Cour d'appel, 18 mai 1987, Dame C.-J. c/ R., Ministère public.

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Abstract🔗

Procédure pénale - Jugement par défaut - Opposition - Escroquerie

Jugement par défaut - Opposition possible : jugement non porté à la connaissance du prévenu - Sursis à statuer sur l'appel - Jugement de relaxe : opposition non possible pour le prévenu - Moment d'appréciation des manœuvres - Éléments constitutifs

Résumé🔗

Il doit être sursis à statuer sur l'appel interjeté contre un jugement correctionnel rendu par défaut signifié au Parquet général alors qu'il n'est pas établi que le prévenu en ait eu connaissance, étant donné qu'aux termes de l'article 382, alinéa 2, du Code de procédure pénale, la voie de l'opposition demeure, en ce cas, ouverte et que l'exercice de ce recours rend sans objet l'appel interjeté.

Au regard d'une décision de relaxe, le prévenu non condamné ne saurait, faute d'intérêt, être admis à former opposition au jugement déféré devant la juridiction d'appel.

L'escroquerie étant une infraction instantanée qui est consommée par une remise obtenue au moyen de manœuvres frauduleuses, c'est à la date de la dernière remise (fonds et lingots) opérée que les éléments du délit doivent être caractérisés.

Dès lors que la remise des fonds et lingots qui ont été dissipés tendait à attribuer à la victime la qualité d'actionnaire dans une société, par la cession d'actions dont était alors effectivement détenteur le prévenu, l'événement ne revêt pas un caractère chimérique ou impossible qui soit de nature à caractériser le délit d'escroquerie.


Motifs🔗

LA COUR,

Statuant sur les appels non limités relevés le 26 décembre 1986 par la dame C. A. épouse J., ex-épouse C., partie civile, et le Ministère public, d'un jugement du Tribunal correctionnel en date du 16 décembre 1986 lequel, statuant par défaut à l'égard du nommé R. R., a relaxé ce prévenu du chef d'escroquerie et le déclarant coupable du délit d'abus de confiance l'a condamné aux peines de huit mois d'emprisonnement et de 10 000 F d'amende ainsi qu'à payer à la partie civile la somme de 105 200 F et celle de 60 000 F à titre de dommages-intérêts ;

Considérant que les faits ayant motivé la poursuive peuvent être résumés comme suit :

Sur plainte avec constitution de partie civile de la dame C., une information était ouverte du chef d'escroquerie le 12 novembre 1985 contre R. R., administrateur délégué de la S.A.M. Mint State, ayant son siège à Monaco ;

Il résultait de l'information que cette société, dont le capital social de 5 500 000 F était réparti en 5 500 actions de 1 000 F, détenues à concurrence de 4 548 actions par R., avait un conseil d'administration constitué par R. R., administrateur délégué, M. R. et la dame C., ex-épouse C., administrateurs, qu'elle avait été déclarée en état de cessation des paiements par jugement du Tribunal de Monaco du 23 février 1984 et que sa liquidation de biens avait été prononcée le 3 mai 1984 par le même Tribunal ;

Que la plaignante apparaissait titulaire, d'après le registre des transferts, d'une seule action alors qu'elle faisait état d'une vente en date du 4 novembre 1982 par laquelle R. R. lui avait cédé 549 actions de la société dont elle justifiait du règlement au moyen de la remise d'espèces (230 000 F), de chèque (85 287 F) et de sept lingots d'or de 1 kg, d'une valeur de 675 227,23 F, par divers reçus et un certificat d'actions nominatives numérotées de 3845 à 4393 portant la mention manuscrite signée de R., le 30 juillet 1983 : « Bon pour cession et transfert de 549 actions de la Société Mint State - Bon pour quittance » ;

Qu'elle reprochait, par ailleurs, à R. de ne pas lui avoir restitué ou représenté un lingot d'or d'un kilo n° 34374 qu'elle lui avait remis en dépôt aux fins de vente suivant reçu du 30 novembre 1983 ;

Après requalification des faits en abus de confiance, en ce qui concerne ce dernier lingot, R. R., en fuite et à l'encontre duquel mandat d'arrêt avait été décerné le 15 novembre 1985, était cité à comparaître devant le Tribunal correctionnel par le Ministère public, sous la prévention, aux termes de l'ordonnance de renvoi :

