Cour d'appel, 19 décembre 1986, Affaire Société Loews Hôtel Monaco c/ S.A.C.E.M.- S.O.G.E.D.A.

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Abstract🔗

Droits d'auteurs et de compositeurs

Revendication par la S.A.C.E.M. - Droit d'auteur

Résumé🔗

La S.A.C.E.M. est fondée à réclamer au nom des auteurs et compositeurs une redevance à l'occasion de l'exécution par des musiciens ou de la diffusion d'interprétations enregistrées sur bandes magnétiques d'œuvres musicales dans des établissements de la Principauté ouverts au public, sur la base de la loi n° 491 du 24 novembre 1948 sur la propriété littéraire et artistique à laquelle renvoie la Convention de Berne (version Bruxelles du 26 juin 1948).

Les ordonnances n° 3778 et 3779 du 27 novembre 1948 étant seulement applicables en matière de radiodiffusion, télévision, radiodistribution et non point au cas de l'espèce, ce qui justifie la mise hors de cause de la société S.O.G.E.D.A., il s'ensuit qu'à défaut de réglementation existant quant à la rémunération des auteurs, compositeurs et d'accord amiable, il appartient à la juridiction de fixer cette redevance en fonction des usages.


Motifs🔗

La Cour,

Considérant qu'il ressort des éléments de la cause la relation suivante des faits et de la procédure :

La Société des Auteurs, Compositeurs et Éditeurs de Musique S.A.C.E.M., Société civile de droit français dont les membres par leur adhésion à ces statuts lui apportent à titre exclusif et pour tous pays le droit d'autoriser ou d'interdire la représentation publique et la reproduction mécanique de leurs œuvres et qui a pour finalité notamment d'assurer la perception et la répartition des redevances provenant de l'exercice desdits droits, d'exercer une action de prévoyance, de solidarité et d'entraide dans le cadre d'œuvres sociales et de défendre les intérêts matériels et moraux de ses membres ainsi que de leurs ayants droit en vie dans la limite de l'objet social, a le 27 décembre 1979, sur le fondement des articles 6, 26 et 29 de la loi n° 491 du 24 novembre 1948 sur la protection des œuvres littéraires et artistiques, assigné la S.A.M. Loews Hôtel aux fins de s'entendre :

  • Constater que depuis le 28 mars 1976, cette société diffuse sans autorisation préalable des œuvres figurant au répertoire de la S.A.C.E.M., dans les établissements dénommés Galerie Marchande et Restaurant Café Jardin et qu'elle agit de même depuis le 1er septembre 1977 dans les établissements dénommés Cabaret Folies Russes, Discothèque Marlowes-Edwards, Restaurant l'Argentin, Bar Lobby Lounge ce qui lui cause un préjudice ;

  • Condamner à lui payer en réparation de ce préjudice la somme de 646 158,86 francs ultérieurement portée par conclusions à 1 079 494,19 francs, sous réserve de réclamer, ce dont elle demande de lui donner acte, toutes autres p1sommes dues après production de bordereaux de recettes, et ce avec intérêts au taux légal rétroactivement à compter de la date d'exigibilité des redevances ;

  • Condamner à lui fournir les bordereaux de recettes concernant les établissements Cabaret Folies Russes et Discothèque Marlowes-Edwards pour les périodes dues et ce sous astreinte définitive de 200 francs par jour de retard ;

  • Condamner à lui payer une somme de 50 000 francs portée à 200 000 francs dans ses conclusions ultérieures à titre de dommages-intérêts ;

  • Donner acte de ce qu'elle se réserve, d'une part le droit de réclamer le paiement de toutes redevances, pénalités ou tous dommages-intérêts qui pourraient lui être dus en l'état de la diffusion d'œuvres figurant à son répertoire dans d'autres établissements appartenant à la société Loews, d'autre part, le droit de réclamer paiement de dommages-intérêts correspondant au préjudice qu'elle subirait du fait que la société Loews continuerait au-delà des périodes visées dans la présente assignation à faire usage d'œuvres de son répertoire ;

