Cour d'appel, 9 décembre 1986, S.A.M. Banque de Placements et de Crédit c/ S.A.M. R. et S.C.I. Gisèle.

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Abstract🔗

Promoteur - Banque

Banque - Copromoteur de fait - Immixtion - Responsabilité - Mission de service d'intérêt commun - Obligation de prudence et de diligence vis-à-vis des tiers

Résumé🔗

Une banque se comporte en fait, dans une opération immobilière, comme un copromoteur, par sa participation prépondérante à la formation et au fonctionnement d'une société civile immobilière non seulement en lui fournissant les fonds nécessaires à la mise en œuvre d'un projet immobilier, ce qui ne caractériserait qu'un rôle de simple prêteur, mais bien davantage en s'immixant dans la gestion de cette société par des directives et dans la commercialisation de l'opération et de surcroît dans son aboutissement en devenant finalement copropriétaire de l'immeuble construit.

Au regard des stipulations contractuelles imposant à la banque de veiller à l'affectation des fonds destinés au constructeur, transparaît la mission de service d'intérêt commun que doit assumer le banquier dès lors que la construction à élever constitue certes son gage futur mais aussi la garantie de tous les créanciers de l'emprunteur parmi lesquels l'entreprise de construction.

Dès lors que la banque concourt à l'acte de vente de l'immeuble en cours de construction en consentant à un prêt à l'acquéreur tout en méconnaissant sciemment la créance de l'entrepreneur de construction à l'égard de la société immobilière venderesse, au détriment de celui-ci, elle commet par là un manquement à son obligation de prudence et de diligence envers les tiers.


Motifs🔗

La Cour,

Considérant qu'il ressort des éléments de la cause la relation suivante des faits et de la procédure :

Avant même que la S.C.I. Gisèle, ayant pour gérant statutaire C. L., se soit constituée le 12 juillet 1979 et ait acquis le 28 août 1979 les terrains de la S.C.I. Clémentine sur lesquels devait être édifié l'immeuble « Le Commodore », les futurs associés parmi eux : R. R. et quatre des associés de R. A.G. ont été réunis le 30 mars 1979 dans les bureaux de la Banque de Placements et de Crédit aux fins d'examiner les modalités de financement de cette construction ;

Cette banque manifestait alors son accord pour effectuer un financement à hauteur de 8 millions de francs (lettre du 29 avril 1981 adressée par la Banque de Placements et de Crédit à M. L. C. gérant statutaire) ;

Après la constitution de la S.C.I. Gisèle et l'acquisition le 28 août 1979 des terrains pour la construction du « Commodore » la S.C.I. Gisèle a conclu avec la S.A.M. R. un contrat d'entreprise intitulé marché à forfait en date du 7 février 1980 ne comportant aucun prix et se référant à un devis descriptif estimatif d'un montant de 4 844 200 francs du 6 décembre 1979 concernant les lots « terrassement - soutènement - gros-œuvre - maçonnerie - cloisons et étanchéité », ces deux documents étant signés par L. R., architecte, R. R. et R. R. ; les travaux qui en fait ont commencé le 1er décembre 1979 devaient être terminés en mai 1981 ;

Un avenant au marché de gros-œuvre en date du 27 mai 1981 fut signé le 23 juin 1981 par S. représentant la S.C.I. Gisèle, R. R. et L. R., architecte ; il concernait un total hors taxe de travaux supplémentaires s'élevant à 1 107 283,10 francs ;

La Banque de Placements et de Crédit a, par acte du 1er avril 1980, consenti à la S.C.I. Gisèle, pour la réalisation de ce programme immobilier, une ouverture de crédit s'élevant à 40 000 francs, d'une part, en devises d'un montant égal à la contrevaleur de 2 millions de francs français, d'autre part, en francs français d'un montant de 2 millions pour une durée venant à expiration le 31 mars 1982 date limite du remboursement de l'intégralité du prêt ;

Cet acte mentionnait l'objet de la S.C.I. Gisèle, tel qu'il avait été exposé par R. R. et précisait que pour la composition, la conduite et la réalisation de son programme, la S.C.I. Gisèle s'était assurée le concours de L. R., architecte, du bureau de contrôle Socotec et de l'Entreprise R., que les travaux déjà commencés le 1er décembre 1979 devraient être achevés en mai 1982, que le financement du programme s'élevant à 22 000 000 de francs serait comme suit : 6 700 000 francs correspondant aux apports effectués dès avant l'acte par les associés de la S.C.I. Gisèle, 4 000 000 de francs à provenir du concours de la banque, 11 300 000 francs à provenir de l'encaissement du produit des ventes ;

