Tribunal du travail, 12 décembre 2023, Monsieur j. A. c/ La SAM B.

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Abstract🔗

Contrat de travail - Licenciement - Abandon de poste - Refus réitérés de reprendre son poste - Faute grave - Répétition des comportements fautifs

Résumé🔗

En l'espèce, il est établi que le demandeur a quitté son travail sans autorisation et n'a jamais repris son poste malgré les multiples demandes de son employeur. Aucune revendication, même légitime, ne peut justifier qu'un salarié s'arroge le droit de refuser d'exécuter ses obligations contractuelles. Le comportement du demandeur était en conséquence fautif. Au regard de l'ancienneté du salarié et du fait que le jour de la reprise lorsqu'il refuse d'exécuter son obligation de travailler il s'agit du premier acte fautif qu'il n'ait jamais commis, le fait de ne pas procéder à son licenciement immédiat n'implique pas que la gravité du comportement ne puisse être ultérieurement invoquée. L'employeur a au contraire fait preuve de mesure en lui adressant une première mise en demeure, puis une seconde. C'est en réalité la répétition des comportements fautifs du salarié, qui s'entête à qualifier la demande d'exercice de son activité de « proposition », tente de négocier une monétisation de son départ, ne répond pas aux mises en demeure de son employeur, qui rend impossible le maintien de la relation de travail et confine à la faute grave.


TRIBUNAL DU TRAVAIL

JUGEMENT DU 12 DÉCEMBRE 2023

N° 58-2021/2022

  • En la cause de Monsieur j. A, demeurant x1 à MANDELIEU-LA-NAPOULE (06210) ;

Demandeur, ayant élu domicile en l'étude de Maître Xavier-Alexandre BOYER, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'une part ;

Contre :

  • La société anonyme monégasque dénommée B., dont le siège social se situe x2 à MONACO (98000) ;

Défenderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Christian BROCHARD, avocat au barreau de Lyon, substitué par Maître Olivia MONTMETERME, avocat en ce même barreau ;

d'autre part ;

Visa🔗

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

  • Vu la requête introductive d'instance en date du 20 avril 2022, reçue le 21 avril 2022 ;

  • Vu la procédure enregistrée sous le numéro 58-2021/2022 ;

  • Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de jugement du Tribunal du travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 24 mai 2022 ;

  • Vu les conclusions récapitulatives de Maître Xavier-Alexandre BOYER, avocat-défenseur au nom de Monsieur j. A., en date du 13 avril 2023 ;

  • Vu les conclusions récapitulatives de Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur au nom de la S. A. M. B., en date du 15 juin 2023 ;

À l'audience publique du 26 octobre 2023, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries, l'affaire était mise en délibéré pour être rendue le 12 décembre 2023, sans opposition des parties par mise à disposition au Secrétariat du Tribunal du travail, ces dernières en ayant été avisées par Madame le Président ;

Vu les pièces du dossier ;

Motifs🔗

Monsieur j. A a été embauché par le groupe C. à compter du 3 avril 1989. Aux termes d'une convention tripartite, il a été nommé Chef de projet auprès de la société anonyme monégasque B. à partir du 1er octobre 2017. Il a bénéficié d'un congé sans solde du 1er mars 2019 au 29 février 2020. Il a été licencié pour faute grave par courrier du 27 avril 2020.

Monsieur j. A. a saisi le Tribunal du travail par requête reçue le 21 avril 2022 aux fins d'obtenir :

  • • 51.154,03 euros au titre d'indemnité de congédiement,

  • • 10.769,24 euros au titre d'indemnité de préavis,

  • • 15.000 euros à titre de dommages et intérêts,

  • • les intérêts,

  • • les dépens.

À défaut de conciliation l'affaire était renvoyée devant le Bureau de Jugement.

