Tribunal du travail, 1 avril 2025, Madame m.M c/ La société anonyme monégasque dénommée B
TRIBUNAL DU TRAVAIL
JUGEMENT DU 4 AVRIL 2025
N° 53-2022/2023
En la cause de :
Madame m.M, née le jma à Pontarlier (25462 - France), de nationalité française, demeurant X1 ;
Demanderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, substitué et plaidant par Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur près la même Cour ;
d'une part ;
Contre :
La société anonyme monégasque dénommée B, dont le siège social se situe x2 à Monaco, prise en la personne de son Président en exercice ;
Défenderesse, ayant primitivement élu domicile en l'étude de Maître Sophie-Charlotte MARQUET, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, puis en celle de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
d'autre part ;
Visa🔗
LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu la requête introductive d'instance en date du 6 avril 2023, reçue le 7 avril 2023 ;
Vu la procédure enregistrée sous le numéro 53-2022/2023 ;
Vu les convocations à comparaître par-devant le bureau de jugement du Tribunal du travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 9 mai 2023 ;
Vu les conclusions récapitulatives de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur au nom de Madame m.M, en date du 10 octobre 2024 ;
Vu les conclusions récapitulatives de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur au nom de la SAM B, en date du 16 janvier 2025 ;
À l'audience publique du 20 février 2025, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries, l'affaire était mise en délibéré pour être rendue le 4 avril 2025, sans opposition des parties par mise à disposition au Secrétariat du Tribunal du travail, ces derniers en ayant été avisées par Madame le Président ;
Vu les pièces du dossier ;
Motifs🔗
Madame m.M a été embauchée en qualité de gestionnaire à compter du 1er avril 2006 suivant contrat à durée indéterminée par la banque AA. Elle a été successivement nommée « Head of Portfolio Management » en 2012 puis « Deputy ZE » en 2013 puis « Chief Investment Officer » en 2015. Elle était depuis 2015, en sus de ses fonctions, membre du comité de direction. Courant juillet 2018, la banque AA a été rachetée par la Compagnie Financière AB. En 2019, elle a été nommée « Responsable Advisory Groupe ». Elle a été licenciée pour faute grave par courrier recommandé du 23 mars 2023.
Par requête déposée le 7 avril 2023, Madame m.M a attrait la B devant le bureau de conciliation du Tribunal du travail aux fins de voir :
Sur la notification de la mise à pied à titre conservatoire et sur la rupture du contrat de travail
dire et juger que la mise à pied à titre conservatoire notifiée à Madame m.M le 9 décembre 2022 a été mise en œuvre dans des conditions humiliantes, brutales et vexatoires,
dire et juger que la suspension de ses accès à distance pendant la durée de la mise à pied à titre conservatoire n'est pas justifiée et n'avait que d'autre but que d'orchestrer une carence probatoire au préjudice de Madame m.M,
dire et juger que le licenciement prononcé à l'encontre de Madame m.M le 23 mars 2023 pour faute grave ne repose pas sur un motif valable,
dire et juger que le licenciement prononcé à l'encontre de Madame m.M revêt un caractère fallacieux,
dire et juger que le licenciement prononcé à l'encontre de Madame m.M présente un caractère abusif en ce qu'il a été prononcé dans des conditions brutales, vexatoires et humiliantes,
En conséquence, condamner la B à payer à Madame m.M les sommes suivantes :
• 276.304,40 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement conformément aux dispositions des articles 38 à 40 de la Convention Collective Monégasque du travail du personnel des banques,
• 46.759,60 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
• 4.675,96 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,
• 750.000 euros au titre de dommages et intérêts en raison du préjudice moral et matériel subi du fait de la mise à pied à titre conservatoire et du licenciement qui ont été mis en œuvre dans des conditions humiliantes, brutales et vexatoires,
• 180.000 euros au titre du bonus de l'année 2022 que la B aurait dû verser à Madame m.M au cours du mois de février 2023,
• 15.000 euros au titre des frais irrépétibles,
• les entiers frais et dépens,
• l'exécution provisoire.
À défaut de conciliation l'affaire était renvoyée devant le bureau de jugement.
Par conclusions récapitulatives du 10 octobre 2024, Madame m.M sollicite en sus :
• 60.000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice moral subi pendant la procédure en raison des propos outrageants contenus dans les conclusions récapitulatives n° 2 du 13 juin 2024 de la B,
• rejeter des débats les pièces adverses nos 39, 41, 42, 65 et 67,
• la nullité des pièces adverses nos 66 et 72,
• prendre acte de l'absence de production au débat par la B du registre d'entrée et de sortie du personnel.
