Tribunal du travail, 6 février 2024, Madame t. A. épouse B. c/ La société de droit anglais dénommée C.

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Abstract🔗

Procédure civile - Pièces - Obtention frauduleuse (non) - Pièce nécessaire

Contrat de travail - Licenciement irrégulier - Non-respect de la convention collective - Insuffisance professionnelle - Preuve non rapportée - Rupture fondée sur un motif fallacieux (non) - Légèreté blâmable - Préjudice moral (oui)

Résumé🔗

Il n'y a pas lieu d'écarter des débats une pièce nécessaire à la défense de la salariée dont il n'est pas prouvé qu'elle l'ait obtenu frauduleusement.

Á défaut d'y être incluse, l'insuffisance professionnelle n'a pas à être régie par les règles disciplinaires, tout en demeurant soumise aux obligations rappelées dans les deux premiers alinéas de l'article 25 de la Convention Collective Nationale du Travail du Personnel des Banques. En l'espèce, la salariée n'ayant fait l'objet d'aucune observation de l'employeur, la rupture du contrat revêt, en la forme, un caractère irrégulier.

Faute de produire des éléments concrets suffisants, l'insuffisance professionnelle n'est pas établie par l'employeur et le licenciement n'est pas fondé sur un motif valable.

S'il est confirmé que les dysfonctionnements du Département ne trouvaient pas leur origine dans l'insuffisance professionnelle non avérée de la salariée, il n'apparaît aucune intention de lui nuire ni motif dissimulé au licenciement. D'ailleurs, la banque avait tenté de remédier aux lacunes de l'équipe en recrutant un nouveau Directeur et en prévoyant un plan de formation. La décision de rupture n'étant pas fondée sur un motif fallacieux, elle ne peut ouvrir droit à l'indemnisation d'un préjudice matériel et financier résultant du licenciement.

S'il n'est relevé aucun abus dans la mise en œuvre du licenciement et dans la dispense d'exécution du préavis, l'employeur a en revanche commis une légèreté blâmable en ne respectant pas les dispositions de la Convention collective et a privé la demanderesse d'une chance de conserver un emploi au sein de l'entreprise. Il est alloué 10 000 euros au titre du préjudice moral.


TRIBUNAL DU TRAVAIL

JUGEMENT DU 6 FÉVRIER 2024

N° 88-2020/2021

  • En la cause de Madame t. A. épouse B., née le jma, à Durban (AFRIQUE DU SUD), de nationalité britannique, demeurant X1, x1 à MONACO ;

Demanderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'une part ;

Contre :

  • La société de droit anglais dénommée C., prise en la personne de sa succursale en Principauté de Monaco, la société C. (MONACO), dont le siège social se situe 31 avenue de la Costa à MONACO (9800) ;

Défenderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'autre part ;

Visa🔗

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

  • Vu la requête introductive d'instance en date du 12 avril 2021, reçue le 13 avril 2021 ;

  • Vu la procédure enregistrée sous le numéro 88-2020/2021 ;

  • Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 1er juin 2021 ;

  • Vu les conclusions récapitulatives de Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur au nom de Madame t. A. épouse B., en date du 15 juin 2023 ;

  • Vu les conclusions récapitulatives de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur au nom de la société C. (MONACO), en date du 14 décembre 2023 ;

  • À l'audience publique du 21 décembre 2023, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries, l'affaire était mise en délibéré pour être rendue le 6 février 2024, sans opposition des parties par mise à disposition au Secrétariat du Tribunal du travail, ces dernières en ayant été avisées par Madame le Président ;

  • Vu les pièces du dossier ;

Motifs🔗

Madame t. A. épouse B. a été embauchée à compter du 4 septembre 2018 par la société C.. (MONACO) en qualité de Directrice des opérations. Elle a été licenciée pour insuffisance professionnelle par courrier du 16 juillet 2019.