Par conclusions récapitulatives du 13 avril 2023, Monsieur j. A. sollicite en outre la délivrance de la documentation sociale rectifiée, et ordonner la requalification du licenciement pour motif grave en licenciement pour faute simple. Il fait valoir pour l'essentiel que :

  • • l'employeur n'a pas eu de réaction immédiate et ne peut en conséquence se prévaloir de la faute grave,

  • • il n'a notifié une mise à pied conservatoire qu'un mois après qu'il se soit présenté pour la dernière fois sur son lieu de travail,

  • • il était insatisfait de ses fonctions depuis son retour prématuré du Gabon en janvier 2017,

  • • il aspirait à exercer de nouveau un poste de Chef de service, ayant subi une rétrogradation,

  • • l'employeur a exécuté de mauvaise foi le contrat de travail en écourtant unilatéralement sans explication son contrat d'expatriation,

  • • son retour n'avait pas été anticipé,

  • • l'absence de Monsieur j. A. n'a causé aucun préjudice pour l'employeur,

  • • malgré les circonstances, Monsieur j. A. a maintenu une attitude loyale et un comportement aimable vis-à-vis de son employeur,

  • • aucune sanction disciplinaire n'avait jamais été prononcée en 30 ans de carrière,

  • • l'absence ne pouvait dès lors constituer une cause de licenciement immédiat sans indemnité,

  • • les circonstances du licenciement sont abusives,

  • • les documents de fin de travail lui sont parvenus quatre mois après le prononcé de son licenciement et sur multiples relances,

  • • son ancienneté n'a pas été correctement comptabilisée,

  • • la documentation rectifiée n'est toujours pas conforme,

  • • il n'a obtenu sa lettre de licenciement qu'un an et demi après la date à laquelle elle a été rédigée, malgré de multiples demandes infructueuses,

  • • or, l'employeur, qui savait que Monsieur j. A. était retenu au Gabon en raison des contraintes sanitaires, n'a jamais pris le soin de la lui adresser par voie électronique,

  • • les conditions du licenciement sont préjudiciables psychologiquement, Monsieur j. A. ayant été licencié sans la moindre indemnité après une fidélité de plus de 30 ans et une conduite exemplaire.

Par conclusions récapitulatives du 15 juin 2023, la S. A. M. B. sollicite le débouté de Monsieur j. A., outre 3.000 euros au titre des frais irrépétibles et les dépens.

Elle fait valoir pour l'essentiel que :

  • • Monsieur j. A. a abandonné son poste le 2 mars 2020 et ne l'a jamais réintégré malgré les demandes de son employeur,

  • • cet agissement est constitutif d'une faute grave,

  • • il caractérise également une insubordination,

  • • le poste de Chef de projet n'était pas temporaire, aucun élément ne le démontrant,

  • • Monsieur j. A. n'avait subi aucune rétrogradation, mais une évolution de carrière ne correspondant pas à ses attentes,

  • • Monsieur j. A. a revendiqué son insubordination en refusant de réintégrer son emploi malgré les injonctions,

  • • il a tenté de monnayer son départ en sollicitant une rupture conventionnelle,

  • • en réalité, il n'avait jamais eu l'intention de réintégrer son emploi, au regard de sa nouvelle situation professionnelle,

  • • l'employeur a eu une réaction immédiate, en le mettant en demeure de réintégrer son emploi à deux reprises,

  • • l'existence d'une faute grave n'est pas subordonnée à la preuve d'un préjudice,

  • • Monsieur j. A. ne justifie d'aucun préjudice lié à la réception tardive de sa documentation sociale,

  • • il ne peut être établi d'attestation Pôle Emploi pour une période où Monsieur j. A. n'était pas salarié, soit avant le 1er octobre 2017, ce d'autant qu'il les a reçus de ses précédents employeurs.

SUR CE,

Aux termes d'un courrier du 27 avril 2020, Monsieur j. A. a été licencié pour faute grave pour les raisons suivantes :

« (…) vous vous êtes présenté le 2 mars 2020 dans nos locaux. Lors de cet entretien de reprise, vous avez indiqué refuser reprendre vos fonctions de chef de projet. Puis, vous avez refusé de prendre la matériel mis à votre disposition par nos soins (ordinateur portable, téléphone portable) et vous avez quittés nos bureaux sans autorisation, ce dont nous avons pris acte pour courrier recommandé du même jour. Ce courrier constituait une mise en demeure de reprendre votre fonction de chef de projet.