  • Dire et juger qu'elle devra cesser d'utiliser les œuvres au répertoire de la S.A.C.E.M. et ce à compter du prononcé du jugement à intervenir sous astreinte définitive de 2 000 francs par jour pendant 3 mois après quoi il devra être à nouveau statué ;

  • Ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir vu le péril en la demeure ;

  • Condamner aux dépens avec distraction au profit de son avocat-défenseur ;

La société Loews ayant soulevé l'irrecevabilité de cette demande en invoquant le défaut de qualité de la S.A.C.E.M. pour ester en Principauté de Monaco et l'adage « nul ne plaide par procureur », le tribunal a par jugement du 18 décembre 1981, confirmé par arrêt de la Cour d'appel du 8 juillet 1983, rejeté ces moyens et débouté la société Loews de sa demande reconventionnelle ;

Par arrêt du 22 octobre 1984, la Cour de révision a rejeté le pourvoi formé par la société Loews à rencontre de l'arrêt du 8 juillet 1983 ;

L'instance s'étant poursuivie au fond, la S.A.C.E.M. par conclusions du 12 janvier 1984 a sollicité par application de la loi n° 491 du 24 novembre 1948 susvisée et sous réserve de toute action devant la juridiction répressive, la condamnation de la société Loews :

  • au paiement d'une somme de 2 227 689 francs à titre de provision à valoir sur le montant des droits, calculée selon un détail précisé dans ses écritures,

  • à la remise sous astreinte de 2 000 francs par jour de retard des bordereaux de recettes concernant les sept établissements dans lesquels sont diffusées ses œuvres,

  • au paiement du solde des droits dus, lesquels seront calculés après production des bordereaux de recettes, avec intérêts à compter de leurs dates respectives d'exigibilité, le calcul des intérêts étant différé jusqu'à la production des bordereaux,

  • au paiement de la somme de 300 000 francs à titre de dommages-intérêts le tout sous bénéfice de l'exécution provisoire ;

La société Loews a le 20 septembre 1984 assigné la S.A.M. S.O.G.E.D.A. et la S.A.C.E.M. aux fins de s'entendre dire et juger que la S.O.G.E.D.A. devra intervenir dans l'instance introduite par la S.A.C.E.M. suivant assignation du 27 décembre 1979, et qu'elle devra prendre fait et cause pour la Société Loews et toutes conclusions utiles par référence aux dispositions d'ordre public de la loi n° 491 du 24 novembre 1948 et des ordonnances d'application notamment l'ordonnance n° 3779 du 27 novembre 1948 modifiée par celle n° 81 du 29 septembre 1949 ; de s'entendre en outre donner acte de ce que par application de l'article 1800 du Code civil, la société Loews offre de consigner une somme de 300 000 francs à valoir sur le montant des droits d'auteur et à parfaire selon les présomptions de l'article 5 de l'ordonnance n° 3779 susvisée ; d'ordonner la jonction des deux instances ;

La S.A.C.E.M. a fait valoir qu'elle avait versé aux débats des pièces établissant que la société Loews diffusait le répertoire de la S.A.C.E.M. ou des sociétés étrangères liées avec elle par convention de réciprocité ; que la S.O.G.E.D.A. avait elle-même indiqué qu'elle n'était pas habilitée par les auteurs à représenter leurs intérêts, que l'article 5 de l'ordonnance n° 3779 était inopérant, cette ordonnance n'étant pas applicable en l'espèce ;

Ajoutant à sa demande en paiement de dommages-intérêts calculés à partir de droits évalués initialement jusqu'au 31 décembre 1983, la S.A.C.E.M. a réclamé à la société Loews un paiement complémentaire de 882 103,90 francs somme provisoirement évaluée du 1er janvier 1984 au 31 mai 1985, ce qui portait le montant total de la somme réclamée à titre provisionnel à 3 109 792,90 francs ;

Sollicitant le bénéfice de l'exécution provisoire, elle a demandé en outre une provision de 1 000 000 francs à valoir sur les intérêts dus ;

Elle a maintenu sa demande tendant à la production des bordereaux de recettes et sollicité en outre la production de bordereaux de programmes, sous astreinte non comminatoire de 2 000 francs par jour de retard, à compter du jugement à intervenir ;

