Cour d'appel, 11 mai 1993, État de Monaco c/ Consorts S.

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Abstract🔗

Notaire

Suppression d'un office notarial :

- Indemnisation par l'État :

- Valeur de l'office à la date de la suppression.

Résumé🔗

La suppression d'un office notarial, dont la légalité n'est plus contestée et qui est indépendante de la démission présentée par son titulaire, a pour corollaire le droit à indemnisation du notaire qui a perdu la valeur patrimoniale de son office, ce dont l'État ne conteste pas le principe.

Cette valeur ne peut être appréciée au jour même où le notaire a perdu la propriété de l'office supprimé ; la suppression d'un office notarial ne saurait être assimilée à une expropriation pour cause d'utilité publique, dont elle diffère, tant dans ses buts que dans la procédure applicable et partant ne peut être soumise aux mêmes conditions quant à son indemnisation.

Le retard de neuf années mis par l'État à s'acquitter de son obligation d'indemnisation depuis qu'il a été saisi d'une demande à cet effet et a reconnu le principe de sa dette, constitue une faute ayant entraîné un préjudice propre justifiant l'allocation de dommages-intérêts compensatoires, distincts des intérêts légaux, s'ajoutant à la créance d'origine.


Motifs🔗

La Cour,

La Cour statue sur l'appel du jugement rendu le 29 novembre 1990 par le Tribunal de première instance de Monaco dans le litige opposant R. S. et son épouse H. C. à l'État de Monaco.

Les faits, la procédure, les moyens et les prétentions des parties peuvent être exposés comme suit, étant fait référence pour le surplus à la décision déférée et aux écritures échangées en appel :

Par Ordonnance Souveraine du 23 mars 1960, deux nouvelles études de notaire ont été créées à Monaco. L'une d'elles fut attribuée à R. S. par Ordonnance Souveraine du 9 juin 1961.

Le 12 février 1970, le Directeur des services judiciaires, informé d'irrégularités commises par ce Notaire, provoquait une inspection de son étude. Cette inspection était effectuée par la commission compétente qui déposait son rapport le 23 février 1970. Au vu de ce rapport, le Procureur général assisté de Maître Blanc, notaire inspecteur, procédait lui-même les 26 et 27 février 1970 à une vérification des pièces comptables et recueillait, les 6 et 7 mars 1970, les explications de R. S..

Le 9 mars 1970, le Directeur des services judiciaires adressait au Cabinet Princier un compte rendu de ces investigations, concluant à l'existence de nombreuses fautes professionnelles commises par le notaire.

Le 13 mars 1970, R. S. remettait au Directeur des services judiciaires une lettre par laquelle il présentait sa démission à compter du 1er avril suivant.

Le 14 mars 1970, il présentait une nouvelle démission « pure et simple ».

Cette démission était acceptée le jour même par Ordonnance publiée au Journal de Monaco du 20 mars 1970. Cette ordonnance portait en outre suppression de l'office notarial de R. S.

Courant juin 1970, des poursuites pénales étaient engagées et sept informations étaient ouvertes contre R. S. des chefs de faux en écritures publiques ou authentiques, usage de faux, abus de confiance et escroqueries. Après 13 ans d'information, le magistrat instructeur rendait, le 9 mars 1983, une ordonnance de non-lieu en faveur de R. S.

Le 8 février 1984, les époux S. présentaient au Ministre d'État une requête tendant à l'allocation d'une indemnité de 53 000 000 francs en réparation du préjudice causé par la démission prétendument forcée de R. S. et la suppression sans indemnité de l'office notarial constituant un bien commun des époux.

