qu'ils ne constituaient que des bons de participation à un jeu, cette participation étant gratuite et non soumise à une obligation d'achat ;

Considérant que les délits d'escroqueries et de tentatives d'escroqueries reprochés à M. W. ne sont donc pas constitués ;

Qu'il y a lieu de le relaxer de ces chefs ;

Que par ailleurs, en constatant que les reproductions du cachet de Maître E.-M., huissier de justice, même si elles ont eu pour objet d'accréditer le sérieux du tirage au sort, ne sont pas constitutives du délit de faux, dès lors qu'elles ne comportent aucune altération de la vérité, l'huissier concerné ayant effectivement prêté son ministère à certains tirages au sort organisés par la SAM C., les premiers juges ont procédé à une exacte appréciation des faits ;

Qu'il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a relaxé M. W. des délits de faux et usage de faux ;

Considérant qu'en l'état de la relaxe du prévenu, il y a lieu de déclarer irrecevables les constitutions des parties civiles ;

PAR CES MOTIFS,

La Cour d'appel de la principauté de Monaco,

Statuant en matière correctionnelle,

Confirme le jugement du tribunal correctionnel du 18 février 1997 en ce qu'il a relaxé M. W. des délits de faux et usages de faux en écriture privée.

Le réforme pour le surplus.

Statuant à nouveau,

Relaxe M. W. des délits d'escroqueries et tentatives d'escroqueries.

Déclare irrecevables les constitutions de parties civiles.

Laisse les frais à la charge du Trésor.

_________________________

Tribunal correctionnel

Audiences des 4 février 1997 (débats) et 18 février 1997 (décision)

Attendu que A. W. est poursuivi correctionnellement sous la prévention :

« 1) D'avoir à Monaco, courant 1994, 1995, 1996, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, en employant des manœuvres frauduleuses, en l'espèce en envoyant de la publicité mensongère et obsédante, de nature à créer une mise en scène pour persuader l'existence de fausses entreprises, d'un pouvoir ou d'un crédit imaginaire, ou pour faire naître l'espérance ou la crainte d'un succès ou de tout autre événement chimérique, en l'espèce pour faire croire à leurs destinataires qu'ils avaient gagné des lots importants afin de les convaincre de passer des commandes, tenté de se faire remettre des fonds, et par ce moyen tenté d'escroquer la totalité ou partie de la fortune de M. T., P. L., R. F., M. L., l'Abbé R.-N. B., P. V., H. L., E. M., L. A., R. D., A. B., A. D., A. C. ;

2) De s'être à Monaco, courant 1994, 1995, 1996, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, en employant des manœuvres frauduleuses, en l'espèce en envoyant de la publicité mensongère et obsédante, de nature à créer une mise en scène pour persuader l'existence de fausses entreprises, d'un pouvoir ou d'un crédit imaginaire, ou pour faire naître l'espérance ou la crainte d'un succès ou de tout autre événement chimérique, en l'espèce pour faire croire à leurs destinataires qu'ils avaient gagné des lots importants afin de les convaincre de passer des commandes, fait remettre des fonds, et d'avoir par ce moyen escroqué la totalité ou partie de la fortune de M. C., C. M., R. R., M. B., R. S., S. B., L.-P. C., J. M. ;

Délits prévus et réprimés par les articles 2, 3, 330 du Code pénal ;

3) D'avoir à Monaco, courant 1994 et le 24 février 1994 en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, commis un faux en écriture privée, de commerce ou de banque, en l'espèce en falsifiant un cachet d'huissier pour rendre une publicité plus crédible,

Délit prévu et réprimé par l'article 94 du Code pénal ;

4) D'avoir à Monaco, courant 1994, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, sciemment fait usage d'un faux en écriture privée en l'espèce un cachet d'huissier falsifié pour rendre une publicité plus crédible,

Délit prévu et réprimé par l'article 94 et 95 du Code pénal » ;

Attendu que M. T., A. D., A. C., R.-N. B. et A. B. d'une part, cités comme victimes des tentatives d'escroqueries reprochées au prévenu, ainsi que M. C., C. M. et R. R. d'autre part, cités comme victimes des escroqueries poursuivies, se sont régulièrement constitués parties civiles pour obtenir paiement par A. W., après que celui-ci ait été déclaré coupable des faits visés par la prévention, des sommes suivantes :

