Tribunal du travail, 16 mai 2025, Madame r.G c/ La société anonyme monégasque dénommée D
Abstract🔗
Licenciement - Inaptitude - Faute de l'employeur (oui) - Manquement aux obligations de prévention - Licenciement abusif (non) - Obligation de reclassement - Impossibilité de reclassement - Indemnité de congédiement - Calcul de l'ancienneté
Résumé🔗
Le Tribunal du Travail fait droit partiellement aux demandes de la salariée en condamnant l'employeur à lui verser 25 000 € de dommages et intérêts pour mauvaises conditions de travail, mais en rejetant les autres prétentions, notamment celles liées au licenciement. La salariée, caissière depuis 2006, avait été licenciée en novembre 2022 pour inaptitude définitive à tout poste. Elle reprochait à son employeur de ne pas avoir correctement évalué les possibilités de reclassement, et de l'avoir laissée exercer dans des conditions dégradées sans suivre les recommandations médicales formulées depuis plus de dix ans.
Le Tribunal estime que l'employeur avait effectivement manqué à son obligation de prévention des risques professionnels, en ne procédant qu'à des aménagements partiels malgré plusieurs alertes de la médecine du travail et de l'inspection du travail. Ce manquement est jugé fautif, justifiant la condamnation à des dommages et intérêts. En revanche, le licenciement pour inaptitude est jugé valable, l'employeur ayant démontré qu'aucun reclassement n'était possible, compte tenu des restrictions médicales sévères imposées par le médecin du travail. La salariée n'avait d'ailleurs pas contesté cet avis. Le Tribunal rejette la demande de requalification du licenciement en licenciement abusif. Concernant l'indemnité de congédiement, le Tribunal juge que les périodes de suspension du contrat pour maladie professionnelle n'étaient pas intégrées dans le calcul de l'ancienneté selon la législation monégasque, à la différence du droit français.
TRIBUNAL DU TRAVAIL
JUGEMENT DU 16 MAI 2025
N° 26-2023/2024
En la cause de :
- Madame r.G, demeurant X2 ;
Demanderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Aurélie SOUSTELLE, avocat au barreau de Nice ;
d'une part ;
Contre :
- La société anonyme monégasque dénommée D sous l'enseigne B / E, dont le siège social se situe x1 à MONACO ;
Défenderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
d'autre part ;
Visa🔗
TRIBUNAL DU TRAVAIL
JUGEMENT DU 16 MAI 2025
N° 26-2023/2024
En la cause de :
- Madame r.G, demeurant X2 ;
Demanderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Aurélie SOUSTELLE, avocat au barreau de Nice ;
d'une part ;
Contre :
- La société anonyme monégasque dénommée D sous l'enseigne B / E, dont le siège social se situe x1 à MONACO ;
Défenderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
d'autre part ;
Motifs🔗
Madame r.G été embauchée par la SAM D à compter du 2 mai 2006 en qualité de caissière générale selon contrat à durée déterminée de 6 mois, transformé en contrat à durée indéterminée. Elle a été déclarée inapte définitive à son poste le 24 octobre 2022. Elle a été licenciée par courrier du 14 novembre 2022, après avis favorable de la commission de reclassement, pour inaptitude professionnelle.
Par requête déposée le 30 novembre 2023, Madame r.G a attrait la SAM D sous l'enseigne B / E devant le bureau de conciliation du Tribunal du travail afin d'obtenir :
• reliquat d'indemnité de congédiement (retrait de 10 mois d'ancienneté) : 720,65 euros,
• retenues charges sociales injustifiées : 1.378,63 euros,
• indemnité de licenciement : 10.809,78 euros déduction de l'indemnité de congédiement :
* 2.036,13 euros à titre principal,
* 2.756,78 euros à titre subsidiaire,
• dommages et intérêts pour licenciement abusif : 50.000 euros,
• dommages et intérêts pour mauvaises conditions de travail : 30.000 euros,
• frais exposés non compris dans les dépens (article 238-1 du Code de procédure civile) : 3.500 euros,
• les intérêts au taux légal,
• l'exécution provisoire.