Madame t. A. épouse B. a saisi le Tribunal du travail par requête reçue le 13 avril 2021 :

« Afin de se concilier, si faire se peut, du chef des demandes suivantes :

  • * constater que l'employeur a eu un comportement fautif à l'égard de Madame t. A., tant dans le cadre de l'exécution de son contrat de travail, qu'à l'occasion de la rupture,

  • * constater que Madame t. A. a fait l'objet, avant la notification de son licenciement, d'un harcèlement de la part de la C. ;

  • * dire et juger que le licenciement notifié le 16 juillet 2019 à Madame t. A. pour insuffisance professionnelle n'est pas valable, en ce qu'il a reposé en réalité sur un faux motif, de surcroît abusif ;

  • * dire et juger que ce licenciement a été mis en oeuvre au mépris des dispositions de la Convention Collective Monégasque du Travail du Personnel des Banques et de manière légère, brutale et vexatoire qui a confiné à l'intention de nuire, le rendant par là-même doublement abusif ;

  • * constater que le licenciement dont s'agit a bouleversé la carrière de la salariée et lui a occasionné de lourds préjudices tant financiers que moraux, dont elle demande réparation ;

En conséquence :

  • * condamner la société de droit anglais C. à régler à Madame t. A. la somme de 375.000 euros (trois cent soixante-quinze mille euros) à titre de dommages et intérêts,

  • * condamner la société C. aux entiers frais et dépens. ».

À défaut de conciliation l'affaire était renvoyée devant le Bureau de Jugement.

Par conclusions récapitulatives du 15 juin 2023, Madame t. A. épouse B. sollicite en outre qu'il soit ordonné la communication des comptes rendus et mesures prises suite au signalement. Elle réclame également 5.000 euros au titre des frais irrépétibles.

Elle fait valoir pour l'essentiel que :

  • elle a toujours donné pleine satisfaction à son employeur,

  • elle a bénéficié d'un bonus discrétionnaire quatre mois avant le licenciement,

  • elle n'a jamais fait l'objet de la moindre évaluation de compétence,

  • aucun repère de comparaison quant à la qualité de son travail ne pouvait exister,

  • elle s'était vue confier un service en total dysfonctionnement, ce qui révèle la défaillance de l'employeur,

  • le fait de ne pas avoir redressé le service ne relève pas de l'insuffisance professionnelle,

  • le rapport confidentiel qu'elle produit relève de l'état de nécessité,

  • il démontre l'ancienneté de la problématique de l'état de délabrement du service,

  • le Département ne pouvait fonctionner tant que l'employeur ne se décidait pas à investir pour former et/ou embaucher du personnel qualifié au niveau cadres intermédiaires,

  • la banque savait dès mai 2017 que l'embauche d'un Directeur n'était pas le remède au dysfonctionnement du Département des opérations bancaires,

  • c'est pourtant ce qu'elle a fait en embauchant Madame t. A. épouse B. en lui faisant croire qu'elle n'avait qu'à guider un service en place puis en la licenciant moins d'un an plus tard en lui reprochant de ne pas avoir réussi à sauver ledit Département,

  • la Banque n'a jamais entrepris les investissements nécessaires, gelant les embauches dès le printemps 2019,

  • le document prétendant que 26 recrutements auraient eu lieu n'est pas probant, il n'est pas établi sur le papier entête du service des ressources humaines, seul le registre des entrées et sorties fait foi,

  • en réalité il y a eu 53 démissions sur un effectif moyen de 220 personnes,

  • les seules pièces censées étayer l'insuffisance professionnelle ne consistent nullement en des avertissements, mais des simples échanges,

  • certains reproches ne faisaient même pas partie des fonctions de Madame t. A. épouse B.,

  • le motif de licenciement s'est avéré différent de celui qui avait été oralement annoncé,

  • l'employeur a invoqué faussement une prétendue insuffisance professionnelle, ne pouvant se retrancher derrière l'article 6 au regard de la jurisprudence constante en matière bancaire,

  • l'objectif de l'employeur étant de se séparer de ses services, il a très certainement encouragé Madame j. D. à lui faire vivre un véritable calvaire,

  • cette dernière la harcelait et l'intimidait,

  • Madame t. A. épouse B. a alerté de manière écrite la société C. (MONACO) sans que la procédure relative à la prévention du harcèlement ne soit mise en oeuvre,

  • Madame j. D. interrogeait, critiquait inlassablement Madame t. A. épouse B., sans n'avoir rien de sérieux à lui reprocher et ce même en dehors de ses heures de travail,

  • le licenciement est également abusif en la forme,

  • la Banque n'a pas respecté les dispositions de l'article 25 de la Convention Collective Nationale du Travail du Personnel des Banques, exigeant une observation de la Direction pour toute insuffisance,

  • elle n'en a pas recherché les causes,

  • elle n'a pas imaginé qu'elle puisse être passagère,

  • Madame t. A. épouse B. n'a bénéficié d'aucun entretien, ce qui se justifiait au regard des fonctions qu'elle occupait et du motif de licenciement invoqué,