Par lettre du 4 juin 1984, le Ministre d'État répondait aux requérants :

  • qu'aucune faute ne pouvait être imputée à l'État du fait de l'acceptation de la démission de R. S. et de la suppression de son office notarial ;

  • que le principe même de l'indemnisation afférente au droit de présentation d'un successeur n'avait été, à aucun moment, mis en cause ; que ce n'était d'ailleurs que par la requête du 8 février 1984 que les époux S. avaient demandé, pour la première fois depuis le 14 mars 1970, l'attribution d'une indemnité qu'il leur appartenait de solliciter, en tout état de cause ;

  • qu'au vu, aujourd'hui de la demande présentée, il serait procédé, par voie d'analogie, de la même manière que pour M. M., dont la démission, acceptée le 11 août 1970, a été également suivie de la suppression de l'office notarial, la date de la demande ne pouvant, d'évidence, influer sur la date à retenir pour fixer le montant de l'indemnité, date qui ne peut être que celle de la suppression de l'étude.

Les époux S. attaquaient alors cette décision, saisissant successivement le Tribunal Suprême, le Tribunal de première instance, puis à nouveau le Tribunal Suprême. L'objet et le déroulement de ces procédures, rappelées ici pour mémoire, sont exposés en détail dans la décision attaquée à laquelle il y a lieu de se référer.

À l'issue de ces procédures, les époux S., par acte du 13 mars 1989, ont fait assigner l'État de Monaco devant le Tribunal de première instance aux fins :

  • de condamner l'État à réparer, avec les intérêts de droit à compter du 8 février 1984, capitalisés, le préjudice causé aux époux S. par la suppression sans indemnité de l'office notarial ;

  • de dire et juger que la date à retenir pour fixer le montant de l'indemnité due aux époux S. est celle du jugement à intervenir fixant ladite indemnité ;

  • subsidiairement, de leur allouer une indemnité égale à la différence entre la valeur de l'office à la date de sa suppression et sa valeur actuelle ;

  • d'ordonner une mesure d'expertise aux fins de déterminer le montant de l'indemnité due aux époux S.

Par le jugement déféré du 29 novembre 1990, le Tribunal de première instance a :

  • fixé à la somme de 2 000 000 de francs la valeur de l'office de R. S. lors de sa suppression ;

  • condamné l'État à payer aux époux S. ladite somme de 2 000 000 de francs ainsi que ses intérêts, calculés au taux légal à compter du 8 février 1984, lesdits intérêts étant capitalisés comme indiqué dans la décision ;

  • condamné en outre l'État à payer aux époux S. une indemnité de 5 000 000 de francs ;

  • débouté les parties de leurs autres demandes ;

  • fait masse des dépens et dit qu'ils seraient supportés par moitié par les parties.

L'État de Monaco a relevé appel de cette décision.

À l'appui de son appel, l'État rappelle en premier lieu qu'il n'a jamais contesté dans son principe l'existence d'un droit des époux S. à bénéficier du versement du prix de l'office supprimé. Il soutient, comme l'ont retenu les premiers juges, que la valeur de l'office doit être appréciée au jour de sa suppression, soit en 1970, et non, comme le soutiennent les époux S., à la date de l'arrêt à intervenir.

Il expose à cet effet que la suppression de l'office ne constitue ni un dommage à un bien ou une personne, ni l'expropriation d'un immeuble et qu'elle ressort d'un pouvoir discrétionnaire de l'État ; qu'ainsi la créance du notaire ne constituerait pas une indemnité, mais le prix de l'office supprimé.

Il déclare que les époux S. ont perdu la propriété de l'office du 14 mars 1970 et que, dès lors, ils ne peuvent prétendre à aucune réévaluation fictive de son prix, ni à des revenus théoriques qu'aurait pu produire l'office s'il n'avait pas été supprimé. Il fait également valoir que cette situation n'a engendré aucune rupture de l'égalité devant les charges publiques.

En deuxième lieu, s'il admet le principe du versement aux époux S. d'intérêts moratoires, capitalisés, il estime, comme l'ont retenu les premiers juges, que ces intérêts ne peuvent courir qu'à compter du 8 février 1984, date de la demande d'indemnisation.

En troisième lieu, l'État conteste l'évaluation faite par les premiers juges, du prix de l'office notarial de R. S. Il rappelle à cet effet que le tribunal a fondé sa décision sur une consultation délivrée, à leur demande, aux époux S. par le Doyen D., ne présentant aucun caractère contradictoire et s'est borné à soustraire de l'évaluation donnée par ce consultant une somme de 300 000 francs en raison des fautes commises par R. S. dans la gestion de son office.

