Cour d'appel, 30 avril 1985, Société des Bains de Mer et U.A.P. c/ C., B. et Sté Difalux

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Abstract🔗

Préjudices personnels

Pretium doloris - Préjudice esthétique.

Résumé🔗

Si, en vertu de la loi n° 636 du 11 janvier 1958 l'employeur ou son assureur a droit à une exonération des obligations mises à sa charge par la législation sur les accidents du travail dans toute la mesure où le permet l'indemnité de droit commun mise à la charge du tiers (le quart), il doit être de surcroît rappelé que du montant de cette exonération à due concurrence doit être déduite la fraction, compte tenu de la part de responsabilité de la victime (les 3/4), de la somme représentative des indemnités compensatrices de préjudices « intuitu personae » subis par celle-ci, à savoir en l'espèce la somme de 3 125 francs correspondant au quart de 12 500 francs montant global du pretium doloris et du préjudice esthétique tels qu'ils ont été respectivement évalués.


Motifs🔗

La Cour,

Par arrêt du 17 janvier 1984 réformant parte in qua le jugement du Tribunal de première instance en date du 25 février 1982, la Cour de céans déclarait C. et B. responsables : le premier dans la proportion de 3/4, le second dans celle de 1/4 des conséquences de l'accident du 10 août 1979, déclarait en outre la Compagnie U.A.P. substituée à la S.B.M. fondée à réclamer à B. et à la Société Difalux dans les limites du préjudice de droit commun subi par C. et mis à leur charge, le remboursement des frais par elle exposés en ce compris le capital constitutif de la rente accident du travail, et, avant dire droit sur le mérite des demandes principale et reconventionnelle en paiement, désignait en qualité d'expert le docteur Cariou à Nice avec mission d'examiner C., de décrire les blessures par lui subies à l'occasion de l'accident susvisé, de déterminer la nature et la durée des incapacités en résultant et de fournir tous éléments permettant d'apprécier les différents préjudices soufferts par la victime ;

Aux termes du rapport qu'il a déposé le 16 mai 1984, l'expert a estimé que postérieurement à sa consolidation intervenue le 10 janvier 1980, C. est demeuré atteint d'une I.P.P. de 10 %, que son pretium doloris a été modéré et que l'accident dont il a été victime lui a de surcroît causé un préjudice esthétique et un préjudice d'agrément respectivement qualifié de léger ;

Sur la base de ces conclusions, C. évalue comme suit les postes de préjudice susvisés :

  • I.P.P. : 50 000 francs (soit 5 000 francs le point d'incapacité),

  • pretium doloris : 10 000 francs,

  • préjudice esthétique : 6 000 francs,

  • préjudice d'agrément : 10 000 francs,

soit au total, la somme de : 76 000 francs, dont 1/4 doit demeurer à la charge de B. ;

Il fait valoir que son préjudice d'agrément résulte du fait qu'il ne peut plus, ainsi qu'il le faisait avant son accident, effectuer seul les menus travaux nécessités par l'entretien de sa résidence de campagne où il passait régulièrement son temps de loisirs ;

Il demande en conséquence à la Cour d'homologuer le rapport du Docteur Cariou et, sous réserve du recours de l'organisme social en cause, de condamner in solidum B. et la Société Difalux à lui payer, en réparation de son préjudice et après application du partage de responsabilité, la somme de 19 000 francs ;

Relevant le fait que C. n'a inclus dans sa demande ni le montant des frais médicaux, pharmaceutiques et d'hospitalisation ni l'indemnité réparatrice de l'I.T.T. qui font l'objet par ailleurs d'une réclamation de la S.B.M. et la Compagnie U.A.P. assureur-loi de la victime, B. et la société Difalux considèrent que l'accident dont C. a été victime n'a pas eu une incidence notable sur l'exercice de sa profession de croupier et n'a nullement compromis, comme l'indique à tort l'expert médical par emprunt aux seules doléances de l'accidenté à cet égard, son avancement ;

Ils estiment de ce fait, qu'eu égard à l'âge (45 ans) de la victime au jour de l'accident et au taux relativement modeste de l'I.P.P. dont il demeure atteint, l'indemnité compensatrice de cette incapacité doit être calculée sur la base maximale de 3 000 francs le point et donner donc lieu à une allocation de 30 000 francs ;

