Cour d'appel, 15 octobre 1974, M. c/ dame L.-D. et Cie U.A.P.-Urbaine et Seine

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Abstract🔗

Accidents du travail

Victime - Protection prévue par la loi - Renonciation (non) - Victime - Prescription - Renonciation (non) - Employeur et assureur-loi - Prescription annale - Renonciation (oui)

Résumé🔗

Le caractère d'ordre public de la loi n° 636 du 11 janvier 1958 ne permet pas à la victime d'un accident du travail de renoncer à la protection instaurée en sa faveur en exerçant un droit d'option entre plusieurs actions mais lui impose la procédure et les modalités de réparation forfaitaire qu'elle institue, sous la seule réserve d'une action contre un tiers responsable, le recours de l'assureur-loi contre celui-ci étant assuré.

La victime d'un accident du travail ne peut invoquer, à l'occasion d'une poursuite pénale contre le tiers responsable, la prescription annale prévue par l'article 24 de la loi précitée, faute par lui d'avoir saisi le Tribunal dans ce délai.

L'employeur et l'assureur-loi peuvent renoncer à la prescription annale acquise en offrant rente, cet engagement constituant une obligation prescriptible par 30 ans.


Motifs🔗

LA COUR,

Statuant sur l'appel régulièrement interjeté, au bénéfice de l'assistance judiciaire d'office, par le sieur M. à l'encontre du jugement du Tribunal du 28 mars 1974 qui l'avait débouté de son action déclaratoire tendant à constater que l'action en indemnité prévue par la loi n° 636 sur les accidents du travail était prescrite ;

Attendu, en effet, que M., employé de la dame L.-D. dont l'assureur-loi est la Compagnie Union des Assurances de Paris - Urbaine, a été victime le 6 mai 1969, à Roquebrune Cap-Martin, d'un accident de la circulation qui, en tant qu'accident de trajet, a fait l'objet d'une déclaration et d'une procédure d'accident du travail ; qu'à la suite d'une expertise du Docteur Carecchio, fixant l'I.P.P. à 25 %, est intervenu, le 18 septembre 1970, devant le Juge des Accidents du Travail, un procès-verbal de non conciliation, fixant une provision et renvoyant la partie la plus diligente à saisir le Tribunal, ce qui n'a pas été fait.

Attendu qu'à l'occasion d'une poursuite pénale suivie en France contre l'auteur de l'accident, M., constitué partie civile, et déclarant avoir abdiqué son droit à la réparation sociale à Monaco, en vertu d'un droit d'option, a réclamé un capital en réparation du préjudice subi en droit commun ; que la Compagnie U.A.P. Urbaine est intervenue aux débats pour recouvrer contre le tiers responsable les sommes versées ou à verser à M. ; que par jugement du 10 juillet 1972, le Tribunal de Nice a sursis à statuer jusqu'à décision sur la prétendue prescription de l'action résultant de l'accident du travail invoquée par M. ; que ce dernier a donc saisi le Tribunal de Monaco de l'action déclaratoire ayant entraîné le jugement entrepris ;

Attendu qu'en son exploit d'appel, M. constate que le Tribunal n'a pas mis en doute la recevabilité de sa demande de caractère déclaratoire, mais reproche au jugement d'avoir retenu, au-delà des moyens de la Compagnie défenderesse qui s'en rapportait à justice, le caractère d'ordre public de la loi n° 636, à laquelle les salariés ne peuvent renoncer, mais sans attacher le même caractère d'ordre public à la prescription annale que l'article 24 institue pour l'exercice de l'action en indemnité et ce, sans doute, en raison du dernier alinéa de cet article soumettant cette prescription « aux règles du droit commun » ; qu'en admettant une certaine gradation de la notion d'ordre public selon les dispositions de la loi, il soutient que l'article 24 n'y échappe pas, mais que la courte prescription qu'il édicte n'est pas fondée sur une présomption de paiement mais sur l'intérêt public de résoudre rapidement les litiges ayant leur origine dans un accident du travail, circonstance qui exclut toute substitution, que semblent avoir admise les premiers juges, d'une prescription trentenaire au profit de la Compagnie, par des offres tardives qui, de toute façon ne seront pas acceptées par lui ;

Attendu que la dame L. et la Compagnie U.A.P., intimées, reprochent à l'appelant de méconnaître la motivation des premiers juges, tirée du caractère d'ordre public de la loi n° 636, au bénéfice de laquelle un salarié ne peut renoncer, même indirectement, ce qui serait le cas si était admise la prétention de M. de se prévaloir de sa propre carence pour invoquer une prescription que la Compagnie n'entend pas opposer et estime même inapplicable ; qu'elles concluent, de ce chef, à titre principal, au rejet de l'appel, et subsidiairement, développent à nouveau un argument de texte sur lequel le Tribunal n'avait pas estimé devoir se pencher, tiré des alinéas auxquels renvoie le 3e paragraphe de l'article 24, concernant tous des situations différentes de celle de l'espèce ; qu'elles concluent à la condamnation, en tout état de cause, de l'appelant aux dépens ;

Attendu que M., en ses conclusions du 26 juin 1974, soulève l'irrecevabilité des moyens dits « principaux » des intimées car, n'ayant pas été développés par elles en première instance, où elles déclaraient s'en rapporter à justice, faute d'intérêt personnel au litige, ils constitueraient une demande nouvelle en appel ; qu'il estime, au surplus ces moyens principaux infondés, en ce qu'ils méconnaissent la notion d'ordre public dans l'interprétation de l'article 24 et reprend, de ce chef, l'argumentation de son exploit d'appel soutenant que la soumission de la courte prescription aux règles du droit commun signifie seulement qu'elle peut être interrompue ou suspendue, hypothèse qui n'est même pas alléguée ;