Elle fait valoir pour l'essentiel que :
• la demande reconventionnelle pour procédure abusive est irrecevable pour ne pas avoir été soumise au préliminaire de conciliation,
• subsidiairement elle doit être rejetée, l'exercice d'une action en justice représentant la mise en œuvre d'un droit fondamental,
• la procédure de licenciement a été mise en œuvre de manière abusive,
• la mise à pied à titre conservatoire du 9 décembre 2022 a été notifiée de manière humiliante et vexatoire,
• elle n'a été reçue que 5 minutes, sans aucune explication,
• elle a dû prendre ses affaires dans la précipitation et quitter immédiatement la banque devant ses équipes choquées et son fils en larmes,
• dès la notification de sa mise à pied, la banque a décidé de couper ses accès à distance, or, rien ne le justifiait,
• il ne lui était en effet pas reproché des faits de captation ou de détournement de données confidentielles,
• cette décision a gravement porté atteinte à l'impérieuse protection de ses droits de la défense,
• elle s'est retrouvée dans l'impossibilité matérielle d'assurer sa défense, grave atteinte à l'égalité des armes,
• sans accès aux courriels elle ne peut identifier ceux qui sont nécessaires à sa défense,
• elle n'est jamais entrée en contact directement avec aucun des clients de la banque, son nouveau numéro de téléphone ayant simplement été notifié automatiquement à tous ses contacts,
• les courriels transférés sur sa boîte e-mail personnelle ne font apparaître aucun élément confidentiel ou sensible appartenant à la banque,
• au-delà de la coupure de ses accès, la banque a fait régner depuis le 9 décembre un climat de crainte au sein des salariés,
• la mise à pied conservatoire a été anormalement longue (19 jours),
• le seul rapport communiqué dans le dossier disciplinaire illustre le fait que la banque n'a pas obtenu d'éléments nouveaux, rendant d'autant plus inexplicable et inacceptable cette durée,
• la Compagnie Financière AB avait dès le 6 décembre pris la décision de la licencier,
• la banque ne justifie nullement ce délai,
• le timing de la période des fêtes démontre une volonté de lui nuire ou à tout le moins un manque de délicatesse évident,
• le motif de licenciement est totalement infondé et n'est étayé par aucun élément vérifiable,
• le seul rapport d'audit d'un cabinet de recrutement ne dispose d'aucune garantie d'impartialité,
• l'administrateur de la banque AB avait d'ailleurs clairement indiqué à l'administrateur délégué que les accusations étaient infondées et téléguidées,
• certains propos contenus dans les conclusions de la banque sont outrageants,
• il s'agit même d'une atteinte à sa vie privée,
• les affirmations relatives aux relations qu'elle aurait entretenues avec Monsieur j.J, l'administrateur délégué, n'ont pour seul objectif que de nuire à sa réputation,
• ils portent atteinte à son honneur et excèdent la liberté d'expression nécessaire au déroulement des débats judiciaires et la critique acceptable dans un débat judiciaire,
• le rapport d'audit n'étaye ni ne justifie du bien-fondé de la décision de licenciement,
• alors que l'objectif de cet audit était de résoudre les difficultés relationnelles pouvant exister entre les différentes entités du groupe, il s'agit d'un document exclusivement à charge à son encontre,
• il est exclusivement basé sur 17 témoignages tous anonymes (dans un groupe de 160 collaborateurs, dont 90 à Monaco) recueillis dans des conditions ignorées,
• la mission d'audit n'est pas transparente sur les personnes auditionnées et les questions posées,
• elle a été sciemment trompée par les auditeurs qui ne lui ont posé qu'une seule question concernant les problèmes de communication avec la maison mère,
• elle n'a jamais été convoquée au moindre entretien, ni interrogée sur les faits reprochés, ni confrontée aux collaborateurs se plaignant,
• les 17 personnes dorénavant identifiées se trouvent hiérarchiquement à son niveau ou à un niveau supérieur et ne font pas partie de son équipe,
• ce sont des personnes ayant une capacité à échanger, à gérer du stress sans crainte de s'exprimer,
• le rapport est une accumulation de déclarations très générales sans qu'aucune ne soit corroborée par des faits précis,
• elle avait été auditée sur plusieurs critères et à aucun moment il n'était fait état d'une gestion de l'activité opaque,
• aucune des pièces produites par la banque n'étaye sa prétendue communication agressive,
• son exigence et sa rigueur n'ont jamais été synonymes de comportements anormaux ou agressifs,
• être précis, direct et synthétique ne relève pas d'une quelconque forme de harcèlement mais est l'essence même d'un rôle de manager,
• si des désaccords ont pu être exprimés, ils ne mettent pas en évidence des pressions agressives ou humiliantes de sa part,
• cinq attestations produites par la banque n'ont pas été rédigées par un tiers au litige, mais par les instances dirigeantes,
• deux attestations sont nulles pour ne pas mentionner les sanctions encourues en cas de fausse attestation,
• les témoignages ne sont pas étayés ni corroborés et sont en contradiction avec la réalité des échanges,
• il n'existait aucun signe annonciateur du licenciement pour faute grave,
• en 17 ans de carrière elle n'a jamais reçu le moindre avertissement ou le moindre commentaire sur sa communication ou son management,
• ses évaluations ont toujours été irréprochables quant à ses capacités managériales,
• sa position hiérarchique et les augmentations récurrentes de son salaire sont révélatrices de ses compétences professionnelles,
• elle a toujours dirigé l'une des équipes les plus stables au sein de la banque,
• elle n'a jamais fait l'objet d'une plainte pour harcèlement, malgré l'existence d'une procédure interne dédiée qui avait déjà été utilisée,
• le seul ancien collaborateur se plaignant avait été licencié pour insuffisance professionnelle,
• depuis son départ la situation managériale et l'ambiance au sein de la banque sont chaotiques,
• a minima trois personnes sur une équipe de six ont démissionné,
• en février 2023 la banque a dû mettre en place un séminaire pour améliorer le bien-être et la bienveillance,
• Madame c.C a fait l'objet d'un signalement pour harcèlement,
• de nombreux anciens collègues et supérieurs hiérarchiques témoignent en sa faveur,
• la démission forcée de Monsieur j.J est également révélatrice de l'attitude de la banque,
• le préjudice moral qu'elle a subi est considérable et se justifie à plusieurs niveaux,
• le choc de l'annonce de la mise à pied conservatoire a entraîné la dégradation sévère de son état de santé,
• la banque a demandé à des collègues d'attester contre elle,
• la banque a colporté de fausses raisons tenant à la rupture de son contrat de travail qui ont gravement nui à sa réputation,
• le rapport d'audit a été diffusé aux membres de la commission paritaire de l'AMAF, sachant que ces personnes étaient celles auxquelles elle allait s'adresser pour essayer de trouver un nouvel emploi,
• plusieurs clients et salariés ont été informés directement par la banque que les raisons de son départ seraient liées à une relation avec Monsieur j.J, des problèmes familiaux ou encore un divorce,
• la banque a porté des accusations totalement injustifiées auprès de son nouvel employeur la AD,
• les actes déloyaux qui lui sont reprochés ne sont en aucun cas démontrés,
• en agissant ainsi la banque a nui à sa réputation,
• en tout état de cause, le simple fait que des clients aient transféré leurs avoirs ne suffit pas à caractériser une attitude fautive,
• l'intention de nuire de la banque s'est poursuivie, elle a à plusieurs reprises retardé le transfert des fonds,
• elle a en réalité été victime d'un conflit de direction entre Monaco et Paris,
• le groupe a cherché à museler l'entité monégasque par rapport à Monaco, ce qui la liberté de ton qu'elle avait, utilisée à bon escient et dans l'intérêt de Monaco, ne permettait pas,
• il a également cherché à se séparer de hauts dirigeants à moindres frais,
• afin de ne pas mettre en risque sa famille, elle a dû accepter un emploi avec perte de son titre de ZE et de toute responsabilité de management, mais également une forte diminution de sa rémunération et la perte de ses avantages,
• c'est à tort que la banque n'a pas versé le bonus en février 2023 alors que le contrat n'était pas rompu, les performances de l'année 2022 étaient excellentes, ses objectifs annuels étaient largement dépassés.