  • M. T., 30 000 francs à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral,

  • A. D., 190 000 francs à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral, outre intérêts de droit,

  • A. C., 270 096 francs à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral et financier,

  • R.-N. B., 75 000 francs à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral,

  • A. B., M. C., C. M. et R. R., chacun, 50 000 francs en réparation du préjudice moral qu'ils déclarent subir ;

Attendu qu'au soutien de leurs demandes, ces parties civiles font valoir que la société C. leur a adressé un certain nombre de documents publicitaires les présentant comme gagnants de lots importants alors qu'il n'en a rien été ; qu'elles relatent que les manœuvres tendant à présenter de façon affirmative un événement hypothétique ont consisté en :

  • la personnalisation des documents adressés, lesquels sont nominatifs et contenaient pour certains la reproduction de chèques établis à leur bénéfice,

  • la croyance dans le gain d'une somme importante,

  • la participation du destinataire, invité à découvrir sur les imprimés un numéro caché par un procédé d'occultation,

  • l'apparence de la légalité, du fait de l'apposition d'un tampon d'officier ministériel sur les documents envoyés ;

Qu'elles affirment que ces manœuvres n'ont eu d'autre but que de les pousser à passer commande en les trompant, ce qui caractérise selon elles les infractions poursuivies ;

Qu'en ce qui concerne le préjudice qu'elles déclarent subir, elles invoquent essentiellement un préjudice moral consécutif à l'espérance du gain escompté qu'elles n'ont en réalité jamais obtenu ;

Attendu que Maître M.-Thérèse E.-M., huissier de justice, s'est également constituée partie civile pour réclamer réparation des préjudice professionnel, moral et financier subis ; qu'elle poursuit la condamnation d'A. W. à lui payer à ces titres la somme de 100 000 francs à titre de dommages-intérêts ;

Que Maître E.-M. expose avoir prêter son ministère à la SAM C. à l'effet d'authentifier certains engagements d'attribution de prix et tirages au sort, ce qui a conduit à rétablissement par ses soins d'un certificat et de procès-verbaux revêtus de son cachet ;

Qu'elle reproche à la société C. d'avoir utilisé certaines parties de ces documents sur les imprimés publicitaires adressés à la clientèle, en procédant à la reproduction de son cachet professionnel et du timbre fiscal de Monaco ;

Qu'elle explique que ces agissements réitérés lui ont occasionné un préjudice principalement professionnel, dans la mesure où de nombreux clients trompés l'ont estimée associée aux procédés frauduleux utilisés ; qu'elle précise s'être trouvée contrainte de leur fournir les explications demandées et estime qu'un discrédit a été ainsi porté à sa réputation ;

Attendu que tandis que le représentant du Ministère public a requis la condamnation de A. W. à une peine de 50 000 francs d'amende pour sanctionner les infractions poursuivies, le prévenu a pour sa part conclu à sa relaxe ;

Que W. expose en effet que la société qu'il dirige organise, comme d'autres sociétés de ventes par correspondance, des jeux-concours ou loteries dont la caractéristique première est la gratuité de la participation et l'absence d'obligation d'achat ;

Qu'il soutient que les faits litigieux ne sont pas localisés à Monaco mais sur le territoire français dès lors que la clientèle de l'entreprise, matérialisée par un fichier d'environ 500 000 adresses, est exclusivement domiciliée en France ;

Qu'il fait valoir que la qualification d'escroquerie retenue n'est pas appropriée aux faits de l'espèce dès lors que la lecture intégrale des documents expédiés ne révèle aucune publicité mensongère, que la participation aux jeux n'est liée à aucune remise d'argent, et qu'aucune intervention extérieure aux mensonges allégués ne permet de caractériser des manœuvres frauduleuses ;

Qu'en ce qui concerne le délit de faux et usage de faux, A. W. observe que l'huissier a établi en original une attestation signée et revêtue de son cachet et que les documents publicitaires incriminés se bornent à reproduire le fac similé de cette attestation ; qu'il estime qu'en l'espèce, aucune altération de la vérité, au sens de l'article 90 du Code pénal, ne peut lui être reprochée ;