Elle a demandé également que les sommes dues portent intérêts à compter de leurs dates d'exigibilité et ce au besoin à titre de dommages-intérêts complémentaires ;

Enfin, majorant sa demande en dommages-intérêts, elle a réclamé à la société Loews 500 000 francs pour résistance abusive et vexatoire et en réparation du préjudice de trésorerie subi par les auteurs ;

Dans ses conclusions du 24 mai 1985, la société Loews a demandé de dire et juger que la S.A.C.E.M. ne peut transposer dans la Principauté le barème qu'elle applique en France, en vertu de textes français et qu'en conséquence la demande de la S.A.C.E.M. est irrecevable en l'état sauf à surseoir à statuer jusqu'à ce que la Commission spéciale prévue à l'article 5 de l'Ordonnance souveraine n° 3779 du 27 novembre 1948 ait fixé le tarif en application duquel devront être calculés les droits d'auteurs et dont le montant sera au besoin déterminé par expertise ;

Elle a soutenu que la S.A.C.E.M. n'avait fourni aucun relevé précis des droits d'auteurs qu'elle réclamait ;

Dans ses écritures du 20 juin 1985 elle a conclu aux fins de dire et juger qu'il appartient à la S.A.C.E.M. de rapporter la preuve, au besoin par voie d'expertise, de l'importance des œuvres de son répertoire qui seraient diffusées par la Société Loews ; de dire et juger que la S.A.C.E.M. ne peut introduire dans la Principauté le tarif qu'elle applique en France, pour, au contraire, suivre la procédure édictée par l'article 5 de l'ordonnance 3779 susvisée dont l'application ne saurait être limitée à la seule exploitation des œuvres par radiodiffusion dans la mesure où l'article 13 de la même ordonnance donne compétence générale et exclusive à la S.O.G.E.D.A., dans la limite des mandats qu'elle a reçus, pour gérer et administrer les droits d'auteurs à Monaco ; de donner acte à la société Loews de ce qu'elle offre de séquestrer de ce chef, sauf meilleure appréciation du Tribunal une somme de 300 000 francs à valoir sur le montant des droits d'auteur ;

Répondant à la société S.O.G.E.D.A., la société Loews fait remarquer que l'intervention forcée de la société S.O.G.E.D.A ne retarde pas l'action principale dès lors que le tribunal peut ordonner la jonction des deux procédures ; que la société S.O.G.E.D.A. avait qualité en vertu de l'article 13 de l'ordonnance souveraine n° 3779 pour gérer et administrer dans la limite des mandats reçus tous autres droits accordés aux auteurs par la loi n° 491 du 24 novembre 1948 ; que la question se posait de savoir qu'elle pouvait être la limite des mandats qu'elle aurait pu recevoir de certains d'entre eux, dans la mesure où en matière de radiodiffusion, un accord a dû être passé avec la S.A.C.E.M. pour que cette dernière soit autorisée à percevoir en ce domaine les droits d'auteur dans la Principauté ;

La société Loews demandait à cet égard qu'il lui soit donné acte à telles fins que de droit, que la société S.O.G.E.D.A. estimait être sans qualité pour intervenir dans l'instance principale et qu'il soit dit et jugé que cette intervention forcée était utile aux débats ;

La société S.O.G.E.D.A. a, dans ses conclusions du 28 mars 1985 soulevé l'irrecevabilité de l'action dirigée contre elle tant en application de l'article 388 du Code de procédure civile qu'en raison de l'autorité de la chose jugée s'attachant à l'arrêt de la Cour d'appel du 8 juillet 1983 ; elle a prétendu par ailleurs, être étrangère à la cause en rappelant qu'ayant été créée en application des dispositions de l'article 3 de l'Ordonnance souveraine n° 3779 du 27 novembre 1948 concernant l'exploitation des droits d'auteur de radiodiffusion le domaine de ses activités était strictement limité à la perception des redevances dues pour l'exploitation par la radiodiffusion des œuvres des auteurs de musique ;