Il y était spécifié que conformément aux usages de la profession bancaire et sans que cette disposition puisse être considérée comme une stipulation pour autrui au sens de l'article 976 du Code civil, la banque entendait stipuler tant pour elle-même que pour tous partenaires du pool bancaire et tous bénéficiaires des créances qui pourront naître entre l'emprunteur au titre de l'acte ;

Que l'ouverture de crédit était destinée, à l'exclusion de tout autre objet, sauf accord préalable de la banque, à permettre à l'emprunteur d'assurer : le financement partiel des dépenses afférentes à la réalisation du programme immobilier et le financement de toute autre dépense connexe à la réalisation dudit programme ;

La société s'engageait à centraliser l'ensemble de ses mouvements financiers aux caisses de la banque ;

La banque se réservait un contrôle de l'emploi des fonds selon les dispositions suivantes :

« La Société (Gisèle) s'oblige à respecter l'objet en vue duquel la banque a accepté de consentir ses concours et, en conséquence s'interdit d'affecter à un but autre que celui indiqué ci-dessus, toute somme qu'elle pourrait détenir ou recevoir, à quelque titre que ce soit (capital, avances consenties par les actionnaires, fonds d'emprunts, produits des ventes, remboursement de T.V.A., etc.) ;

En conséquence de l'obligation ainsi faite à la société, le règlement de l'ensemble des dépenses du programme immobilier devra être assuré dans des conditions telles que la banque puisse exercer tout contrôle qui lui apparaîtrait opportun, sur l'affectation des fonds employés, qu'elle que soit la nature de ces derniers ;

Afin de permettre l'exercice de ce contrôle, la société s'engage à adresser à la banque, dès leur établissement, aux dates et dans les termes tant légaux que statutaires ou d'usage, les copies certifiées conformes de ses bilans annuels, comptes d'exploitation, comptes de pertes et profits et documents annexes, ainsi que les procès-verbaux de ses assemblées ordinaires et extraordinaires ;

Elle s'engage également à communiquer à la banque, les marchés passés avec les entreprises, ultérieurement aux présentes et dont celle-ci n'aurait pas eu connaissance ;

La société s'engage à fournir également à la banque, à première demande et sur la périodicité indiquée par celle-ci, tout renseignement détaillé sur la commercialisation des locaux, faisant l'objet des présentes ;

La banque aura également le droit d'exiger toutes les justifications qu'elle jugera à propos, relatives à l'emploi des fonds et au paiement des entrepreneurs ayant effectué les travaux sans préjudice des modes de réalisation des divers concours, objet des présentes ;

En tant que de besoin, il est précisé que les facultés ménagées, au profit de la banque, d'exercer les contrôles prévus ci-dessus, ne sauraient impliquer vis-à-vis des tiers, aucune responsabilité de la banque dans la gestion du programme immobilier, l'exercice de ces contrôles n'ayant été prévu que dans l'intérêt exclusif de la banque » ;

Il était indiqué que la banque aura le droit de faire effectuer, au besoin par des techniciens ou experts de son choix, tout contrôle et toute vérification tant sur le chantier qu'au siège de la société ;

L'acte d'ouverture imposait également à la société l'obligation d'aviser immédiatement la banque en cas d'interruption de chantier et confiait à la banque la faculté de faire continuer les travaux de construction aux frais, risques de la société, en employant les fonds déposés au compte de la société aux paiements desdits travaux - (Article 5-0) - de surcroît la banque devait donner son accord préalable à tout remboursement de fonds propres, à tout versement au profit des associés (5-30) ;

L'ouverture de crédit était garantie par une hypothèque conventionnelle au profit de la banque ;

Par avenant en date du 25 septembre 1980 l'ouverture de crédit en devises a été portée de la contrevaleur de 2 000 000 de francs à la contrevaleur de 4 021 500 francs français ;

Par un deuxième avenant en date du 29 juin 1981 l'ouverture de crédit en devises a été portée de la contrevaleur de 4 021 000 francs français à la contrevaleur de 8 021 500 francs français ;

Le montant global de l'ouverture de crédit en francs français (20 000 francs) et en devises (8 021 500 francs) est donc passé à 10 021 500 francs ;

