Projet de loi n° 829 modifiant la loi n° 841 du 1er mars 1968 relative aux lois de Budget et instaurant une procédure de report de crédits de paiement sur les opérations en capital inscrites au programme triennal d'équipement public
Exposé des motifs🔗
La Loi n° 841 du 1er mars 1968 relative aux lois de budget figure assurément parmi les textes les plus fondamentaux que compte l'ordonnancement juridique de la Principauté.
Dans une matière aussi complexe que la création des institutions publiques financières du Pays, elle s'est assignée, voilà bientôt quarante ans, l'objectif d'enraciner les institutions budgétaires de l'Etat dans un historique solide et de poursuivre la modernisation de la vie financière de la Principauté, en établissant un cadre juridique sur lequel seraient à l'avenir édifiés les principaux outils de gestion et de contrôle des finances publiques comme la Commission Supérieure des Comptes, le Fonds de Réserve Constitutionnel ou les Comptes Spéciaux du Trésor.
Demeurée inchangée depuis sa promulgation, la loi n° 841 se distingue par la stabilité exemplaire de ses dispositions organiques dont l'explication tient à la nature éminemment politique des finances publiques mais également au modernisme dont fit preuve le législateur en 1968.
« Le budget national exprime la politique économique et financière de la Principauté » énonce l'article 38 de la Constitution du 17 décembre 1962. Parce qu'elles représentent à la fois l'expression et le déterminant de phénomènes politiques, les finances publiques se sont en effet toujours prêtées moins volontiers que d'autres branches du droit public aux réformes ou aux modifications législatives, lesquelles ont cette particularité, du seul fait qu'elles intéressent la procédure budgétaire, de toucher, même lorsqu'elles revêtent un aspect technique, à la distribution des pouvoirs.
Mais c'est à la sagacité des rédacteurs de l'époque plus encore qu'à la prudence continue des acteurs du processus budgétaire que le texte doit son caractère immuable, la modernité des dispositions qu'ils rédigèrent, notamment celles destinées à conférer une portée pluriannuelle à l'autorisation budgétaire, concourant de façon décisive à son inaltérabilité.
A Monaco comme dans la plupart des pays du monde, ont été reconnues les règles techniques fondamentales d'unité, d'universalité, et d'annualité budgétaires. Figurant déjà, au moins pour ce qui concerne les deux premières d'entre elles, dans l'ordonnance constitutionnelle du 5 janvier 1911, ces règles ont été depuis réaffirmées et complétées notamment par l'institution du budget unique en 1946, puis par l'œuvre du Constituant de 1962 avant que le législateur n'en assoie définitivement l'autorité en 1968.
Cependant, l'adoption par l'Etat de politiques financières à moyen ou long terme s'accommode plutôt mal d'un respect par trop strict de ces règles.
Pour ce qui concerne l'annualité budgétaire, celle-ci apparaît même nettement incompatible avec une exécution satisfaisante des opérations en capital en matière de travaux d'équipement et d'investissement, dont le déroulement, de l'engagement au paiement des dépenses, excède presque invariablement le cadre de l'exercice budgétaire.
C'est précisément pourquoi en 1968 le législateur décidait d'en assouplir la nature rigide, d'une part en consacrant une notion nouvelle, celle de « programme d'investissements d'équipement public » permettant désormais de prévoir de grandes opérations de travaux publics qui s'étendraient sur plusieurs années et, d'autre part, en instaurant le système de la double autorisation budgétaire lequel, reposant sur la dissociation fondamentale de l'autorisation budgétaire en « crédits d'engagement » et « crédits de paiement », scindait de ce fait l'autorisation de dépense en deux phases, celle de l'engagement de la dépense et celle de l'ordonnancement et du paiement de celle-ci.
Aujourd'hui, en inscrivant au cœur du droit budgétaire monégasque une procédure formalisée de report de crédits de paiement d'un exercice budgétaire sur le suivant, le présent projet de loi entend introduire dans la loi, aux côtés de ces deux supports majeurs à la pluriannualité, une technique budgétaire complémentaire tout aussi remarquable face au développement grandissant du rôle de l'Etat investisseur en matière économique, urbanistique et sociale qu'indispensable à la bonne exécution d'opérations dont le total des montants engagés représente aux environs de 30 % du budget général.