Par jugement du 26 juillet 1985, le Tribunal de première instance a ordonné la jonction des instances introduites par assignations du 27 décembre 1979 et du 20 septembre 1984 ; a rejeté le moyen d'irrecevabilité soulevé par la société S.O.G.E.D.A. ; a dit et jugé que cette société n'ayant reçu aucun mandat au sens de l'article 13 de l'Ordonnance souveraine n° 3779 du 27 novembre 1945, ce texte était inapplicable en la cause ; a dit et jugé que la demande en intervention forcée dirigée à rencontre de la société S.O.G.E.D.A. était injustifiée et qu'il y avait lieu de mettre hors de cause cette société sans dépens ;

Il était énoncé dans cette décision notamment que l'ordonnance n° 3779 était inapplicable en la cause du fait qu'en dehors du droit exclusif conféré à la société S.O.G.E.D.A. en matière de radiodiffusion, cette société n'avait reçu aucun mandat de la part d'auteurs pour que puisse lui être fait application de l'article 13 de ladite ordonnance ; que la société S.A.C.E.M. était juridiquement fondée à fixer librement le montant des droits à l'égard de son cocontractant, la circonstance que le mode de calcul tienne compte des données prévues par la loi française n'étant pas en soi contraire à l'ordre public monégasque ;

Par exploit d'huissier du 12 septembre 1985, la société Loews a relevé appel de ce jugement et assigné la S.A.C.E.M. et la S.O.G.E.D.A. devant la Cour d'appel aux fins de dire et juger que la S.A.C.E.M. ne saurait extrapoler en Principauté de Monaco le tarif qu'elle a édicté en France, par référence à la loi française du 11 mars 1957 pour s'en tenir strictement aux dispositions d'ordre public de l'Ordonnance souveraine n° 3779 telle que modifiée par l'ordonnance n° 81 du 29 septembre 1949 qui a assigné à la S.O.G.E.D.A. une compétence générale pour la perception des droits d'auteur selon des modalités propres à la Principauté de Monaco ; d'entendre dire et juger utile et nécessaire aux débats, voire même à l'expertise la société S.O.G.E.D.A. ; d'entendre constater que les parties se trouvent placées dans la situation prévue par l'article 5 de l'ordonnance n° 3779 telle que modifiée, et par voie de conséquence les renvoyer à suivre la procédure édictée en pareil cas afin que soit fixé le tarif pour le calcul des droits d'auteur en Principauté ; d'entendre décharger la société Loews du paiement de l'indemnité provisionnelle de 2 millions de francs, sauf à instituer un séquestre par application de l'article 1800 du Code civil, entre les mains duquel la société Loews offre, sauf meilleure appréciation du juge, de consigner une somme de 300 000 francs ; d'entendre instituer au contradictoire de la S.O.G.E.D.A. une expertise à l'effet de fixer l'étendue des mandats dont la S.A.C.E.M. pourrait éventuellement se prévaloir, et par là-même les œuvres pour lesquelles elle serait éventuellement fondée à percevoir un droit d'auteur ; de condamner les intimées aux entiers dépens tant de première instance que d'appel, distraits au profit de son avocat-défenseur ;