Par conclusions récapitulatives du 16 janvier 2025, la SAM B sollicite :
• la nullité de la pièce adverse n° 30,
• à défaut son irrecevabilité,
• l'irrecevabilité des pièces adverses nos 21 et 25,
• le débouté de l'ensemble des demandes de Madame m.M,
• 25.000 euros au titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
• 20.000 euros au titre de frais irrépétibles,
• les entiers dépens.
Elle fait valoir pour l'essentiel que :
• le licenciement pour faute grave était justifié,
• au cours de l'automne 2022 des remontées à la maison-mère faisaient état de tensions au sein de la banque en sorte que la Compagnie Financière AB a décidé de mettre en place une mission d'audit externe,
• lors de l'audit 100 % des personnes auditionnées hors Monsieur j.J, Madame m.M et son adjoint ont fait état de difficultés relationnelles graves et répétées,
• si les conclusions de l'audit sont à charge à l'encontre de Madame m.M c'est uniquement parce que les personnes interrogées ont mis en cause son attitude et ses agissements,
• la communication du rapport d'audit a permis d'identifier et de caractériser le comportement agressif et virulent quasi systématique de Madame m.M à l'égard de nombreux collaborateurs,
• les salariés ont par ailleurs fait état d'un sentiment d'impunité dont elle bénéficiait et de l'influence qu'elle exerçait sur le dirigeant de la banque qui prenait des décisions irrationnelles en raison manifestement de leur proximité,
• contrairement aux affirmations de Madame m.M, certains salariés entendus étaient d'un rang inférieur au sien,
• en tout état de cause, il est acquis que le harcèlement moral peut exister dans tout type de relation de travail, indépendamment du rang hiérarchique,
• l'audit n'a pas été mené uniquement à charge contre Madame m.M et d'autres préoccupations y figurent,
• les auditions des salariés permettent d'identifier des comportements inappropriés qui révèlent des fautes répétées constitutives de harcèlement,
• il était notamment fait état de son agressivité, de sa violence verbale, de sa volonté de domination et du stress que cela engendrait de manière répétitive,
• dans les mêmes circonstances, elle employait des propos déplacés et agressifs dans ses courriels,
• ses excès étaient la règle et sont devenus hors de contrôle en 2022,
• les relations entre les collaborateurs et l'ambiance de travail se sont nettement améliorées depuis son éviction,
• certains supérieurs hiérarchiques de Madame m.M ont également subi ses errements,
• Madame m.M occulte sciemment le fait qu'elle a formellement reconnu son caractère et des relations difficiles avec les autres collaborateurs de la banque,
• l'obstruction systématique et l'agressivité constituaient son mode de fonctionnement habituel, de sorte qu'il est aisé de comprendre quel pouvait être son comportement avec ses subordonnés,
• elle n'hésitait pas à s'opposer de façon provocatrice à sa hiérarchie, probablement animée d'un sentiment d'impunité résultant de sa relation avec l'administrateur délégué de la banque,
• elle savait qu'il prendrait fait et cause pour elle, ce qu'il fait encore d'ailleurs en établissant deux attestations dénuées d'objectivité et ne présentant pas les garanties de loyauté requises compte tenu du conflit qui l'oppose à la banque en sorte que ces attestations doivent être déclarées irrecevables,
• d'ailleurs, elle communique des courriels auxquels seul lui pouvait avoir accès, ce qui démontre leur communion d'intérêt à l'encontre de leur ancien employeur,
• d'autres collaborateurs du même rang hiérarchique ou subordonnés témoignent des faits de harcèlement moral qu'ils ont personnellement subis ou dont ils ont été témoins,
• ces attestations émanent de tiers au litige et rien n'interdit à l'employeur de produire le témoignage de salariés,
• les témoignages produits par la salariée sont inopérants : nombre d'entre eux ne sont pas contextualisés ou émanent de salariés qui n'ont que très peu travaillé à ses côtés ou il y a très longtemps,
• le harcèlement moral est d'une importance telle que le maintien de la salariée dans l'entreprise était impossible,
• la procédure a été mise en œuvre de manière régulière,
• la mise à pied conservatoire se justifiait afin de mettre un terme aux comportements de harcèlement et de poursuivre sereinement les entretiens menés par le cabinet d'audit,
• il incombait surtout à l'employeur au titre de ses obligations légales de protection des salariés de faire cesser immédiatement les faits,
• il est de l'essence même d'une mise à pied conservatoire d'être immédiate et provisoire,
• alors qu'il n'en avait pas l'obligation il a maintenu la rémunération de la salariée,
• elle a été convoquée après le départ de la majorité des salariés dans un bureau discret,
• c'est elle qui a annoncé à ses équipes qu'elle était virée alors qu'elle était simplement mise à pied et qui a décidé de récupérer toutes ses affaires,
• la suspension de ses accès était justifiée le temps de procéder aux vérifications nécessaires,
• elle s'est d'ailleurs affranchie de l'interdiction de communication avec les clients de la banque en remplaçant ses coordonnées professionnelles par ses coordonnées personnelles,
• elle n'hésitait pas à transférer des éléments sensibles et confidentiels vers une adresse personnelle en violation des dispositions élémentaires du règlement intérieur,
• l'attestation de son fils mineur est nulle ou en tout état de cause totalement subjective et probablement dictée par la salariée,
• la procédure n'a pas été anormalement longue,
• seulement onze jours ouvrés se sont écoulés entre la mise à pied et le conseil de discipline,
• il était nécessaire de prendre connaissance du rapport d'audit en détail, de vérifier certains points et de prendre la décision s'imposant sans précipitation,
• quant au délai écoulé pour permettre à l'AMAF de rendre son avis il est totalement étranger à la banque et est en réalité entièrement imputable à la salariée qui a demandé le report de la commission compte tenu des vacances scolaires,
• Madame m.M était parfaitement informée des faits reprochés avant le conseil de discipline comme cela ressort de ses propres écrits,
• en réalité elle avait eu un entretien avec Monsieur j.J avant même la notification de sa mise à pied conservatoire, et ce alors qu'il avait suivi la situation de près et s'était personnellement impliqué,
• il n'existe aucun motif fallacieux et la preuve de la faute grave est bien rapportée,
• l'octroi d'un bonus ne relève que d'un choix discrétionnaire de l'employeur qui exprime sa satisfaction en termes de performances et de comportement,
• en effet, elle n'était pas bénéficiaire d'un bonus automatique, aucun fondement contractuel ou légal ne le prévoyant,
• en revanche, l'article 3 de la politique de rémunération exige pour le versement d'un bonus discrétionnaire que le comportement au cours de l'exercice ait été exemplaire,
• aucun propos outrageant n'a été tenu à son encontre,
• ils n'excèdent pas les limites de la liberté d'expression dans le cadre d'un débat judiciaire et étaient absolument indispensables pour expliquer le contexte et le fonctionnement anormal de la banque,
• la demande reconventionnelle pour procédure abusive est recevable,
• la banque a été préjudiciée par les manœuvres de la salariée qui travestit la réalité et multiplie les allégations fallacieuses.
