Cour d'appel, 4 février 1975, N. c/ Richelmi et Union des Assurances de Paris - Urbaine et Seine - I.A.R.D.

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Abstract🔗

Accidents du travail

Rente - Demande de révision - Lettre de la Compagnie d'Assurances - Portée - Accord de la Compagnie d'Assurances - Recevabilité (oui)

Résumé🔗

La lettre écrite sur papier à en-tête de l'Agence d'une Compagnie d'Assurances et signée d'un préposé de celle-ci engage la Compagnie vis-à-vis de son destinataire, à qui sont étrangères l'organisation interne du service et la qualification de tel ou tel employé.

La rédaction de cette lettre ne permet pas de lui attribuer le caractère d'un « simple rappel de la procédure » alors qu'elle se réfère au cas particulier de la victime en rappelant avec précision les dates récentes de la procédure en cours dont la suite normale aurait dû être une assignation devant le Tribunal à la suite du procès-verbal de non-conciliation visé ; en ne soulevant pas l'irrecevabilité d'une nouvelle demande et en ne préconisant pas la saisine du Tribunal mais celle du juge des accidents du travail en vue de la désignation d'un nouvel expert, la Compagnie a nécessairement, et, en toute connaissance de cause, accepté de réunir pour une fixation unique deux aggravations successives.

La demande de la victime et la réponse de la Compagnie constituent le commun accord prévu par la loi pour diminuer l'intervalle entre deux fixations de rente.


Motifs🔗

LA COUR,

Statuant sur l'appel régulièrement interjeté le 16 juillet 1974 par le sieur N., bénéficiant de l'assistance judiciaire d'office, à l'encontre du jugement du Tribunal du 27 juin 1974 qui, après justification de l'instance engagée par lui contre son employé Richelmi et la Cie U.A.P. Urbaine et celle que ceux-ci avaient engagée contre lui, avait fait droit à cette dernière instance et déclaré satisfactoire l'offre d'une rente calculée sur le taux d'invalidité de 8% ;

Attendu que N. a été victime le 17 février 1970 d'un accident du travail qui lui a occasionné un traumatisme crânien avec perte de connaissance, laissant subsister un discret syndrome subjectif se traduisant par des céphalées ; qu'un jugement du 10 août 1971 retenait le taux d'I.P.P. de 6 % proposé par le Docteur Pastorello, désigné comme expert ;

Attendu que N. formulait le 17 juillet 1972 une demande de révision de rente pour aggravation ; que le Docteur Pastorello, à nouveau commis, constatait une légère majoration des séquelles ; prostration, amaigrissement, et portait le taux d'I.P.P. à 8 % ; que sur cette base intervenait le 10 novembre 1972, un procès-verbal de non conciliation ; que le Tribunal n'était cependant pas saisi, mais que l'avocat d'office de N. s'adressait le 4 décembre 1972 à l'Agence de Monte-Carlo de l'U.A.P., pour lui faire part d'une sérieuse aggravation de l'état de celui-ci, nécessitant une hospitalisation et lui demander d'en prendre en charge les frais ; que sans répondre explicitement à cette demande, en sa lettre du 12 décembre, l'Agence de l'U.A.P. rappelait les dates du rapport médical intervenu sur la dernière demande en révision et du procès-verbal de non conciliation et indiquait : « si l'état de M. N. s'est aggravé, il convient de déposer un certificat médical auprès de M. le Juge chargé des Accidents du travail en vue d'une nouvelle expertise » ;

Qu'une demande de révision était présentée le 5 janvier 1973 par le Conseil de l'accidenté, qui y joignait une lettre de celui-ci, un certificat du Docteur N. et la photocopie de la lettre de l'U.A.P. du 12 décembre ; que le juge des Accidents du travail désignait alors comme expert le Docteur Bus qui, en son rapport du 11 juillet 1973, fixait la date de consolidation à celle de son examen, le 15 juin 1973 et évaluait l'I.P.P. à 30 % ; qu'une ordonnance de non-conciliation intervenait le 23 août 1973 ; en suite de quoi, N. assignait le 28 novembre 1973 Richelmi et l'U.A.P. aux fins d'homologation du rapport Bus et de renvoi devant la Commission Spéciale en vue de l'appréciation de sa capacité résiduelle de gain ; que le 30 novembre, Richelmi et l'U.A.P. assignaient N. pour entendre dire qu'il n'avait pas le droit, après l'ordonnance de non conciliation du 10 novembre 1972, de former le 5 janvier 1973 une demande de révision de rente et voir déclarer nuls, pour inobservation des articles 21 quater et 25 de la loi n° 636, la procédure diligentée alors par le juge des Accidents du travail ainsi que le rapport Bus et, les parties étant remises en l'état où elles se trouvaient à la date de l'ordonnance de non conciliation du 10 novembre 1972, entendre déclarer satisfactoire l'offre qu'elles formulaient alors d'une rente calculée sur un taux de 8 % ;

