Cour d'appel, 26 novembre 1974, D. ès qualités de syndic de la faillite A. c/ S.A. Le Trèfle, Sté Cerem et L. ès qualités d'administrateur au règlement judiciaire de ces sociétés.

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Abstract🔗

Sociétés

Caractère fictif - Action en matière de faillite (non) - Convention franco-monégasque du 13 septembre 1950 - Application (non) - Examen au fond (non) - Compétence (non)

Résumé🔗

En raison du changement apporté par conclusions postérieures à la demande, celle-ci tend désormais, à titre principal, à une reconnaissance de fictivité d'une société. Si, ainsi transformée, elle est susceptible d'avoir par sa finalité un intérêt pour la faillite monégasque, elle ne peut constituer une action « en matière de faillite » au sens de l'article 3-5° du Code de procédure civile car elle n'a ni son fondement ni sa cause dans le droit des faillites, la fictivité d'une société pouvant être poursuivie indépendamment de toute procédure de liquidation collective. Une telle action est donc soumise aux règles du droit commun sans qu'il y ait lieu de faire référence à la Convention franco-monégasque du 13 septembre 1950.

A défaut de textes équivalents aux textes français invoqués, les juridictions de la Principauté n'ont pas le pouvoir d'examiner le fond pour reconnaître leur compétence lorsqu'il faudrait trancher entièrement le litige au fond pour en déduire la compétence permettant de statuer sur le même point.


Motifs🔗

LA COUR,

Statuant sur l'appel régulièrement interjeté le 23 novembre 1973, par le sieur D. ès qualités de syndic de la faillite du sieur J.-A. A., ayant exercé le commerce à Monaco, sous l'enseigne « M.-C. O. », et à Paris, à l'encontre du jugement du 8 novembre 1973, par lequel le Tribunal s'est déclaré incompétent pour connaître de son action intentée contre les Sociétés Le Trèfle et Cerem et Me L., administrateur à leur règlement judiciaire ayant initialement tendu à déclarer lesdites sociétés, séparément ou fusionnées, en faillite commune avec A., en raison de leur fictivité ;

Attendu qu'en son exploit d'appel et ses conclusions, il reproche au jugement entrepris d'avoir refusé d'examiner le fond, sans avoir, au préalable, apprécié sa compétence, accueillant ainsi, contrairement à l'article 262 du Code de procédure civile, l'exception d'incompétence tardivement soulevée par les défendeurs en leurs conclusions des 7 février et 7 juin 1973, alors qu'ils avaient antérieurement conclu à l'irrecevabilité de l'action en raison de l'autorité de la chose jugée ;

Qu'à la motivation relative à l'impossibilité d'attraire des défendeurs domiciliés à l'étranger, il oppose l'article 3 § 5° du Code de procédure civile, donnant compétence aux Tribunaux monégasques « pour les actions en matière de faillite, si la faillite est ouverte dans la Principauté », alors surtout que des sociétés fictives ne peuvent avoir réellement un siège social ; qu'il eût appartenu au Tribunal de suivre la jurisprudence confirmée par la loi française, selon laquelle l'appréciation du fond peut conditionner la compétence, en sorte qu'il n'était pas nécessaire de présumer la fictivité des sociétés, mais de recevoir la preuve de cette fictivité pour que les juridictions de Monaco se trouvent compétentes ; qu'il reprend les arguments de fait desquels découlerait cette fictivité, les sociétés ayant été l'émanation même d'A. qui les a financées avec des fonds de ses créanciers personnels, en détenait les actions et exerçait sur elles une mainmise totale ;

Qu'il demande à la Cour, infirmant la décision d'incompétence, de lui allouer, par voie d'évocation, les fins de sa demande ou de renvoyer les parties devant le Tribunal de première Instance, déclaré compétent ;