SUR CE,
Sur les pièces
Les pièces nos 21 et 25 produites par Madame m.M sont des attestations établies par Monsieur j.J, administration délégué et directeur général de la banque AB jusqu'au 9 décembre 2022. Elles ne recèlent aucune cause d'irrecevabilité. Elles seront appréciées en tenant compte du contexte dans lequel elles sont établies et notamment à l'aune du fait qu'il y relate les conditions de sa démission alors qu'il la conteste devant les juridictions sociales et qu'à ce sujet au moins il se préconstitue une preuve à lui-même.
La pièce n° 30 produite par Madame m.M est une attestation établie par son fils mineur âgé de 13 ans au moment des faits dont il déclare avoir été témoin. Si elle ne recèle aucune cause de nullité, répondant aux critères de l'article 324 du Code de procédure civile, elle doit être écartée des débats. En effet, l'attestation établie dans des circonstances inconnues par un mineur au bénéfice de sa mère ne peut emporter la conviction du tribunal, tant sa loyauté filiale lui impose de se conformer au récit de sa mère.
Les attestations de Monsieur j.K produites par l'employeur sous les numéros 66 et 72 ne mentionnent pas les sanctions encourues en cas de fausse attestation et sont en conséquence nulles.
Les pièces nos 39, 41, 42, 65 et 67 produites par l'employeur sont des attestations émanant de membres de l'équipe dirigeante de la B et de sa maison-mère, la Compagnie financière AB. Elles ne recèlent aucune cause d'irrecevabilité et cet élément sera pris en considération dans leur appréciation au fond. Il n'y a pas lieu de les écarter des débats pour ce seul motif. Par ailleurs, tous les attestants n'ont pas été décisionnaires dans la mesure de licenciement.
Sur le licenciement
Madame m.M a été licenciée par courrier recommandé du 23 mars 2023, pour faute grave dans les termes suivants :
« En novembre 2022, des remontées de tensions au sein de notre Banque ont été portées à la connaissance de la Compagnie Financière de AB qui a alors engagé une démarche d'écouter et mandaté un cabinet externe, le cabinet CG, pour réaliser un diagnostic de la situation.
Dans le cadre de cette enquête, la Cabinet a été amené à auditionner 17 salariés.
La quasi-unanimité des personnes entendues ont décrit de manière concordante des comportements managériaux dysfonctionnels de votre part.
Le rapport final rendu en décembre dernier fait état de comportements hostiles vis-à-vis de vos collègues ayant entrainé des difficultés relationnelles.
À la lecture de ce rapport et du mal-être exprimé par certains salariés auditionnés, nous avons été contraints de vous notifier immédiatement votre mise à pied conservatoire, dans l'attente de la poursuite des investigations et de la saisine du conseil de discipline.
La Banque a alors sollicité et consulté les notes anonymisées d'audition de l'auditrice en charge de l'enquête et interrogé ceux des salariés qui ont accepté de témoigner.
Il en est ressorti que vous avez fait preuve d'une attitude inappropriée à l'égard des salariés de la Banque, attitude se traduisant notamment par des agressions verbales, y compris devant témoins lors de réunion ou encore de dénigrement de vos collègues.
Les témoignages recueillis rapportent de manière concordante l'agressivité dont vous faisiez preuve à l'égard des collaborateurs :
Un premier rapporte : « On est content qu'elle soit en conflit avec une telle personne car comme ça elle nous oublie. On évite de proposer des produits bien pour le groupe parce cela passe par elle. Je préfère un produit moins rentable au lieu d'un mandat comme ça je n'ai pas affaire à elle ».
Un deuxième décrit dans le même sens : « Elle critiquait un tel ou un tel devant moi. J'avais de la peine envers certains collaborateurs. ».
Un troisième poursuit : « Toujours des disputes avec elle, pas des discussions, c'est des clashs. Attitude, ton et mot agressif. ».
Un quatrième : « C'est mal géré, des comportements toxiques, elle parle mal et contredit devant le client. ».
Ou encore : « Elle peut tenir des propos injurieux, être agressive, traiter les gens de cons, s'acharner sur des gens, des gens ont fait l'amère expérience. Je l'ai entendu et vu sur d'autres personnes. ».
Ces attestations témoignent également de l'impact de votre comportement sur l'état de santé des collaborateurs et leur bien-être au travail :
« Je dois venir la boule au ventre, j'ai des insomnies. ».
« Quand l'investissement m'appelle, j'ai la diarrhée, j'ai mal au ventre. Ça manque d'humanité. ».
« Je n'en peux plus. Si on prend position contre elle, on devient l'ennemi n° 1. ».
« Elle fait peur à tout le monde. Tout le monde la craint, personne ne sait de quoi elle est capable. Elle a une capacité à nuire. ».
Il ressort enfin de ces témoignages que votre comportement persiste depuis plusieurs années et s'est aggravé au cours de l'année 2022.
À l'occasion du Conseil de discipline tenu le 16 janvier 2023, alors que vous étiez appelée à vous exprimer sur les manquements reprochés, vous vous êtes contentée de questionner la méthodologie de l'audit conduit par la Cabinet externe CG et notamment l'anonymat qui avait dû être garanti aux salariés, à leur demande, afin que ceux-ci consentent à s'exprimer.
Sans jamais vous préoccuper du contenu des témoignages et du mal-être exprimé par les salariés, vous vous êtes contentée de faire valoir que vous étiez franche et directe compte tenu de vos fonctions exercées dans un milieu « macho ».
Ces explications ne justifient en rien les comportements qui nous ont été rapportés et ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation de la situation.