A défaut d'être réglée la Société R. a arrêté en juin 1981 ses travaux sur le chantier du « Commodore », aux termes d'un protocole d'accord du 14 septembre 1981, la dette de la S.C.I. Gisèle envers la Société R. s'élevait alors à 2 000 000 de francs ;

Le 28 octobre 1981 la Direction de l'Urbanisme signifiait à la banque qu'elle entendait faire jouer sa caution d'achèvement en l'état de l'abandon du chantier par la S.C.I. Gisèle ;

Le 13 novembre 1981 la banque adressait à l'Entreprise R. un télex la priant de faire parvenir pour le 16 novembre la photocopie de tous les décomptes de travaux concernant « Le Commodore » et présenter à la S.C.I. Gisèle, ces renseignements étant - était-il mentionné - indispensables pour les autorités de tutelle ;

L'Entreprise R. adressait lesdits décomptes lesquels faisaient apparaître que le dernier versement qu'elle avait reçu remontait au 31 janvier 1981 et que la somme due s'élevait à 1 500 000 francs ;

A la suite de cette situation la S.C.I. Gisèle a, suivant acte du 25 novembre 1981, reçu par-devant Maître Paul-Louis Auréglia, notaire à Monaco, vendu à la Société de droit panaméen dénommée Valsera Real Estate Corporation l'immeuble « Le Commodore » en cours d'édification et les terrains constituant son assise pour le prix de 22 085 000 francs dont 5 585 000 francs provenant des deniers de l'acquéreur et 16 500 000 francs provenant d'un prêt de la Banque de Placements et de Crédit de Monaco laquelle était intervenue à l'acte en tant que prêteur ;

Par la suite, en vertu d'un acte reçu par Maîtres Rey et Auréglia le 14 février 1985 la Société Valsera Real Estate Corporation ayant des difficultés à rembourser le prêt consenti par la Banque de Placements et de Crédit cédait l'immeuble « Le Commodore » à la S.C.I. Le Commodore laquelle comportait deux associés :

  • la Banque de Placements et de Crédit détenant 40 % du capital social,

et

  • la S.A. Les Créneaux détenant 60 % dudit capital ;

Sur sa requête en date du 18 décembre 1981, la Société R. était autorisée par l'ordonnance présidentielle du 24 décembre 1981 à pratiquer une saisie-arrêt entre les mains de Maître Auréglia, la Société Valsera Real Estate Corporation, R. architecte, la S.C.I. Gisèle, la Banque de Placements et de Crédit sur toutes sommes, deniers ou valeurs appartenant à la S.C.I. Gisèle à concurrence de la somme de 2 000 000 de francs pour sûreté de la créance ; cette mesure ne peut être exécutée, le prix provenant de la vente s'étant évadé de la Principauté ;

Par exploit d'huissier du 5 janvier 1982 la Société R. a fait procéder à la saisie autorisée et a assigné, d'une part, les tiers saisis susnommés, d'autre part, la S.C.I. Gisèle devant le Tribunal de première instance aux fins de s'entendre les tiers saisis procéder à la déclaration prévue par la loi et la S.C.I. Gisèle condamner en paiement de la somme de 1 929 819,58 francs, outre tous frais et accessoires ;

Après jugement de défaut profit joint et réassignation de L. R., le Tribunal, par jugement du 30 juillet 1982, avant dire droit au fond, tous droits et moyens des parties demeurant expressément réservés, a désigné M. André Akerib, architecte expert, avec mission de déterminer de façon détaillée, la nature et l'étendue des travaux effectués par la Société R.J. R. S.A. ; d'en chiffrer le coût par rapport aux marchés et devis en tenant compte éventuellement des travaux supplémentaires ; de faire le compte des parties en prenant en considération les règlements opérés ; de fournir tous éléments de fait permettant au Tribunal d'apprécier tout préjudice ;

L'expert déposait son rapport le 14 mars 1983 ;

Dans ses conclusions, il a estimé que la S.C.I. Gisèle restait devoir à l'Entreprise R. la somme toutes taxes comprises de 1 432 149,89 francs ;

Que les éléments du préjudice subi par cette dernière s'établissaient comme suit :

  • matériaux devenus inutilisables ou devant être transportés = 40 767,80 francs,

  • matériel de chantier immobilisé = 658 703,35 francs ;

  • traçage de l'implantation de cloisons = 5 880 francs ;

