Projet de loi n° 820 relative à la procédure de révision en matière pénale
Exposé des motifs🔗
Si tout Etat de droit se caractérise par l'existence de règles de droit, l'égalité des sujets devant icelles, et l'effectivité de ses lois, il se détermine d'une manière tout aussi tutélaire par l'unité d'interprétation dont doivent se parer ses normes dans leur application, condition sine qua non de la fiabilité de la loi.
Parce qu'elle est la gardienne de cette unité d'interprétation, la Cour de Révision se situe au sommet de l'organisation judiciaire de la Principauté. Cette précellence s'infère des fonctions mêmes de cette haute juridiction régulatrice. Son rôle – primordial – consiste à vérifier si la loi a été correctement appliquée aux faits, si les formes de procédures ont été suivies. La Cour de Révision juge, non pas le procès, mais les jugements et arrêts qui lui sont soumis : elle en apprécie la conformité ou la non-conformité avec la loi, assurant ainsi une application harmonieuse des lois.
Ainsi, le pourvoi en révision s'avère être le vecteur privilégié d'unification du droit, contribuant à assurer l'unité et la constance de la jurisprudence et de la règle de droit.
Dans la Principauté, la matière spécifique du pourvoi en révision, en matière pénale, est régie par les dispositions du titre I du Livre III du Code de procédure pénale, et plus particulièrement, les articles 455 à 523.
La justice doit être rendue par un tribunal impartial : si cette exigence apparaît comme un droit fondamental, sa mise en œuvre in concreto n'est néanmoins pas exempte de difficultés. Parce que le pourvoi en révision induit, par nature, définition et mécanisme, le renvoi devant une autre juridiction, le processus met en exergue la problématique de l'impartialité des magistrats « de renvoi », laquelle s'avère déterminante.
Cette question se pose désormais avec une acuité particulière du fait de l'adhésion de Monaco au Conseil de l'Europe le 5 octobre 2004, et plus particulièrement au nouveau référentiel normatif introduit en droit interne par la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales.
D'une manière générale, la question de la conformité du droit monégasque aux dispositions conventionnelles et à la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l'Homme a été érigée au premier plan des préoccupations du Gouvernement Princier.
Aussi convient-il à cet égard de souligner que l'œuvre d'actualisation et de normalisation du droit interne s'inscrit dans le sillage d'une politique législative générale de modernisation de l'institution judiciaire par ailleurs caractérisée par le dépôt de projets de loi traitant de l'administration ainsi que de l'organisation de la justice, d'un projet de loi portant statut de la magistrature, et d'un projet de loi d'ampleur sans précédent, portant refonte intégrale du Code de procédure pénale.
Selon une appréhension plus précise, la prégnance significative de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg en matière d'impartialité du tribunal – ainsi que son évolutivité – a conduit le Gouvernement Princier à envisager une modification de la procédure afférente au pourvoi en révision en matière pénale, dans la perspective d'une mise en adéquation avec les normes prescrites par les instances européennes.
L'article 6 §1 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme exige qu'un tribunal indépendant « et impartial » statue sur les contestations. Même si le grief d'impartialité est souvent allégué cumulativement avec le manque d'indépendance, la condition d'impartialité correspond, selon la Cour Européenne des Droits de l'Homme, à une notion autonome. Elle traduit en effet le principe de neutralité du juge, qui s'oppose à ce qu'un magistrat tienne compte, dans la décision qu'il rend, de l'inclination ou de la réserve qu'il éprouve à l'égard de l'un des plaideurs, ou des contraintes plus ou moins diffuses de son milieu social ou de ses engagements personnels.
La sécurité juridique des justiciables impose le caractère prévisible de la solution, qui doit être fonction de l'état du droit positif, et non de la seule subjectivité du juge.
La Cour Européenne a opposé deux types d'impartialité : l'impartialité subjective, laquelle suppose l'absence de préjugés réels du juge régulièrement nommé, et l'impartialité objective, « amenant à rechercher si le juge offrait des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime » (Cour E.D.H., PIERSACK c/ Belgique, 1er oct. 1982) au regard de faits vérifiables ce qui interdit au juge de participer deux fois à la prise d'une décision juridictionnelle dans le même litige, sur les mêmes faits. Le préjugé qui en résulte peut alors susciter des craintes légitimes dans l'esprit du justiciable.