Les faits reprochés, eu égard à leur gravité, sont constitutifs d'une faute grave rendant impossible votre maintien même temporaire dans l'entreprise. ».
Sur la validité du motif de licenciement
Il appartient à l'employeur de rapporter la preuve de la réalité et de la validité des motifs invoqués à l'appui de sa décision de rupture et notamment de la faute grave alléguée.
La faute grave résulte de tout fait ou ensemble de faits imputables au salarié, qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail et des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible son maintien, même pendant la durée du préavis.
Concernant la matérialité des faits, à savoir un comportement managérial dysfonctionnel, il ressort d'un rapport d'audit commandé par l'employeur en novembre 2022 et concluant à l'existence d'agissements hostiles répétés notamment par la tenue de propos méprisants envers des collègues, susceptibles de relever du harcèlement moral, de la part de Madame m.M. Plus précisément, 17 salariés, dont 13 membres de la direction, dont Madame m.M et Monsieur j.J, avaient été entendus. Leur identité n'est pas communiquée, l'anonymat leur ayant été garanti. Il ne fait toutefois pas de doute quant au fait que Madame m.M a pu savoir quelles étaient les personnes concernées puisque Monsieur j.J, informé tel que cela ressort du mail du 29 novembre 2022 (pièce n° 15 du défendeur), lui a fourni de nombreux éléments au soutien de sa cause. Par ailleurs, les propos précis des salariés ne sont pas relatés ; en effet, le rapport d'audit est en fait une synthèse. Quant à la pièce intitulée « extraits des auditions » produite par l'employeur, elle est parcellaire et a été établie dans des conditions inconnues.
Ce rapport met toutefois en exergue les comportements problématiques de la salariée : agressivité, posture de constante opposition. S'il est seul insuffisant, il est complété par de nombreuses attestations concordantes et des écrits matérialisant la réalité du comportement dénoncé.
Ainsi, sept salariés du groupe AB attestent du comportement agressif, méprisant, d'opposition et obstruction permanente de Madame m.M. Si certains d'entre eux sont les représentants de l'employeur, leur parole n'en est pas pour autant illégitime, surtout lorsqu'elle est corroborée et étayée par d'autres éléments.
Il en est ainsi de l'attestation de Monsieur t.U, directeur général. Il expose en effet la recherche permanente de provocation et de confrontation de Madame m.M. Il étaye ses propos d'exemples précis et circonstanciés qui ne sont pas démentis par la salariée. Surtout, il les corrobore pour deux évènements. D'une part, au sujet des propos dégradants et à caractère sexuels tenus auprès d'une banquière privée en novembre 2022, ce que cette dernière confirme par attestation en expliquant avoir dû subir ces insinuations déplacées et n'avoir jamais reçu aucune excuse. D'autre part, au sujet de sa gestion désastreuse de la relation client, en imposant un rendez-vous avec un gérant dont le client ne voulait plus, ce qui avait engendré une perte de confiance vis-à-vis de tous (la direction mais également les banquiers qui ne voulaient plus lui confier de mandats de gestion), ce qui est documenté par des échanges de mails (pièces nos 44 à 46 en demande et n° 76 en défense). À ce sujet, la position fluctuante de Madame m.M est d'ailleurs caractérisée, puisqu'après s'être fermement démenée pour imposer ce salarié, elle finissait par vouloir le virer au mois d'octobre 2022.
Par ailleurs, Monsieur a.A, ZE du groupe AB, témoigne des relations conflictuelles se matérialisant par un refus systématique de fournir des données essentielles, une obstruction constante, des relations professionnelles dégradées (dénigrement de son travail, e-mails agressifs et insultants, propos injurieux à son égard, manque de discernement et de transparence en termes de prise de risque). Ses récriminations sont corroborées par l'e-mail du 14 octobre 2022 dans lequel elle s'adresse à lui de manière très agressive mais surtout totalement inadaptée compte tenu de sa position hiérarchique. Surtout, cet e-mail faisait suite à une réunion au cours de laquelle elle avait adopté un comportement tellement inacceptable que plusieurs membres de la réunion avaient signalé ses agissements.
D'autres salariés, non décisionnaires de la décision de licenciement, vont attester du comportement problématique de Madame m.M. Monsieur f.H va décrire son attitude agressive. Monsieur j.K déplore également une attitude agressive et méprisante et va citer un exemple concernant l'établissement d'une procédure d'analyse de risque.
Madame m.M s'est également comportée de manière inadaptée vis-à-vis de sa collègue Madame s.R, directrice des opérations. Elle atteste de pressions disproportionnées, de remontrances, emportements ou frustrations s'exerçant de manière très agressive en public. Ses dires sont corroborés par des mails. Le 17 février 2022, Madame m.M s'adressait à elle de manière inutilement condescendante et agressive. De même, face à la détresse de sa collègue le 17 octobre 2021 qui n'en pouvait plus d'être agressée, elle ne prenait même pas la peine de lui répondre lui indiquant sèchement que ce n'était pas le sujet.
La pression sur Madame s.R est confirmée par la secrétaire générale, Madame c.C, qui relate le fait qu'elle était critiquée, subissant des reproches agressifs, était pointée du doigt devant les membres du comité de direction. De manière plus générale, elle expose le comportement sans filtre et impulsif de Madame m.M, qui pouvait se traduire par l'envoi d'e-mails à un responsable avec en copie l'ensemble du personnel pour le rabaisser (ce qui est documenté).
La réalité de son agressivité ressort également d'autres de ses écrits. Si certains sont uniquement secs et directifs (pièces nos 16 à 26 du défendeur), ce qui confirme déjà sa personnalité, d'autres sont éminemment problématiques. Ainsi, alors qu'elle avait commis une erreur dans la procédure de conformité, elle s'est non seulement opposée à ses collègues, mais n'a jamais présenté ses excuses ni pour l'erreur ni pour sa manière de réagir ; surtout, elle n'a rien trouvé de plus pertinent que de critiquer le process plutôt que de se remettre en question (pièce n° 27 du défendeur).
Surtout, Madame m.M a reconnu ses fautes. Ainsi, suite à sa mise à pied elle a écrit à Monsieur a.A en disant « je suis consciente de mon caractère difficile (voire très difficile) » et, revenant sur l'incident du 14 octobre, « j'ai d'ailleurs eu un comportement non-professionnel lors du premier CIG, mon e-mail n'était pas mieux ». Elle avait également reconnu auprès de Monsieur t.U son « caractère difficile ». Ce dernier n'a d'ailleurs jamais remis en cause la procédure de licenciement, mais a simplement indiqué qu'il la soutiendrait pour l'accompagner dignement, ce qui démontre des capacités empathiques mais n'est pas de nature à atténuer les fautes commises.
