Projet de loi n° 873 relative à la responsabilité civile des enseignants
Exposé des motifs🔗
L'enseignement constitue à Monaco une priorité de longue date.
Le Constituant lui-même en a fait sa préoccupation au travers de l'article 27 de la Constitution qui consacre le droit à l'instruction gratuite, primaire et secondaire. Quant au législateur, il s'en est également emparé avec l'ancienne loi n° 826 du 14 août 1967 sur l'enseignement, récemment refondue par la loi n° 1.334 du 12 juillet 2007 laquelle a doté le secteur de l'éducation, si essentiel pour l'avenir du pays, d'un régime moderne répondant aux exigences de notre temps dans le cadre spécifique de la Principauté.
Il est toutefois apparu que ce texte laissait une question en suspens, savoir plus précisément celle de la responsabilité des enseignants.
En effet, l'actuel régime de responsabilité civile des enseignants trouve directement son origine dans le Code civil français de 1804 qui instaurait à l'encontre de l'instituteur une présomption de faute, la même que celle pesant sur les parents et les artisans à l'égard, respectivement, de leurs enfants et apprentis. Cette identité n'était pas anodine puisque le régime de faute présumée se justifiait par la mission de l'instituteur de parfaire l'éducation de ses élèves, tout comme l'artisan pour ses apprentis, ceux-ci constituant naturellement le prolongement des parents.
Ce régime perdurera en France jusqu'à ce que la responsabilité de l'État soit substituée à celle des membres de l'enseignement public par la loi du 20 juillet 1899 et que le régime de faute présumée soit remplacé, tant pour les instituteurs du secteur public que du privé, par le régime de faute prouvée instauré par la loi du 5 avril 1937.
Cette double évolution est l'objet du présent projet de loi dès lors qu'il s'avère nécessaire, dans l'intérêt tant des professionnels de l'éducation que des élèves, de leurs parents ainsi que d'une bonne administration de la justice, de soumettre tous les enseignants à un régime pour faute prouvée et de substituer à leur responsabilité personnelle, celle de l'État ou de leur employeur. À cette fin, le recours à la loi s'impose, d'une part, pour les enseignants du secteur public, du fait de l'article 51 de la Constitution qui donne compétence au législateur pour fixer la responsabilité des fonctionnaires, et, d'autre part, par la nécessité de modifier le Code civil en ses dispositions précitées.
De plus, en raison du contrat d'association pouvant lier certains établissements d'enseignement privés avec l'État, dans le cadre désormais fixé par la loi n° 1.334 du 12 juillet 2007, le Gouvernement Princier a estimé qu'il était dans l'esprit de ce contrat, dans le sillon de la solution dégagée par la jurisprudence française, de substituer à la responsabilité de l'enseignant exerçant au sein de l'un de ces établissements sous contrat, celle de l'État et non celle de cet établissement.
Du point de vue de la technique législative, la loi n° 1.334 du 12 juillet 2007 sur l'éducation est apparue être le texte idoine pour receler les dispositions projetées.
Une telle option permet effectivement d'assurer tout d'abord l'accessibilité des dispositions projetées, dès lors que cette loi comporte un chapitre consacré aux personnels de l'éducation comprenant une section ayant spécifiquement pour objet les enseignants.
Mais elle permet également leur application à tous les enseignants, que ceux-ci relèvent d'un établissement d'enseignement public ou privé sous contrat ou non, ce que n'aurait pas permis, par exemple, une localisation <lesdites dispositions dans la loi n° 983 du 26 mai 1976 sur la responsabilité civile des agents publics.
Sous le bénéfice de ces observations d'ordre général, le présent projet de loi appelle les commentaires particuliers ci-après.
Le projet de loi commence par poser le principe de la responsabilité civile de tout enseignant, qu'il relève du public ou du privé. Sa responsabilité pour faute est engagée chaque fois que, durant le temps où il est placé sous sa surveillance dans le cadre de ses fonctions, un élève cause un dommage à autrui, y compris à un autre élève ou enseignant, ou subit un dommage causé par un tiers, voire par lui-même. Il en est de même lorsque l'enseignant cause directement un dommage à l'élève.
Ainsi, tout dommage résultant d'un défaut fautif de surveillance d'un enseignant entraîne sa responsabilité, sous réserve de l'existence d'un lien entre ce dommage et l'activité d'enseignement, y compris les activités sportives et ludiques, même lorsqu'elles se déroulent en dehors de l'établissement scolaire, qu'il s'agisse, par exemple, d'un voyage scolaire ou d'une sortie éducative.
Cependant, il est prévu que la responsabilité de l'État ou de l'établissement privé hors contrat se substitue à celle de l'enseignant qui ne peut civilement jamais être mis en cause devant une quelconque juridiction, seule sa responsabilité pénale pouvant être engagée.
Par conséquent, la victime peut se constituer partie civile contre l'enseignant qui aurait commis une faute pénale, mais seulement en vue de faire établir sa responsabilité pénale, non pour demander la réparation du dommage subi, ce qui ne fait évidemment pas obstacle à l'exercice d'une action parallèlement dirigée, devant le juge compétent, contre l'État ou l'établissement privé hors contrat substitué à l'enseignant.
Pour le reste, la solution retenue par le législateur français selon laquelle l'enseignant ne peut pas être entendu comme témoin n'a pas été reprise car il a paru au Gouvernement Princier que, dans l'intérêt de toutes les parties au litige, cette possibilité devait rester ouverte, prenant ainsi également en considération l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme sur le droit à un procès équitable.