Par jugement du 19 janvier 1984 le Tribunal a condamné la Société Gisèle à payer à la Société R. la somme de 2 172 169,31 francs représentant à concurrence de 1 432 149,89 francs le montant de travaux impayés et à concurrence de 740 019,42 francs une partie des dommages-intérêts occasionnés à la Société R. par la carence de la Société Gisèle ;

Le 7 avril 1983 la Société R. a assigné la Société Gisèle et la Banque de Placements et de Crédit - celle-ci peut être gérante de fait de la Société Gisèle - aux fins de les entendre condamner solidairement au paiement des sommes de :

  • 2 172 169,31 francs au titre des travaux et préjudices chiffrés par l'Expert Akerib dans son rapport,

  • 579 675 francs au titre des agios bancaires,

  • 481 960 francs en réparation du préjudice consécutif au manque à gagner par application de l'article 1632 du Code civil,

  • 50 000 francs pour frais de procédure et d'expertise,

soit au total la somme de 3 383 804,31 francs outre les intérêts de droit à compter de la date d'exigibilité de ces sommes ;

Qu'à titre subsidiaire la Société R. a demandé la condamnation de la Banque de Placements et de Crédit à qui elle reproche des fautes délictuelles ou quasi délictuelles à l'occasion de l'exécution d'un contrat, à lui payer la somme de 3 383 804,31 francs et les intérêts de droit à compter du jugement à intervenir ;

La Société R. a sollicité en outre que la Société Gisèle et la Banque de Placements et de Crédit soient condamnées à la relever et garantir dans l'hypothèse où une condamnation interviendrait à son encontre à l'initiative de la Société Valsera ;

Le Tribunal par jugement du 19 janvier 1984 statuant par défaut faute de conclure à l'encontre de la Société Gisèle et de la Banque de Placements et de Crédit, a condamné in solidum la Banque de Placements et de Crédit et la Société Gisèle à payer à la Société R. la somme de 3 383 804,31 francs avec intérêts au taux légal à compter du 7 avril 1983 ; a dit qu'à l'égard de la S.C.I. Gisèle déjà condamnée par un autre jugement du même jour, à payer à la Société R., la somme de 2 172 169,31 francs, la présente condamnation ne pourra être ramenée à exécution que pour la somme de 1 211 635 francs avec intérêts au taux légal à compter du 7 avril 1983 ; a condamné in solidum la Banque de Placements et de Crédit et la Société Gisèle aux dépens avec distraction ;

Par exploits distincts en date du 23 mars 1984 la Banque de Placements et de Crédit et la S.C.I. Gisèle ont formé chacune opposition à l'encontre du jugement du 19 janvier 1984 les ayant condamnées in solidum par défaut ;

Par jugement du 27 juillet 1984, le Tribunal a déclaré recevables ces oppositions ; a fixé à 3 372 169,31 francs le montant total des sommes dues par la S.C.I. Gisèle à la Société R. ; a déclaré la Banque de Placements et de Crédit responsable du préjudice subi par la Société R. ; a condamné en conséquence cette banque in solidum avec la Société Gisèle à payer à la Société R. la somme de 3 372 169,31 francs avec intérêts au taux légal à compter du jugement ; a dit qu'à l'égard de la Société Gisèle, déjà condamnée par un jugement du 19 janvier 1984 à payer à la Société R. la somme de 2 172 169,31 francs le présent jugement ne sera ramené à exécution qu'à concurrence de la somme de 1 200 000 francs au paiement de laquelle il y a lieu de la condamner ; a débouté la Banque de Placements et de Crédit de sa demande en paiement de dommages-intérêts ; a condamné in solidum la Banque de Placements et de Crédit et la Société Gisèle aux dépens avec distraction ;

Dans cette décision le Tribunal a évalué le préjudice résultant des chefs des frais bancaires et des dépenses de toute nature consécutives à la fermeture du chantier à 1 200 000 francs ;

Il a retenu particulièrement la responsabilité quasi délictuelle de la Banque de Placements et de Crédit du fait d'avoir concouru en connaissance de cause à l'acte de vente du 25 novembre 1981 contenant des inexactitudes et stipulant un prix payé hors la vue du notaire, au détriment de la Société R. ;

Par exploit d'huissier du 21 décembre 1984, la S.A.M. Banque de Placements et de Crédit a relevé appel de cette décision et assigné la S.A.M. R. et la S.C.I. Gisèle devant la Cour d'appel ;