Attendu que les sociétés Le Trèfle et Cerem, fusionnées en 1971, s'élèvent contre le reproche de tardiveté de leur déclinatoire de compétence, qui est intervenu dès le changement d'objet de l'action du syndic D., passant de la demande de déclaration de faillite commune à celle de constatation de leur fictivité, circonstance indépendante de la faillite ; qu'elles concluent, pour le surplus, à la confirmation du jugement en ce qu'il a exactement déclaré que leur existence réelle ou leur fictivité constitue une question préjudicielle, dont la solution conditionnerait l'éventuelle compétence des Tribunaux de la Principauté, qui ne peut être retenue a priori, mais dont la connaissance relèverait, tant d'après la loi française que la convention franco-monégasque, des Tribunaux du lieu de leur siège social ; qu'elles affirment, enfin, que leur réalité, constatée par des décisions judiciaires ayant acquis dans les deux Pays l'autorité de la chose jugée, a été reconnue à plusieurs reprises par les créanciers que représente le syndic demandeur et par ce syndic lui-même dans ses actes et procédures ;

Attendu que Me L. reprend et développe les arguments sur la recevabilité de ses conclusions soulevant une incompétence qui aurait pu, d'ailleurs, être déclarée d'office et que le Tribunal a exactement retenue ; qu'il soutient que la nouvelle demande tendant à titre principal à une constatation de fictivité des sociétés, et par voie de conséquence seulement, à une restitution de biens soi-disant dissimulés, justifie son exception d'incompétence car elle ne peut être considérée comme une action en matière de faillite au sens de l'article 3 § 5° du Code de procédure civile ; qu'il s'élève contre la motivation de l'appel, basée sur une prétendue fictivité des sociétés qui devrait être débattue au lieu de leur siège, se trouve démentie par les faits et circonstances et même par le comportement de l'unanimité des créanciers d'A., qui reconnaissaient leur existence par une lettre collective des 3 au 9 novembre 1969, accordant à A. un moratoire sous la double condition de l'admission des sociétés au bénéfice du règlement judiciaire et de la poursuite de leur activité, conditions qui ont été réalisées bien avant la faillite monégasque et ont abouti à un concordat, créant des droits acquis au profit de leurs créanciers ; qu'il estime, en conséquence impensable que puisse être obtenu en France l'exequatur d'une décision telle que celle que tente d'obtenir l'appelant et conclut à la confirmation du jugement ;

Attendu que l'assignation initiale du syndic D. devant le Tribunal, suivant exploit du 6 janvier 1972, et ses premières conclusions, tendaient en leurs dispositifs à la déclaration des Sociétés Le Trèfle et Cerem, séparément ou fusionnées, en faillite commune avec A., avec toutes conséquences de droit ; que sur les conclusions des défendeurs, tendant à l'irrecevabilité de l'action en raison de l'autorité de chose jugée des décisions françaises, M. D. a modifié, par conclusions du 16 novembre 1972 l'objet de son action, demandant de déclarer les sociétés purement fictives et, par voie de conséquence de « faire rentrer dans une faillite commune tous les organismes dépendant de ces sociétés » ; que les défendeurs ont alors, les 7 février et 7 juin 1973, sans avoir entre temps conclu sur le fond, soulevé l'incompétence du Tribunal de Monaco ; qu'il ne peut donc être considéré que cette exception, fondée sur l'article 5 du Code de procédure civile, puisse, en vertu de l'article 262 du même Code, être déclarée irrecevable ; qu'elle doit être retenue sans qu'il soit nécessaire pour la Cour, en vertu de son droit d'évocation et les règles de compétence territoriale comme de compétence d'attribution étant, en matière de faillite, d'ordre public, de statuer d'office sur ce moyen ;

Attendu que le changement apporté par le syndic D., en ses conclusions, a été complet puisqu'il a soutenu la fictivité et l'inexistence de sociétés dont il reconnaissait implicitement mais nécessairement la personnalité juridique par sa demande en déclaration de faillite commune ; qu'il a par là même, transformé entièrement le fondement de son action qui pouvait, à l'origine, se rattacher à la faillite d'A. prononcée à Monaco, mais n'a plus eu ce caractère du moment où elle tendait, à titre principal, à une reconnaissance de fictivité ;

Attendu, en effet, que si la demande, telle que transformée, est susceptible d'avoir, par sa finalité, un intérêt pour la faillite monégasque, il ne peut être admis, alors surtout que l'attribution de compétence de l'article 3 § 5° dérogatoire aux règles communes est d'interprétation et d'application restrictives, qu'elle constitue une action « en matière de faillite » au sens de cet article, car elle n'a ni son fondement ni sa cause dans le droit des faillites, la fictivité d'une société pouvant être poursuivie indépendamment de toute procédure de liquidation collective ;

