Cour européenne des droits de l'homme : violation du droit au respect de la correspondance et de la vie privée en raison du recueil de données issues du téléphone portable d'une avocate lors d'une instruction pénale

  • Consulter le PDF

La Cour européenne des droits de l'homme a rendu un arrêt concernant le principe de respect de la correspondance et de la vie privée. Elle reconnaît que l'extraction et l'exploitation de données personnelles dans le téléphone portable d'une avocate réalisées par un juge d'instruction dépassant le cadre de sa saisine et sans garanties procédurales attachées au statut d'avocat de la requérante ont violé son droit au respect de la correspondance et de la vie privée au regard de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme (CEDH, Bersheda et Rybolovlev c. Monaco, n° 36559/19 et 36570/19, 6 juin 2024).

La Cour européenne des droits de l'homme avait été saisie d'une affaire concernant l'exploitation des données contenues sur le téléphone portable d'une avocate, dans le cadre d'une expertise ordonnée pour les besoins d'une instruction pénale conduite dans la Principauté de Monaco en 2015.

Des mesures d'expertises avaient été ordonnées par un juge d'instruction sur le téléphone portable de l'avocate Mme Bersheda, première requérante, dont M. Rybolovlev, second requérant, était le client. Les deux requérants, invoquaient l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme garantissant le droit au respect de la vie privée et familiale, du domicile et de la correspondance. Ils se plaignaient du recueil massif, indifférencié, disproportionné, et sans respect du secret professionnel de l'avocate, de la totalité des données accessibles depuis le téléphone portable de la requérante.

Concernant la requête de M. Rybolovlev, la Cour a considéré qu'elle était irrecevable, celui-ci ne pouvant se prévaloir de la qualité de victime au sens de l'article 34 de la Convention, puisque les messages et conversations extraits dans le cadre de l'expertise ne concernaient pas ses données et correspondances personnelles.

S'agissant de la requête de l'avocate, la Cour juge qu'il y a eu, la concernant, violation de l'article 8 de la Convention. La Cour estime que la requérante est fondée à soutenir qu'elle a fait l'objet d'atteintes au droit au respect de sa vie privée et au droit au respect de sa correspondance qui, en raison de leur caractère intrusif et de la similarité de leurs effets, sont assimilables à des perquisitions et à des saisies.

En effet, alors que l'instruction pénale portait uniquement sur l'enregistrement d'une conversation d'une dizaine de minutes effectué par l'avocate, les investigations menées sur le téléphone portable de la requérante avaient largement dépassé le cadre de la saisine du juge d'instruction. En l'espèce, l'expertise avait conduit à la récupération massive, sans sélection, sur une période de plus de trois ans, de données personnelles et professionnelles, y compris celles préalablement effacées par l'avocate. La Cour relève également l'absence de mise en place d'un cadre procédural protecteur, pourtant dû à la requérante en raison de son statut d'avocat (peu importe son appartenance à un barreau étranger) et du respect de son secret professionnel, à l'instar des garanties prévues en matière de perquisition et de saisie. Enfin, ces défaillances dans la conduite de l'instruction n'ont pas fait l'objet d'un redressement par les instances judicaires de contrôle, qui, en statuant sur les recours de la requérante ont considéré inapplicables les régimes de protection relatifs aux saisies, perquisitions, et interceptions téléphoniques.

  • Consulter le PDF