À défaut de conciliation l'affaire était renvoyée devant le bureau de jugement.
Par conclusions récapitulatives du 13 février 2025, Madame r.G renonce à sa demande au titre de la retenue pour charge sociale. Elle fait valoir pour l'essentiel que :
• l'employeur a appliqué un retrait correspondant à la maladie de 10 mois sur le calcul de l'ancienneté alors que la suspension du contrat de travail ensuite d'une maladie professionnelle est une cause légale qui n'affecte pas le décompte de l'ancienneté,
• en France et dans la région économique voisine, la période de suspension pour maladie professionnelle est entièrement prise en compte pour le calcul de l'ancienneté déterminant les avantages légaux ou conventionnels,
• la jurisprudence adverse visée concerne une situation de maladie non professionnelle et une absence pour service militaire, et non une maladie professionnelle,
• le motif de licenciement n'est pas valable faute pour l'employeur de démontrer l'impossibilité de reclassement,
• le licenciement ne repose pas sur un motif valable dès lors que l'employeur s'est abstenu de procéder à une recherche loyale et sérieuse de reclassement et n'établit pas que ce reclassement s'avérait impossible,
• l'employeur doit justifier avoir effectué des démarches actives et donner des précisions sur la nature des différents postes existants et les contraintes imposées,
• la SAM D fait partie d'un groupe BRICO disposant de 132 magasins,
• ensuite de la transmission de l'avis d'inaptitude définitive l'employeur a saisi la commission de licenciement 2 jours après,
• il ne justifie ni des précédentes études de poste ni des recherches avec l'OMT,
• la SAM D disposait de la possibilité de rechercher des postes adéquats dans d'autres établissements de la même enseigne,
• la référence à la jurisprudence française n'est pas pertinente, les textes français étant différents des textes monégasques en la matière,
• le licenciement n'étant pas valable elle est fondée à obtenir une indemnité de licenciement,
• le licenciement est abusif,
• l'employeur n'a pas organisé d'entretien préalable, alors qu'elle disposait d'une grande ancienneté et avait subi de nombreux arrêts pour maladie professionnelle,
• le licenciement a dès lors été brutal,
• le fait pour un employeur de n'effectuer aucune recherche ou démarche active en vue d'un éventuel reclassement, relève d'un comportement vexatoire, démontrant une volonté d'écarter la salariée sans considération pour son état de santé, détérioré en outre au fil des années dans le cadre de l'activité professionnelle,
• le fait de saisir la commission de classement seulement 2 jours après l'avis d'inaptitude démontre une précipitation certaine,
• au cours des années passées au sein de la SAM D son état de santé physique puis mental s'est grandement détérioré,
• elle a été victime de plusieurs maladies professionnelles ou accidents du travail,
• en 2012 malgré des préconisations d'aménagement de postes, le poste était très peu aménagé ; le fauteuil n'était pas changé, elle travaillait en plein courant d'air,
• en 2013 une pétition était établie concernant les conditions de travail à la caisse,
• l'étude de poste effectuée par l'OMT en juillet 2012 confirmait les différentes problématiques pour les caissières,
• une seconde visite un an plus tard démontrait que les problématiques étaient toujours existantes,
• la SAM D n'a pas fait les aménagements préconisés : elle n'a pas acheté de siège ergonomique, elle a ajouté des roulettes réduisant encore l'espace pour les jambes,
• le seul achat dont il est justifié postérieurement au rapport de l'OMT est un tapis de caisse plus d'un an plus tard,
• une seule caisse a été dotée d'un tapis,
• les conditions de travail demeurant difficiles, une maladie professionnelle se déclenchait en 2018, puis une autre en 2019,
• l'absence de suivi des recommandations de l'OMT entre 2013 et 2020 a eu des conséquences graves sur son état de santé,
• l'employeur n'a pas pris les mesures nécessaires pour préserver sa santé, a laissé son état de santé se dégrader jusqu'à ce qu'elle soit déclarée inapte,
• cette carence fautive a causé un préjudice direct et certain,
• moralement, outre l'impact sur l'ambiance de travail et les rapports tendus avec la hiérarchie, elle a été fortement affectée par cette situation et cette absence de considération,
• elle a dû chercher de l'aide auprès de la médecine du travail ou de l'inspection du travail à plusieurs reprises,
• à ce jour, elle est toujours prise en charge par France travail et subit une perte mensuelle de revenus importante,
• les frais irrépétibles s'apprécient en équité,
• elle n'a pas introduit une action procédant de la mauvaise foi et de la vindicte,
• une telle action serait en tout état de cause sanctionnable par le biais de dommages et intérêts pour procédure abusive et non par celui des dispositions de l'article 238-1 du Code de procédure civile.