Dans son acte d'appel et ses conclusions des 22 octobre 1985 et 8 avril 1986 elle a sollicité l'infirmation du jugement entrepris et a demandé reconventionnellement la condamnation de l'Entreprise R. au paiement de la somme de 1 franc à titre de dommages-intérêts ;

La Banque de Placements et de Crédit fait valoir :

  • qu'elle a fourni à la S.C.I. Gisèle les concours nécessaires pour couvrir les dépenses de construction en dépit de la mévente des appartements,

  • qu'il appartenait non pas à elle mais à R. lequel n'ignorait pas la situation obérée de la Société Gisèle de prendre en temps voulu les mesures conservatrices utiles à la défense de ses intérêts (inscription d'hypothèque provisoire),

  • que R. est victime de sa carence,

  • que l'acte du 25 novembre 1981 ne contient pas de mentions inexactes,

  • que la Société Gisèle venderesse a déclaré à cet égard faire son affaire personnelle de la résiliation de tous contrats de construction,

  • que cet acte a été négocié directement entre la Société Gisèle et la Société Valsera sans qu'elle ait pouvoir de réagir, son intervention au cours de l'acte ayant été limitée à son rôle de prêteur,

  • qu'elle n'a nullement joué le rôle d'un gérant de fait et qu'elle ne s'est point immiscée dans le fonctionnement de la Société Gisèle,

  • que son contrôle financier s'est exercé dans le cadre d'un contrat type de prêt sans qu'il implique une immixtion ;

La Société Civile Immobilière Gisèle a conclu le 10 juin 1986 en demandant de lui donner formellement acte qu'elle entend s'en rapporter par avance à la décision que la Cour rendra sur le mérite de l'appel qu'a formé la Banque de Placements et de Crédit à l'encontre du jugement du 27 juillet 1984 et de condamner la Banque de Placements et de Crédit ou toute autre partie qui succombera aux entiers dépens avec distraction au profit de son avocat-défenseur ; elle fait seulement remarquer que cette position s'induit de ce que ledit appel n'était aucunement dirigé contre elle ;

La Société R. dans ses conclusions des 12 mars 1985 et 25 février 1986 en sollicitant la confirmation du jugement dont elle a repris les motifs a soutenu que la Banque de Placements et de Crédit avait encouru une double responsabilité quasi délictuelle et contractuelle, en observant que la banque avait augmenté le crédit de la Société Gisèle (passé de 4 000 000 de francs à 16 000 000 de francs alors que la dette de la S.C.I. Gisèle envers R. était de 2 200 000 francs et ce non compris les frais bancaires et le préjudice financier dû à la résiliation du marché) que dans les comptes de la banque le produit de la vente a été porté pour un montant de 6 000 000 de francs au crédit de la S.C.I. Gisèle ce qui a permis aux associés de reprendre leurs apports en laissant la S.A. R. impayée, que la banque a décidé de clore le compte crédit sans avertir préalablement l'entrepreneur alors qu'elle avait le contrôle financier absolu de cette opération, que la banque s'est immiscée dans la gestion, l'administration et la direction de la Société Gisèle (commercialisation) ; qu'elle avait agi comme étant le véritable promoteur et maître de cette affaire immobilière, que le soutien bancaire factice de la Banque de Placements et de Crédit a créé une apparence de solvabilité qui a été trompeuse pour le constructeur, lequel a été rassuré durant l'été 1981 par M. M. alors que la S.C.I. Gisèle était en déconfiture ; que la Société R. n'a pu réaliser la mesure conservatoire qu'elle a prise sans commettre de négligence ;

L'affaire a été plaidée à l'audience du 10 juin 1986 et mise en délibéré ;

Au cours du délibéré, la Cour d'appel a invité les parties, par injonction du 27 juin, à fournir contradictoirement toutes précisions et observations utiles quant au montant exact de l'ouverture de crédit consenti par la Banque de Placements et de Crédit, aux statuts de la S.C.I. Gisèle ;

La Banque de Placements et de Crédit et la Société R. ont fait parvenir leurs observations en réponse, la première le 7 juillet 1986, la seconde les 9 et 28 juillet 1986 ;

Dans une deuxième note en date du 23 juillet 1986 la Banque de Placements et de Crédit a demandé la réouverture des débats pour s'expliquer au su des nouveaux éléments produits ;

Après appel de la cause aux audiences de vacation des 22 juillet, 8 août et 9 septembre 1986 la Cour a décidé lors de l'audience du 16 septembre 1986 la réouverture des débats à l'audience du 14 novembre 1986 après échange de conclusions au plus tard à la date du 28 octobre 1986 ;

