Cour d'appel, 7 janvier 1997, V., T. c/ Ministère Public

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Abstract🔗

Procédure pénale

Audition d'étrangers

- Non-assistance d'une interprète-traductrice

- Violation des droits de la défense (non)

- Annulation des procès-verbaux (non)

Résumé🔗

Les prévenus ne sont pas fondés à solliciter l'annulation des procès-verbaux d'audition, au motif que leur audition s'est déroulée hors la présence d'un interprète et que les droits de la défense auraient été ainsi violés.

En effet, ni l'un ni l'autre n'ont exigé, à un quelconque moment de la procédure, l'assistance d'un interprète-traducteur ; cette attitude est confirmée par les déclarations des intéressés, l'un ayant indiqué « parler et lire le français » l'autre « parler et comprendre suffisamment le français pour s'exprimer mais pas le lire » ce qui motiva la lecture du procès-verbal de son audition par un interprète.

Par ailleurs ni l'un, ni l'autre n'a contesté le contenu des procès-verbaux admettant ainsi la véracité de la retranscription.

En conséquence aucune atteinte aux droits de la défense n'a été portée en l'espèce, étant observé, au surplus que l'audition, lors d'une enquête de flagrant délit, n'est soumise à aucune obligation particulière quant à la mise en œuvre de l'assistance d'un interprète.


Motifs🔗

La Cour

Jugeant correctionnellement ;

La Cour statue sur l'appel interjeté le 24 décembre 1996 par le Ministère Public contre un jugement du Tribunal Correctionnel du même jour ayant condamné G. V. et A. T. chacun à la peine de 18 mois d'emprisonnement avec sursis et 30 000 francs d'amende pour recel de faux en écriture de banque et usage.

Les faits et la procédure peuvent être ainsi résumés :

Le 20 décembre 1996 vers 18 heures 30 les services de police étaient avisés par la Sécurité du Sun Casino de ce que deux ressortissants italiens V. et T. venaient d'être interceptés pour avoir remis trois fausses coupures de 100 dollars.

Conduits dans les locaux de la Direction de la Sûreté Publique, ces derniers étaient trouvés en possession, à l'occasion de leur palpation de sécurité :

  • pour T. :

  • d'une liasse de 20 billets de 100 dollars tous authentiques (2 000 dollars).

  • de 89 coupures de 100 dollars, en liasses de 5, 6 et 7 billets, coupures toutes fausses (8 900 dollars).

  • pour V. :

  • de deux billets de 100 dollars authentiques

  • de sept coupures de 100 dollars, toutes fausses (à noter que ces billets n'ont pas été retrouvés sur V., mais dans l'encadrement de la porte du bureau où il était entendu, encadrement dans lequel ce dernier avait tenté de dissimuler ces faux billets à la vue des policiers).

La fausseté des trois coupures remises au change du Sun Casino était confirmée par l'identité judiciaire.

A. T., expert-comptable expliquait être arrivé le 20 décembre 1996 vers 17 heures en Principauté avec son beau-frère V., pour rencontrer un représentant de la Sudameris pour l'ouverture d'un compte ;

Après ce rendez-vous, T. indiquait qu'ils avaient décidé tous les deux de se rendre au Casino, T. précisait avoir changé un billet de 100 dollars contre un billet de 500 francs, son beau-frère ayant donné deux coupures de 100 dollars contre des jetons pour la roulette ;

T. déclarait lors de ses trois auditions que :

  • le faux billet de 100 dollars remis à la Caisse du Sun Casino avait été acquis par lui auprès d'un ami qui se rend souvent en Tanzanie et qui travaille dans les mines de pierres précieuses « qui lui avait changé en novembre 1996 20 000 dollars ».

  • il avait changé ce même 20 décembre 1996 à la BCI de Voghera des lires contre 2 000 dollars ;

  • il avait changé sans difficulté, la veille au soir, le 19 décembre 1996, dans une banque italienne, 1 400 dollars provenant de Tanzanie.

  • les 89 fausses coupures retrouvées sur lui avaient été remises par A. A. et par F. C. dans le cadre de la vente d'un compresseur en Tanzanie.