Par conclusions considérées comme récapitulatives du 16 janvier 2025, la SAM D - B / E sollicite le débouté de l'intégralité des demandes de Madame r.G, 3.000 euros au titre des frais irrépétibles et les entiers dépens.
Elle fait valoir pour l'essentiel que :
• le médecin du travail était particulièrement avisé de la situation de Madame r.G et de l'entreprise et avait réalisé en moins de deux ans deux études de postes en présence d'un ergonome,
• cette étude menée en amont de la déclaration d'inaptitude l'a conduit à conclure à l'absence de possibilité de reclassement et ajouter que le maintien de la salariée dans l'entreprise serait préjudiciable à sa santé,
• il a réitéré cette analyse devant la commission de reclassement sans que Madame r.G ne le contredise,
• l'obligation de reclassement de moyen qui pèse sur l'employeur diffère selon que le médecin du travail a conclu à une inaptitude à tout poste dans l'entreprise ou au seul poste occupé,
• en l'espèce, la marge de manoeuvre de l'employeur était nulle, le médecin du travail ayant de lui-même exclu le maintien dans l'entreprise et donc un reclassement,
• l'obligation de reclassement ne peut être satisfaite lorsque le médecin du travail considère que le salarié est inapte à tout poste dans l'entreprise au regard de son état de santé, sauf à le mettre en danger,
• la voix du médecin ne peut qu'être prépondérante : il a seul compétence pour apprécier l'état de santé du salarié couvert par le secret médical, il connaît les pathologies, les risques et les capacités du salarié,
• l'obligation de reclassement peut d'autant moins être mise en oeuvre qu'elle nécessite la validation du médecin du travail de l'éventuelle proposition faite au salarié,
• l'avis du médecin du travail met à néant l'obligation de reclassement lorsque cet avis conclut à l'absence de possibilité de reclassement,
• fort de ces évidences le législateur français a modifié la loi en conséquence et indiqué que la mention expresse par le médecin du travail que tout maintien du salarié dans l'entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé autorise l'employeur à procéder au licenciement sans rechercher un reclassement,
• de manière superfétatoire Madame r.G n'avait pas d'expérience ni de formation lui permettant d'aspirer à un poste différent,
• les allégations sur l'appartenance à une groupe sont mensongères,
• B n'est pas une société, mais une enseigne,
• la SAM D est une société monégasque autonome, elle exploite un magasin de vente au détail de produits de bricolage,
• appartenir à un réseau pour bénéficier de son achalandage et de son aura ne signifie pas appartenir à un groupe,
• les magasins constituant le réseau sont commercialement, financièrement et juridiquement totalement autonomes,
• Madame r.G n'a pas contesté ni l'avis du médecin du travail ni celui de la commission de licenciement,
• le licenciement étant valable elle sera déboutée de sa demande d'indemnité de licenciement,
• Madame r.G se livre à une lecture erronée des dispositions relatives à l'indemnité de congédiement,
• il convient de distinguer le calcul de l'ancienneté s'agissant des droits liés à l'ancienneté, du décompte de l'ancienneté pour chiffrer l'indemnité de congédiement,
• en France, l'indemnité légale de licenciement ne compte pas au rang des avantages sociaux,
• d'ailleurs, la Cour de cassation a jugé de façon constante que les périodes de suspension n'avaient pas à être retenues dans le calcul de l'indemnité légale,