Sur quoi,

Attendu que résultent de l'enquête et des débats les faits suivants :

La société anonyme monégasque dénommée « C. botterie de luxe SAM », dont A. W. est l'administrateur-délégué, commercialise selon la technique de vente par correspondance des chaussures et autres produits divers de faible valeur ;

Elle adresse à ses clients dans la France entière des centaines de milliers de catalogues reproduisant les produits mis en vente et accompagne ces envois d'invitations répétées à participer à des tirages au sort, auxquelles sont joints des bons de commande à remplir par la clientèle ;

Au cours des années visées par la prévention, l'action publicitaire de la société C. s'est en particulier orientée vers la promotion de ces tirages au sort, les clients désignés gagnants après avoir renvoyé leur bon de participation numéroté se voyant remettre des prix en espèces atteignant 30 000 francs ou 40 000 francs ;

Ces jeux publicitaires, auxquels les clients peuvent participer librement sans obligation d'achat, font l'objet d'un règlement dont certains extraits sont reproduits en P.s caractères sur les imprimés adressés aux clients, ceux-ci ayant la possibilité d'en obtenir communication sur simple demande ;

Il peut être retenu de ce règlement que les cinq numéros gagnants font l'objet d'un « pré-tirage » au sort par un huissier de justice ayant la mise en œuvre du jeu et l'expédition des documents à la clientèle ; aucune disposition n'organise toutefois le tirage au sort définitif, dont il a été dit à l'audience qu'il se révélait nécessaire lorsque les clients titulaires d'un numéro désigné gagnant ne participaient pas au jeu ;

En réalité, la promotion publicitaire de ces jeux présente chaque destinataire comme un gagnant, en entretenant de façon systématique et volontaire une ambiguïté destinée à leur faire croire qu'ils ont été désignés par le sort ;

Pour ce faire, la société C. a recours à diverses techniques ou procédés, selon le jeu organisé ou la période à laquelle il est lancé ;

Ainsi, à titre d'exemples, pour les jeux auxquels a participé le plaignant A. D., attributaire à chaque jeu d'un numéro que lui assigne la société C., cette société lui a adressé une correspondance lui promettant l'envoi imminent d'un chèque de 30 000 francs et l'invitant à confirmer sa « demande de chèque » avant un certain délai ; elle laisse clairement entendre qu'il est en possession d'un numéro gagnant et lui écrit en particulier :

« Cher Monsieur D.,

À l'heure à laquelle je vous écris, il n'y a plus le moindre doute possible. Il vous suffit en effet de me retourner le numéro gagnant avant mardi prochain pour empocher un chèque de 30 000 francs...

... (signé) P. D. - Directeur »

ou encore

« Une fois désigné gagnant dans la catégorie 1er prix grâce au numéro 5934292.

Découvrez-vite, M. D., le premier prix que vous allez recevoir (la mention » chèque bancaire de 30 000 F « apparaît après grattage d'une surface dorée).

Pour autant que vous nous retourniez le numéro désigné gagnant, le premier prix que vous avez découvert est à vous M. D. C'est la stricte vérité, il n'y a pas d'erreur possible, d'autant, comme vous le savez, que tous nos tirages sont placés sous le contrôle d'un huissier de justice ».

et, sur un imprimé placé en tête d'une commande à remplir, les termes

« Bon spécial pour un premier prix, valant participation de M. D.

Pour autant que je vous retourne le numéro gagnant, mon numéro 5934292 me donne droit à un chèque de 30 000 F... »

De même, pour le jeu auquel A. B. a participé, un imprimé lui a été personnellement adressé sur lequel figure un « tableau des mises à l'honneur » où il apparaît « éligible pour 30 000 francs à remettre dès le 31 décembre 1995 », ainsi qu'une reproduction d'un chèque bancaire tiré par la société C. (P. D.) et émis à l'ordre de « Monsieur B. » pour un montant de 30 000 F, seule la mention « spécimen » étant portée au bas du chèque ;