« 1° de s'être à Monaco, depuis temps non prescrit, en employant des manœuvres frauduleuses pour persuader l'existence d'un pouvoir ou d'un crédit imaginaire, acquisition d'actions de la S.A.M. Mint State, fait remettre par A. C. épouse J. :

  • le 30 octobre 1982, en espèces, 100 000 F et trois lingots d'or de 1 kg chacun,

  • le 4 novembre 1982, quatre lingots d'or de 1 kg environ,

  • le 22 janvier 1983, la somme de 130 000 F,

  • le 1er février 1983, la somme de 85 287 F par chèque ;

2° d'avoir à Monaco, courant novembre 1983 et depuis temps non prescrit, détourné ou dissipé au préjudice de A. C. épouse J., propriétaire, un lingot d'or de 1 kg environ, numéroté 34374, qui ne lui avait été remis qu'à titre de dépôt, à charge de le rendre ou représenter, ou d'en faire un usage ou un emploi déterminé ;

Délits prévus et réprimés par les articles 330 et 337 du Code pénal » ;

La partie civile sollicitait, par voie de conclusions déposées à l'audience, la condamnation du prévenu à lui payer la somme de 1 095 714,23 F représentant le montant des sommes escroquées ou détournées par suite des faits visés à la prévention outre celle de 200 000 F, à titre de dommages-intérêts ;

Pour statuer ainsi qu'ils l'ont fait, les premiers juges, après avoir relevé que l'événement visé par l'article 330 du Code pénal comme devant être accrédité par des manœuvres frauduleuses, doit être chimérique au moment même où ces manœuvres sont exercées pour pouvoir être retenu au titre du délit, ont notamment considéré qu'en l'espèce la qualité d'actionnaire envisagée par la partie civile comme découlant de la cession consentie à son profit n'était nullement impossible au moment de cette cession ; ils ont, dès lors, renvoyé R. R. des fins de la poursuite exercée contre lui du chef d'escroquerie et, par voie de conséquence, rejeté les demandes de la partie civile fondées sur cette infraction ; ils ont, d'autre part, considéré comme caractérisé par l'instruction et les débats le détournement d'un lingot d'or visé par la poursuite pour abus de confiance ;

Considérant que R. ne comparaît pas, bien que régulièrement cité, conformément aux dispositions de l'article 374, § 2, du Code de procédure pénale, et qu'il doit être statué par défaut contre lui ;

Considérant que la partie civile sollicite la réformation du jugement déféré en ce qu'il a prononcé la relaxe de R. du chef du délit d'escroquerie et demande à la Cour de faire droit à ses conclusions tendant à obtenir la condamnation du prévenu au paiement de la somme de 1 095 714,23 F, montant des sommes escroquées ou détournées et de celle de 200 000 F à titre de dommages-intérêts ;

Qu'elle fait valoir au soutien de ces demandes :

  • que la cession d'actions n'est devenue parfaite qu'après le paiement intégral du prix qui serait intervenu le 30 juillet 1983 et que la non-inscription du transfert sur les registres de la Société Mint State n'est due qu'au seul fait de R. qui n'a jamais présenté au sieur G., qui avait été constitué dépositaire des actions nominatives, la quittance qui en établissait le règlement ;

  • que, par ailleurs, R. avait vidé la société de sa substance patrimoniale dès avant le 30 juillet 1983 en procédant, le 21 janvier 1983, à la vente au sieur W. du fonds de commerce qui en aurait représenté le principal actif sans en informer l'assemblée générale tenue le 16 mai 1983 et en conservant les fonds par-devers lui ;

  • qu'enfin, R. ne pouvant ignorer en juillet 1983 les difficultés de la société qui allait être déclarée en état de cessation des paiements à dater du 1er décembre 1983, le caractère chimérique de l'entreprise existait bien à la date de la cession réalisée le 30 juillet 1983, éléments qui caractériseraient selon elle le délit d'escroquerie ;