Il soutient en effet que la majeure partie des produits de l'office résultait d'actes réalisés de manière illicite. Après avoir retracé longuement diverses opérations entachées, selon lui, d'irrégularités, il affirme que R. S. ne serait pas fondé à se prévaloir, pour occulter ses fautes, de l'absence de poursuites disciplinaires ou du non-lieu rendu en sa faveur.

Il estime que le prix de l'office doit être déterminé, après expertise, en considération des bénéfices nets de l'étude durant les cinq années précédant 1970, déduction faite des produits résultant des actes illicites.

En quatrième lieu, l'État affirme que l'Administration n'a commis aucune faute susceptible d'engager sa responsabilité.

Il souligne en particulier que, contrairement aux allégations des intimés, aucune pression n'avait été exercée sur R. S. pour obtenir sa démission pure et simple.

Il prétend qu'il n'était aucunement tenu d'évaluer la valeur de l'office ni de procéder au versement de son prix avant la demande faite par les intéressés en 1984.

Il expose qu'aucun accord, écrit ou verbal, n'était intervenu entre les requérants et l'Administration quant à un prétendu report de la date d'évaluation et de versement du prix de l'office. Il invoque sur ce point l'irrégularité et l'absence de caractère probant des attestations et pièces versées aux débats.

En cinquième lieu, l'État prétend que les conditions permettant de retenir sa responsabilité sans faute ne sont pas réunies. Il rappelle à cet effet qu'il n'a pris aucune décision pour une demande, qui ne lui était d'ailleurs pas présentée.

Il soutient également que les époux S. n'ont subi aucun préjudice anormal ou spécial, dans la mesure où le retard apporté à formuler leur demande résulte de leur propre volonté.

Il ajoute qu'il n'existe aucune rupture de l'égalité devant les charges publiques entre les époux S. et les autres notaires de la Principauté qui se sont vu attribuer les minutes de l'office supprimé, la contribution de ces notaires ne pouvant être assimilée à un impôt ; qu'au surplus il était indifférent à l'égard des autres notaires que R. S. ait été, préalablement ou non, payé.

L'État de Monaco demande en conséquence à la Cour :

  • de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que la valeur théorique de cession de l'office devait être appréciée en 1970 ;

  • d'infirmer le jugement en ce qu'il a fixé à 2 000 000 de francs la valeur de l'office lors de sa suppression et condamné l'État au paiement de cette somme, augmentée de ses intérêts capitalisés ;

  • d'ordonner une expertise pour permettre l'évaluation de la valeur de l'office de R. S., déduction faite des profits induits par les actes illicites ;

  • d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné l'État au paiement d'une indemnité de 5 000 000 de francs ;

  • de débouter les époux S. de leurs demandes, fins et conclusions ;

  • de les condamner aux dépens.

Les époux S., pour leur part, affirment en premier lieu leur droit d'obtenir de l'État la valeur de l'étude supprimée et contestent les prétentions de l'État tendant à voir cette valeur réduite en raison des irrégularités qui auraient été commises par le notaire. Ils rappellent à cet effet que R. S. a bénéficié d'un non-lieu pour les poursuites pénales qui avaient été intentées contre lui et qu'aucune poursuite disciplinaire n'a été engagée à son encontre. Invoquant les conclusions de « l'expert » M., mandaté par leurs soins, ils prétendent à l'inexistence des fautes invoquées. Ils relèvent qu'en tout état de cause la valeur propre de l'étude ne peut dépendre des fautes commises par son titulaire et se réfèrent à une jurisprudence selon laquelle la destitution d'un notaire pour fautes graves ne le prive pas du droit à la valeur de son office.

Ils rappellent enfin que la valeur de l'office à la date de sa suppression a fait l'objet d'une évaluation par « l'expert » D., mandaté par eux et qui n'aurait fait l'objet d'aucune contestation sérieuse.