Que le Tribunal, après avoir joint ces instances, a débouté N. des fins de la sienne et fait droit entièrement aux demandes de Richelmi et U.A.P., en considérant que la dernière demande de majoration, intervenue sans respecter l'intervalle d'un an fixé par l'article 25 de la loi n° 636 sans que la Compagnie eût valablement renoncé à ce délai, était irrecevable et que la procédure qui lui avait fait suite devait être annulée ;

Attendu que l'appelant, sans critiquer la motivation du Tribunal sur le principe de l'irrecevabilité de sa dernière demande de révision alors que le litige né de la précédente en vertu de l'ordonnance de non conciliation du 10 novembre n'était pas tranché fait uniquement grief au jugement de n'avoir pas reconnu que la lettre de l'U.A.P. du 12 décembre 1972 exprimait son acceptation à une diminution d'intervalle entre deux demandes, telle que la prévoit l'article 25, alors que sa rédaction impliquait une renonciation à se prévaloir du délai prescrit par ce même article, puisqu'en pleine connaissance du litige en cours, l'U.A.P. préconisait la saisine du juge des Accidents du travail en vue d'une nouvelle expertise ; qu'il conclut donc à l'infirmation du jugement, à l'allocation des fins de son assignation initiale et au déboutement de Richelmi et U.A.P. des prétentions exprimées en leur exploit, qui ont été accueillies à tort ;

Attendu que les intimés constatent que l'appelant ne conteste par la pertinence du raisonnement suivi par le Tribunal en ce qui concerne le point de départ du délai avant l'expiration duquel ne peut être formée une nouvelle demande de révision, puisque son argumentation tend seulement à donner à la lettre de l'U.A.P. du 12 décembre, le caractère d'une renonciation à ce délai, mais qu'ils soutiennent que cette renonciation ne peut être admise sous une forme implicite ou tacite et aurait dû, pour entraîner l'effet allégué, être exprimée de façon expresse, en des termes formels ne laissant aucun doute sur l'intention du rédacteur, ce qui n'aurait pas été le cas de l'espèce et que le Tribunal a sagement apprécié que la lettre, écrite d'ailleurs par une employée non qualifiée pour engager la Compagnie, se bornait « à un simple rappel » de la « procédure à suivre en cas d'aggravation » ; qu'ils concluent donc à la confirmation pure et simple du jugement ;

Attendu qu'il n'y a pas lieu, dans les limites de l'appel, d'examiner la motivation des premiers juges sur les événements ou l'acte de procédure susceptibles de constituer le point de départ du délai fixé par l'article 25 pour rendre possible une nouvelle fixation de rente, puisque N. ne soutient la recevabilité de sa dernière demande qu'en vertu de l'accord à l'abréviation de l'intervalle d'un an qu'aurait donné la Compagnie en sa lettre du 12 décembre ;

Attendu que doit être tout d'abord écarté le moyen soutenu, d'ailleurs sans insistance, par les intimés sur le défaut d'engagement de la Compagnie du fait de la signature de cet écrit par une personne non qualifiée ; que cette lettre, écrite sur papier à en-tête de l'Agence et signée d'un préposé de celle-ci, engage la Compagnie vis à vis de son destinataire à qui sont étrangères l'organisation interne du service et la qualification de tel ou tel employé ;

Attendu que la rédaction de cette lettre ne permet pas de lui attribuer, comme l'a fait le Tribunal, le caractère d'un simple « rappel de la procédure », qu'aurait pu avoir une formule-type concernant, de manière générale, la révision de rente pour aggravation, alors qu'elle se réfère au cas particulier de N. en rappelant avec précision, les dates récentes des actes de la procédure en cours, dont la suite normale aurait dû être une assignation devant le Tribunal à la suite du procès-verbal de non conciliation, visé ; qu'en ne soulevant pas l'irrecevabilité d'une nouvelle demande et en ne préconisant pas la saisine du Tribunal mais celle du Juge des Accidents du travail, en vue de la désignation d'un nouvel expert, la Compagnie a nécessairement et en toute connaissance de cause, accepté de réunir pour une fixation unique, deux aggravations successives, dont la seconde se serait manifestée en cours de procédure et moins d'un an après la demande principale ;