• en droit monégasque il n'est pas fait de distinction entre la nature de la maladie, qu'elle soit professionnelle ou non,
• la durée de suspension pour maladie s'impute sur l'ancienneté totale,
• aucune disposition légale ne prescrit l'organisation d'un entretien préalable à licenciement,
• en l'espèce, dès la déclaration d'inaptitude, la salariée savait qu'elle ne pourrait pas réintégrer l'entreprise et n'a pu former aucun espoir en ce sens,
• dans le cas visé par Madame r.G le salarié était accessible à des postes avec aménagement et pouvait espérer un reclassement de sorte qu'un entretien permettait à l'employeur de lui expliquer pourquoi il ne disposait pas de solution,
• le délai de saisine de la commission de reclassement n'est pas surprenant,
• le responsable administratif s'était entretenu avec le médecin du travail, notamment le 26 septembre,
• les services généraux maitrisent parfaitement l'organisation de l'entreprise, les postes disponibles, le profil de chaque salarié,
• la prétention indemnitaire de Madame r.G est résolument inadaptée,
• Madame r.G allègue que son employeur serait à l'origine de la dégradation de sa santé physique et mentale sans le démontrer,
• s'agissant de son état de santé mental, il n'est nullement documenté et passe sous silence la perte brutale de son compagnon dans le courant de l'année 2022,
• sur le plan physique il est faux de prétendre à un défaut d'aménagement de son poste de travail,
• elle s'appuie sur un premier rapport qui ne concerne aucunement son poste de travail, mais l'accueil de la clientèle,
• le second qui traite du poste de caisse confirme que des aménagements ont été faits avant la visite,
• un fauteuil ergonomique a été acheté,
• l'opératrice a la place suffisante pour ses jambes et le recul nécessaire,
• l'écran est à hauteur de visage, l'imprimante des tickets et le TPE sont à portée de main,
• la seule imprimante à 54 cm du sol est une imprimante qui ne sert qu'occasionnellement,
• les caisses ont été dotées de tapis roulant automatique,
• la médecine du travail a acté que les aménagements appelés ont bien été réalisés,
• il n'y a pas eu de rapport postérieur à celui de 2013,
• Madame r.G a contraint à exposer des frais pour se défendre d'une action infondée,
• si le recours au juge est libre il doit être encadré et l'existence de l'article 238-1 du Code de procédure civile participe de cette régulation.
SUR CE,
Sur les mauvaises conditions de travail
L'employeur est garant de la sécurité et de la santé de ses salariés et doit prendre toutes mesures pour les protéger.
Madame r.G reproche à son employeur de l'avoir laissée travailler dans des conditions dégradées, sans prise en compte des préconisations médicales, ce qui aurait dégradé son état de santé jusqu'à conduire à son inaptitude définitive.
Il est établi par les pièces médicales que dès le mois de juin 2011, un médecin, au vu des douleurs au rachis dont elle se plaignait, recommandait l'adaptation de son poste afin d'éviter le port de charges lourdes ou éventuellement une réduction du nombre d'heures travaillées. Toutefois, rien ne démontre que l'employeur ait eu connaissance de ce certificat ou de l'état de santé de sa salariée, à défaut pour Madame r.G de l'en avoir informé.
Ce n'est que suite à un accident du travail déclaré le 26 octobre 2011 que l'employeur va être informé de l'avis de l'office de la médecine du travail du 8 mai 2012 et de la demande d'aménagement de poste, afin d'éviter trop de sollicitation au niveau du dos (torsion du dos et soulèvement de charges).