La société Loews a précisé que la présence de la société S.O.G.E.D.A. était utile au débat aux fins que celle-ci prenne position sur l'existence ou non de mandats reçus ; que les rapports entre la société Loews et la S.A.C.E.M. ont cessé d'être contractuels depuis 1977 ; que la contestation a pour origine la non adhésion de la société Loews au mode de calcul proposé tel qu'il existe dans les dispositions législatives françaises, ce qui est contraire à l'ordre public monégasque et explique qu'en matière de radiodiffusion un accord intergouvernemental avait dû intervenir préalablement ; qu'à défaut d'accord amiable et dans le cas de circonstances exceptionnelles dont relèvent indiscutablement les faits de la cause, la société S.A.C.E.M. est tenue de suivre la procédure édictée par l'article 5 de l'ordonnance n° 3779 modifiée par l'ordonnance n° 81 du 29 septembre 1949 ; que cette ordonnance ainsi modifiée a par là même unifié les dispositions législatives prises quant au calcul de ces droits, lesquels, originairement n'avaient été définis que pour ceux perçus en matière de radiodiffusion ; qu'il appartenait à la Cour de statuer par une interprétation souveraine de ladite ordonnance ; que la détermination de la loi applicable conduit à retenir les principes généraux du droit qui donnent compétence exclusive à la loi du pays où la protection est réclamée dans la mesure où les dispositions d'ordre public édictées par la loi sur la protection des auteurs et compositeurs font échec au principe d'autonomie de la volonté ce qui implique que le contrat soit soumis impérativement à la loi monégasque qui a fixé une procédure pour le calcul des droits d'auteur en application de l'article 5 de l'ordonnance n° 3779 ce qui exclut l'application d'un tarif établi par référence à la loi française ; que le maintien en la cause de la société S.O.G.E.D.A. s'impose s'agissant d'une société étatique afin que celle-ci s'explique au moins sur les conditions dans lesquelles elle fixerait le montant de la redevance, dans la mesure où elle aurait reçu ou bien recevrait mandat des auteurs et compositeurs ; qu'aucun élément contractuel ne liant les parties, le tarif avancé par la S.A.C.E.M. ne saurait être retenu en considération du fait qu'il y a discussion sur le calcul de la redevance, alors qu'une expertise a été instituée pour fixer l'étendue des droits revendiqués par la S.A.C.E.M. ;

Dans ses conclusions du 25 février 1986, la société Loews a développé les moyens ci-dessus énoncés et répondu aux moyens invoqués par la S.A.C.E.M. et la S.O.G.E.D.A. ;

Elle a soutenu qu'il devait être fait application aux circonstances de la cause de la loi n° 491 du 24 novembre 1948 des ordonnances n° 3778, 3779 du 27 novembre 1948 et n° 81 du 29 septembre 1949 ;

Elle a observé que la société S.O.G.E.D.A. contrairement à son interprétation erronée a reçu un mandat général de la part du législateur et non pas une mission ponctuelle limitée à la perception des droits d'auteur en matière de radiodiffusion ; que l'ordre public monégasque étant concerné lorsqu'il s'agit de percevoir des droits d'auteurs en Principauté, il convient d'appliquer la lex fori ; que tant que le procès n'a eu pour objet que de faire trancher la question de la recevabilité en Principauté de la demande de la S.A.C.E.M. ; il est d'évidence que l'intervention de la S.O.G.E.D.A. n'apparaissait pas utile aux débats, puisqu'à la limite, la société d'auteurs française aurait pu également en ce qui la concerne, y attraire son homologue de droit monégasque à telles fins que de droit ; que toutefois, la situation s'est trouvée complètement inversée lorsqu'il s'est agi de déterminer dans quelles conditions et sur quelles bases la société de droit français pourrait formuler sa réclamation dans un état étranger à celui où elle a mission d'agir ; que l'article 13 n'a pas eu pour finalité d'édicter que l'intervention d'une société d'auteurs étrangère, qui pourrait exciper d'un mandat qu'elle aurait reçu directement des auteurs et compositeurs ou d'une société homologue, ne serait pas pour autant tenue de ne délivrer les autorisations et percevoir la redevance qu'en s'adressant à la société d'auteurs monégasque dite S.O.G.E.D.A. avec laquelle elle devrait alors passer une convention, comme cela avait d'ailleurs été le cas en matière de radiodiffusion ; que, contrairement à l'interprétation que donne la S.A.C.E.M. de l'ordonnance n° 3779 par l'ordonnance n° 81 du 29 septembre 1949, le législateur a habilité la S.O.G.E.D.A. à percevoir, à l'exclusion de toute autre société d'auteurs les droits en Principauté de Monaco ; que cette société a qualité pour gérer et administrer dans la limite des mandats qu'elle reçoit tous droits accordés aux auteurs, ce qui ne signifie pas qu'elle ne puisse intervenir que si elle a reçu un mandat ; qu'il appartient à la S.A.C.E.M. de rapporter la preuve que les contrats de représentation dont elle excipe sont toujours en vigueur ; que le tarif appliqué par la S.A.C.E.M. se fonde sur les dispositions de la loi française du 11 mars 1957 dont l'article 35 édicte au profit de l'auteur : « la participation proportionnée aux recettes provenant de la vente ou de l'exploitation » et prévoit en certains cas une évaluation forfaitaire alors que la loi monégasque n° 491 ne comporte aucune disposition identique, ce qui implique bien que la redevance doit être calculée selon les modalités fixées par l'ordonnance n° 3779 c'est-à-dire par une discussion de gré à gré, sans imposition d'un barème préalablement établi ;