  • le licenciement lui a été notifié de manière précipitée, alors qu'elle se hâtait pour prendre un vol à titre privé pour ne pas que la salariée ait le temps de demander davantage d'explications,

  • dispensée de préavis, ses collègues ont très mal interprété ce départ précipité et pensé qu'elle avait été licenciée pour fautes,

  • Madame t. A. épouse B. n'a été embauchée qu'afin d'éviter tout contentieux avec le précédent Vice-Président du Département qui aurait pu coûter très cher compte tenu de son ancienneté,

  • le préjudice de Madame t. A. épouse B. est extrêmement important,

  • elle a refait sa vie et celle de sa famille en Principauté et risque dorénavant de perdre sa résidence qui lui avait été accordée sur la base de son permis de travail,

  • elle ne parle pas français et la société C. (MONACO) est la seule banque anglophone de la place.

Par conclusions récapitulatives du 14 décembre 2023, la société C. (MONACO) sollicite la nullité de la pièce adverse n° 35, le débouté de Madame t. A. épouse B., 10.000 euros au titre des frais irrépétibles et les dépens.

Elle fait valoir pour l'essentiel que :

  • l'attestation n° 35 n'est pas conforme aux préconisations de l'article 324 du Code de procédure civile,

  • Madame t. A. épouse B. était en congé parental et s'était déjà installée sur la Côte d'Azur quand elle a postulé pour le poste de Responsable des opérations bancaires à Monaco,

  • au cours de l'exécution du contrat, Madame t. A. épouse B. n'a subi aucun harcèlement de la part de son employeur,

  • elle n'explique pas en quoi les actes de harcèlement auraient consisté et ne produit aucune pièce de nature à établir leur existence,

  • les difficultés relationnelles évoquées par un ancien salarié n'ont pas de force probante,

  • les faits n'ont jamais donné lieu à un signalement formel, que ce soit à l'initiative de Madame t. A. épouse B. ou du référent,

  • aucune pièce médicale n'est produite,

  • le motif de licenciement est valable,

  • l'insuffisance professionnelle de Madame t. A. épouse B. n'étant pas fautive les dispositions de l'article 25 de la Convention Collective Nationale du Travail du Personnel des Banques n'étaient pas applicables, ni celles relatives à la procédure disciplinaire,

  • la prestation de travail de Madame t. A. épouse B. n'était pas au niveau de ce que la Banque pouvait légitimement attendre de sa Directrice des opérations bancaires,

  • l'allocation d'un bonus ne peut être un signe de confiance ou de satisfaction compte tenu du montant relativement faible eu égard à ses responsabilités,

  • Madame t. A. épouse B. n'était pas assez attentive aux détails des problèmes qui lui étaient soumis et au respect des délais,

  • si la Banque a pu l'interroger, de manière isolée, sur un sujet en dehors de ses heures de travail c'est qu'elle avait quitté les locaux en ayant fourni un travail incomplet,

  • il a été rappelé à Madame t. A. épouse B. par sa supérieure les conséquences de ses imprécisions, de l'absence de suivi et de l'absence de compréhension des enjeux de son travail,

  • malgré le niveau de séniorité dont elle s'était prévalue, il est apparu qu'un management quotidien était nécessaire et qu'elle avait besoin d'une assistance régulière,

  • l'insuffisance était avérée et avait donné lieu à des observations de la part de ses supérieurs,

  • le document confidentiel obtenu dans des conditions frauduleuses n'apporte aucun élément probant aux débats,

  • il ne fait que confirmer qu'en mai 2017 la Banque avait besoin de recruter un directeur des opérations, raison pour laquelle la salariée a justement été recrutée,

  • le fait que Madame t. A. épouse B. ne soit pas parvenue à satisfaire aux exigences de la banque ne signifie pas que les collaborateurs du département n'étaient pas à la hauteur ni que leurs objectifs étaient inatteignables ou que l'employeur n'ait pas donné les moyens d'accomplir les fonctions,

  • la Banque n'a aucunement gelé les embauches, 26 recrutements ayant eu lieu en 2019,

  • la documentation interne de la Banque n'a pas à être éditée sur des papiers entêtes,

  • Madame t. A. épouse B. ne démontre pas ses allégations sur les démissions, qui relèvent en tout état de cause de la liberté du travail,

  • la pièce n° 20 n'étant pas justifiée par un quelconque état de nécessité, elle devra être écartée,

