Projet de loi n° 988 relative à la lutte contre les ententes dans le cadre de la passation des marchés publics

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Exposé des motifs🔗

Le 22 juin 2017, le Conseil National a adopté la proposition de loi n° 227 relative à la passation des marchés publics et des concessions service public.

Par ce texte, le Conseil National entendait moderniser le régime applicable aux marchés publics et aux concessions de service public afin de renforcer la transparence dans l'accès à la commande publique, de sécuriser les procédures de passation et de garantir une bonne gestion des deniers publics.

La matière des contrats administratifs ne relevant pas par principe du domaine de la loi, le Gouvernement Princier a informé le Conseil National, par une lettre en date du 22 décembre 2017, que la transformation

de la proposition se limiterait au dépôt d'un projet de loi visant à sanctionner pénalement les pratiques anti-concurrentielles prévues au Chapitre VI de la proposition de loi. Eu égard toutefois à l'intérêt d'une réforme d'envergure du droit de la commande publique, le Gouvernement Princier a informé le Conseil National que serait conduite, dans le même temps, une réflexion plus large visant à moderniser les textes réglementaires applicables.

S'inspirant des exemples français et luxembourgeois, la proposition de loi envisageait en effet au sein d'un Chapitre VI (De la prohibition des pratiques anticoncurrentielles) de sanctionner pénalement les personnes physique et morale ayant pris une part personnelle et déterminante dans la commission de pratiques anti-concurrentielles, et plus particulièrement d'ententes.

On rappellera que nonobstant l'application des règles européennes, les pratiques anti-concurrentielles (ententes et abus de positions dominantes) sont sanctionnées en France à la fois par l'Autorité de la concurrence, chargée de veiller au fonctionnement concurrentiel des marchés, ainsi que par les juridictions répressives. La Cour de cassation française a d'ailleurs rappelé que les deux procédures, pénale et commerciale, « sont indépendantes les unes des autres » (Cass. Crim. 10 décembre 1996, n° 94-16.234). En d'autres termes, les sanctions prononcées par l'Autorité de la concurrence peuvent se doubler de sanctions prononcées par le juge pénal.

Parmi les pratiques anti-concurrentielles, la proposition de loi visait uniquement à réprimer les « ententes » que l'on peut définir comme la concertation entre plusieurs acteurs qui décident d'agir ensemble pour ajuster leur comportement, au lieu de concevoir leur stratégie commerciale de façon indépendante. La question de l'applicabilité des règles de concurrence au droit des marchés publics, et donc la sanction des ententes et des abus de position dominante, a longtemps fait débat en France. Il est aujourd'hui reconnu que les marchés publics peuvent être le terrain de manœuvres qui précèdent et faussent les procédures de passation (répartition préalable des marchés, concertation entre les entreprises sur le niveau des offres, échanges illicites d'inforrnations...), comme le prouvent d'ailleurs les nombreuses et récurrentes décisions rendues aujourd'hui par l'Autorité de la concurrence.

Si la Principauté ne dispose pas d'un droit de la concurrence sanctionné par un juge ou une autorité indépendante permettant de consacrer des infractions économiques, la passation des marchés publics est néanmoins soumise à un ensemble de règles organisées pour l'heure par I'Ordonnance Souveraine n° 2.097 du 23 octobre 1959 réglementant les marchés de l'État, modifiée, ainsi que par les Ordonnances n° 11.519 et n° 520 du 4 avril 1995 réglementant les marchés de la Commune et des établissements publics. Ces textes prévoient le principe d'une mise en concurrence entre entreprises candidates à un marché public, laquelle est réalisée dans les conditions et formes prévues par les différentes Ordonnances Souveraines.