À cette même période, Madame r.G saisissait l'inspection du travail pour se plaindre de l'absence de respect de l'aménagement de son poste et particulièrement de l'absence de siège ergonomique et du fait de travailler en plein courant d'air. Ainsi, une visite d'un intervenant en prévention des risques professionnels était ordonnée par la médecine du travail et préconisait le 12 juillet 2012 la mise en place d'un siège assis/debout, d'un espace libre sous le poste de minimum 40 centimètres de profondeur et des éléments de caisse selon un schéma précis.
Selon rapport d'expertise médicale du 25 septembre 2012, le poste de travail n'aurait été que partiellement aménagé, sans que le Tribunal n'ait de connaissance précise à ce sujet, ni que le médecin n'ait personnellement constaté la situation.
Le 21 août 2013, les caissières signalaient diverses problématiques aux caisses et notamment l'absence de tapis roulant et une mauvaise position assise/debout (assis : torsion, dos en avant, pas de repose pied / debout : écran trop bas, dos courbé, clavier visible qu'à moitié).
Le 3 septembre 2013 l'intervenant en prévention des risques professionnels confirmait que les plaintes des caissières étaient fondées et formulait les recommandations suivantes :
• rehausser le comptoir pour récupérer de la hauteur et protéger l'arrête sous le tiroir-caisse,
• remonter la hauteur de l'écran en installant un bras articulé,
• mettre une bande transporteuse (tapis roulant par exemple),
• dégager l'espace sous les caisses et sur tout l'espace de rotation de la chaise,
• mettre à disposition un repose-pied,
• inverser les emplacements de l'imprimante et des tiroirs de rangement,
• permettre à l'hôtesse de bouger le clavier,
• mettre un bras articulé pour le maintien de l'écran.
Il est dès lors établi que malgré des recommandations précises au mois de juillet 2012, plus d'un an après, l'employeur n'avait pas déféré aux recommandations puisque les mêmes problématiques demeuraient. Il n'avait surtout pas aménagé le poste tel que sollicité dès le mois de mai 2012.
Sur l'intégralité des aménagements sollicités, l'employeur ne va déférer que partiellement à l'une d'entre eux, en achetant un tapis roulant le 14 mai 2014 et donc en équipant une caisse sur les deux. Pour le reste, aucun élément ne démontre qu'il ait fait quoi que ce soit.
En réalité, les éléments postérieurs produits par Madame r.G démontrent que les aménagements n'ont pas été faits. Ainsi, aux termes de l'expertise du 10 septembre 2018, diligentée dans le cadre d'une maladie professionnelle pour syndrome du canal carpien et ténosynovite du fléchisseur du 3ème rayon de la main droite déclarée le 6 mars 2018, le médecin sollicitait un poste de travail avec un clavier d'ordinateur facile d'accès, ce qui confirmait que l'employeur n'avait pas adapté la caisse à ce sujet. Cet avis de nécessité d'aménagement de poste était réitéré par le médecin du travail le 4 janvier 2019, afin d'éviter le port répété de charges lourdes et les mouvements forcés des poignets.
Pour autant, tel que cela ressort de l'expertise du Docteur C diligentée le 19 mai 2020, l'aménagement du poste de travail n'a jamais été effectif. C'est en raison de cela que Madame r.G a été placée pendant plusieurs périodes en mi-temps thérapeutique, notamment du 3 octobre 2018 au 2 janvier 2019. Ainsi, comme l'analyse justement l'expert, l'employeur n'avait pas attribué de poste allégé ou de conditions de travail adéquates à sa salariée. C'est dans ces conditions qu'une dernière maladie professionnelle s'est déclarée le 19 décembre 2019.
