Projet de loi n° 834 relative au reclassement des salariés déclarés inaptes par le médecin du travail
Exposé des motifs🔗
La Principauté s'est depuis longtemps dotée de dispositifs visant à améliorer la sécurité et la santé du salarié au travail.
Parmi ceux-ci, doit être citée la Loi n° 637 du 11 janvier 1958 tendant à créer et à organiser la médecine du travail qui garantit, à travers une surveillance médicale, la recherche d'une constante adéquation entre les aptitudes physiologiques du salarié et les contraintes technologiques de son poste de travail.
Par ce texte, le médecin du travail peut, à l'occasion de la surveillance qu'il exerce et, lorsque l'équilibre entre les aptitudes du salarié et celles requises par sa fonction est rompu à raison de la dégradation de son état de santé, ayant ou non entraîné une suspension du contrat de travail, être amené à déclarer l'intéressé définitivement inapte à occuper son emploi mais apte à exercer toute autre activité. Informé de la situation, l'employeur peut librement, dans ce cas, procéder à la résiliation du contrat de travail, le salarié n'étant plus en état d'exécuter les tâches auxquelles il est tenu contractuellement.
Recherchant uniquement la préservation de la santé du salarié, les dispositions en vigueur n'envisagent donc pas les conséquences éventuelles d'une décision d'inaptitude définitive sur le maintien des relations contractuelles.
Dans le silence de la loi, il peut ainsi advenir que l'employeur tarde à proposer un nouveau poste ou à mettre fin au contrat de travail. Le salarié se trouve alors dans une situation incommode car s'il ne perçoit plus de rémunération faute de pouvoir exécuter ses obligations contractuelles, il ne peut pour autant contracter avec un autre employeur à défaut d'une rupture préalable du contrat de travail.
La question de l'inaptitude du salarié n'est pas nouvelle et encore moins cantonnée au seul territoire monégasque. D'autres Etats, appelés à en connaître, ont été amenés à légiférer en vue de favoriser le maintien ou la réintégration dans l'entreprise des travailleurs qui connaissent des problèmes de santé.
Ainsi, sans aborder chacune de ces législations dans le détail, il peut être mentionné qu'en France, un droit à reclassement a été mis en place en 1981. D'abord créé pour les victimes d'accidents du travail ou de maladies professionnelles, il a été élargi aux inaptitudes de toutes origines par la loi du 31 décembre 1992. En Italie, la loi n° 69 du 12 mars 1999 sur le droit au travail des personnes handicapées réglemente les conditions de reclassement du travailleur, spécialement lorsque l'inaptitude résulte d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle. Enfin, le Luxembourg a intégré par la loi du 12 novembre 1999 dans son corpus législatif la notion de reclassement des salariés.
A Monaco, le Conseil Economique et Social a, le 6 juillet 1998, adopté un vœu aux fins de voir consacrer par notre législation un système régissant le reclassement du travailleur déclaré définitivement inapte à son poste de travail. Mais le présent projet de loi trouve plus particulièrement son origine dans la proposition de loi n° 172, adoptée par le Conseil National lors de sa séance publique du 27 juin 2005.
En réponse, par lettre ministérielle du 20 octobre 2005, il était indiqué à la présidence de la Haute Assemblée que le Gouvernement Princier considérait qu'une suite favorable devait être réservée à cette proposition, sous réserve d'un certain nombre d'amendements.
Plus précisément, le Gouvernement Princier entend, à l'instar des autres Etats européens précités, renforcer la protection du salarié en harmonisant plus efficacement le droit du travail et le droit à la santé.
En la forme, le choix a été fait de reprendre les dispositions proposées dans le corps d'un texte spécifique et non de modifier la loi n° 729 du 16 mars 1963 sur le contrat de travail, elle-même appelée à évoluer à court terme.
Sur le fond, le présent projet de loi, en vue d'éviter l'état d'incertitude ci-dessus décrié, consacre le droit du salarié à voir régler sa situation une fois son inaptitude reconnue. L'employeur est ainsi mis devant l'alternative suivante : reclasser ou licencier. Le texte s'attache en outre à faire du reclassement une option concrète et crédible. C'est pourquoi l'Etat pourra accorder des aides financières aux employeurs qui aménageront l'organisation interne de leurs entreprises dans le but de reclasser un salarié.