Ils soutiennent en outre, d'une part que le traumatisme crânien ayant en partie justifié le taux d'I.P.P. retenu par l'expert n'a eu pour séquelles essentielles que des céphalées et des cervicalgies, en sorte que, le pretium doloris ne saurait excéder la somme de 6 000 francs, d'autre part qu'une somme de 3 000 francs apparaît de nature à réparer équitablement le « léger » préjudice esthétique relevé par l'expert et inhérent à la rémanence de cicatrices au niveau du nez de l'accidenté ;

Ils contestent enfin l'existence d'un préjudice d'agrément dont l'expert a fait état in fine de son rapport sans en préciser la cause, et font valoir de ce chef que C. ne justifie nullement de l'exercice d'une activité sportive ou de loisir déterminée que les séquelles de l'accident litigieux auraient compromise en sorte que le préjudice invoqué ne saurait être distingué de la gêne quotidienne inhérente à l'I.P.P. dont il demeure atteint ;

Ils concluent en conséquence, préalable homologation du rapport expertal en tant que de besoin, au rejet des réclamations de C. comme par trop exagérées, et, à ce que soient déclarées satisfactoires leurs offres de règlement sous réserve du partage de responsabilité, sur la base des sommes susindiquées ;

Ils demandent en outre à la Cour de rejeter toute prétention de C. du chef du préjudice d'agrément, de dire et juger qu'il appartient à la Compagnie U.A.P., assureur-loi, de produire toutes pièces justificatives du capital constitutif de la rente accident du travail revenant audit C. et, à ce dernier de produire ses bulletins de salaires ;

S'estimant fondées à réclamer le montant de leurs débours même si celui-ci est supérieur au préjudice, évalué selon les règles de droit commun, de la victime sous réserve de l'application du partage des responsabilités, la S.B.M. et la Compagnie U.A.P., assureur-loi, demandent qu'il leur soit donné acte de ce que le montant de leur réclamation s'élevait au 5 février 1985 à la somme de 376 600,69 francs en ce compris les indemnités réglées au titre de l'I.T.T., les frais pharmaceutiques, médicaux et d'hospitalisation, les arrérages échus de la rente accident du travail et le capital constitutif mis en réserve et ce, sous réserve d'autres débours pris ou à prendre en charge depuis la date précitée ;

Sur ce,

Considérant que du rapport du Docteur Cariou qui révèle un examen approfondi et consciencieux de l'accidenté, il résulte qu'à la suite du sinistre dont il a été victime le 10 août 1979 alors qu'il rentrait de son travail, C. est demeuré atteint d'une I.P.P. dont le taux a été expertalement évalué à 10 %, à savoir :

  • 6 % pour traumatisme cranio-cervico-facial avec syndrome post-commotionnel, céphalées, nervosisme, cervicalgies et cervico-brachialgies, troubles de la respiration nasale avec rinorrhée ;

  • 4 % pour traumatisme du poignet gauche, séquelle de fracture avec déficit de la pronosupination ;

Qu'eu égard à l'âge de la victime (45 ans) au jour de l'accident et de la nature de sa profession (croupier au casino) nécessitant une activité des deux membres supérieurs, il apparaît équitable d'arbitrer à la somme de 37 000 francs la réparation, de ce chef, du préjudice qu'elle a subi ;

Considérant qu'à l'occasion de ses investigations, l'expert a été en mesure d'objectiver chez l'accidenté des points épineux douloureux au niveau du rachis cervical (en C6, C7 et D1), des mouvements d'abduction légèrement limités mais douloureux accompagnés de craquement au niveau de l'épaule gauche, ainsi qu'une flexion palmaire, une abduction et une adduction limitées mais douloureuses au niveau du poignet gauche, en l'état desquels et compte tenu en outre de l'intervention chirurgicale pratiquée audit poignet, il a qualifié de modéré le pretium doloris auquel C. pouvait prétendre ;

Qu'au regard de cette appréciation et de la diversité des phénomènes douloureux ainsi provoqués par l'accident, il y a lieu d'évaluer à 7 500 francs le montant de la réparation, de ce chef, du préjudice subi ;

Considérant que pour conclure à l'existence d'un préjudice esthétique « léger », l'expert a relevé la présence d'une cicatrice au niveau de la racine du nez et de l'aile gauche de la narine de la victime, laquelle a présenté en outre une deuxième cicatrice moins visible au niveau de la suture occipito-pariétale du crâne ;

Que cette cicatrice faciale dont il se trouve ainsi affligé n'étant pas, quoique relativement limitée sans quelque inconvénient pour C. en raison de sa profession et de l'environnement dans lequel il évolue, le préjudice esthétique qui en résulte pour lui doit être équitablement évalué à la somme de 5 000 francs ;