Face à ces éléments détaillés quant à l'état de santé de la salariée et son aggravation au fil des années, ainsi que relatifs aux nécessités d'aménagement de son poste de travail, l'employeur n'apporte aucun élément de contradiction. Il ne justifie surtout pas d'avoir pris en compte les demandes médicales, à l'exception de la mise en place d'un tapis roulant, bien insuffisant au regard de l'ensemble des adaptations qui étaient nécessaires. En effet, sans être exhaustif, les demandes d'aménagement étaient faites dans les objectifs suivants :
- diminuer les efforts fournis,
- éviter les mouvements à risque de troubles musculo-squelettiques,
- éviter les mouvements de torsion du tronc,
- diminuer la fatigue et favoriser la circulation sanguine dans les jambes,
- soulager les douleurs lombaires,
- éviter les mouvements d'extension des poignets et de flexion du tronc,
- éviter les contraintes au niveau de la nuque.
Or, Madame r.G va demeurer soumise à tous ces risques et va subir deux maladies professionnelles en lien avec les contraintes imposées par son poste de travail. En ne prenant pas en compte son état de santé, l'employeur a commis une faute qu'il convient de réparer par l'allocation de dommages et intérêts.
Au sujet du préjudice, Madame r.G soutient que son inaptitude serait liée aux mauvaises conditions de travail dans lesquelles elle aurait exercé et que la perte de revenue subséquente à sa perte d'emploi devrait être indemnisée. Or, si son état de santé est documenté jusqu'en décembre 2019, ce n'est pas le cas par la suite. En effet, elle ne produit aucune pièce pour justifier des raisons médicales ayant conduit à de nouveaux arrêts de travail à compter du mois d'avril 2021. Les avis du médecin du travail ne sont pas plus éclairants puisque les seules recommandations émises concernent le respect des gestes barrières (nécessaires à l'époque). Le Tribunal n'est pas plus informé des causes de l'avis d'inaptitude définitive en octobre 2022. En l'absence de démonstration du lien de causalité entre l'inaptitude et les contraintes du poste, il n'est pas établi que l'employeur soit responsable de la perte de poste. En tout état de cause, si tel avait été le cas, il aurait convenu d'apprécier cette part de responsabilité, qui doit être pondérée par l'état antérieur du salarié et les causes extérieures à la relation de travail.
Il demeure le préjudice moral d'avoir eu à travailler sur un poste de travail non conforme aux normes édictées en matière de prévention des risques professionnels et de ne pas avoir bénéficié des multiples aménagements de poste sollicités par les différents médecins l'ayant auscultée, outre les évidences souffrances endurées et ce pendant plus de 10 ans. La SAM D est en conséquence condamnée à lui verser la somme de 25.000 euros de dommages et intérêts pour mauvaises conditions de travail, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement.
Sur le licenciement
Sur le calcul de l'ancienneté
Aux termes de l'article 1er de la loi n° 845 du 27 juin 1968 « Tout salarié, lié par un contrat de travail à durée indéterminée et qui est licencié alors qu'il compte deux ans d'ancienneté ininterrompue au service du même employer, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de congédiement dont le montant minimum ne pourra être inférieur à celui des indemnités de même nature versées aux salariés dans les mêmes professions, commerces ou industries de la région économique voisine. Les circonstances qui entraînent légalement la suspension du contrat de travail ne sont pas regardées comme interrompant l'ancienneté du salarié pour l'application du présent article. Toutefois, la période de suspension n'entre pas en compte dans la durée d'ancienneté exigée pour bénéficier des dispositions qui précèdent. ».
Les parties sont en désaccord sur les modalités de computation de l'ancienneté, passé le délai de deux ans ; l'employeur ayant décompté les périodes d'absence pour arrêt de travail de la salariée, ce que cette dernière conteste.