Parallèlement, est respectée la légitime liberté de l'employeur essentielle à la vie des entreprises, pour ce qui est de gestion de ses ressources humaines ainsi que le pouvoir décisionnel y afférent. Ainsi, la décision de licencier relèvera de son seul choix. Mais le régime du licenciement sera toutefois dérogatoire au droit commun et particulièrement favorable au salarié.
Sous le bénéfice de ces considérations d'ordre général, ledit projet appelle les observations particulières ci-après.
L'article premier pose le principe du reclassement au profit du salarié déclaré définitivement inapte à occuper son emploi.
Le dispositif projeté aura vocation à s'appliquer indépendamment du fait que le salarié ait eu, ou non, à connaître préalablement d'une suspension du contrat de travail pour cause de maladie ou d'accident médicalement constatés et quelle que soit l'origine de l'inaptitude, professionnelle ou non.
L'inaptitude temporaire faisant déjà l'objet de dispositions destinées à préserver les intérêts des salariés, seule l'inaptitude définitive ouvre droit au reclassement. Elle est prononcée lorsque le maintien du salarié à son poste de travail entraîne un danger immédiat pour sa santé ou sa sécurité ou que son état physiologique ne connaît aucune amélioration nonobstant un arrêt de travail plus ou moins prolongé.
Placé au cœur du dispositif, le médecin du travail est le seul à pouvoir déclarer l'inaptitude du salarié. Cette compétence exclusive se justifie non seulement au regard des connaissances qu'il a de l'entreprise, par les visites de contrôle qu'il est amené à effectuer dans l'année mais également au regard de l'impartialité garantie par son statut.
La déclaration d'inaptitude définitive constitue le fait générateur du processus mis en place par le présent projet au profit du salarié. Prévue à l'article 2, elle revêt une importance capitale à plus d'un titre.
D'une part, elle suspend l'exécution du contrat de travail dans le but de rendre effectivement possible le reclassement en empêchant l'employeur de mettre fin à la relation contractuelle avant qu'il n'ait préalablement rempli ses obligations légales, prévues aux articles 3 et suivants. Fort logiquement, cette suspension prend effet le jour où le salarié est déclaré inapte.
D'autre part, elle comprend les indications du médecin du travail sur les aptitudes du salarié. N'ayant aucune valeur impérative, ces indications s'analysent comme un conseil avisé destiné à l'employeur, dans un contexte particulièrement délicat et sensible, à l'effet de le guider dans les conséquences à tirer de l'état de santé du salarié concerné.
Compte tenu de ses effets et des informations précieuses qui l'accompagnent, la déclaration d'inaptitude doit être notifiée dans les plus brefs délais à l'employeur, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception postal. Cette formalité est le moyen le plus simple et le moins onéreux pour s'assurer de la transmission des informations et se garder ainsi de tout contentieux à l'encontre de la médecine du travail.
Corollaire de l'article précédent, l'article 3 impose à l'employeur, dès la présentation de la déclaration d'inaptitude définitive et au vu des indications du médecin du travail, de rechercher un nouveau poste approprié aux capacités du salarié.
Le poste proposé au salarié, consécutivement aux recherches de l'employeur, doit correspondre, autant que faire se peut, aux compétences de l'intéressé. A cette fin, l'employeur est invité à prendre toute mesure utile en opérant notamment des mutations, des transformations de postes ou des aménagements du temps de travail.
Naturellement, le salarié reste tout autant libre d'accepter ou de refuser la proposition qui lui est faite. Toutefois, pour prévenir toute décision inconsidérée, il doit en informer son employeur par écrit.
Il est également à préciser que le refus du salarié ne dispense pas l'employeur de faire de nouvelles propositions si la structure de son entreprise le permet.
Dans l'hypothèse où l'employeur n'émet aucune proposition de reclassement, l'article 4 l'oblige logiquement à en informer son salarié.
L'article 5 règle le cas où l'employeur tarde à remplir ses obligations, telles que précédemment définies.
En effet, dans la mesure où le salarié ne peut percevoir aucune rémunération à raison de l'impossibilité qu'il a d'occuper son poste de travail, une inertie de l'employeur s'avère pénalisante.
Aussi, celui-ci est-il tenu de verser au salarié déclaré inapte une indemnisation correspondant au salaire et avantages perçus pour l'emploi qu'il occupait avant la suspension si, un mois après présentation de la déclaration d'inaptitude, il n'est pas procédé à son reclassement ou mis fin à son contrat de travail.