Un autre chèque reproduit, également signé de P. D. et revêtu de la mention « spécimen », porte un cachet mentionnant : « copie conforme à l'original » ; il figure au bas d'un imprimé dénommé « Préavis à l'envoi d'un chèque bancaire », censé émaner du service émission des chèques dirigé par M. B. et avoir pour objet de « faire vérifier par le récipiendaire ses coordonnées » ;

S'agissant du procédé employé pour le client P. L., un imprimé comportant une surface à gratter lui est adressé qui mentionne :

« Si le numéro que vous allez découvrir est le n° 4001433 et qu'il est révélé gagnant et que vous le renvoyez dans les délais requis ce chèque de 30 000 francs est alors à vous M. L. ».,

Le numéro annoncé apparaissant bien entendu après grattage ;

Ce même client a reçu un autre numéro, occulté selon un autre procédé, qui figure sur un autre imprimé parmi une liste « de numéros sélectionnés », en regard d'une « liste officielle des chèques à remettre » ;

C. M. a été destinataire d'un « message personnel » ainsi conçu :

« Communiqué officiel

Monsieur M. va prochainement recevoir un chèque de 40 000 francs pour autant que sa demande de transfert de fonds comportant le numéro d'enregistrement gagnant parvienne sous huitaine à C. » ;

D. D. a été destinataire d'un « dossier gagnant » qui se présente comme un document visé par divers départements de la société,

Service Trésorerie-achats : C. B.

Organisation des remises de prix : F. P.

Service archivage : M. M.

Direction C. : Ph. D.

avec les signatures de ces responsables apparents ;

Elle a reçu à plusieurs reprises une « notification d'attribution définitive d'un prix » lui confirmant qu'elle est bien gagnante grâce à son numéro personnel, des félicitations lui étant mêmes adressées ; Cette notification comporte la reproduction du cachet de Maître E.-M., avec le tampon « acte notifié » en regard des prix de 2e, 3e, 4e et 5e catégories, et la mention « Procès-verbal de Maître E.-M., huissier de justice à Monaco » ;

D. D. a été par ailleurs destinataire d'un imprimé se présentant comme une fiche informatique où elle apparaît seule désignée dans les cadres « gagnants confirmés » et « numéros gagnants », le cadre « 1er prix alloué » faisant état d'un chèque de 25 000 francs ;

Les autres victimes citées par la prévention ont été destinataires de courriers personnalisés de même nature, toujours destinés à leur laisser croire qu'elles ont été désignées gagnantes de prix importants ;

Il est constant qu'aucun des plaignants n'a reçu les prix annoncés même s'il est exact que les prix mis en jeu - de l'ordre de 5 pour 500 000 ou 1 000 000, représentant une valeur totale de 50 000 à 60 000 francs - ont été effectivement attribués aux véritables gagnants désignés par le sort ;

Confronté aux plaintes de nombreux clients ayant renvoyé leurs numéros qualifiés de gagnants sans recevoir le prix correspondant, A. W. leur reproche d'avoir confondu les documents de participation avec les documents d'attribution des lots et de commettre une erreur entre le fait d'être sélectionnés et celui d'être désignés gagnants par le sort ;

Sur l'action publique :

Attendu que la publicité incriminée, en ce qu'elle s'appuie sur les divers procédés ci-dessus analysés qui tendent dans tous les cas à faire croire que le destinataire est désigné gagnant par le sort, revêt un caractère volontairement trompeur et mensonger ;

Attendu que du point de vue de l'organisation de ces jeux concours, aucune nécessité ne justifie en effet le discours et les méthodes employés ; que les textes publicitaires visent exclusivement à persuader le destinataire d'un gain important, présenté comme d'ores et déjà acquis ; que les procédés utilisés (occultation d'un numéro à découvrir soi-même, envoi de fac similés de chèques dont certains sont présentés comme des copies conformes à l'original, reproductions de cachets d'huissier, présentation des résultats selon une forme prétendument officielle) n'ont d'autre objet que de conforter cette croyance ;