D'autre part, le projet de loi tend à remédier aux inconvénients, maintes fois dénoncés, de l'absence d'un tel mécanisme en droit positif. Comment ne pas évoquer en effet la persistance, au sein du processus budgétaire, d'écarts importants entre la prévision et l'exécution budgétaire dans le domaine des dépenses d'équipement et d'investissement rendant dès lors leur suivi par l'Assemblée plus délicat.
Devant cette absence, la Commission Supérieure des Comptes avait recommandé dès ses premiers rapports déjà que l'Administration adoptât une interprétation moins restrictive des dispositions de la loi de 1968, laquelle sans interdire expressément le recours à la pratique des reports n'en restreignait pas moins considérablement les possibilités en énonçant que « les crédits ouverts au titre d'un budget ne créent aucun droit au titre du budget suivant ».
Si l'Administration, d'une manière générale, se montra prestement acquise à l'introduction d'un tel mécanisme, ce n'est qu'au cours de récentes séances budgétaires que le Conseil National en envisagea la possibilité, son accord de principe n'ayant été finalement obtenu qu'à l'occasion du vote sur le budget primitif pour l'année 2005.
Déterminée à donner corps à son engagement, l'Assemblée adopta lors de sa séance publique du 7 décembre 2005 une proposition de loi tendant à organiser le régime des reports des crédits de paiement sur les opérations en capital. Le jour même, le Gouvernement s'engageait à préparer un texte dont le présent projet en constitue l'expression.
Dès lors, et pour ce qui est d'un mécanisme dont l'objet est de lever des contraintes pesant sur la gestion budgétaire, l'option retenue a été d'élaborer un dispositif qui offrit souplesse et transparence.
Souplesse parce que celle-ci est une condition substantielle à l'accroissement de l'efficacité de la gestion financière des dotations budgétaires, à la continuité de l'exécution des opérations ainsi qu'au renforcement d'une stratégie pluriannuelle.
Transparence parce que celle-ci constitue la garantie que les prérogatives de l'Assemblée en matière budgétaire sont préservées.
Sur une question touchant ainsi à la fois à la gestion des crédits et à l'information du Conseil National, le projet de loi a choisi le parti de l'équilibre. C'est donc dans cet esprit qu'ont été déterminées tant la forme de la décision administrative de report de crédits que la période avant la fin de laquelle le Conseil National se devait d'être pleinement informé de leur nature et de leurs montants.
Il convient au demeurant de rappeler que le mécanisme du report de crédits ne saurait servir à l'excès d'instrument pour contourner l'une des règles fondamentales du budget national, en l'occurrence celle de l'annualité. Certaines opérations ne sont effectivement ni récurrentes ni liées à une opération effectuée l'année précédente, voire n'ont pas vocation à excéder une année ou revêtent simplement un caractère provisionnel.
Dans ces conditions, la possibilité de pratiquer des reports de crédits de paiements ne serait ouverte qu'aux seules opérations au caractère pluriannuel avéré et pour lesquelles un programme précis et véritable aurait été défini. Autrement dit, en demeurant spécifique aux opérations inscrites au programme triennal, le report de crédits resterait légalement et sur le plan des principes, une procédure dérogatoire.
En définitive, en introduisant la technique du reports de crédits dans la loi n° 841, le projet de loi améliore le processus d'exécution budgétaire, mais il marque aussi dans une certaine mesure la volonté des pouvoirs publics de donner, pour la première fois depuis l'entrée en vigueur de ce texte, une « réponse législative » aux évolutions contemporaines du droit budgétaire, lequel a vu depuis quelques années la relative simplicité originelle de ses objectifs - organiser la gestion financière des recettes et des dépenses de l'Etat – s'estomper, avec l'intégration de plus en plus poussée des finances publiques dans l'économie générale, au profit d'une conception faisant du budget national un réel instrument d'action pour des interventions économiques et des changements de société.
Sous le bénéfice de ces observations à caractère général, le présent projet appelle les commentaires particuliers ci-après.
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Le projet de loi comprend quatre articles.
Le premier modifie les dispositions de l'article 5 de la loi n° 841 consacrées à certaines notions budgétaires en s'appliquant à donner de nouveaux éléments de définition, inspirés notamment de la législation française, en particulier de la loi organique n° 2001-692 relative aux lois de finances du 1er août 2001.
Le second, quant à lui, présente les aspects les plus novateurs du projet en intégrant au sein de l'article 10 les nouvelles dispositions régissant la procédure des reports de crédits de paiement proprement dite.