Il a récemment été rappelé (Tribunal du travail 24 janvier 2025) que pour que l'ancienneté ne soit pas interrompue, il est nécessaire que le contrat de travail soit légalement suspendu. Pour ce faire, un texte doit le prévoir, ce qui est le cas dans la législation monégasque notamment en matière de congé paternité (articles 5 et 7 « pendant la durée légale du congé de paternité, le salarié conserve ses droits d'ancienneté dans l'entreprise »), de travail des femmes salariées en cas de grossesse ou de maternité (article 6 « pendant la durée légale du congé de maternité, la femme salariée conserve ses droits d'ancienneté dans l'entreprise »), de congé d'adoption (articles 4 et 6 « pendant la durée légale du congé d'adoption, le salarié conserve ses droits d'ancienneté »).
De même, si en droit français l'interruption de l'ancienneté est écartée en matière d'accident du travail ou de maladie professionnelle (article L.1226-7 du Code du travail), tel n'est pas le cas en droit monégasque. En effet, aucune disposition de la loi n° 444 du 16 mai 1946 étendant aux maladies professionnelles la législation sur les accidents du travail ni de la loi n° 636 du 11 janvier 1958 tendant à modifier et à codifier la législation sur la déclaration, la réparation et l'assurance des accidents du travail, ne le prévoit. Par ailleurs, aucun usage n'est revendiqué à ce sujet.
Dans ces conditions, c'est à juste titre que l'employeur a déduit les périodes d'absence pour maladie professionnelle de l'ancienneté retenue pour le calcul de l'indemnité de congédiement. La demande à ce titre est en conséquence rejetée.
Sur la validité du motif de licenciement
La validité du licenciement d'un salarié malade est subordonnée à la reconnaissance de son inaptitude physique définitive par le médecin du travail et à l'impossibilité démontrée par l'employeur de procéder à son reclassement ou au refus par le salarié du reclassement proposé.
En l'espèce, Madame r.G a été déclarée définitivement inapte à tout poste dans l'entreprise par le médecin du travail le 24 octobre 2022 dans les termes suivants : « Inapte définitif à son poste de caissière dans l'entreprise SAM D. L'état de santé de la salariée ne permet pas, ce jour, de proposer des tâches ou postes dans l'entreprise. L'état de santé de la salariée n'est pas compatible avec son maintien dans l'entreprise. Le maintien de la salariée dans l'entreprise serait préjudiciable à sa santé ».
Face à cette inaptitude, il appartient à l'employeur de rapporter la preuve de l'impossibilité de reclasser le salarié, et ce nécessairement après avoir étudié les possibilités existantes ou pouvant exister au sein de l'entreprise en fonction des préconisations de la médecine du travail.
À ce sujet, il est établi que l'avis d'inaptitude du médecin du travail déclarant le salarié définitivement inapte à tout emploi dans l'entreprise ne peut dispenser l'employeur de procéder à la recherche de postes de reclassement. Pas plus que la mention expresse par le médecin du travail que tout maintien du salarié dans l'entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé, le législateur monégasque n'ayant pas procédé à une modification législative en ce sens contrairement au législateur français.
Pour autant, en l'espèce, face à une obligation de moyen, l'employeur ne pouvait aller à l'encontre de l'avis médical circonstancié rendu après des années d'aménagement de poste.
Si le délai entre l'avis d'inaptitude et l'annonce de l'impossibilité de reclassement peut laisser à croire qu'aucune recherche sérieuse n'a été réalisée, en réalité elles ont bien eu lieu, mais précédemment à l'avis d'inaptitude. De même, une étude de poste avait été réalisée en présence d'un ergonome en novembre 2020. Enfin, le 30 septembre 2022, soit moins d'un mois avant l'annonce de l'impossibilité de reclassement, une dernière recherche avait été réalisée par l'employeur en concertation avec le médecin du travail qui avait conduit ce dernier à rendre son avis d'inaptitude définitive sans demande de reclassement.