Par conclusions du 15 octobre 1985 la S.A.C.E.M. a conclu à la confirmation du jugement entrepris et a formé un appel incident tendant à obtenir une indemnité provisionnelle de 3 500 000 francs en attendant de connaître les sommes réellement dues par la société Loews outre une provision de 1 000 000 francs à valoir sur les intérêts et l'octroi d'une somme de 500 000 francs de dommages-intérêts en réparation des préjudices matériel et moral subis ;

La S.A.C.E.M. fait valoir que l'ordonnance n° 3779 concerne exclusivement l'exploitation des droits d'auteurs en radiodiffusion et que la société Loews ne peut tirer argument de l'article 13 dès lors que la société S.O.G.E.D.A. affirme qu'elle n'a jamais reçu de mandat ; qu'il ne peut être fait application de l'article 5 de l'ordonnance n° 3779 dès lors que c'est l'auteur qui fixe librement les conditions auxquelles son œuvre peut être représentée ou divulguée ; qu'elle se prévaut bien de l'application d'une loi monégasque savoir la loi n° 491 ;

Dans ses conclusions du 17 décembre 1985 la société S.O.G.E.D.A. a conclu à la confirmation du jugement entrepris en observant qu'elle n'a reçu aucun mandat des auteurs et compositeurs dont les œuvres musicales sont diffusées dans les établissements du Loews pour gérer leurs droits moraux ou patrimoniaux ; que c'est à bon droit qu'il a été décidé que l'article 13 de l'ordonnance n° 3779 du 27 novembre 1948 modifié par l'ordonnance n° 81 du 29 septembre 1949 était inapplicable au cas de l'espèce ; que le barème monégasque ne s'applique et ne peut s'appliquer qu'à la gestion des droits d'auteurs et compositeurs conférée par la loi ou la convention des parties à la S.O.G.E.D.A. ce qui n'est pas le cas en l'espèce, l'ordre public monégasque n'étant pas en cause ; que la S.O.G.E.D.A n'est pas concernée par les rapports juridiques qui lient la S.A.C.E.M. et la société Loews ; que la société Loews n'a pas à lui dicter sa conduite ; que la société Loews fait état d'une argumentation contradictoire en soutenant à la fois que la société S.O.G.E.D.A. est la seule à pouvoir réclamer le paiement des redevances et que celle-ci doit prendre fait et cause pour elle ;

Après que l'affaire ait été plaidée le 29 avril 1986, la Cour a estimé devoir réouvrir les débats en invitant les parties à conclure :

a) - sur la portée de l'article 1er de l'ordonnance n° 3778 du 27 novembre 1948 et notamment des termes : « la communication publique de ces œuvres par tout moyen servant à diffuser sans fil les signes, les sons ou les images »,

b) - sur la position de la société S.O.G.E.D.A. eu égard à l'article 3 de l'ordonnance n° 3779 modifiée par l'ordonnance n° 81 du 29 septembre 1949,

c) - sur l'application de l'article 5 de l'ordonnance n° 3779 modifiée ;

La société Loews dans ses conclusions du 18 novembre 1986 a sollicité le bénéfice intégral de son exploit d'appel et assignation du 12 septembre 1985 ainsi que de ses écritures de première instance et d'appel en soutenant que l'article 1er de l'ordonnance n° 3778 auquel fait référence l'article 1er de l'ordonnance n° 3779 s'appliquait à la diffusion en public d'œuvres musicales que ce soit par la voie de la radiodiffusion ou par tous autres moyens d'expression, ce qui implique par voie de conséquence que les dispositions des articles 3 et 5, prévoyant l'intervention d'une société monégasque pour percevoir les redevances et l'existence d'un arbitrage pour fixer ces dernières, ne sauraient être limitées pour le calcul desdites redevances au seul cas de la radiodiffusion ;