La sanction pénale instituée par le présent projet de loi vise à punir les personnes physique ou morale qui, en prenant part à une entente expresse ou tacite, fausseraient intentionnellement le jeu de la concurrence

n en induisant par erreur le maître de l'ouvrage sur la réalité et l'étendue du champ de ses choix, (Cour d'appel de Paris, 5 juillet 1994). Sur le modèle de son homologue français, et conformément au principe d'indépendance des législations, il ne s'agira pas pour le juge pénal de vérifier que les règles du droit des marchés publics sont respectées par les opérateurs économiques, mais de sanctionner les agissements dolosifs, ayant eu pour objet ou pour effet, de vicier le consentement de la personne publique lors de la procédure de passation du marché public.

En effet, il est aujourd'hui reconnu que la concertation sur le montant des offres, préalablement à leur dépôt, empêche la présentation d'offres plus compétitives et trompe la personne publique sur l'étendue de la concurrence en faisant obstacle à la libre fixation des prix par le jeu du marché.

Sous le bénéfice de ces observations d'ordre général, le présent projet de loi appelle les commentaires particuliers ci-après.

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Le projet de loi comprend un article unique qui introduit au sein de la section Il « Banqueroute - Escroquerie et autres espèces de fraude », du Chapitre II « Crimes et délits contre les propriétés » , du Titre II du Code pénal, un paragraphe 10 nouveau intitulé « ententes dans le cadre de la passation d'un marché public ».

L'article unique du projet de loi insère également dans le Code pénal un article 368-1 lequel sanctionne le délit de participation à une entente par les personnes physique ou morale qui, pour être constitué, requiert la réunion de plusieurs conditions, inspirées du droit français.

La personne physique doit avoir pris une part « personnelle et déterminante » à l'infraction, ce qui exclut les poursuites dirigées contre les responsables à raison des pratiques développées à leur insu par leurs subordonnés. Est sanctionné ici celui qui a accompli l'acte matériel, et prend une « part déterminante » dans la commission de l'infraction, c'est-à-dire qui initie la pratique, procède à sa mise en œuvre ou l'organise. La personne physique doit également avoir agi « frauduleusement », ce qui suppose l'usage de manœuvres intentionnelles destinées à atteindre un résultat illicite.

Il appartiendra, enfin, au juge pénal de caractériser l'existence d'une entente ayant pour objet ou pour effet de restreindre ou de fausser la concurrence dans le cadre de la passation d'un marché public. En pratique, il s'agira de vérifier si ces personnes ont tenté de fausser les procédures de passation se livrant par exemple à une répartition préalable des marchés, à une concertation sur le niveau des offres ou encore à des échanges d'informations illicites.

Conformément à l'article 4-4 du Code pénal, le projet de loi entend également consacrer la responsabilité pénale de la personne morale pour le délit d'entente. Conformément aux règles applicables en la matière, la responsabilité de cette dernière, en qualité d'auteur de l'infraction, exige la réunion de plusieurs conditions : les agissements doivent été commis, pour le compte de cette dernière, par l'un de ses organes ou représentants.

On notera enfin que cette infraction pénale sera régie par les règles de prescription de droit commun, savoir trois ans à compter du jour où le délit a été commis (article 13 du Code de procédure pénale).

Tel est I'objet du présent projet de loi.

Dispositif🔗

Article unique🔗

Après l'article 368 du Code pénal, il est ajouté un « § 10- ententes dans le cadre de la passation d'un marché public » ainsi qu'un article 368-1 ainsi rédigé :

« Article 368-1 : Est puni d'un emprisonnement d'un à cinq ans et de l'amende prévue au chiffre 4° de l'article 26 du Code pénal, ou de l'une des deux peines seulement, le fait pour toute personne physique de prendre frauduleusement une part personnelle et déterminante à la conception, l'orqanisation ou la mise en oeuvre d'accords entre entreprises ou de pratiques concertées ayant pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser la concurrence dans le cadre de la passation d'un marché public.

Est également responsable pénalement la personne morale pour le compte de laquelle l'un de ses organes ou de ses représentants s'est rendu coupable des agissements prévus au premier alinéa. Le montant de l'amende encourue par la personne morale est porté au quintuple du montant de l'amende prévue à l'alinéa précédent. Elle encoure également à titre complémentaire les peines prévues au.x articles 29-2 à 29-4 ».

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