En ce qui concerne la mise en œuvre de l'impartialité, la Cour Européenne n'a pas énoncé de liste limitative des critères de partialité des juges. Elle opère un contrôle pragmatique en se référant, eu égard aux circonstances de l'espèce, à la composition du tribunal, qui peut révéler que certains juges ne présentent pas toutes les garanties d'impartialité, ou au fonctionnement de l'organe juridictionnel, qui peut démontrer que les juges ont déjà connu de l'affaire et pris une décision impliquant de leur part un préjugé au fond. Certaines causes de partialité du juge tiennent au seul exercice de fonctions juridictionnelles successives dans la même affaire.
Toutefois, il appert certains tempéraments au caractère absolu de l'exigence d'impartialité. La mise en oeuvre des principes relatifs à l'impartialité se pose en termes de recherche d'équilibre, en ce qu'elle permet d'assurer une protection efficace de l'intérêt particulier du justiciable, tout en ménageant les impératifs de l'intérêt général et de l'administration de la justice.
Ainsi, des considérations d'opportunité tenant à la spécificité de la procédure applicable, dans lesquelles les magistrats sont amenés à exercer diverses fonctions, et au souci d'éviter de la part des plaideurs des contestations purement dilatoires, ont conduit la Cour Européenne des Droits de l'Homme et les juridictions internes à des solutions plus nuancées en matière pénale (cf. not. Cour E.D.H., NORTIER c/ Pays-bas, 24 août 1993). Il suffit, pour que la règle d'impartialité soit considérée comme respectée, que la liberté d'appréciation des faits et la liberté de jugement ne soient pas atteintes par « une crainte de se déjuger ».
Toutefois, malgré diverses précautions légales et une certaine rigueur jurisprudentielle, l'importance du contentieux sur l'impartialité du juge demeure particulièrement singulière. La Cour Européenne a d'ailleurs bien insisté sur la nécessité, pour le juge dont on peut légitimement craindre un manque d'impartialité, de se récuser car il y va de la confiance que les tribunaux d'une société démocratique se doivent d'inspirer aux justiciables (Cour E.D.H., PIERSACK c/ Belgique, 1er oct. 1982).
Dans leur majorité, les législations nationales des Etats membres du Conseil de l'Europe ont certes prévu des parades au risque de partialité. Le droit positif monégasque organise d'ores et déjà une procédure de récusation – qui est d'ailleurs soumise aux exigences du procès équitable – articulée autour des articles 581 à 584 du Code de procédure pénale, lesquels se réfèrent au demeurant à la procédure civile, à savoir les articles 393 à 404 du Code de procédure civile.
Si la majorité des articles consacrés à la procédure devant la Cour de Révision mérite d'être conservée ne varietur, il convient en revanche d'apporter des correctifs significatifs à la procédure actuellement en vigueur, eu égard à la Convention Européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales et la jurisprudence susvisée.
Le présent projet de loi vise donc à modifier les règles applicables au pourvoi en révision.
Si, chronologiquement, les dispositions projetées figuraient originellement dans le projet de loi relative au nouveau Code de procédure pénale, le Gouvernement Princier a privilégié la voie d'un projet de loi distinct, afin d'éviter l'écueil d'une longanimité préjudiciable aux prescriptions européennes.
Sous le bénéfice de ces observations générales, les dispositions projetées appellent les observations particulières suivantes :
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L'article premier et l'article 2 servent d'articulation à une interdiction de principe, en vertu de laquelle le juge qui a rendu une décision cassée ne peut plus connaître de l'affaire en tant que juge de renvoi.
Au titre des déterminants objectifs de partialité, une importance significative est prétoriennement reconnue au criterium fonctionnel, c'est-à-dire tiré de la fonction du juge. Ainsi est-il érigé en véritable principe que la connaissance que le juge peut avoir du litige à l'occasion de fonctions antérieures, et les actes qu'il a accomplis, peuvent susciter chez le justiciable la crainte que ce magistrat, et la juridiction dont il est membre, n'offrent pas de garanties suffisantes d'impartialité. L'application de l'exigence d'impartialité entraîne l'interdiction faite au même juge de connaître deux fois la même affaire.
De la même manière, la jurisprudence européenne a consacré avec intérêt et opportunisme l'interdiction de connaître deux fois de la même affaire. Certaines circonstances peuvent conduire un juge à statuer plusieurs fois sur la même affaire : un changement d'affectation au sein du même tribunal, une mutation auprès d'une juridiction de degré supérieur intervenant sur recours contre la décision rendue initialement par le juge, l'exercice de fonctions de mise en état, puis de jugement, etc. La jurisprudence européenne s'est prononcée sur ces diverses hypothèses et a renforcé la garantie d'impartialité du juge.