Or, l'accumulation de tous ces éléments n'aboutit pas à la conclusion d'un caractère difficile, mais à des agissements agressifs, méprisants, autoritaristes et nocifs au climat au travail. Si Madame m.M se défend en indiquant pouvoir être « sèche » ou évoluer dans un environnement de travail rude, particulièrement pour les femmes, rien ne justifie, de la part de quiconque, des comportements agressifs. Quand ils sont caractérisés, ils constituent des fautes et ne peuvent être justifiés dans aucun secteur d'activité.
Concernant les éléments favorables produits par Madame m.M, ils ne sont pas de nature à démentir la réalité de son comportement. Certains d'entre eux témoignent sur une période particulièrement ancienne (pièces nos 16, 17 et 10 produites en demande). D'autres confirment en réalité un comportement problématique. Ainsi, lorsque Madame c.D parle de « style de communication très direct », elle corrobore les propos et le ton dénoncés. De même, l'attestation de Monsieur e.G interpelle. Lorsqu'il évoque ne pas avoir été témoin de « situations alarmantes », il ne dément pas qu'il y ait pu y avoir des dérapages. Surtout, lorsqu'il explique « bien que je puisse concevoir que la communication sans filtre du département peut sembler surprenante pour quelqu'un d'extérieur au service, je trouve que celle-ci a toujours été constructive et orientée dans l'intérêt du client », il ne fait que confirmer que l'agressivité était habituelle, qu'elle dérangeait au sein de la banque mais qu'elle était justifiée par les résultats obtenus. Or, un tel mode de communication n'est pas acceptable et ne peut être justifié quelque que soit les compétences professionnelles ou résultats obtenus.
Concernant les attestations de Monsieur j.J, il donne force détails sur les prétendues conditions de sa démission et sur l'éviction de Madame m.M mais ne s'attarde pas sur le sujet principal : le comportement de cette dernière. En effet, malgré les graves accusations dont elle fait l'objet et alors qu'il était son supérieur, il ne conteste ni la manière dont elle est décrite, ni avoir été informé des faits. Il se limite à dire qu'il n'y avait jamais eu de plainte pour harcèlement et il s'étonne des accusations compte tenu du niveau hiérarchique des personnes entendues ou de leur éloignement géographique pour certains. C'est d'ailleurs un des axes de défense repris par Madame m.M. Or, les comportements nuisibles au sein d'une entreprise ne sont pas nécessairement dirigés vers les subordonnés. De même, les personnes exerçant des fonctions à haute responsabilité n'ont pas à plus supporter que d'autres les agressions, pressions, insultes ou tout autre comportement déplacé. Finalement la lecture des propos de Monsieur j.J est assez révélatrice d'un état d'esprit. Si « dire à voix haute à des collègues de la direction les choses qui ne fonctionnent pas ne peut être assimilé à une forme de harcèlement, c'est faire son travail » « cela dérange certains qui pourtant en tant que cadres devraient avoir la capacité d'intégrer des discussions contradictoires » est exact, cela trouve sa limite dans le respect de l'autre et ne doit pas permettre de céder à l'agressivité, la pression ou la vindicte. Or, il est établi que la salariée est tombée dans ces excès.
Enfin, les quelques messages de soutien reçus par Madame m.M ne permettent pas d'occulter ses agissements ni de considérer qu'ils ne sont pas fautifs. Hormis un (pièce n° 53 produite en demande), ils ont été obtenus après sollicitation de sa part (pièces nos 55 et 58 produites en demande).
Ainsi, ces manquements étaient établis.
Toutefois, si les faits sont avérés, ils sont insuffisants pour justifier d'une rupture immédiate du contrat de travail. En effet, au regard de l'ancienneté de la salariée sans aucune sanction ni remarque sur la qualité de son travail, la sanction n'était pas proportionnée. S'il apparaît que des plaintes avaient été portées à son égard, il est constant que l'administrateur délégué n'avait pas cru bon de la recadrer. En effet, si ce dernier affirmait intervenir (pièce n° 63 du défendeur, pièce jointe à la pièce n° 86 en défense), aucun élément ne démontre qu'il ne l'ait jamais fait. Or, il était le représentant de l'employeur, qui ne pouvait faire subir les défaillances de son préposé à Madame m.M. Si elle avait fait l'objet d'alertes, il en aurait été autrement quant à la gravité de son comportement qui aurait alors perduré malgré mises en garde.
L'audit tant décrié soulignait lui-même que Madame m.M n'avait pas été suffisamment recadrée et accompagnée dans la prise de conscience de ses comportements déviants. Cela est d'ailleurs conforté par la teneur des évaluations de 2021, dans lesquelles elle utilise des termes particulièrement durs à l'encontre du directeur général de la maison-mère, qu'elle qualifie de non-supportif et vexatoire, et pour lesquels, au lieu d'être tempérée par l'administrateur délégué dans un souci de cohésion et de travail constructif, il abonde dans son esprit de vindicte en critiquant les prestations fournies par AB Gestion.
La décision de licenciement pour faute grave ne tenait en outre pas compte de la prise de conscience, certes tardive, de la salariée de ses abus. En effet, elle avait débuté une réflexion sur ses erreurs auprès de Monsieur a.A et de Monsieur t.U dans les jours suivants la mise à pied, ce qui permettait de considérer que le maintien de la relation de travail n'était pas impossible pendant la durée du préavis.
En l'absence de gravité du comportement, Madame m.M devait percevoir son indemnité de préavis. À défaut de contestation sur le montant, la SAM B est condamnée à lui verser la somme de 46.759,60 euros brut d'indemnité de préavis, outre 4.675,96 euros de congés payés y afférents, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement et sous le bénéfice de l'exécution provisoire s'agissant de rémunérations.
Au regard de l'inaction de l'employeur, par le biais de son administrateur délégué, totalement défaillant dans l'exercice de son pouvoir disciplinaire et dans son rôle de protection des salariés, les insuffisances comportementales de m.M ne pouvaient donner lieu à révocation disciplinaire.