Les deux derniers parachèvent le dispositif en prévoyant divers dispositions finales tenant à l'entrée en vigueur du texte et à l'habituelle formule abrogative.
L'article premier du projet confirme tout d'abord la relation de dépendance exclusive qu'institue l'article 5 de loi n° 841 entre la possibilité de recourir à la technique budgétaire des crédits d'engagement assortis de crédits de paiement pour les dépenses en capital d'une part, et l'existence d'un programme triennal d'équipement public, d'autre part.
A ce titre, est inséré un nouvel alinéa rappelant spécifiquement que « pour les opérations arrêtés par le programme triennal d'équipement public, les crédits ouverts au budget sont constitués de crédits d'engagements et de crédits de paiement ».
Afin notamment de préserver au principe fondateur de l'annualité budgétaire toute son autorité et aux procédures de suivi pluriannuel comme de reports de crédits tout leur intérêt, il est en effet apparu souhaitable de ne pas opter pour une complète budgétisation des crédits d'engagement indépendamment de l'adoption d'un programme d'équipement public.
Aller dans ce sens impliquerait effectivement que de telles procédures soient appliquées pour des opérations qui, bien qu'ayant le caractère d'investissement ou d'équipement, ne sont en réalité nullement destinées à durer plus d'une année budgétaire, voire à des opérations quelconques au seul prétexte que leur délai d'exécution se serait prolongé dans le temps.
D'ailleurs, parmi celles relevant spécifiquement des articles budgétaires de la section VII, certaines n'ont pas vocation à donner lieu au vote en la forme crédits d'engagement/crédits de paiement. Il en est ainsi des simples commandes de matériel ou de fournitures qui ne se retrouvent « à cheval » sur deux exercices qu'en raison de longs délais de livraison.
Il en est de même des « acquisitions » qui ne représentant que des crédits provisionnels (achats d'immeubles, de terrains, d'œuvres d'art…) ou des nombreuses opérations de travaux publics dites « d'amélioration » dont la durée ne dépasse que très rarement quelques semaines voire quelques mois.
Dans ces conditions, le critère déterminant en la matière ne peut être l'appartenance à un même titre budgétaire.
Parce que le projet privilégie au contraire la notion de durée de l'opération, celle-ci devant nécessairement être supérieure à un an, ainsi que l'existence d'un programme précis pour la réalisation de l'opération, il a été décidé d'introduire une nouvelle définition des crédits d'engagements, ces derniers étant désormais définis comme les crédits qui « doivent couvrir un ensemble cohérent de nature à pouvoir être mis en service ou exécutés sans dépense complémentaire ». Conséquemment, la définition des crédits de paiement se voit elle aussi légèrement remaniée pour tenir compte des modifications précédentes et assurer la cohérence des notions.
Enfin, dans le cadre de la présentation budgétaire, et ceci afin de mieux distinguer dans les paiements de l'année, ceux au titre des engagements antérieurs de ceux au titre d'engagements nouveaux, l'article 5 se voit doté d'un alinéa supplémentaire répondant au souhait du Conseil National que les crédits d'engagement des exercices passés soient désormais rappelés dans chaque projet de loi de budget.
L'article 2 du projet s'applique à définir le régime juridique des reports de crédits de paiement. Dans ce cadre, il constitue le cœur du projet dans la mesure où il fixe les conditions dans lesquelles les reports pourront intervenir.
Ainsi l'article 10 de la loi n° 841 se voit-il modifié tout d'abord en son deuxième alinéa aux fins de rendre plus claire la lecture de la dérogation à la règle de l'annualité des crédits et rappeler, en accord avec la nouvelle rédaction de l'article 5 de la loi, que seules les opérations inscrites au programme triennal d'équipement public sont concernées.
En second lieu, trois nouveaux alinéas sont ajoutés, lesquels, destinés à organiser sur le plan procédural les reports, se sont efforcés de concilier la recherche de l'efficacité de gestion et celle du respect des prérogatives de l'Assemblée.
A ce titre, et afin de conférer au dispositif envisagé toute la souplesse nécessaire, le choix s'est porté en faveur d'une procédure de reports qui ne soit ni systématique ni automatique.
Au delà de certains obstacles d'ordre pratique et logistique quant à sa mise en place, une procédure systématique et automatique de reports de crédits constituerait un risque important de désorganisation budgétaire, notamment au niveau de la gestion de trésorerie.