Qu'il réfute l'argument de texte dit « subsidiaire » en soutenant que l'article 24 institue une prescription inséparable de la procédure engagée par voie d'assignation définie par l'article 21 bis § 3 et dans le cadre d'application de laquelle entrent toutes les hypothèses visées par les articles 21 ter, quater et quinquies : qu'il conclut donc à l'infirmation du jugement entrepris et présente dans le dispositif de ses conclusions une longue série de demandes de « dire et juger » dont plusieurs ne sont qu'indirectement en relation avec l'objet du litige et qui constituent des arguments et non des moyens ; qu'il réclame en outre la condamnation in solidum des intimées à 1 000 F de dommages-intérêts pour reprise vexatoire en appel d'arguments subsidiaires implicitement écartés par les premiers juges, et aux dépens ;

Attendu qu'il ne doit pas être perdu de vue que l'objet de l'action de M. - de caractère déclaratoire incontesté et admissible - est de voir constater la prescription de l'action en indemnisation résultant à Monaco de son accident du travail ; qu'il n'y a donc pas lieu de répondre à toutes les prétentions énoncées au dispositif lorsqu'elles ne sont que de simples arguments ou sont étrangères à cet unique objet ;

Attendu que le fait, pour la dame L. et la Compagnie U.A.P. de reprendre comme argument principal la motivation des premiers juges tirée de la notion d'ordre public ne peut être considéré, surtout de la part d'intimés, comme une demande nouvelle en cause d'appel, mais tout au plus comme un moyen nouveau, parfaitement recevable ; qu'il ne peut donc être fait droit à l'exception d'irrecevabilité soulevée par M. ;

Attendu que c'est à juste titre que le Tribunal a retenu le caractère d'ordre public de la loi n° 636, qui ne permet aucunement à la victime d'un accident du travail de renoncer à la protection instaurée en sa faveur en exerçant un droit d'option entre plusieurs actions, mais lui impose la procédure et les modalités de réparation forfaitaire qu'elle institue, sous la seule réserve d'une action contre un tiers responsable (article 13), le recours de l'assureur-loi contre celui-ci étant assuré ;

Que, bien évidemment, M. détournerait cette disposition légale s'il pouvait invoquer sa propre carence pour décliner l'application de la loi sur les accidents du travail, en vue d'obtenir la réparation de droit commun dont serait exclu l'assureur-loi ; que tel est l'argument à juste titre retenu par le Tribunal, avec l'exclusion de l'article 24 de la notion d'ordre public, sans recours à l'examen de l'analyse de textes proposée par les défenderesses ;

Attendu que la notion d'ordre public attachée à l'objet même de la loi n° 636 ne peut être considérée comme s'étendant au-delà de l'interdiction d'une convention anticipée de renonciation, à l'article 24, dès lors que :

  • 1° l'accidenté ne peut se prévaloir de cette prescription, pour les motifs ci-avant exposés ; qu'il ne figure pas au nombre des personnes qualifiées pour l'invoquer selon le traité des accidents du travail (Sachet, Tome 2 n° 1341 et suivants) ;

2° une juridiction ne serait pas fondée à la soulever d'office ;

3° l'employeur ou l'assureur-loi peuvent renoncer, non par anticipation mais par un acte postérieur, à la prescription acquise, ce qui résulte formellement en l'espèce des conclusions des intimées, qui ne constituent pas une convention au sens de l'article 46, cette renonciation représentant le point de départ d'une nouvelle prescription ; qu'il a été considéré que « si la renonciation a opéré novation de la dette, par exemple si le patron a pris vis-à-vis de la victime, l'engagement valable de lui payer une indemnité déterminée, une telle obligation ne peut être éteinte que par la prescription trentenaire » (Sachet ibid. n° 1332).

Attendu que les premiers juges ont, pour des motifs assez semblables, rejeté la demande de M. et que leur décision doit être confirmée sans qu'il soit nécessaire d'examiner plus qu'ils ne l'ont fait l'argument de texte du § 3 de l'article 24 énonçant les ordonnances du juge des accidents du travail à partir desquelles court la prescription annale puisque, de toute façon, les principes généraux du droit, auxquels il est fait référence, permettent la renonciation par le débiteur à la prescription acquise quel qu'ait été le fait qui a servi de point de départ à cette prescription.

Que M. doit, en conséquence, être débouté de son appel et de sa demande nouvelle et complémentaire de dommages-intérêts, non seulement en raison de sa succombance mais parce que nul grief ne peut être fait aux intimées d'une résistance abusive ni de la reprise en appel d'un moyen subsidiaire auquel le Tribunal avait estimé superflu de répondre ;

Attendu que M. qui succombe en son action et son recours doit supporter les dépens ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Rejetant comme inopérants ou mal fondés tous autres moyens, fins et conclusions des parties ;

Accueille en la forme le sieur M. en son appel, mais l'y déclare mal fondé et l'en déboute ;

Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a admis M. en son action déclaratoire mais a rejeté sa prétention de voir déclarer prescrite son action indemnitaire à Monaco à la suite de l'accident du travail dont il avait été victime le 6 mai 1969 ;

Rejette la demande des dommages-intérêts

Composition🔗

MM. de Monseignat prem, pr., Default prem. subst. gén., MMe Marquilly, Clérissi av. déf., Rey av.

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