  • la Banque n'a pas dissimulé lors du recrutement les résultats d'un audit publié un mois après son embauche,

  • Madame t. A. épouse B. n'établit pas que le motif de licenciement serait fallacieux,

  • elle n'a pas saisi la commission paritaire d'une contestation,

  • la tenue d'un entretien n'est pas une obligation,

  • en outre, un tel entretien a bien eu lieu, ce que Madame t. A. épouse B. n'a jamais contesté,

  • c'est elle qui l'a écourté, précisant devoir partir prendre en avion ; alors qu'il se tenait à 16 heures la banque ne pouvait se douter qu'elle avait à quitter son poste à cette heure peu tardive sans que l'employeur n'en ait été informé en amont,

  • la dispense de préavis peut être décidée par l'employeur, particulièrement dans le cadre d'activités sensibles et de postes à responsabilités,

  • la somme revendiquée par Madame t. A. épouse B. est exorbitante au regard de la durée de la relation de travail et des éléments du dossier,

  • Madame t. A. épouse B. ne justifie nullement de sa situation actuelle et de ses recherches d'emploi,

  • elle a décidé de son plein gré de venir travailler à Monaco et le fait qu'elle souhaite y rester est une décision personnelle dont la banque ne saurait être tenue pour responsable,

  • la Banque n'est pas responsable du fait que Madame t. A. épouse B. ne maîtrise toujours pas le français plusieurs années après son installation alors que des cours lui avaient été offerts.

SUR CE,

  • Sur la nullité de pièce

La pièce n° 35 produite par Madame t. A. épouse B. n'étant pas une attestation de témoin au sens de l'article 324 du Code de procédure civile, mais une pièce comptable dont la valeur probante sera appréciée au fond, il n'y a pas lieu d'en prononcer la nullité.

  • Sur le rejet des débats des pièces

La C. sollicite que la pièce n° 20 produite par Madame t. A. épouse B. soit écartée des débats. Il s'agit d'un document de stratégie en matière de ressources humaines établi en mai 2017. Il n'est nullement établi que Madame t. A. épouse B. l'ait obtenu frauduleusement. Surtout, s'agissant d'une pièce tendant à démontrer que les dysfonctionnements du Département, reprochés au titre du licenciement à Madame t. A. épouse B., étaient préexistants à son recrutement, il est nécessaire à la défense de ses intérêts dans le cadre de la présente procédure. Il n'y a en conséquence par lieu de l'écarter des débats.

Madame t. A. épouse B. a produit dans son dossier de plaidoirie deux e-mails échangés avec son Conseil. Ces pièces, non numérotées, n'ont pas été communiquées à son contradicteur. Il convient en conséquence de les écarter des débats pour violation du principe du contradictoire.

  • Sur la demande de communication de pièce

Madame t. A. épouse B. sollicite que la C. communique la documentation relative à un signalement procédure harcèlement dont il ressort de ses propres écritures qu'elle ne l'a pas fait. En conséquence, sa demande de communication de pièce ne peut prospérer.

  • Sur la régularité de la procédure de licenciement

Aux termes de l'article 32 de la Convention Collective Nationale du Travail du Personnel des Banques, « Les motifs de licenciement sont, indépendamment de l'application des dispositions relatives aux sanctions disciplinaires, la suppression d'emploi, l'insuffisance résultant d'une incapacité physique, intellectuelle ou professionnelle, à moins qu'il ne soit démontré, par une consultation médicale que cette incapacité n'est due qu'à un mauvais état de santé passager ».

Aux termes de l'article 25 alinéa 1 et 2 de la Convention Collective Nationale du Travail du Personnel des Banques, « toute insuffisance de travail ou insuffisance professionnelle constatée chez un agent, donne lieu à une observation de la Direction. Si l'insuffisance persiste, la Direction en recherche la cause. Si cette insuffisance résulte d'une mauvaise adaptation de l'intéressé à ses fonctions, la Direction recherche le moyen de lui confier un travail qui réponde mieux à ses capacités ».

Ces dispositions s'appliquent à toutes les insuffisances. Elles sont de portées générales et n'ont pas vocation à ne s'appliquer que dans un cadre disciplinaire.

En effet, la procédure disciplinaire n'est régie qu'à compter des articles 25 alinéa 3 et suivants, qui encadrent l'insuffisance de travail, les manquements à la discipline et les fautes professionnelles. Seules ces carences entrent dans le cadre disciplinaire. Á défaut d'y être incluse, l'insuffisance professionnelle n'a pas à être régie par les règles disciplinaires, tout en demeurant soumise aux obligations rappelées dans les deux premiers alinéas de l'article 25.