En deuxième lieu, ils soutiennent que leur droit au paiement de la valeur de l'office était ouvert dès le jour de sa suppression. À cet effet, ils prétendent que cette suppression s'apparente à une expropriation et implique, tant en application des textes monégasques que des principes généraux du droit, une juste et préalable indemnité. Ils invoquent également la pratique administrative qui aurait été suivie, à la même époque, à l'occasion de la suppression d'une autre étude notariale, appartenant à M. M. Ils soutiennent que, dans ces conditions, l'État avait l'obligation de les indemniser sans attendre une demande de leur part.

Sur ce point, ils affirment en outre qu'un accord avait été passé avec l'Administration pour que leur demande d'indemnisation ne soit présentée qu'à l'issue des poursuites pénales. Ils font valoir que des assurances verbales leur auraient été fournies par M. Z., alors Directeur des services judiciaires. À l'appui de cette affirmation, ils invoquent notamment les dires de feu le Bâtonnier B. et une lettre de M. N., ancien Conseiller de Gouvernement pour les finances, en date du 13 juillet 1984.

Ils affirment également que dans le cadre de cet accord prétendu, il avait été convenu d'une réévaluation du prix de l'office à la date du paiement de l'indemnité.

En troisième lieu, et en contradiction avec ce qui précède, ils exposent que la valeur de l'office devrait être estimée à la date du présent arrêt et qu'elle devrait être fixée par référence à l'évolution des produits notariaux en Principauté depuis 1970.

En quatrième lieu, les époux S. soutiennent que l'État aurait engagé à leur égard sa responsabilité pour faute. Selon eux, deux fautes pourraient être imputées à l'État :

  • 1° L'État aurait fait pression sur R. S. pour obtenir qu'il donne sa démission pure et simple, assimilable, selon une consultation du Professeur D., à une démission forcée. Sur la base de cette même consultation, ils prétendent que la procédure d'inspection de l'étude aurait été irrégulière. Ils versent aux débats une lettre de Maître Tassi, avocat, affirmant que l'un des notaires inspecteurs lui aurait affirmé avoir fait l'objet de pressions de la part des autorités judiciaires.

  • 2° L'État aurait également commis une faute du seul fait du retard mis par l'Administration à payer une indemnité, rappelant que 23 ans après la suppression de l'étude, R. S. n'a toujours perçu aucune somme.

En cinquième lieu, et en contradiction avec ce qui précède, les époux S. invoquent la responsabilité sans faute de l'État faisant valoir que leur non-indemnisation après 23 ans leur cause un préjudice anormal et spécial et que, par ailleurs, elle entraînerait une rupture de l'égalité devant les charges publiques.

Les époux S. demandent en définitive à la Cour :

  • de débouter l'État des fins de son appel ;

  • de condamner l'État à réparer le préjudice causé par la suppression sans indemnité de l'office notarial de R. S., avec les intérêts de droit à compter du 8 février 1984, capitalisés ;

  • de dire et juger que la date à retenir pour fixer le montant de l'indemnité qui leur est due est celle du présent arrêt ;

  • subsidiairement, de leur allouer une indemnité égale à la différence entre la valeur de l'office à la date de sa suppression et sa valeur actuelle ;

  • d'ordonner une expertise pour déterminer le montant de cette indemnité ;

  • de condamner l'État aux dépens ;

Ceci étant exposé, la Cour :

Considérant que la suppression de l'office notarial de R. S., dont la légalité n'est plus contestée, et qui est indépendante de la démission présentée par son titulaire, a eu pour effet de faire perdre à celui-ci la valeur patrimoniale de son office ;

Que cette suppression a pour corollaire, ainsi que l'ont justement relevé les premiers juges, le droit pour le notaire dont l'office est supprimé, à une indemnisation ;

Que l'État ne conteste pas le principe du paiement aux époux S. du prix de l'office supprimé ;