Attendu que les divers moyens de promotion publicitaire utilisés révèlent que la société C., pour donner une apparence d'authenticité aux textes mensongers qu'elle diffuse, se prévaut d'une organisation interne purement fictive ; que la plupart des documents comportent la mention et la signature de P. D., présenté comme directeur général de la société, alors que A. W. a admis à l'audience qu'il s'agissait d'un nom et d'un personnage inventés ; que de même, les noms et signatures de B., P. et M. sont des faux en ce qu'ils ne correspondent à aucune réalité, les responsabilités attribuées à ces employés fictifs participant dès lors de fausses qualités ;

Attendu que l'utilisation de cachets et tampons d'huissier reproduits sans autorisation sur les documents constitue un acte matériel destiné à faire croire à l'intervention et au contrôle d'un officier public extérieur à la société, dans le dessein de donner force et crédit à la correspondance adressée de façon personnalisée à chacun des participants ;

Attendu en outre qu'il est constant que la publicité employée est très largement diffusée auprès de la clientèle, la société C. y ayant recours de façon intempestive et répétitive ;

Attendu qu'au regard des conditions ci-dessus relatées, cette publicité est constitutive de manœuvres frauduleuses ;

Qu'elle a incontestablement pour objet de faire naître l'espérance d'un succès aux jeux organisés par tirage au sort, alors que la proportion entre les participants dont les numéros sont présentés comme gagnants et ceux recevant effectivement le prix annoncé est telle que le procédé s'apparente en fait à un événement chimérique ;

Attendu que les destinataires de ces envois publicitaires sont invités à renvoyer leur bon « gagnant » en passant une commande auprès de la société C., pour faire la « preuve de (leur) confiance » ou à titre « d'encouragement » vis-à-vis des collaborateurs de la société, même s'ils sont libres de s'abstenir d'acquérir les articles présentés sur les catalogues ;

Que ces destinataires ont cependant pu estimer de leur intérêt d'acheter certains de ces articles pour démontrer leur satisfaction d'avoir gagné et exprimer ainsi leur reconnaissance à la société organisatrice, ou encore pour l'inciter à tenir ses promesses en présentant un profil de client et non celui d'un simple participant au jeu ;

Attendu qu'à la faveur des manœuvres ci-dessus décrites, la société C. s'est fait remettre des fonds, certes destinés à l'acquisition de produits ayant été livrés sans donner lieu le plus souvent à contestation écrite, mais qui n'auraient pas été reçus en l'absence de cette stratégie publicitaire répréhensible ;

Qu'elle a ainsi escroqué, au sens de l'article 330 du Code pénal, différentes sommes au préjudice des huit clients désignés au deuxième chef de la prévention ;

Attendu qu'à l'égard de treize autres personnes visées par la citation, la société C. apparaît avoir tenté d'obtenir des commandes de leur part par les mêmes moyens frauduleux, cette tentative n'ayant manqué son effet que par le refus exprimé par ces personnes de faire l'acquisition d'articles au moment de renvoyer leurs bons numérotés présentés comme gagnants ; que le préjudice qu'elles ont subi n'est cependant pas contestable et sera analysé au titre des actions civiles ;

Attendu que les délits dont s'agit doivent être considérés comme ayant été commis à Monaco, à supposer même que la clientèle concernée soit exclusivement domiciliée en France, dès lors que les manœuvres frauduleuses ont été mises en œuvre par l'envoi des documents incriminés à partir de Monaco où la société C. a son siège ;

Attendu qu'en sa qualité de pénalement responsable de cette société, A. W., qui en assure la direction, doit être déclaré coupable des escroqueries et tentatives d'escroqueries qui lui sont reprochées dès lors qu'il apparaît avoir intentionnellement organisé ou avalisé le mécanisme publicitaire ci-dessus décrit, dans le dessein manifeste d'accroître le nombre de ses clients sans se soucier de la régularité des procédés commerciaux employés ;

Qu'à cet égard, il est révélateur d'observer que A. W. et son conseil ont admis au cours des débats que la société C., bien qu'organisatrice d'opérations offertes au public pour faire naître l'espérance d'un gain qui serait acquis par la voie du sort, au sens de l'article 350 du Code pénal, ne dispose pas de l'autorisation du gouvernement monégasque requise par cet article ;

Attendu, au plan de l'application de la peine, qu'il existe en la cause des circonstances atténuantes ;