Que si sa lettre ne contient pas de formule expresse de renonciation à se prévaloir de cet intervalle, son comportement ultérieur confirme son intention d'y renoncer et son adhésion à l'expertise nouvelle qu'elle préconisait puisque, pour en assurer l'accomplissement, elle a accepté de prendre en charge les frais d'hospitalisation à l'Hôpital Pasteur du 19 avril au 11 mai 1973 pour permettre au Docteur Bus, qui le relate à la page 2 de son rapport, d'interroger et examiner N. ;

Attendu que ce dernier considérait si bien la lettre de la Compagnie comme un tel accord qu'il en joignait la photocopie à sa nouvelle demande d'expertise pour en justifier, auprès du juge des accidents du travail, la recevabilité ;

Qu'il apparaît, en conséquence, que la demande de N. et la réponse de la Compagnie constituaient le commun accord prévu par le 2e alinéa in fine de l'article 25 pour diminuer l'intervalle entre deux fixations de rente et que le jugement doit être réformé en ce qu'il avait annulé toute la procédure et l'expertise ayant fait suite à la demande de révision du 5 janvier 1973 ;

Attendu que dans le cadre des deux demandes de révision réunies en une procédure unique, la Cour se trouve en présence de deux rapports d'expertise dont les mérites respectifs sur le plan technique n'ont fait l'objet d'aucune discussion ; que tout en retenant les dates différentes des demandes et la possibilité d'une aggravation dans leur intervalle, il apparaît singulier qu'une différence allant de 8 à 30 % puisse se manifester, en une aussi courte période, dans les séquelles d'un accident originairement bénin, à la suite duquel le travail avait été repris ; que la Cour ne saurait accepter sans autre contrôle la dernière appréciation de l'invalidité, alors surtout que tous les rapports sont concordants pour reconnaître l'absence de signes objectifs et mentionner l'attitude théâtrale, la sinistrose importante de N. et même sa simulation, déjà relevée par le Docteur B., ainsi qu'en fait état le jugement du 28 janvier 1972 et que constate encore le Docteur Bus (« simulation ou exagération d'un déficit intellectuel et comportemental... signe de Romberg non pathologique mais voulu ») ;

Qu'il convient de faire rechercher médicalement, par une expertise ordonnée d'office, si l'état dépressif et les séquelles constatées chez N. sont bien la conséquence de l'accident ou s'ils résultent d'une attitude voulue, d'une simulation excédant une simple sinistrose, que ne saurait couvrir l'assureur-loi ; que ce nouveau contrôle médical, confié à un spécialiste, aura également de l'intérêt pour savoir si l'interruption de travail de N. - certaine à Monaco depuis avril 1972 et probable en Italie, bien que le service compétent de Vintimille se soit borné à recevoir, le 10 novembre 1973, sa propre déclaration - doit être considérée, elle aussi, comme rattachée à l'accident du travail ou à des considérations subjectives dépendant de la volonté de l'intéressé lui-même, circonstance importante à connaître avant de statuer sur la demande de renvoi devant la Commission Spéciale ;

Attendu que les dépens doivent être réservés ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Accueille en la forme le sieur N. en son appel, l'y déclare fondé en ce qu'il soutient que la lettre de l'Agence de Monte-Carlo de la Compagnie U.A.P., assureur-loi de son employeur Richelmi, constituait son accord à la diminution d'intervalle entre deux fixations de rente ; réforme, en conséquence le jugement du vingt-sept juin mil neuf cent soixante-quatorze en ce qu'il avait considéré comme irrecevable la demande de révision pour aggravation formulée le cinq janvier mil neuf cent soixante-treize et annulé la procédure et le rapport d'expertise du Docteur Bus qui en avaient été la suite ;

Avant dire droit au fond sur le mérite des deux demandes de révision réunies en une seule procédure par suite de l'accord des parties et de la demande de renvoi de N. devant la Commission Spéciale, recourt d'office à une mesure d'expertise ;

Composition🔗

MM. de Monseignat, prem. pr. Default, prem. subst. gén., MMe Sanita et Clérissi av. déf.

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