Considérant que les époux S. peuvent ainsi prétendre à obtenir de l'État le paiement de la valeur théorique qu'avait l'office dont s'agit lors de sa suppression ;

Que cette valeur ne peut être appréciée qu'au jour même où le notaire a perdu la propriété de l'office supprimé, toute autre prétention fondée sur l'évolution ultérieure des produits d'autres études de la Principauté étant dénuée de fondement réaliste ;

Considérant qu'aucune disposition légale, ou pratique administrative n'imposait à l'État de procéder d'office à l'indemnisation de R. S. ;

Que la suppression d'un office notarial ne saurait être assimilée à une expropriation pour cause d'utilité publique dont elle diffère tant dans ses buts que dans la procédure applicable, et que, partant, elle ne peut être soumise aux mêmes conditions quant à son indemnisation ;

Considérant que les époux S. prétendent que l'Administration aurait accepté de voir différer la présentation de leur demande d'indemnisation et leur aurait promis de procéder à une réévaluation du prix de l'étude à l'issue des procédures pénales engagées en 1970 ;

Qu'ils ne produisent toutefois à l'appui de leurs allégations aucun engagement écrit d'un responsable de l'Administration ;

Qu'ils se contentent de verser aux débats des documents établis à leur demande par des personnes, aujourd'hui disparues, faisant état de paroles qui auraient été prononcées par le Directeur des services judiciaires de l'époque ;

Que, quelle que puisse être la notoriété des rédacteurs de ces écrits, ceux-ci, qui ne font que relater les propos prêtés à une tierce personne, et qui sont en contradiction avec les rapports établis en 1970 par les autorités judiciaires, ne sont pas de nature à apporter la preuve de l'existence de l'engagement allégué ;

Considérant que c'est ainsi à juste titre que les premiers juges ont décidé qu'il y avait lieu de se placer en 1970 pour apprécier la valeur théorique de l'office de R. S. ;

Considérant que les époux S. versent aux débats un rapport établi à leur demande par J.-P. D., ancien Doyen de la Faculté de Droit de Nice ;

Qu'aux termes de ce rapport, la valeur de l'office est estimée à 2 300 000 francs ;

Que l'État ne conteste pas sérieusement les conclusions du rapport D. et se contente de solliciter une expertise « à l'effet de permettre la détermination en fonction des méthodes d'évaluation des offices notariaux, soit selon la prise en considération des bénéfices nets de l'étude durant les cinq années précédant l'année 1970, de la valeur de l'office de R. S.... ».

Que la méthode suivie par le Doyen D. est justement celle souhaitée par l'État, améliorée par la prise en compte de divers autres facteurs ;

Que les calculs du Doyen D. sont également confortés par le rapport de l'expert Martin, commis dans le cadre de la procédure pénale ;

Que cette valeur théorique de 2 300 000 francs doit donc être retenue ;

Considérant que l'État, sans remettre sérieusement en cause la valeur théorique ainsi déterminée, prétend qu'elle devrait faire l'objet d'un abattement important en raison des nombreuses irrégularités constatées dans la tenue des dossiers de l'étude par suite, notamment, d'actes illicites ;

Considérant cependant que les actes illicites invoqués ont fait l'objet de poursuites pénales terminées par une Ordonnance de non-lieu en date du 9 mars 1983 ;

Que les irrégularités alléguées n'ont donné lieu à aucune poursuite disciplinaire ;

Qu'au surplus, la commission de fautes professionnelles par un notaire n'est pas susceptible de priver celui-ci de son droit sur la valeur de son office, tant il est vrai que même un notaire destitué conserve ce droit ;

Considérant en conséquence que la valeur théorique ci-dessus retenue ne doit subir aucun abattement ;

Qu'il n'est donc pas nécessaire de recourir à une mesure d'expertise ;

Que l'État est donc redevable envers les époux S. d'une somme en principal de 2 300 000 francs ;

Considérant que cette somme doit être assortie de ses intérêts au taux légal à compter de la requête formulée le 8 février 1984, et capitalisés conformément à l'article 1009 du Code civil ;