La Société R. a conclu le 28 octobre 1986 en reprenant pour l'essentiel ses écritures antérieures ;

La Banque de Placements et de Crédit a déposé ses conclusions également le 28 octobre 1986 en précisant les circonstances qui avaient conduit la Société Valsera à vendre l'immeuble « Le Commodore » à la S.C.I. Le Commodore composée de deux associés : la Société Les Créneaux détenant 60 % du capital social et la Banque de Placements et de Crédit détenant 40 % de celui-ci ;

La Société Gisèle n'a plus formulé de notes ou de conclusions, son avocat-défenseur ayant fait connaître par lettre du 2 juillet 1986 qu'il n'avait plus de contact avec le gérant de celle-ci ;

Le 17 novembre 1986, la Banque de Placements et de Crédit a par note apporté une précision complémentaire quant aux tirages en devises du 30 juin 1981, la Société R. y a répondu le 18 novembre 1986 ;

Sur ce,

Considérant qu'il apparaît des éléments de la cause que la Banque de Placements et de Crédit est intervenue dès l'origine dans l'élaboration de l'opération de promotion immobilière du « Commodore » étant donné qu'avant même la constitution de la S.C.I. Gisèle (12 juillet 1979) elle a au cours d'une réunion dans ses bureaux avec les futurs associés, le 30 mars 1979, décidé de financer ladite opération à hauteur de 8 millions de francs (lettre du 29 avril 1981 adressée par M. directeur général de la Banque de Placements et de Crédit à M. L. C.) ;

Que dès le 11 janvier 1980 la Banque de Placements et de Crédit donnait sa caution à l'Administration (service de l'Urbanisme et de la Construction) pour garantir la construction ;

Considérant que le contrat d'ouverture de crédit conclu le 1er avril 1980 conférait, par ses stipulations excédant le cadre d'un contrat type de prêt en ce genre d'opération - d'importantes prérogatives à la Banque de Placements et de Crédit laquelle disposait du pouvoir non seulement de contrôler l'affectation donnée aux fonds prêtés dont notamment le paiement aux entreprises ce qui n'était point exorbitant par rapport à un contrat type - mais encore de surveiller la réalisation de l'opération immobilière en centralisant l'ensemble des mouvements financiers aux caisses de la banque, en ayant la faculté de se substituer au maître de l'ouvrage en cas de défaillance de ce dernier, en vérifiant la commercialisation des locaux construits (télex du 6 juillet 1981, lettres de L. des 17 juillet et 31 juillet 1981), et en dispensant à cet égard des conseils (télex du 16 septembre 1981) encore que l'Agence immobilière Publimo ait été chargée de prospecter la clientèle d'acquéreurs ;

Considérant que M. L. représentant de la S.C.I. Gisèle ne manquait pas dans une lettre du 16 juin 1981 (en réponse au télex du 15 juin dont il va être question) adressée à la Banque de Placements et de Crédit de lui rappeler que les complications financières de la S.C.I. Gisèle provenaient du fait que le compte de celle-ci avait été chargé à son insu de montants qui n'étaient pas destinés au financement du bâtiment entres autres le versement fait à R. ;

Considérant qu'en l'état de la détérioration de la situation financière de la S.C.I. Gisèle dont elle était parfaitement informée, la Banque de Placements et de Crédit s'est crue autorisée, ce qui dénote de l'importance de son rôle dans cette promotion immobilière, de donner par ses télex des 15 juin et 6 juillet 1981, des instructions à la S.C.I. Gisèle aux fins d'inciter les associés de celle-ci à effectuer un apport de 4 millions de francs et à mettre en vente les appartements construits sans délai, à un prix agréé par elle ; que M. L. représentant de la S.C.I. Gisèle donnait son accord au versement de l'apport demandé, lettre du 31 juillet 1981, que dans un télex du 16 septembre 1981 la Banque de Placements et de Crédit recommandait à M. L. représentant de la Société Gisèle de reprendre les travaux en l'avisant que la défaillance de cette société la contraignait à payer à l'Administration la somme de 1 400 000 francs montant de la caution ;

Considérant par ailleurs que la banque a participé directement à des tractations avec des tiers, lesquels la tenait pour maître de l'affaire, en vue de la vente de l'immeuble « Le Commodore » ainsi qu'elle le reconnaît elle-même dans sa lettre du 29 avril 1981 susvisée adressée à M. L., lettre écrite par M. son directeur général, s'exprimant en ces termes :