La S.A.C.E.M. dans ses conclusions du 10 juin 1986 a fait valoir que les termes « la communication publique par tous moyens... » désignaient à l'évidence la radiodiffusion ainsi que la télévision ; que la procédure spéciale prévue par les articles 3 et 5 de l'ordonnance n° 3779 est spécifique à la radiodiffusion, cette procédure prévue par la Convention de Berne et l'acte de Paris signés par la Principauté de Monaco, ayant été incluse dans la législation monégasque ;

La S.A.M.-S.O.G.E.D.A. dans ses conclusions du 7 octobre 1986 a fait observer que les ordonnances n° 3778 et 3779 concernaient exclusivement l'exploitation des droits d'auteur en radiodiffusion de telle sorte que l'article 5 de cette dernière ordonnance était inapplicable au cas d'espèce, la S.O.G.E.D.A. au demeurant n'ayant reçu aucun mandat qui lui aurait permis d'agir en vertu de l'article 13 de l'ordonnance n° 3779 ;

Au su de ces nouvelles écritures, l'affaire a été à nouveau plaidée à l'audience du 25 novembre 1986 ;

Le 16 décembre 1986, en cours de délibéré, la société Loews et la S.A.C.E.M. ont fait parvenir à leur contradictoire une note par laquelle elles maintenaient leur position antérieure tout en admettant l'application aux faits de la cause de la loi n° 491 ;

Sur ce,

Considérant qu'il n'est point contesté que les droits d'auteurs, de compositeurs et d'éditeurs invoqués par la S.A.C.E.M. portent à la fois sur l'exécution par des musiciens et sur la diffusion d'interprétations enregistrées sur bandes magnétiques d'œuvres musicales dans des établissements dépendant de la société Loews ouverts au public (bar The Lobby Lounge, Galerie Marlowes-Edwards, Cabaret des Folies Russes, Restaurant l'Argentin...) ;

Considérant que l'arrêt confirmatif du 8 juillet 1983 de la cour d'appel devenu irrévocable, intervenu dans l'instance originaire entre la S.A.C.E.M. et le Loews Hotel, ce dernier ayant soulevé l'irrecevabilité de l'action de celle-ci, a déclaré recevable l'action de la S.A.C.E.M. ;

Considérant que l'article 34 de la loi n° 491 du 24 novembre 1948 sur la propriété littéraire et artistique dispose que cette loi n'est pas applicable :

1° aux œuvres publiées ou non et ayant pour auteur ou coauteur un ressortissant monégasque,

2° aux œuvres publiées pour la première fois à Monaco, quelle que soit la nationalité de leur auteur,

que l'alinéa 5 de l'article 34 précise que les œuvres qui ne sont pas comprises dans les catégories ci-dessus bénéficient de la protection qui leur est accordée par les conventions internationales ;

Considérant que l'article 5 alinéa 2 de la Convention de Berne version de Bruxelles (26 juin 1948) à laquelle a adhéré la Principauté de Monaco édicte : « la jouissance et l'exercice de ces droits (d'auteurs) ne sont subordonnés à aucune finalité ; cette jouissance et cet exercice sont indépendants de l'existence de la protection dans le pays d'origine de l'œuvre ; par suite, en dehors des stipulations de la présente convention, l'étendue de la protection ainsi que les moyens de recours garantis à l'auteur pour sauvegarder ses droits, se règlent exclusivement d'après la législation du pays ou la protection est réclamée » ; que cette disposition renvoyant à la loi nationale, il s'en suit qu'en tout état de cause la loi n° 491 se trouve applicable aux faits de la cause ce que ne contestent pas les parties ;

Considérant que les dispositions suivantes de l'article 1 de l'ordonnance n° 3778 du 27 novembre 1948 portant application à la radiodiffusion des dispositions de la loi sur la protection des œuvres littéraires et artistiques : « les auteurs d'œuvres littéraires et artistiques jouissent du droit exclusif d'autoriser : 1° la radiodiffusion de leurs œuvres ou la communication publique de ces œuvres par tout autre moyen servant à diffuser sans fil, les signes, les sons ou les images » de même que les paragraphes 2 et 3 dudit article 1 sont la reproduction d'une partie de l'article 11 bis de la Convention de Berne ;