Considérant que le Ministère public observe qu'il n'est pas établi que R. ait eu connaissance du jugement du 16 décembre 1986 prononcé par défaut à son égard et qu'il se trouve déchu du droit d'y faire opposition ; que, dès lors, il ne saurait être statué sur les appels relevés en ce qu'ils visent les condamnations prononcées du chef d'abus de confiance ; qu'il requiert en revanche, en l'état de la relaxe intervenue pour le délit d'escroquerie, qu'il soit fait application de la loi au prévenu ;

Sur ce,

Sur l'abus de confiance

Considérant que le jugement de défaut du 16 décembre 1986 a été signifié, le 14 janvier 1987, au Parquet général, de même que la citation à comparaître devant la Cour notifiée le 8 janvier 1987 et qu'il ne résulte pas des pièces de la procédure que R. en ait eu connaissance ;

Considérant qu'aux termes de l'article 382, alinéa 2, du Code de procédure pénale, la voie de l'opposition demeure ouverte à R. et que l'exercice de ce recours est de nature à rendre sans objet les appels interjetés ;

Qu'il suit qu'il doit être sursis à statuer sur ces appels jusqu'à l'expiration du délai d'opposition réservé par la loi au prévenu ;

Sur l'escroquerie

Considérant que du fait de la décision de relaxe intervenue de ce chef, R. ne pourrait, faute d'intérêt, être admis à former opposition au jugement déféré ;

Qu'il doit, en conséquence, être statué sur les appels relevés de ce chef ;

Considérant que l'escroquerie est une infraction instantanée qui est consommée par une remise obtenue au moyen de manœuvres frauduleuses et qu'en l'espèce c'est à la date de la dernière remise opérée par la partie civile, soit le 1er février 1983, que l'existence du délit devait être caractérisée ;

Considérant que les premiers juges, au terme d'une analyse circonstanciée des faits résultant tant du réquisitoire définitif que des conclusions de la partie civile dont ils étaient saisis et en des motifs pertinents que la Cour adopte et fait siens, ont à juste titre estimé que la qualité d'actionnaire envisagée par la dame C. comme découlant de la cession consentie à son profit n'était nullement impossible au moment de cette cession indépendamment du fait que la transcription du transfert des actions nominatives dans les registres sociaux ait pu ne pas être effectuée, ce qu'il était au surplus loisible à ladite dame de requérir en vertu de l'article 6, alinéa 3, des statuts de la société au moins lorsqu'elle a été mise en possession du certificat autorisant ce transfert ;

Qu'il doit, en effet, être relevé à cet égard qu'il est constant que R. était titulaire, à la date du 4 novembre 1982, de 4 548 actions de la Société Mint State, actions dont il était, au demeurant, toujours détenteur lorsqu'est intervenu le jugement du 23 février 1984 ayant constaté la cessation des paiements de la société ;

Considérant par ailleurs qu'il ne résulte pas de l'information que, comme le soutient la partie civile, pour la première fois devant la juridiction d'appel, la vente par R. ès qualités d'un des fonds de commerce appartenant à la Société Mint State, le 21 janvier 1983 - dont il doit être observé qu'elle a fait l'objet de la publicité légale - a effectivement eu pour effet de vider la société de sa substance patrimoniale ou est intervenue dans des conditions frauduleuses de nature à entraîner une minoration de la valeur des actions ;

Qu'il y a lieu, en conséquence, de confirmer la décision de relaxe intervenue de ce chef et de déclarer irrecevables les demandes de la partie civile fondées sur cette infraction ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco, jugeant correctionnellement,

Statuant par défaut à l'égard de R. R.,

Sursoit à statuer sur les appels relevés en ce qu'ils visent les condamnations prononcées du chef du délit d'abus de confiance jusqu'à l'expiration du délai d'opposition dont dispose R. aux termes de la loi ;

Confirme le jugement du tribunal en ce qu'il a relaxé ledit R. du délit d'escroquerie ;

Déclare irrecevables de ce chef les demandes de la partie civile ;

Composition🔗

MM. Huertas, prem. prés. ; Truchi, prem. subst. ; MMe Blot, av. déf. ; Bandoux, av. (Barreau de Nice).

Note🔗

Un pourvoi en révision formé contre cet arrêt a été déclaré irrecevable par arrêt de la Cour de révision du 22 octobre 1987.

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