Attendu, s'agissant du faux en écriture privée par ailleurs reproché au prévenu, que la prévention se rapporte en fait à certains imprimés publicitaires reproduisant à l'identique, en format réduit, le cachet professionnel de Maître E.-M., huissier ; que selon la citation, ce cachet aurait été falsifié puis utilisé ;

Attendu que si ces simples reproductions ont incontestablement eu pour objet d'accréditer, par une manière d'authenticité destinée à inspirer confiance, le sérieux du tirage au sort proposé, elles ne sont pas pour autant constitutives du délit de faux dès lors qu'elles ne comportent aucune altération de la vérité, faute de procéder d'une quelconque falsification, étant relevé que l'officier public concerné a effectivement prêté son ministère à certains tirages au sort organisés par la société C. à propos desquels l'huissier a d'ailleurs attesté par écrit de sa participation effective ;

Attendu en conséquence que les agissements reprochés au prévenu de ce chef n'autorisent pas à lui imputer le délit de commission de faux, et partant, celui d'usage de faux, même s'ils doivent être considérés en l'espèce comme des procédés destinés à conforter les manœuvres à l'origine des escroqueries sanctionnées ;

Qu'il s'ensuit que A. W. ne peut qu'être relaxé de ces délits ;

Sur les actions civiles :

Attendu qu'en l'état de la relaxe prononcée au bénéfice de A. W. des chefs de faux et usage, la demande formée par Maître E.-M. doit être rejetée par application de l'article 2 du Code de procédure pénale, même s'il n'est pas douteux que cet officier ministériel a subi un préjudice du fait de l'utilisation abusive, dans des documents largement diffusés qui le reproduisent, de son cachet professionnel ;

Que toutefois cette situation ne saurait être appréciée par le Tribunal dans le cadre de la présente instance, faute pour cette partie civile d'avoir sollicité l'application à son bénéfice des dispositions de l'article 392, alinéa 1, du Code de procédure pénale ;

Attendu, sur les demandes formées par les autres parties civiles, que les victimes tant des escroqueries que des tentatives d'escroqueries apparaissent avoir subi un préjudice moral résultant directement des infractions sanctionnées ; qu'elles ont en effet vainement nourri l'espérance d'un gain important, entretenue le plus souvent de manière insistante par la société C. ;

Attendu qu'au regard des circonstances de l'espèce et des éléments d'appréciation dont il dispose le Tribunal estime devoir fixer à 10 000 francs à ce jour le montant des dommages-intérêts devant revenir à chacune des parties civiles ;

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Sur l'action publique :

Déclare A. W. coupable des délits d'escroqueries et de tentatives d'escroqueries qui lui sont reprochés ;

En répression, faisant application des articles 3, 330 et 392 du Code pénal,

Le condamne à la peine de cinquante mille francs d'amende ;

Relaxe en revanche A. W. des délits de faux en écriture privée et d'usage de faux en écriture privée visés par la prévention ;

Sur les actions civiles :

Déboute M.-T. E.-M. de sa demande ;

Faisant partiellement droit aux demandes de M. T., A. D., A. C., R.-N. B., A. B., M. C., C. M. et R. R.,

Condamne A. W. à payer à chacune de ces parties civiles la somme de 10 000 francs à titre de dommages-intérêts en réparation de leur préjudice moral ;

Composition🔗

MM. Sacotte, prem. prés. ; Serdet, prem. subst. proc. gén. ; Mes Pastor, Blot, Pasquier-Ciulla, av. déf. ; Mullot, av. st. ; Klein, av. bar. de Nice

M.M. Narmino, prem. vice-prés. ; Baudoin, subst. proc. gén. ; Mes Pasquier-Ciulla, Mullot, Kleïn, av.

Note🔗

Cet arrêt infirme un jugement du Tribunal correctionnel du 18 février 1997 publié à la suite qui avait retenu le délit d'escroquerie et de tentative d'escroquerie mais confirme la relaxe prononcée par cette juridiction du chef de faux et usage de faux en écriture privée.

La Cour de révision par arrêt du 15 septembre 1997 a rejeté le pourvoi formé contre cet arrêt dans la mesure où il avait confirmé la relaxe du chef de faux et usage de faux en écriture privée.

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