T. précisait avoir ainsi en sa possession fin novembre 1996 10 200 dollars venant de Tanzanie et avoir alors pensé qu'ils étaient faux ; il avait néanmoins effectué quelques jours plus tard, un change de 800 dollars à T. puis un autre, mi-décembre, de 700 dollars à Voghera.

Il indiquait que lors du premier change, il était resté étonné de ce que le directeur de l'agence bancaire lui ait dit que les billets étaient bons car il était persuadé quant à lui, qu'ils étaient faux.

T. précisait par ailleurs, que lors du second change, la réponse du directeur de l'agence avait été similaire bien que l'employé se soit aperçu du caractère douteux des coupures.

Questionné sur les raisons pour lesquelles, étant en possession d'environ 9 000 dollars provenant de Tanzanie, il avait néanmoins acquis 2 000 dollars dans une banque de Voghera le jour même de sa venue en Principauté, T. avouait qu'il se doutait que les 9 000 dollars étaient faux et qu'il était donc désireux d'en posséder des vrais.

Il déclarait qu'il avait décidé avec son beau-frère de changer ces dollars à la Caisse du Sun Casino pour voir « s'ils seraient repérés ».

T. précisait que c'est lui qui avait remis les deux faux billets à son beau-frère avant d'entrer au Casino en soulignant ignorer que ce dernier était lui-même détenteur de sept fausses coupures de 100 dollars.

G. V., quant à lui, déclarait aux policiers qu'en sa qualité de Conseil Juridique, il effectuait de fréquents voyages en Tanzanie où il changeait régulièrement, auprès d'un intermédiaire non agréé, de la monnaie tanzanienne contre des dollars. V. précisait ainsi, que les deux billets remis au Sun Casino et les sept coupures qu'il avait tenté de dissimuler dans les locaux de la Direction de la Sûreté Publique provenaient de ces opérations de change réalisées en Tanzanie ; il ajoutait n'avoir jamais en aucun doute sur l'authenticité des billets jusqu'au contrôle positif du Sun Casino qui l'avait alors incité à dissimuler les sept fausses coupures, ayant remarqué que tout comme les deux billets remis au change du Casino, les sept coupures portaient l'inscription « Séries 1988 ».

Il convient de remarquer que le 10 décembre 1996, A. T. a ouvert à la Banque Sudameris de Monte-Carlo un compte au nom d'une société Off-Shore, Chilton International LTD, dont lui et son beau-frère seraient les ayant-droits économiques.

Considérant que les prévenus ont réitéré devant la Cour leurs déclarations effectuées tant devant les policiers que devant le Tribunal Correctionnel, notamment A. T. au sujet du doute qu'il avait sur l'authenticité des billets ;

Que G. V. a expliqué, quant à lui, qu'il avait séparé les vrais des faux billets en sa possession, dans les locaux de la sûreté publique c'est-à-dire à un moment où il avait compris que les billets portant l'inscription « Séries 1988 » étaient des faux ;

Considérant que le Ministère Public a requis une peine d'emprisonnement de huit mois à l'encontre de T. et V. en soulignant la gravité des faits et l'attitude injustifiable selon lui des intéressés par rapport à leurs personnalités d'hommes avisés du monde des affaires ;

Considérant que les prévenus font plaider, sur la forme, la nullité de tous les procès-verbaux d'audition établis lors de l'enquête de flagrant délit ;

Qu'ainsi ils font valoir que leur audition s'est déroulée hors la présence d'un interprète pour A. T. et avec l'assistance d'un policier en guise d'interprète pour G. V. de telle sorte qu'il aurait été porté atteinte aux droits de la défense et que les procès-verbaux litigieux devraient être annulés ;

Qu'au fond, ils font plaider avoir agi par maladresse, pensant qu'ils auraient pu - si les billets s'étaient avérés faux - payer les jetons dans une autre monnaie ; qu'ils soutiennent avoir agi de bonne foi ; qu'ils sollicitent en conséquence leur relaxe ;

Sur ce,

Sur la forme

Considérant que les prévenus ne sont pas fondés à solliciter l'annulation des procès-verbaux d'audition au motif que leur audition s'est déroulée hors la présence d'un interprète et que les droits de la défense auraient été ainsi violés ;