L'article 6 détermine les conditions de la fin de la relation contractuelle. Volontairement limitées à deux, le but est de promouvoir le reclassement et en aucun cas d'interdire la résiliation du contrat de travail.
Ainsi, le licenciement est légalement fondé, de même que la rupture avant terme du contrat de travail à durée déterminée, lorsque l'employeur ne propose aucun poste correspondant aux nouvelles aptitudes du salarié ou que ce dernier refuse la ou les propositions de reclassement.
Toutefois, la rupture du lien contractuel à l'initiative de l 'employeur ne peut intervenir sans que soit respectée une formalité dérogatoire au droit commun : la consultation, par celui-ci, d'une commission spéciale.
Si le texte prévoit que sa composition et son fonctionnement seront fixés par la voie réglementaire, il peut d'ores et déjà être annoncé que cet organe comprendra notamment des représentants des employeurs et des salariés de la Principauté. L'avis de la Commission constituera un élément d'appréciation de nature à éclairer la décision définitive de l'employeur. En cas de contentieux ultérieur, cet avis sera également porté au dossier sur lequel le juge compétent aura à trancher.
L'article 7 fait écho à l'article 2 du présent projet en indiquant que la suspension du contrat de travail prend fin à l'occasion de l'acceptation du nouveau poste de travail.
Il en est bien évidemment de même en cas de résiliation du contrat de travail.
Dans cette dernière hypothèse, les articles 8 et 9 fixent les indemnités auxquelles peut prétendre le salarié.
Celles-ci diffèrent selon que l'intéressé était partie à un contrat à durée indéterminée ou à un contrat à durée déterminée.
Dans le cas d'un contrat à durée indéterminée, le salarié qui compte plus de deux années d'ancienneté ininterrompue au service du même employeur a droit à l'indemnité de droit commun appelée « indemnité de congédiement ». En outre, et nonobstant l'inobservation du préavis, il bénéficie également d'une indemnité dont le montant est établi au regard de la rémunération et des avantages qu'il aurait dû percevoir pendant la période de préavis si son état avait permis de l'effectuer. Réservée au reclassement, elle a pour but de compenser les difficultés que le bénéficiaire peut être amené à rencontrer par la suite, à raison de son affaiblissement physique.
Dans le cas d'un contrat de travail à durée déterminée, le salarié a droit à une indemnité spéciale égale au dixième des salaires et avantages perçus depuis la conclusion dudit contrat. Il s'agit de mettre en place une indemnité de rupture calculée au prorata de la période d'exécution. La base de calcul est tout naturellement le contrat au cours duquel l'inaptitude est déclarée.
Ces indemnités sont versées par l'employeur qui informe le salarié de la résiliation du contrat de travail par lettre recommandée avec demande d'avis de réception postal.
Toutefois, dans un souci d'équité, l'article 10 précise que les indemnités spécifiques au dispositif projeté ne sont pas dues lorsque le refus de reclassement par le salarié est « abusif ». Terme choisi à raison de sa souplesse, il laisse à l'employeur une légitime marge d'interprétation sous le contrôle, le cas échéant, du juge devant lequel la preuve du caractère injustifié dudit refus pourra être apportée par tout moyen.
Pour faciliter l'exercice du reclassement, la loi instaure, en son article 11, une aide financière éventuelle de l'Etat pour les transformations de postes qui sont décidées par l'employeur en application de l'article 3. Afin d'encadrer strictement l'intervention publique, les conditions de son attribution et son montant seront déterminés par voie réglementaire.
L'article 12 prévoit une sanction pénale, de nature correctionnelle, afin de réprimer l'attitude désinvolte de l'employeur qui s'abstient d'accomplir, dans le délai fixé par la loi, toute démarche tendant à régler la situation inconfortable du salarié inapte.
De manière à éviter toute ambiguïté, l'article 13 prévoit que la loi sera créatrice de droits du fait de l'inaptitude définitive déclarée à compter de la date de son opposabilité définie par l'article 69 de la Constitution, à savoir au lendemain de sa publication au Journal de Monaco.
L'article 14 affirme quant à lui le caractère d'ordre public des dispositions projetées, avec pour conséquence qu'il ne sera pas possible de faire obstacle conventionnellement aux nouveaux droits qui sont reconnus au salarié déclaré définitivement inapte.
L'article 15 enfin édicte la disposition abrogative usuelle.
Tel est l'objet du présent projet de loi.