Bien entendu, l'enseignant qui exerce pour son propre compte, tel celui donnant des cours particuliers, assume seul sa responsabilité sur le fondement de ce texte dès lors que les parents de son élève lui ont confié le devoir de surveillance.
Hormis ce cas particulier, la victime a pour seul défendeur à son action l'État si l'enseignant exerce au sein d'un établissement d'enseignement public ou privé sous contrat, ou l'établissement privé hors contrat s'il exerce au sein de ce dernier, alors même qu'elle doit démontrer - et n'a à démontrer - que la responsabilité pour faute de l'enseignant. Le projet de loi instaure ce faisant un régime de responsabilité pour faute de l'enseignant avec substitution de l'État ou de l'établissement privé hors contrat comme débiteur au titre d'une responsabilité pour fait d'autrui.
La substitution a lieu quelle que soit la faute de l'enseignant, qu'elle soit de nature pénale ou non.
Ainsi, peu importe que cette faute soit une faute de service - expression empruntée au droit administratif mais entendue dans son sens générique - résultant essentiellement d'une faute de surveillance qui s'entend de tout manquement à un quelconque devoir de vigilance ou de prudence, ou une faute personnelle détachable de la fonction, telles des violences volontaires sur l'élève.
En toute hypothèse, la responsabilité de l'État ou de l'établissement privé hors contrat est engagée dès lors que la faute de l'enseignant est prouvée par la victime qui doit également démontrer, en plus de son dommage, un lien de causalité entre ce dommage et cette faute.
En revanche, si le dommage subi est indépendant du fait personnel de l'enseignant, le droit commun de la responsabilité de l'État ou de l'établissement privé retrouve son emprise. En conséquence, est exclu du champ d'application du présent projet de loi tout dommage résultant, par exemple, d'un défaut d'organisation du service public de l'enseignement ou d'un défaut d'entretien normal de l'ouvrage public.
La responsabilité par substitution de l'État ou de l'établissement privé hors contrat ne peut donc être recherchée lorsque le dommage n'est pas imputable à un enseignant déterminé. Mais dans le cas contraire, elle est reconnue de plein droit si la faute de l'enseignant est commise dans l'exercice de ses fonctions, peu important la nature de cette faute, si ce n'est que celle personnelle détachable de la fonction permettra la mise en œuvre de l'action récursoire.
Par ailleurs, le projet de loi précise que la victime doit ester devant le tribunal de première instance, celui-ci statuant en matière civile ou administrative selon que l'action est intentée à l'encontre de l'établissement privé hors contrat ou de l'État.
Cette disposition est apparue nécessaire pour préciser clairement que, malgré le socle commun, la responsabilité de l'État s'inscrit dans le droit public et celle de l'établissement privé hors contrat dans le droit privé, justifiant ainsi cette répartition classique des compétences entre les juges civil et administratif en application de l'article 21 du Code de procédure civile et des articles 10 et 12 de la loi n° 783 du 15 juillet 1965 portant organisation judiciaire.
C'est d'ailleurs la spécificité de l'organisation du système juridictionnel monégasque qui fait du tribunal de première instance le juge de droit commun de la responsabilité de l'État, rendant inopérante la solution jurisprudentielle française qui permet à la victime de faire juger par les juridictions pénales son action civile à l'encontre de l'État (art. premier).
Enfin, le Code civil est modifié afin de supprimer l'ancien régime de responsabilité des instituteurs (art. 2 et 3).
Tel est l'objet du présent projet de loi.
Dispositif🔗
Article 1er🔗
Sont insérés après l'article 61 de la loi n° 1.334 du 12 juillet 2007 sur l'éducation, au sein de la section I du chapitre IV du titre Ill, des articles 61-1 et 61-2 rédigés comme suit:
« Article 61-1 : Tout enseignant est responsable du dommage causé ou subi par ses élèves, du fait de sa faute, pendant le temps qu'ils sont sous sa surveillance en raison de ses fonctions.
Toutefois, lorsque l'enseignant exerce dans un établissement d'enseignement public ou privé sous contrat, la responsabilité de l'État est substituée à la sienne. S'il exerce dans un établissement d'enseignement privé hors contrat, la responsabilité de ce dernier est substituée à la sienne. Dans ces deux cas, l'enseignant ne peut jamais être mis en cause devant les juridictions par la victime, ses représentants ou ses ayants droit. Il demeure néanmoins tenu de sa responsabilité pénale.
Le demandeur doit prouver la faute de l'enseignant conformément au droit commun.
L'action récursoire peut être exercée par l'État ou l'établissement d'enseignement privé hors contrat soit contre l'enseignant, soit contre les tiers, conformément au droit commun.
Article 61-2 : L'action en responsabilité intentée par la victime, ses représentants ou ses ayants droit contre l'État, représenté conformément au premier alinéa de l'article 139 du Code de procédure civile, est portée devant le tribunal de première instance statuant en matière administrative.
Celle intentée contre l'établissement d'enseignement privé hors contrat est portée devant le tribunal de première instance statuant en matière civile. »
Article 2🔗
Le cinquième alinéa de l'article 1231 du Code civil est modifié comme suit:
« Les artisans, du dommage causé par leurs apprentis pendant le temps qu'ils sont sous leur surveillance. »
Article 3🔗
Le sixième alinéa de l'article 1231 du Code civil est modifié comme suit:
« La responsabilité ci-dessus a lieu, à moins que les père et mère, tuteur et artisans ne prouvent qu'ils n'ont pu empêcher le fait qui donne lieu à cette responsabilité. »