« durant ces derniers mois, nous avons eu, à maintes reprises, la visite de gens soit-disant intéressés par l'acquisition de l'immeuble, et avons reçu de nombreux télex dont ci-joint trois exemplaires ; c'est dans ces conditions que nous avons poursuivi nos concours, afin de ne pas créer de difficultés à la société. » ;

Considérant au surplus que le rôle de la Banque de Placements et de Crédit dans la cession de l'immeuble « Le Commodore » par la S.C.I. Gisèle à la Société de droit panaméen Valsera Real Estate Corporation ayant donné lieu à l'acte de vente du 25 novembre 1981 reçu par Maître Paul-Louis Auréglia, notaire, a été essentiel ; qu'en effet la Banque de Placements et de Crédit a financé la majeure partie du prix d'acquisition en consentant à l'acquéreur la Société Valsera un prêt de 16 500 000 francs ;

Considérant qu'il ressort de l'ensemble de ces faits que la Banque de Placements et de Crédit s'est comportée en fait dans cette opération immobilière comme un copromoteur, par sa participation prépondérante à la formation et au fonctionnement de la S.C.I. Gisèle non seulement en lui fournissant les fonds nécessaires à la mise en œuvre du projet immobilier - ce qui ne caractériserait qu'un rôle de simple prêteur - mais bien davantage en s'immisçant dans la gestion de la société par des directives et dans la commercialisation de l'opération et de surcroît dans son aboutissement ;

Considérant que pour le moins la Société R. a pu légitimement considérer, en l'état des assurances verbales données par la Banque de Placements et de Crédit non contredites et de l'envoi de son télex du 13 novembre 1981 l'invitant à remettre ses décomptes de travaux ainsi que des éléments apparents de la cause que la Banque de Placements et de Crédit était étroitement associée à cette opération immobilière ;

Considérant au surplus que le contrat d'ouverture de crédit stipule :

« Conformément aux usages de la profession bancaire et sans que la présente disposition puisse être considérée comme une stipulation pour autrui au sens de l'article 976 du Code civil, la banque entend stipuler tant pour elle-même que pour tous partenaires du pool bancaire et tous bénéficiaires des créances qui pourront naître contre l'emprunteur au titre du présent acte. » ;

Que cette disposition, bien qu'en écartant formellement la stipulation pour autrui, la retient néanmoins à l'égard des créances de l'emprunteur au nombre desquels se trouve la Société R. ; qu'en application de l'article 1157 du Code civil il convient de conférer une portée positive à cette disposition et l'interpréter dans le sens d'une responsabilité de la banque, tenue de veiller à l'exécution des obligations de la Société Gisèle envers la Société R. ;

Considérant au demeurant, qu'au regard des stipulations contractuelles imposant à la banque de veiller à l'affectation des fonds transparaît la mission de service d'intérêt commun que doit assumer le banquier dès lors que la construction à élever constitue certes son gage futur mais aussi la garantie de tous les créanciers de l'emprunteur parmi lesquels l'entreprise de construction ;

Considérant qu'à cet égard il est éclairant de constater que la Banque de Placements et de Crédit n'a plus réglé les situations présentées par la Société R. au 31 janvier 1981, alors qu'elle n'en continuait pas moins à ouvrir de nouveaux crédits par un avenant du 29 juin 1981 (lettre de la Banque de Placements et de Crédit du 7 juillet 1986) ;

Considérant au demeurant, à supposer qu'il y ait lieu d'écarter la responsabilité contractuelle de la Banque de Placements et de Crédit qu'il n'en resterait pas moins à rechercher si la responsabilité de celle-ci ne serait point susceptible d'être engagée sur le plan délictuel ;

Considérant que la Banque de Placements et de Crédit qui prétend être étrangère à l'acte de vente proprement dit, observe qu'elle n'est intervenue à l'acte qu'après l'échange de consentement opéré quant à la vente, comme le fait ressortir une mention notariale figurant à la page 19 de l'acte ainsi formulée :

« Aux présentes et à l'instant intervenu Monsieur A. M. directeur général de la Banque de Placements et de Crédit... » ;