En l'espèce, Madame t. A. épouse B. n'ayant fait l'objet d'aucune observation de la Barclays, la rupture du contrat revêt, en la forme, un caractère irrégulier.

  • Sur la validité du motif de licenciement

Il appartient à l'employeur d'établir la réalité et la validité des motifs invoqués à l'appui de sa décision de licenciement.

Pour constituer une cause de licenciement, l'insuffisance professionnelle doit être caractérisée par des faits objectifs et matériellement vérifiables. Il revient au Tribunal de vérifier l'incompétence alléguée par l'employeur, laquelle ne peut être fondée sur une appréciation purement subjective de celui-ci, mais doit reposer sur des éléments concrets. Elle est constituée par l'inaptitude du salarié à exercer sa prestation de travail dans des conditions que l'employeur pouvait légitimement attendre en application du contrat de travail.

En l'espèce, la C. considère que l'insuffisance professionnelle de Madame t. A. épouse B. résidait dans son imprécision, l'absence de suivi de ses dossiers, l'absence de compréhension des enjeux de son travail et la nécessité d'assistance quotidienne dont elle faisait l'objet.

Au soutien de l'insuffisance, la C. produit les éléments suivants :

  • une liste de points dont Madame t. A. épouse B. a la charge et leur avancée,

  • un mail du 30 mai 2019 pointant des lacunes,

  • un mail du 1er juillet 2019 déplorant une présentation peu claire quant aux besoins de recrutement.

Ces éléments sont lacunaires et ne peuvent à eux seuls caractériser une insuffisance professionnelle.

En effet, la date d'édition de la liste des tâches n'est pas connue, en sorte qu'il n'est nullement établi que Madame t. A. épouse B. ne les a pas accomplies en temps et en heure. Il n'est pas plus étayé en quoi les lacunes pointées à seulement deux reprises en plusieurs mois de collaboration révéleraient l'inaptitude de la salariée à exercer sa prestation de travail, ni en quoi elles auraient des répercussions sur la bonne marche de l'entreprise.

L'insuffisance professionnelle ne pouvant faute d'éléments concrets suffisants être considérée comme établie, le licenciement de Madame t. A. épouse B. n'apparaît pas fondé sur un motif valable.

  • Sur le caractère abusif de la rupture

En application des dispositions de l'article 13 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, il appartient au salarié qui prétend avoir été victime d'une rupture abusive de son contrat de travail de prouver outre le préjudice subi, l'existence de la faute commise par l'employeur dans l'exercice de son droit de mettre fin au contrat de travail, laquelle peut consister dans l'allégation d'un motif de rupture fallacieux, ou dans la précipitation, la brutalité ou la légèreté blâmable avec laquelle le congédiement a été donné.

Madame t. A. épouse B. soutient que son licenciement serait fallacieux car la banque aurait été responsable des carences du Département des opérations bancaires et qu'elle aurait usé de l'insuffisance professionnelle en l'absence de possibilité de se retrancher derrière l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963.

Elle déplore également avoir été victime d'un harcèlement destiné à la pousser à démissionner de la part de Madame j. D..

Or, les échanges de mails qu'elle produit au débat, outre le fait qu'ils sont extrêmement limités, à peine quelques emails quelques jours en mai, juin et juillet, ne font ressortir aucun comportement pouvant s'apparenter à du harcèlement. Ils sont constitués de simples échanges et de questionnements légitimes de Madame j. D. sur la qualité du travail fourni par Madame t. A. épouse B..

Quant à l'attestation de son ancien collègue, elle ne recèle aucun élément précis et ne relate aucune action ou omission susceptible de répondre à la définition du harcèlement. En effet, des « difficultés relationnelles » ne peuvent s'apparenter à du harcèlement, quand bien même le salarié s'en soit ouvert au référent en la matière.

Concernant le fait que la banque soit prétendument responsable des dysfonctionnements du Département des opérations bancaires, cela ne caractérise pas la fausseté du motif de licenciement. D'une part, le document interne à la C. de mai 2017 n'a pas établi que l'équipe devait être renforcée. En effet, il a simplement indiqué la nécessité de remplacer le Directeur, ayant atteint ses limites, ainsi que les deux salariés quittant l'équipe. Il a par ailleurs identifié les failles de l'équipe, résistante au changement, ayant une connaissance non optimale des produits et systèmes et portant peu d'attention à la modification des procédures. D'autre part, si cela confirme que les dysfonctionnements du Département ne trouvaient pas leur origine dans l'insuffisance professionnelle non avérée de Madame t. A. épouse B., il n'apparaît aucune intention de lui nuire ni motif dissimulé au licenciement. D'ailleurs, la C. avait tenté de remédier aux lacunes de l'équipe en recrutant un nouveau Directeur et en prévoyant dès le mois d'octobre 2018 un plan de formation sur 12 mois.