Il est apparu opportun de surcroît que soit aménagée la faculté pour chaque opération, de reporter un montant compris entre 0 % et 100 % des sommes non dépensées.
Cette approche conduit à ce que les reports de crédits fassent dès lors l'objet d'une décision administrative.
Il a été toutefois estimé que la mise en œuvre du processus de report devait s'accompagner à la fois d'une information complète et transparente des membres de l'Assemblée sur les crédits disponibles et d'une volonté de sécuriser leur gestion par les départements assez tôt dans l'année.
Aussi, trois garanties ont-elles été posées.
La première d'entre elles tient à l'obligation de motiver la décision de reporter. Le Gouvernement est-il ainsi tenu d'élaborer un tableau des reports arrêtés accompagné d'un rapport en présentant les motifs et les explications.
La seconde porte sur la date de transmission des documents budgétaires au Conseil National. Pour que la procédure ne perde de son intérêt par rapport aux délais d'instruction d'une demande d'ouverture de crédit, il a été en effet décidé que cette transmission interviendrait à l'issue de la période complémentaire d'ordonnancement fixée au 4ème alinéa de l'article 3 de la loi n° 841.
La dernière garantie concerne la publicité des reports. Prise sous la forme d'un arrêté ministériel, la décision de reporter sera donc publiée au Journal de Monaco. Il est enfin prévu que les crédits ainsi reportés seront mentionnés dans le budget rectificatif de l'exercice en cours.
Concernant les dispositions finales d'usage, l'article 3 du projet est destiné à permettre le report de crédits non consommés durant l'exercice budgétaire 2006 sur ceux votés pour l'année 2007, tandis que l'article 4 énonce l'habituelle disposition abrogative.
Tel est l'objet du présent projet de loi.
Dispositif🔗
Article premier🔗
L'article 5 de la loi n° 841 du 1er mars 1968 relative aux lois de budget est modifié comme suit :
« Le vote du budget emporte l'adoption du programme triennal d'équipement public qui lui est annexé.
Pour les opérations arrêtées par le programme triennal d'équipement public, les crédits ouverts au budget sont constitués de crédits d'engagement et de crédits de paiement.
Les crédits d'engagements constituent la limite supérieure des dépenses pouvant être engagées. Pour une opération donnée, les crédits d'engagement doivent couvrir un ensemble cohérent de nature à pouvoir être mis en service ou exécutés sans dépense complémentaire.
Chaque programme triennal annexé à la loi de budget présente, pour chaque opération en cours, le total des crédits d'engagement nécessaire à sa réalisation ainsi que le montant total des engagements autorisés par les budgets précédents.
Les crédits de paiement constituent la limite supérieure des dépenses pouvant être ordonnancées et payées pendant l'exercice budgétaire considéré pour la couverture des engagements ayant fait l'objet d'une inscription au triennal de l'exercice ou aux programmes triennaux précédents ».
Article 2🔗
L'article 10 de la loi n° 841 du 1er mars 1968 relative aux lois de budget est modifié comme suit :
« Les crédits ouverts au titre d'un budget ne créent aucun droit au titre du budget suivant.
Toutefois, les crédits d'engagement triennalisés d'un budget donné ouvrent un droit sur les budgets suivants jusqu'à consommation totale desdits crédits d'engagement. 12
En outre, les crédits de paiements inscrits aux articles figurant au programme triennal d'équipement public d'un budget donné, et qui n'ont pas été consommés en totalité à la fin de l'exercice correspondant, peuvent faire l'objet d'un report en totalité ou en partie sur l'exercice budgétaire suivant.
A l'issue de la période complémentaire d'ordonnancement fixée au quatrième alinéa de l'article 3, le Gouvernement arrête et transmet au Conseil National un tableau des reports arrêtés accompagné d'un rapport explicitant les motifs de ces reports.
Le report prend la forme d'un arrêté ministériel. Mention est faite des crédits ainsi reportés dans le budget rectificatif de l'exercice en cours. »
Article 3🔗
La présente loi s'applique aux opérations arrêtées par les programmes triennaux d'équipement public adoptés à compter du budget Général Primitif de l'exercice 2006.
Article 4🔗
Sont abrogées, à compter de son entrée en vigueur, toutes dispositions contraires à la présente loi.