Dispositif🔗
Article premier🔗
Le reclassement du salarié déclaré définitivement inapte à occuper son emploi par le médecin du travail est régi par les dispositions de la présente loi.
Article 2🔗
La déclaration d'inaptitude définitive est remise en main propre au salarié par le médecin du travail à l'issue d'une visite médicale. Le contrat de travail est suspendu à compter de cette date.
Le médecin du travail notifie la déclaration d'inaptitude à l'employeur par lettre recommandée avec demande d'avis de réception postal dans un délai de cinq jours francs. Il y joint un rapport dans lequel il formule ses conclusions et des indications sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise.
Article 3🔗
Au vu du rapport établi par le médecin du travail, l'employeur propose au salarié, un autre emploi approprié à ses capacités. Pour ce faire, il peut mettre en œuvre de mesures telles que des mutations, des transformations de postes ou des aménagements du temps de travail.
Le salarié est informé de la proposition de reclassement par lettre recommandée avec demande d'avis de réception postal et dispose d'un délai de huit jours à compter de la présentation de celle-ci pour apporter, selon les mêmes formes, une réponse écrite.
Article 4🔗
A défaut de proposition d'un autre emploi, conformément aux dispositions de l'article précédent, l'employeur en informe le salarié par lettre recommandée avec demande d'avis de réception postal.
Article 5🔗
Si le salarié n'est pas reclassé dans l'entreprise ou si l'employeur n'a pas mis fin au contrat de travail dans le délai d'un mois à compter de la notification de la déclaration d'inaptitude définitive, ce dernier est tenu de verser au salarié, dès l'expiration de ce délai, une indemnité correspondant au salaire et avantages de toute nature que celui-ci percevait avant la suspension de son contrat de travail.
Article 6🔗
Dans le cas prévu à l'article 4, l'employeur licencie ou rompt le contrat à durée déterminée. Il en est de même lorsque que le salarié refuse le reclassement proposé.
Le licenciement ou la rupture du contrat à durée déterminée ne peut toutefois être prononcé qu'après avis d'une commission dont la composition et les modalités de fonctionnement sont fixées par Ordonnance Souveraine. La commission rend son avis dans les quinze jours suivant sa saisine par l'employeur. Cet avis est motivé et communiqué à l'employeur ainsi qu'au salarié. L'avis est réputé favorable s'il n'est pas rendu dans le délai précité.
Article 7🔗
L'accord du salarié sur la proposition de reclassement met fin à la suspension du contrat de travail prévue à l'article 2.
Article 8🔗
En cas de licenciement, le salarié est dispensé de l'exécution du préavis et a droit à une indemnité d'un montant égal à celui de l'indemnité prévue à l'article 11 de la loi n° 729 du 16 mars 1963.
Il bénéficie également, dans les mêmes conditions et selon les mêmes modalités, de l'indemnité de congédiement prévue à l'article premier de la loi n° 845 du 27 juin 1968.
Le licenciement est notifié au salarié par lettre recommandée avec demande d'avis de réception postal.
Article 9🔗
La rupture du contrat de travail à durée déterminée ouvre droit, pour le salarié, à une indemnité d'un montant égal au 1/10ème des salaires et avantages de toute nature perçus depuis la conclusion dudit contrat.
La rupture du contrat de travail à durée déterminée est notifiée au salarié par lettre recommandée avec demande d'avis de réception postal.
Article 10🔗
Les indemnités prévues au premier alinéa de l'article 8 et à l'article précédent ne sont pas dues lorsque l'employeur établit que le refus par le salarié du reclassement proposé est abusif.
Article 11🔗
Les transformations de postes mentionnées à l'article 3 peuvent faire l'objet d'une aide forfaitaire de l'Etat dans les conditions fixées par ordonnance souveraine.
Article 12🔗
Est puni de la peine prévu au chiffre 1 de l'article 26 du Code pénal l'employeur qui, dans le délai d'un mois à compter de la notification de la déclaration d'inaptitude définitive, n'a ni reclassé dans l'entreprise le salarié inapte, ni saisi la commission mentionnée à l'article 6.
Article 13🔗
Les dispositions de la présente loi sont applicables du fait de l'inaptitude déclarée à compter du lendemain de sa publication au Journal de Monaco.
Article 14🔗
Toute convention contraire aux dispositions de le présente loi est nulle de plein droit.
Article 15🔗
Toutes dispositions contraires à la présente loi sont et demeurent abrogées.