La décision de rupture n'étant pas fondée sur un motif fallacieux, elle ne peut ouvrir droit à l'indemnisation d'un préjudice matériel et financier résultant du licenciement. À ce sujet, il doit tout de même être rappelé que, contrairement à ce qu'elle affirme, Madame t. A. épouse B. n'a pas été débauchée (elle ne travaillait plus depuis avril 2016 et a présenté spontanément sa candidature), ne vivait pas à Londres, mais à Gassin depuis plusieurs mois, et avait pris la décision de scolariser sa fille à Monaco dès le mois de mars 2017, soit avant le premier entretien d'embauche. Elle ne justifie pas plus de sa situation actuelle, ses seules recherches d'emploi remontant à février 2020.

Concernant les conditions de mise en oeuvre du licenciement, Madame t. A. épouse B. a été convoquée à un entretien préalable devant se dérouler le 16 juillet 2019 à 16 heures. En agissant ainsi, l'employeur a entouré la rupture d'égards. Si cet entretien a été écourté, cela relève de l'unique responsabilité de Madame t. A. épouse B., qui a préféré honorer un engagement personnel et a quitté la banque avant la fin de son service. La brièveté de cet entretien explique d'ailleurs peut-être la prétendue différence entre le motif de licenciement qui lui aurait été annoncé (ce qu'elle ne démontre de toutes façons pas) et celui repris dans la lettre de licenciement.

Concernant la dispense d'exécution du préavis, elle relève du pouvoir de direction de l'employeur et ne confère pas au licenciement un caractère abusif, particulièrement lorsqu'elle est mise en oeuvre dans un domaine d'activité soumis à une réglementation stricte et à une forte nécessité de respect de la confidentialité.

Comme développé supra, l'employeur a en revanche commis une légèreté blâmable en ne respectant pas les dispositions de la Convention collective et a privé Madame t. A. épouse B. d'une chance de conserver un emploi au sein de l'entreprise.

Il convient en conséquence de réparer le seul préjudice moral, en tenant compte de son ancienneté de moins d'un an, en lui allouant la somme de 10.000 euros de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement.

  • Sur les autres demandes

Chacune des parties succombant partiellement, elles conserveront la charge de leurs propres dépens. Dans ces conditions, les demandes au titre des frais irrépétibles seront rejetées.

La nécessité que l'exécution provisoire soit prononcée n'étant pas établie il n'y a pas lieu de l'ordonner.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL, statuant par mise à disposition au Secrétariat du Tribunal du travail, contradictoirement, en premier ressort et après en avoir délibéré,

Rejette la demande de nullité de la pièce n° 35 produite par Madame t. A. épouse B. ;

Rejette la demande afin de voir écarter des débats la pièce n° 20 produite par Madame t. A. épouse B. ;

Écarte des débats les deux e-mails produits par Madame t. A. épouse B., non numérotés et non communiqués à la société C. (MONACO) ;

Rejette la demande de communication de pièce de Madame t. A. épouse B. ;

Dit que le motif de licenciement n'est pas valable ;

Dit que le licenciement n'est pas fallacieux ;

Dit que le licenciement a été mis en oeuvre de manière irrégulière ;

Condamne la société C. (MONACO) à verser à Madame t. A. épouse B. la somme de 10.000 euros (dix mille euros) de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement ;

Rejette le surplus des demandes de Madame t. A. ;

Dit que chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens ;

Rejette les demandes des parties au titre des frais irrépétibles ;

Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;

Composition🔗

Ainsi jugé par Madame Cyrielle COLLE, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Madame Carol MILLO et Monsieur Francis GRIFFIN, membres employeurs, Madame Agnès ORECCHIA et Monsieur Pierre-Franck CRESPI, membres salariés, assistés de Madame Céline RENAULT, Secrétaire adjoint, et - en l'absence d'opposition des parties - mis à disposition au Secrétariat du Tribunal du Travail, le six février deux mille vingt-quatre.

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