Considérant qu'outre le prix de l'office supprimé, les époux S. sollicitent l'indemnisation du préjudice résultant, selon eux, de diverses fautes de l'État et consistant essentiellement en des pressions exercées et en un retard anormal apporté au règlement de l'indemnité demandée ;

Considérant que les prétendues pressions exercées à la fois sur R. S. lui-même et sur les notaires inspecteurs ne sont confirmées par aucun élément objectif ;

Que la « commune renommée » invoquée par les intimés dans leurs conclusions du 3 mars 1992 (page 5) ne constitue pas un moyen de preuve admissible en l'espèce ;

Que la lettre de Maître Tassi, avocat honoraire, versée aux débats ne fait, ici encore, que rapporter des propos qui auraient été tenus par une tierce personne, et ne saurait donc revêtir un caractère probant ;

Qu'enfin l'affirmation selon laquelle les termes de « démission pure et simple » signifieraient « démission forcée », relève, et ce quel que soit le respect dû aux éminentes qualités de juriste du Professeur D., de la plus haute fantaisie ;

Considérant en revanche que si, comme exposé ci-avant, l'État n'était pas tenu d'indemniser les époux S. de manière préalable ou concomitante à la suppression de l'office, ni même avant la demande présentée le 8 février 1984, il n'en demeure pas moins que depuis cette date aucune somme n'a été versée ou proposée aux époux S., bien que l'État, par lettre du 4 juin 1984 ait reconnu le principe de leur créance ;

Considérant que l'État soutient vainement que le retard apporté au règlement de cette affaire résulterait du seul fait des époux S. et notamment des diverses procédures engagées par eux ;

Qu'en effet, ces procédures avaient pour objectif d'obtenir le respect par l'État de ses obligations ;

Qu'il ne saurait donc être reproché aux époux S. de les avoir engagées et poursuivies, même si elles devaient se révéler inadaptées ou inopérantes ;

Considérant que le retard de neuf années mis par l'État à s'acquitter de ses obligations est manifestement anormal ;

Qu'il constitue une faute ayant entraîné un préjudice propre justifiant l'allocation de dommages-intérêts compensatoires distincts des intérêts légaux s'ajoutant à la créance d'origine ;

Considérant que la demande initiale des époux S. est manifestement exagérée et fondée sur des bases erronées ;

Que l'expertise qu'ils sollicitent, tendant à faire établir, sur des bases aberrantes, la valeur actuelle supposée de l'office supprimé en 1970, n'est pas de nature à fournir à la Cour des éléments sérieux d'appréciation ;

Considérant que la Cour dispose, au vu des pièces versées aux débats, des éléments suffisants pour fixer équitablement à 4 000 000 de francs le préjudice résultant de cette faute ;

Considérant qu'en l'état d'une faute ainsi relevée à la charge de l'État, il n'y a pas lieu d'examiner les moyens des parties relatifs à une prétendue responsabilité sans faute ;

Considérant que l'État, qui sera débouté des fins de son appel devra conserver la charge des dépens d'appel ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco,

Réformant le jugement attaqué,

  • fixe à la somme de 2 300 000 francs la valeur de l'office notarial de R. S. à la date de sa suppression ;

  • condamne l'État à payer aux époux S. ladite somme assortie de ses intérêts au taux légal à compter du 8 février 1984, lesquels seront capitalisés conformément à la loi ;

  • condamne en outre l'État à payer aux époux S., à titre de dommages-intérêts la somme de quatre millions de francs ;

  • confirme le jugement attaqué quant à la charge des dépens de première instance ;

  • déboute les parties de toutes leurs autres demandes, fins et conclusions.

Composition🔗

MM. Sacote prem. prés. ; Serdet prem. subst. proc. gén. ; Mes Sanita et Sbarrato av. déf. ; Piwnica et Lyon-Caen av. au CE et à la C. cass.

Note🔗

Cet arrêt réforme un jugement rendu le 29 novembre 1990. Il a fait l'objet d'un pourvoi en révision.

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