Considérant qu'il ressort des travaux préparatoires de cette Convention (version Bruxelles) auxquels les négociateurs de la Principauté de Monaco ont participé activement, que ces textes concernaient la seule matière de la radiodiffusion - télévision et autres techniques voisines (radiodistribution) - ; que la formule communication par tout autre moyen servant à diffuser les signes, les sons et les images a été retenue aux fins de couvrir la télévision ; que ces dispositions ne visaient nullement l'exploitation des droits d'auteur en matière purement commerciale et lucrative ; que, dans ces conditions, les ordonnances n° 3778 et 3779 du 27 novembre 1948 ne peuvent être applicables qu'en matière de radiotélévision sauf la dérogation prévue par l'article 13 de l'ordonnance n° 3779, et non point en la cause, dès lors qu'il est constant que la société S.O.G.E.D.A., société monégasque habilitée essentiellement pour effectuer les perceptions des redevances en matière de radiotélévision n'a pas été mandatée pour agir en dehors de ce domaine, ce que la Cour avait déjà jugé dans son arrêt du 8 juillet 1983 ;

Considérant qu'il en résulte que la société S.O.G.E.D.A. doit être mise hors de cause ;

Considérant que le droit patrimonial des auteurs, compositeurs, éditeurs à une redevance n'est point contesté, quant au principe, par la société Loews laquelle en discute seulement les modalités d'établissement ;

Considérant que la S.A.C.E.M. qui a qualité pour agir ainsi qu'en a décidé la Cour de révision par son arrêt du 22 octobre 1984 se trouve fondée à réclamer des redevances au nom des auteurs, compositeurs, éditeurs, ce qui dans le cas contraire reviendrait à consacrer un enrichissement sans cause au bénéfice de la société Loews ;

Considérant qu'aucune des parties ne fait état de l'existence en Principauté de Monaco d'une réglementation concernant la rémunération des auteurs, compositeurs, éditeurs ;

Considérant que les modalités d'établissement de la rémunération à défaut de réglementation et d'accord amiable doivent être fixées par l'autorité judiciaire laquelle ne doit pas être tenue en raison du principe de territorialité d'appliquer un tarif établi par des textes étrangers ;

Considérant qu'il apparaît en conséquence, opportun de confirmer la mesure d'expertise ordonnée par les premiers juges en émendant le 3e articulat ainsi qu'il sera dit au présent dispositif compte tenu des énonciations susvisées ;

Considérant en ce qui concerne la demande de provision formée par la S.A.C.E.M., que la créance n'est pas contestée en son principe ; que, dans ces conditions, il y a lieu d'accorder à la S.A.C.E.M., dès à présent, eu égard à l'urgence et au caractère alimentaire de la créance, une provision d'un montant de 2 millions de francs ainsi que l'ont déterminée avec sagesse les premiers juges ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco,

Déclare recevable l'appel interjeté par la société Loews à l'encontre du jugement du 26 juillet 1986 ;

Met hors de cause la société S.O.G.E.D.A. ;

Confirme la mesure d'expertise ordonnée en maintenant les deux premiers articulats de la mission mais en la complémentant et en émendant le troisième articulat de la mission comme il suit :

  • de fournir à la Cour d'appel les éléments d'appréciation qui lui permettront ultérieurement de déterminer le montant des rémunérations dues aux auteurs, compositeurs, éditeurs, en tenant compte des barèmes et méthode de calcul en usage dans les établissements similaires de la Principauté de Monaco ; de concilier si faire se peut les parties quant au montant de la redevance ;

Confirme le montant de la provision fixée par les premiers juges ;

Composition🔗

M.M. Vialatte, prem. prés. ; Serdet, subst. proc. gén. ; MMe Léandri, M. Marquet et Sanita, av. déf., Charles, av.

Note🔗

Le pourvoi formé le 14 février 1987 contre cette décision a été rejeté par arrêt de la Cour de Révision du 4 Octobre 1987.

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