Que le moyen développé par les intimés doit donc être considéré comme fondé, que la compétence, formellement déclinée, des Tribunaux monégasques doit être examinée selon les règles du droit commun et qu'il y a lieu d'écarter la référence à la convention franco-monégasque du 13 septembre 1950, telle que le Tribunal avait estimé devoir la retenir en sa motivation ;

Attendu que cette compétence ne peut être reconnue tant en raison du principe général de la compétence des juridictions du domicile du défendeur que de la règle instituée par l'article 3 de la loi du 24 juillet 1966, formellement invoqué par les intimés, soumettant à la loi française les sociétés dont le siège social est situé en territoire français, ce qui a priori est le cas de la Société Le Trèfle qui, à la suite de l'absorption par elle de la Société Cerem, régulièrement autorisée le 1er juillet 1971, demeure seule intéressée au litige ;

Attendu, il est vrai, que M. D. fonde essentiellement son appel sur la fictivité de la Société qui entraînerait pour elle l'impossibilité d'avoir un siège social et dont la reconnaissance justifierait la compétence du Tribunal du domicile d'A. qui en serait le seul maître et aurait dissimulé sous son couvert sa propre activité et son patrimoine personnel ; qu'il s'élève contre la motivation du Tribunal, selon laquelle son affirmation de compétence procèderait d'une pétition de principe car elle supposerait résolu le problème de fond de fictivité ; qu'il invoque, sur ce point la jurisprudence et la doctrine françaises selon lesquelles l'appréciation du fond peut conditionner la compétence en raison du lien étroit qui existe parfois entre elles ; qu'il reproche aussi au jugement d'avoir tiré argument de ce que les sociétés seraient « in bonis » alors qu'elles se trouvent être l'objet d'une procédure de liquidation collective ;

Attendu, sur ce dernier point, que si le terme « in bonis » est inexact, le raisonnement du Tribunal ne perd pas pour autant sa valeur car les sociétés admises au règlement judiciaire, puis fusionnées, ne sont pas dessaisies de leurs biens et conservent, sous le contrôle de leur administrateur, leur personnalité juridique, sous réserve de l'absorption régulière de Cerem par Le Trèfle ;

Attendu que les références jurisprudentielles et doctrinales invoquées ne sont pas déterminantes car elles trouvent leur origine et leur fondement dans le décret français du 22 décembre 1958, modifiant dans un but d'accélération diverses règles du Code de procédure civile et instituant, en matière de compétence, le contredit ; que ces dispositions, largement étendues par le décret du 20 juillet 1972, quant à la faculté de jonction du fond et de la compétence, n'ont pas leur équivalent à Monaco, mais que dans le cadre même de l'application jurisprudentielle française, il ne peut être admis que l'examen du fond doive, en tous les cas, être uni à celui de la compétence pour déterminer celle-ci ;

Attendu que les références invoquées par l'appelant concernent des cas où la compétence d'une juridiction d'exception prud'homale ou paritaire, dépend du fond tel qu'il résulte des relations juridiques des parties (contrat de travail ou d'entreprise, bail civil, commercial ou rural) dont la nature est à déterminer, car elle influe en même temps sur le fond, sans pour autant vider l'objet même du litige, paiement de salaire ou de loyer ;

Attendu qu'en l'espèce actuelle, c'est le fond même du litige, la fictivité des sociétés entraînant l'inexistence de leur siège social, qui pourrait conditionner la compétence des juridictions de Monaco ; que c'est donc à juste titre que le Tribunal a considéré qu'il lui aurait fallu supposer le problème de fond entièrement tranché pour déterminer en sa faveur une compétence lui permettant de statuer sur cette même fictivité ;

Que les juridictions monégasque se trouvent donc incompétentes tant ratione loci que ratione materiae et qu'il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en laissant à l'appelant, ès qualités, qui succombe, la charge des dépens ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

substitués à ceux des premiers juges ;

Accueille en la forme le sieur D. ès-qualités de syndic de la faillite A., en son appel, mais l'y déclare mal fondé et l'en déboute ;

Confirme en son dispositif le jugement d'incompétence entrepris ;

Composition🔗

MM. Bellando de Castro pr., Default prem. subst. gén., MMe Sanita, Boisson av. déf., Hancy (du barreau de Nice), Benichou et Garnier (tous deux du barreau de Paris) av.

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