En toute hypothèse, l'interdiction faite au juge de statuer sur un recours formé contre sa propre décision garantit l'impartialité du tribunal et, consubstantiellement, l'effectivité même de la voie de recours. La notion de recours repose sur la possibilité d'un contrôle hiérarchique, qui ne serait pas assuré si la décision de justice était réexaminée par les juges qui l'ont rendue. C'est pourquoi, à l'appui des normes prétoriennes européennes, un magistrat qui a siégé en première instance ne peut statuer en appel au sein de la juridiction de second degré (Cour E.D.H., OBERCHILCK c/ Autriche, 26 mai 1991). Ainsi résulte-t-il de la jurisprudence européenne que l'interdiction de siéger au sein de la formation statuant sur recours a une portée générale et concerne tout organe portant une appréciation sur l'affaire.
D'une façon générale, et à la lumière du postulat procédural selon lequel « le juge qui a jugé au fond ne peut pas rejuger » la jurisprudence européenne considère que pourrait légitimement encourir la nullité toute décision rendue par un magistrat qui aurait préalablement apprécié les faits qui doivent être jugés en participant à une décision de caractère juridictionnel.
Ainsi, aux termes des dispositions de l'article premier – portant modification de l'actuel article 496 du Code de procédure pénale – il est désormais prévu que la Cour de Révision, lorsqu'elle prononce une annulation de la décision qui lui est déférée, ne renvoie pas l'affaire devant la juridiction qui a statué (comme le Code actuel le prévoit) mais se saisit elle-même de l'affaire, en la soumettant à d'autres juges de cassation, étant entendu que la composition actuelle de la Cour de Révision lui permet d'ores et déjà de se constituer en chambres distinctes de façon à pouvoir juger les affaires dans lesquelles une décision d'annulation est intervenue.
Les dispositions de l'article 2 s'inscrivent dans le prolongement des prescriptions posées à l'article précédent, en appréhendant les questions pragmatiques d'empêchement et de suppléance des magistrats. Aussi, à l'appui d'un nouvel article 499-1, est-il désormais prévu que dans l'hypothèse où la constitution de la formation de la Cour de Révision serait rendue impossible du fait de l'indisponibilité de l'un de ses membres, la cour régulatrice se complétera du magistrat de la Cour d'Appel ou du tribunal le plus ancien dans le grade le plus élevé n'ayant jamais eu à connaître de l'affaire ou, à défaut, d'un ancien bâtonnier de l'Ordre des avocats-défenseurs n'ayant jamais eu à intervenir dans la procédure en cause et désigné par le bâtonnier en exercice.
A titre conclusif, l'article 3 insère au titre I du Livre III du Code de procédure pénale un nouvel article numéroté 499-2, disposant que la procédure devant la Cour de Révision sera celle en vigueur devant la cour d'appel.
Tel est l'objet du présent projet de loi.
Dispositif🔗
Article premier🔗
L'article 496 du Code de procédure pénale est modifié comme suit :
« Hors les cas prévus aux articles précédents, l'arrêt d'annulation renvoie l'affaire, s'il s'agit d'une affaire criminelle, devant le Tribunal Criminel autrement composé, et dans tous les autres cas, à la première session utile de la Cour de Révision autrement composée ».
Article 2🔗
Il est inséré au titre I du Livre III du Code de procédure pénale un nouvel article numéroté 499-1, rédigé comme suit :
« En cas d'indisponibilité d'un membre de la Cour de Révision rendant impossible la constitution de sa formation elle se complétera du magistrat de la Cour d'Appel ou du tribunal le plus ancien dans le grade le plus élevé n'ayant jamais eu à connaître de l'affaire ou, à défaut, d'un ancien bâtonnier de l'Ordre des avocats-défenseurs n'ayant jamais eu à intervenir dans la procédure en cause et désigné par le bâtonnier en exercice ».
Article 3🔗
Il est inséré au titre I du Livre III du Code de procédure pénale un nouvel article numéroté 499-2, rédigé comme suit :
« La procédure devant la Cour de Révision sera celle en vigueur devant la cour d'appel.
En cas de défaut, aucune opposition ne sera recevable contre l'arrêt à intervenir sur renvoi, précision qui devra figurer dans la citation délivrée au prévenu ».