Il est donc établi que l'employeur avait recherché des solutions de reclassement mais qu'il se heurtait à une impossibilité médicale qu'il ne pouvait pas surmonter. En effet, malgré une forte volonté du législateur de protéger l'emploi des personnes inaptes et une importante obligation pesant sur les employeurs, il ne peut leur être imposé d'aller à l'encontre d'un avis médical mettant en avant les risques encourus pour la santé du salarié, sans se contredire quant à leurs autres obligations en matière de protection de cette santé.
Surabondamment, il peut être noté que Madame r.G tout en contestant la validité de son motif de licenciement, et soutenant donc qu'elle pouvait être reclassée, n'a pas contesté l'avis du médecin du travail tel qu'elle le pouvait en application de l'article 2-3 dernier alinéa de la loi n° 637 du 11 janvier 1958 tendant à créer et à organiser la médecine du travail
Le motif de licenciement est en conséquence valable et la demande d'indemnité de licenciement est rejetée.
Sur le caractère abusif du licenciement
Constitue un licenciement abusif celui prononcé pour un faux motif ou avec intention de nuire ainsi que celui mis en oeuvre de manière abusive.
En l'espèce, aucun autre motif que l'inaptitude de la salariée ne sous-tend la décision de l'employeur, qui n'a pas cherché à nuire à la salariée. Dans ces conditions, le préjudice matériel lié à la perte de l'emploi n'a pas à être indemnisé.
Concernant les circonstances de mise en oeuvre, Madame r.G reproche à son employeur de la précipitation dans le délai d'annonce de l'impossibilité de reclassement et de la brutalité dans l'absence d'organisation d'entretien préalable.
À ce dernier sujet, aucune obligation ne pèse sur l'employeur. En l'espèce, Madame r.G avait connaissance de son inaptitude et de l'impossibilité de la reclasser compte tenu de son état de santé depuis le 24 octobre 2022. Elle a pu assister à la commission de reclassement et a pu échanger avec son employeur à cette occasion. Dans ces conditions, elle savait depuis plusieurs jours que la décision de licenciement était inéluctable et n'a pu être surprise. Quant au délai d'annonce de l'impossibilité de reclassement, il ne traduit pas en l'espèce de précipitation mais s'explique par les recherches réalisées en amont. L'employeur n'a dès lors commis aucune faute dans la mise en oeuvre du licenciement. La demande de dommages et intérêts pour licenciement abusif est rejetée.
Sur les autres demandes
La SAM D succombant, elle est condamnée aux entiers dépens. Elle est en outre condamnée à verser à Madame r.G la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles.
La nécessité que l'exécution provisoire soit prononcée n'étant pas documentée, il n'y a pas lieu de l'ordonner.
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL DU TRAVAIL, statuant par mise à disposition au Secrétariat du Tribunal du travail, contradictoirement, en premier ressort et après en avoir délibéré,
Condamne la SAM D sous l'enseigne B / E à verser à Madame r.G la somme de 25.000 euros (vingt-cinq mille euros) de dommages et intérêts pour mauvaises conditions de travail, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement ;
Rejette le surplus de la demande ;
Rejette la demande de Madame r.G de reliquat d'indemnité de congédiement ;
Dit que le motif de licenciement est valable ;
Rejette la demande de Madame r.G d'indemnité de licenciement ;
Dit que le licenciement n'est pas abusif ;
Rejette la demande de dommages et intérêts pour licenciement abusif de Madame r.G ;
Condamne la SAM D sous l'enseigne B / E aux entiers dépens ;
Condamne la SAM D sous l'enseigne B / E à verser à Madame r.G la somme de 2.000 euros (deux mille euros) au titre des frais irrépétibles ;
Rejette le surplus des demandes respectives des parties ;
Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;
Composition🔗
Ainsi jugé par Madame Cyrielle COLLE, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Monsieur r.H et Madame v.J, membres employeurs, Messieurs p.F et s.I, membres salariés, assistés de Madame Céline RENAULT, Secrétaire adjoint, et - en l'absence d'opposition des parties - mis à disposition au Secrétariat du Tribunal du Travail, le seize mai deux mille vingt-cinq.