Considérant que l'on chercherait vainement dans son rapport les raisons qui ont conduit l'expert à retenir l'existence d'un « léger » préjudice d'agrément ;

Que, rien n'établissant que l'accident litigieux a eu pour conséquence de mettre un terme aux activités de loisir et autres occupations extra-professionnelles au demeurant simplement alléguées par C., ce dernier apparaît mal fondé à demander réparation de ce chef, la gêne dont il entend souligner l'incidence au plan de ces prétendues activités relevant en toute hypothèse de son I.P.P. déjà indemnisée par ailleurs ;

Considérant qu'eu égard aux motifs qui précèdent et des pièces justificatives produites par la Compagnie U.A.P., le montant du préjudice corporel évalué selon les règles du droit commun et occasionné par l'accident litigieux à C. s'établissait au 5 février 1985, date des dernières écritures des appelantes, à la somme de :

  • I.T.T. : 11685,24 + 68 998,56 = .... 80 683,80 francs

  • Frais médicaux et pharmaceutiques . 9 279,68 francs

  • I.P.P. ............... 37 000,00 francs

  • Pretium doloris ............... 7 500,00 francs

  • Préjudice esthétique ............... 5 000,00 francs

Soit au total ............... 139 463,48 francs

dont le quart soit 34 865,87 francs représente l'indemnité de droit commun à la charge de B. et de la société Difalux, compte tenu du partage de responsabilité ;

Considérant que si, en vertu de la loi 636, l'employeur ou son assureur a droit à une exonération des obligations mises à sa charge par la législation sur les accidents du travail dans toute la mesure où le permet l'indemnité de droit commun mise à la charge du tiers, il doit être de surcroît rappelé que du montant de cette exonération à due concurrence doit être déduite la fraction, compte tenu de la part de responsabilité de la victime, de la somme représentative des indemnités compensatrices de préjudices  « intuitu personae » subis par celle-ci, à savoir en l'espèce la somme de 3 125,00 francs correspondant au quart de 12 500 francs montant global du pretium doloris et du préjudice esthétique tels que respectivement évalués ci-dessus ;

Considérant qu'il échet en conséquence en donnant acte à la Compagnie U.A.P. de ce que sa réclamation s'élevait au 5 février 1985 à la somme de 376 600,69 francs et de ses réserves d'avoir à prendre en charge d'autres débours, de condamner in solidum B. et la société Difalux à lui payer la somme de 34 865,87 francs - 3 125,00 francs = 31 740,87 francs ;

Qu'il y a lieu en outre de les condamner, sous la même solidarité, à payer à C. la somme susvisée de 3 125,00 francs ;

Considérant que si C. ne produit aucune pièce justificative d'un dommage causé à son cyclomoteur à l'occasion de l'accident litigieux, les documents versés par B. établissent en revanche que son préjudice matériel s'est élevé à la somme de 4 015,37 francs telle qu'exactement arbitrée par les premiers juges ;

Qu'eu égard au partage de responsabilité instauré par l'arrêt précité du 17 janvier 1984, il échet, par réformation du jugement querellé, de ramener à 3 014,00 francs le montant de la condamnation prononcée de ce chef contre C. ;

Considérant que les dépens doivent être mis à la charge des parties à proportion de leur succombance respective ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

La Cour,

Homologue en tant que de besoin le rapport d'expertise du Docteur Cariou déposé le 16 mai 1984 ;

Fixe à 139 463,48 francs le montant, évalué selon les règles du droit commun, du préjudice corporel subi par C. à l'occasion de l'accident du 10 août 1979 et, compte tenu du partage de responsabilité instauré par l'arrêt du 17 janvier 1984, à 34 865,87 francs l'indemnité à la charge de B. et de la société Difalux ;

Décerne à la Compagnie U.A.P., assureur-loi de la S.B.M., employeur de C., le donné-acte par elle sollicité et visé aux motifs ;

Condamne B. et la société Difalux in solidum à payer à la Compagnie U.A.P. substituée audit employeur, la somme de 31 740,87 francs et à C., la somme de 3 125,00 francs pour les causes énoncées auxdits motifs ;

Réformant par ailleurs le jugement déféré du chef du préjudice matériel et statuant à nouveau, ramène de 4 015,37 francs à 3 014,00 francs le montant de la condamnation prononcée de ce chef contre C. 

Note🔗

Note : Le pourvoi formé contre cet arrêt a été rejeté par arrêt de la Cour de révision du 12 mars 1986.

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