Considérant cependant qu'il n'est point rationnel de décomposer l'acte de cession du 25 novembre 1981 en deux parties distinctes, savoir, d'une part, la vente proprement dite, d'autre part, le prêt et ce d'autant qu'il est précisé à la page 19 dont il est question que M. M. ès qualités a pris connaissance de ce qui précède par la lecture que le notaire vient de lui donner, ce que confirme la signature portée par M. M. au bas de toutes les pages ;

Considérant qu'il n'a pu échapper au représentant de la Banque de Placements et de Crédit que dans l'acte ont été passés sous silence l'existence de la créance de la Société R. et le fait que celle-ci occupait les lieux puisque un important matériel lui appartenant (grue, bétonnière, tubes d'échafaudage) se trouvait encore sur le chantier du « Commodore » ;

Que dès lors les affirmations contenues dans l'acte selon lesquelles l'immeuble était libre de toute occupation et de charges ne traduisent pas la réalité ce que ne pouvaient ignorer ni la Société Gisèle ni la Banque de Placements et de Crédit ;

Qu'ainsi la Banque de Placements et de Crédit de concert avec la Société Gisèle a concouru à des inexactitudes ou omissions qui tendaient à méconnaître sciemment les droits d'un créancier ;

Considérant qu'il s'ensuit que la banque a failli à une obligation de prudence et de diligence envers les tiers ;

Que cette attitude est d'autant plus significative que la promotion immobilière a en définitive profité à la banque laquelle est devenue copropriétaire du « Commodore », en obtenant le remboursement de tous ses prêts consentis à la Société Gisèle puis à la Société Valsera et ce au détriment du constructeur, alors que les prêts accordés à la Société Gisèle l'avaient été en vue de la construction du « Commodore » ;

Considérant qu'au regard de l'invocation par la banque d'une carence de la Société R., il y a lieu de constater que celle-ci préoccupée de matérialiser sa créance a négocié avec la Société Gisèle et obtenu de celle-ci le 1er septembre 1981 un protocole d'accord contenant la reconnaissance d'une créance de 2 000 000 de francs devant être remboursée fin septembre 1981 ; qu'il n'est pas contesté (conclusions de la Banque de Placements et de Crédit du 8 avril 1986) que M. directeur de la banque ait rassuré la Société R. dans l'été 1981 quant au remboursement de sa créance (conclusions de R. du 25 février 1986) ; qu'ayant pressenti la revente de l'immeuble, la Société R. a, le 24 novembre 1981, à la veille de cette opération, présenté requête aux fins d'être autorisés à prendre une inscription d'hypothèque judiciaire provisoire à l'encontre de la S.C.I. Gisèle ; que la transcription de la vente dès le 27 novembre 1981 a empêché la Société R. de poursuivre utilement cette procédure ; que par ailleurs l'absence de consignation de fonds entre les mains de tiers saisis ont rendu inopérantes les saisies-arrêts qu'une ordonnance sur requête du 24 décembre 1981 l'avait autorisée à pratiquer ; que cette singulière conjoncture ne saurait être mise au compte d'une négligence de la Société R. ; qu'au surplus celle-ci pouvait légitimement espérer que la Banque de Placements et de Crédit prendrait des dispositions pour préserver sa créance après les assurances verbalement données par M., ce qui n'a pas été contesté (conclusions des 25 février 1986 et 8 avril 1986) ;

Considérant que le moyen invoqué par la Banque de Placements et de Crédit ne saurait en conséquence devoir être retenu ;

Considérant qu'il y a lieu de déclarer la Banque de Placements et de Crédit responsable in solidum avec la S.C.I. Gisèle tant sur le plan quasi délictuel que contractuel de l'intégralité du préjudice subi par la Société R. ;

Considérant que le montant du préjudice subi par la Société R. n'est pas contesté ;

Considérant qu'il échet en conséquence de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et de condamner la Banque de Placements et de Crédit aux dépens d'appel la S.C.I. Gisèle s'en rapportant à la décision de la Cour d'appel ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco,

Déclare recevable l'appel interjeté par la S.A.M. Banque de Placements et de Crédit ;

Donne acte à la S.C.I. Gisèle de ce qu'elle s'en rapporte à la décision de la Cour d'appel ;

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions y compris les dépens ;

Composition🔗

MM. Vialatte, prem. prés. ; Truchi, prem. subst. ; MMe Lorenzi, Blot et Clérissi, av. déf. ; Bonello, av. (Barreau de Nice).

Note🔗

Le pourvoi formé contre cette décision a été rejeté par arrêt de la Cour de révision du 2 mai 1987.

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