Qu'en effet, ni l'un ni l'autre n'ont exigé, à un quelconque moment de la procédure, l'assistance d'un interprète-traducteur ;

Que cette attitude est confirmée par les déclarations des intéressés qui ont indiqué pour T., « parler et lire le français » et pour V. « parler et comprendre suffisamment le français pour s'exprimer mais pas le lire » ;

Que lecture du procès-verbal de son audition a été effectuée précisément à V. par un interprète ;

Considérant par ailleurs que ni T. ni V. n'ont contesté le contenu des procès-verbaux et admis ainsi la véracité de la retranscription ;

Considérant par conséquent qu'aucune atteinte aux droits de la défense n'a été portée en l'espèce, étant observé au surplus que l'audition, lors d'une enquête de flagrant délit, n'est soumise à aucune obligation particulière quant à la mise en œuvre de l'assistance d'un interprète ;

Qu'il y a donc lieu de rejeter l'exception de nullité ;

Sur le fond :

Considérant qu'il est établi par l'enquête est les débats que T. et V. sont venus en Principauté avec l'intention délibérée d'y écouler la centaine de fausses coupures de 100 dollars qu'ils détenaient et qui provenaient, selon eux, de Tanzanie ;

Qu'en effet, T. a reconnu lui-même qu'il avait douté de l'authenticité desdites coupures et qu'il avait cherché à savoir par la remise de trois exemplaires à la Caisse du Sun Casino si elles seraient détectées ;

Que V., quant à lui, ne peut prétendre n'avoir appris le caractère falsifié des billets que lors de son interpellation ;

En tentant de dissimuler sept fausses coupures à la vue des policiers après avoir remarqué, selon lui, que tout comme les billets remis au change du Casino, ces sept billets portaient l'inscription « Séries 1988 », V. a démontré ainsi qu'il connaissait leur fausseté avant le contrôle ;

Qu'en effet, eu égard à la taille minuscule des caractères de cette mention par ailleurs noyée dans un graphisme compliqué comprenant de nombreuses autres mentions et diverses gravures, il était nécessaire d'avoir préalablement connaissance de ce signe distinctif et de posséder une acuité visuelle certaine, ce qui n'est pas, à l'évidence, le cas de V. ;

Considérant enfin, que compte tenu des circonstances dans lesquelles les faux billets ont été obtenus et des qualités professionnelles de ces prévenus, hommes d'affaires avisés, ces derniers ne peuvent se prévaloir de leur bonne foi ;

Qu'il convient, par conséquent, de confirmer le jugement entrepris sur la culpabilité ;

Considérant que la gravité des faits résultant notamment du préjudice causé par l'atteinte au crédit attaché à la monnaie justifie la condamnation de chacun des prévenus à la peine de six mois d'emprisonnement, compte tenu des circonstances atténuantes existant en la cause, outre à la peine d'amende de trente mille francs déjà prononcée en première instance ;

Qu'ainsi la décision des premiers juges sur la répression doit être partiellement réformée, la mesure de confiscation devant, être quant à elle confirmée ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

La Cour d'Appel de la Principauté de Monaco,

Statuant en matière correctionnelle,

Vu les articles 94, 95, 339 et 392 du Code pénal,

Confirme le jugement du 24 décembre 1996 :

  • en ce qu'il a déclaré A. T. et G. V. coupables des délits de recel de faux en écritures de banque et d'usage qui leur sont reprochés.

  • en ce qu'il les a condamnés à la peine de trente mille francs d'amende chacun.

  • en ce qu'il a ordonné la confiscation des fausses coupures de 100 dollars (fiches n° 1, 2 et 3 du scellé 97/58).

  • Le réformant partiellement sur la peine d'emprisonnement.

  • condamne A. T. et G. V. à la peine de six mois d'emprisonnement.

Composition🔗

Mme François Vice Prés. ; Baudoin Subst. Proc. Gén. ; Bardy Greffier en chef adjoint ; Me Gardetto av. déf.

Note🔗

Cet arrêt confirme le jugement du tribunal correctionnel en date du 24 décembre 1996.

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