Elle devait en conséquence également percevoir l'indemnité conventionnelle qualifiée de licenciement, dont le montant n'est pas contesté et la SAM B est condamnée à lui verser la somme de 276.304,40 euros, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement.
Sur l'abus dans le principe du licenciement
Constitue un licenciement abusif ouvrant droit à l'allocation de dommages et intérêts devant réparer le préjudice subi du fait de la perte d'emploi, le licenciement fondé sur un faux motif.
En l'espèce, Madame m.M sollicite des dommages et intérêts en raison du préjudice moral et matériel du fait de la mise à pied conservatoire (qui sera analysée ultérieurement) et du licenciement qui ont été mis en œuvre dans des conditions humiliantes et vexatoires. Elle ne formule aucune demande relative à l'abus dans le principe du licenciement.
Dans ces conditions, à défaut de demande sur ce fondement, il ne peut y avoir d'indemnisation du préjudice matériel lié à la perte d'emploi, par ailleurs déjà compensé par l'allocation de l'indemnité conventionnelle de licenciement.
En outre, en l'espèce, aucun motif illicite ou dissimulé n'a présidé au licenciement, l'employeur n'ayant prononcé sa décision qu'en raison des comportements qu'il jugeait néfastes de la salariée. Le seul élément produit par la salariée pour soutenir sa thèse est l'attestation de Monsieur j.J, dont l'objectivité est sujette à caution. Surtout, lorsqu'il prétend relater les propos de Monsieur g.I, administrateur de la B, celui-ci le dément de manière crédible. En effet, comment donner crédit à Monsieur j.J alors que les échanges de messages entre eux démontrent que c'est lui qui lui demande une entrevue, puis le relance, contrairement à la version qu'il donne dans son attestation.
Quant aux faits de harcèlement dénoncés en cours de procédure par Madame m.M ils n'ont aucun lien avec le licenciement et s'apparentent à un contre-feu. En effet, ils font référence à des événements anciens, déjà investigués ou à des éléments non corroborés (mise à l'écart…). Surtout, alors qu'elle prétend que Monsieur j.J aurait été alerté, il ne le confirme même pas.
Sur l'abus dans la mise en œuvre du licenciement
Constitue par ailleurs un licenciement abusif celui exercé avec brutalité, précipitation ou légèreté blâmable.
La mise à pied, qui ne fait l'objet d'aucune réglementation générale, peut être soit une sanction disciplinaire, soit une mesure conservatoire dans l'attente d'une décision définitive. La mise à pied conservatoire est une mesure provisoire à effet immédiat que l'employeur adopte en général en présence d'une faute grave du salarié. Son bien-fondé s'apprécie au moment où elle est prononcée.
En l'espèce, suite à la remise du rapport d'audit et à ses conclusions alarmantes, il était raisonnable pour l'employeur de prendre une mesure de mise à pied conservatoire à l'égard de Madame m.M afin de faire cesser les faits dénoncés et de procéder aux vérifications utiles et à la mise en œuvre de la procédure de licenciement. En effet, face à des dénonciations de souffrance au travail, l'employeur ne peut demeurer sans réponse et se doit de protéger ses salariés. En l'espèce, sur 17 personnes interrogées, 14 avaient fait part de comportements problématiques de Madame m.M et des répercussions que cela avait sur leur travail et sur les équipes. La décision de mise à pied était dès lors justifiée. Elle emportait nécessité de coupure des accès sans quoi elle perdrait de son intérêt.
Elle a été prononcée avec maintien du salaire et n'a dès lors pas préjudicié financièrement la salariée. Elle a été annoncée en personne, dans un bureau fermé, en fin de journée, lors d'un entretien d'environ une demi-heure (et non de cinq minutes) comme Madame m.M l'indique elle-même dans le message adressé à Monsieur a.A. Si son fils était présent dans les locaux, cela ne résulte pas de la responsabilité de l'employeur et ne constituait pas un motif justifiant un report de la décision de mise à pied.
Compte tenu de la gravité des faits reprochés la mise à pied était justifiée, quand bien même la faute ne devait finalement pas être considérée comme suffisamment grave après analyse du dossier par le Tribunal.
Dans le cadre de la procédure disciplinaire, l'employeur a scrupuleusement respecté les dispositions de la convention collective monégasque du travail du personnel des banques, ce qui n'est d'ailleurs pas contesté par Madame m.M.
Si elle déplore que les déléguées du personnel aient refusé de lui communiquer la convention collective, sa demande d'accès à ladite convention a été satisfaite le jour même par la directrice des ressources humaines. Elle a eu accès à tous les éléments soumis au conseil de discipline le 28 décembre pour un conseil devant se dérouler le 16 janvier et a donc disposé d'un délai parfaitement raisonnable pour préparer sa défense, qu'elle a exercée par la production d'un mémoire et en s'exprimant face au conseil de discipline.
En revanche, l'employeur ne justifie pas de la longueur du délai entre la mise à pied conservatoire et la convocation au conseil de discipline. S'il argue d'un temps d'enquête et de vérification, en réalité il n'en justifie nullement. Au soutien du conseil de discipline il n'a pas produit d'autre élément que le rapport d'audit. Toutes les attestations de salariés qu'il a recueillies sont postérieures à cette période. Si lors de sa mise à pied conservatoire elle avait été verbalement informée de la substance des faits reprochés, comme cela ressort des messages qu'elle a adressé à des membres de la banque, elle est toutefois demeurée plusieurs semaines dans l'incertitude tant quant aux faits précis reprochés, dont elle n'aura connaissance qu'avec la communication officielle de l'audit, que quant aux suites procédurales. Elle a d'ailleurs dû s'enquérir du sort qui lui était réservé par l'intermédiaire de son avocat le 28 décembre. Ce n'est que suite à cette manifestation que l'employeur lui a adressé la convocation au conseil de discipline et les pièces jointes.
L'employeur a commis une légèreté blâmable occasionnant une attente injustifiée auprès de la salariée. Pour le reste, le licenciement est exempt de tout abus.
La SAM B est en conséquence condamnée à verser à Madame m.M la somme de 15.000 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement.
Sur le bonus
Madame m.M prétend au versement d'un bonus d'un montant de 180.000 euros au titre de l'année 2022.
Elle ne produit pas de contrat de travail qui justifierait de l'existence d'un droit à bonus ni qui délimiterait les conditions de versement.
En défense, la banque expose sans être contredite qu'il existait un système de bonus discrétionnaire. Elle en justifie d'ailleurs par la production de la directive relative à la politique de rémunération qui stipule que la prime discrétionnaire « n'est aucunement déterminée par une formule mathématique mais sur la base d'objectifs qualitatifs et quantitatifs, prédéfinis dans le cadre de l'exercice (ou processus) de la performance annuelle, associés à la fonction et sur des résultats comportementaux ». La banque a fixé 6 critères cumulatifs pouvant justifier le versement d'une prime discrétionnaire, dont :
• la pleine réalisation des objectifs qualitatifs/quantitatifs,
• un comportement social et comportemental exemplaire au cours de l'exercice (esprit d'équipe, relations hiérarchiques, disponibilité, fiabilité, sens des responsabilités, développement personnel, implication, flexibilité, maîtrise des situations critiques, adhésion au projet d'entreprise…).
Il était donc expressément convenu que ce bonus demeurait totalement discrétionnaire et qu'il n'existait aucun engagement de la part de la banque, tant en ce qui concerne son montant que son existence même au cours de chaque année concernée.
En l'espèce, les nombreux incidents ayant émaillé l'année 2022 ne justifient pas d'un comportement exemplaire de Madame m.M, qui n'a pas fait preuve d'esprit d'équipe, n'a pas adhéré au projet d'entreprise et n'a pas maîtrisé de manière adapté les situations critiques. De même, ses objectifs quantitatifs n'ont pas été respectés, la comparaison entre les objectifs fixés lors de l'évaluation de 2021 (pièce n° 56 du défendeur) et les avoirs des comptes sous sa gestion (pièce n° 57 du défendeur) faisant ressortir clairement que les objectifs n'ont pas été atteints. Si Madame m.M expose les raisons conjoncturelles de ces performances (pièces n° 56 en demande), cela ne remet pas en cause le fait que les objectifs n'étaient pas réalisés.
Compte tenu de l'absence de réalisation des objectifs et d'exemplarité du comportement la décision de non-versement du bonus était justifiée.
Au surplus, il peut être noté que le montant réclamé, correspondant à environ un an de salaire, n'est pas justifié dans son calcul.
Sur les autres demandes
Sur les propos outrageants
Madame m.M reproche à la banque AB de tenir à son encontre des propos outrageants dans la qualification de la relation qu'elle aurait entretenu avec l'administrateur délégué.
La lecture des écrits considérés permet de constater qu'ils ne contiennent aucune invective ni aucun terme injurieux. Ils se limitent à évoquer une relation privilégiée pour expliquer le point de vue de l'employeur, à savoir que les débordements de la salariée n'étaient pas recadrés par son supérieur hiérarchique compte tenu de l'intimité de leurs liens. Ils se fondent sur des propos des salariés, tant lors de l'audit que dans des mails du 29 octobre 2021, et ne font que rapporter les soupçons émis par d'autres au sein de l'établissement.
Ils n'excèdent pas la liberté d'expression nécessaire au déroulement des débats judiciaires.
Ils sont formulés à l'endroit d'une salariée qui n'a pas hésité à elle-même faire état de la relation entre deux collaborateurs dans des termes crus à l'occasion de la relation de travail et à ne jamais s'en excuser.
La demande de dommages et intérêts pour propos outrageants est en conséquence rejetée.
Sur la procédure abusive
La demande de dommages et intérêts pour procédure abusive trouvant son fondement dans la procédure judiciaire et non dans la relation de travail, elle est recevable en tout état de cause. Elle est toutefois mal fondée, les demandes de Madame m.M étant partiellement justifiées et ne recelant en tout état de cause aucun abus et est rejetée.
Sur les demandes accessoires
Chacune des parties succombant partiellement elles conserveront la charge de leurs propres dépens. Dans ces conditions les demandes au titre des frais irrépétibles sont rejetées.
La nécessité que l'exécution provisoire soit ordonnée n'étant pas caractérisée il n'y a pas lieu de la prononcer.
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL DU TRAVAIL, statuant par mise à disposition au Secrétariat du Tribunal du travail, contradictoirement, en premier ressort et après en avoir délibéré,
Dit n'y avoir lieu d'écarter des débats les pièces nos 21 et 25 produites par Madame m.M ;
Écarte des débats la pièce n° 30 produite par Madame m.M ;
Prononce la nullité des pièces nos 66 et 72 produites par la SAM B ;
Dit n'y avoir lieu d'écarter des débats les pièces nos 39, 41, 42, 65 et 67 produites par la SAM B;
Dit que la faute grave n'est pas caractérisée ;
Condamne la SAM B à verser à Madame m.M la somme de 46.759,60 euros brut (quarante-six mille sept cent cinquante-neuf euros et soixante centimes) d'indemnité de préavis, outre 4.675,96 euros (quatre mille six cent soixante-quinze euros et quatre-vingt-seize centimes) de congés payés afférents, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement et sous le bénéfice de l'exécution provisoire ;
Condamne la SAM B à verser à Madame m.M la somme de 276.304,40 euros (deux cent soixante-seize mille trois cent quatre euros et quarante centimes) à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement ;
Dit que le licenciement n'est pas abusif dans son principe ;
Rejette la demande de dommages et intérêts pour préjudice matériel ;
Dit que la mise à pied conservatoire n'est pas abusive dans sa mise en œuvre ;
Dit que licenciement est abusif dans sa mise en œuvre ;
Condamne la SAM B à verser à Madame m.M la somme de 15.000 euros (quinze mille euros) de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement ;
Rejette le surplus de la demande ;
Rejette la demande au titre du bonus ;
Rejette la demande de dommages et intérêts de Madame m.M pour propos outrageants contenus dans les conclusions récapitulatives de la SAM B;
Dit que la demande de la SAM B de dommages et intérêts pour procédure abusive est recevable ;
Rejette la demande de la SAM B pour procédure abusive ;
Dit que chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens ;
Rejette les demandes des parties au titre des frais irrépétibles ;
Rejette le surplus des demandes respectives des parties ;
Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;
Composition🔗
Ainsi jugé par Madame Cyrielle COLLE, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Mesdames l.BA et s.BB, membres employeurs, Madame m.BC et Monsieur w.BE, membres salariés, assistés de Madame Céline RENAULT, Secrétaire adjoint, et - en l'absence d'opposition des parties - mis à disposition au Secrétariat du Tribunal du Travail, le quatre avril deux mille vingt-cinq.