En retour, par courriers en date des 2 et 3 mars 2020 vous mainteniez votre position et tentez de laisser croire que notre entretien du 2 mars 2020 avait pour objectif de trouver une solution amiable, notamment par la voie de la rupture conventionnelle. Par la même vous détournez la réalité, pour rappel notre seul objectif est de vous voir reprendre votre poste de chef de projet.

Face à cette situation, le 16 mars 2020 nous vous adressions par courrier recommandé une nouvelle mise en demeure de reprendre votre fonction de chef de projet. Ce courrier est resté sans aucune réponse de votre part ni par courrier, ni par téléphone et vous n'avez pas repris vos fonctions et ne vous êtes à aucun moment présenté dans nos bureaux. En conséquence, vous êtes à ce jour en situation d'absence injustifiée depuis le 2 mars 2020.

À l'issue de l'exposé des faits, vous avez une nouvelle fois confirmé ne pas vouloir reprendre vos fonctions de chef de projet, considérant que pour vous il s'agissait d'une fonction temporaire.

Avant de conclure notre entretien, nous vous avons rappelé qu'il n'a jamais été évoqué que vous occupiez ces fonctions à titre temporaire, l'avenant que vous avez signé l'attestant.

En conséquence, face à votre refus de reprendre vos fonctions, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour faute grave qui prendra effet à compter de la première présentation du présent courrier par les services postaux ».

Constitue une faute grave tout fait ou ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible son maintien dans l'entreprise pendant la durée du préavis. Il convient en conséquence d'apprécier si une faute a été commise et si elle recèle une gravité suffisante.

En l'espèce, il est établi que Monsieur j. A. a quitté son travail sans autorisation le 2 mars 2020 et n'a jamais repris son poste malgré multiples demandes de son employeur. Il justifie son comportement par le fait que son acceptation au poste de Chef de projet n'était que temporaire et qu'il devait être nommé à un poste conforme à ses attentes à son retour de congé pour création entreprise.

Or, cela ne ressort que des assertions non démontrées de Monsieur j. A.. Au contraire, les seuls documents écrits témoignent du contraire. Il a postulé, le 20 août 2017, sur le poste proposé à Monaco. Il a ensuite signé le 18 septembre 2017 une Convention tripartite de transfert à Monaco à compter du 1er octobre 2017, le contrat de travail en qualité de Chef de projet étant annexé. Il a ensuite échangé sur le contenu du contrat de travail, s'enquérant notamment du nombre de congés payés, sans jamais émettre la moindre réserve sur son poste de travail, avant de le signer le 27 septembre 2017. Ses tentatives de faire croire que ce poste n'était que temporaire, qu'elles soient soutenues par son Conseil ou par ses propres courriers, n'ont aucune force probante ne reposant que sur des affirmations.

En outre, aucune revendication, même légitime, ne peut justifier qu'un salarié s'arroge le droit de refuser d'exécuter ses obligations contractuelles.

Le comportement de Monsieur j. A. était en conséquence fautif.

Il est exact que la faute grave justifiant la cessation instantanée du contrat de travail implique une réaction immédiate de l'employeur. Néanmoins, d'une part, la limite à ce principe réside dans le temps nécessaire pour l'employeur pour apprécier le degré de gravité des agissements de son salarié. Surtout, d'autre part, si la faute grave peut certes résulter d'un fait unique, elle peut également résulter d'un ensemble de fais qui isolément auraient pu être considérés comme véniels, mais qui ensemble rendent intolérable la poursuite des relations contractuelles.

En l'espèce, au regard de l'ancienneté de Monsieur j. A. et du fait que le jour de la reprise lorsqu'il refuse d'exécuter son obligation de travailler il s'agit du premier acte fautif qu'il n'ait jamais commis, le fait de ne pas procéder à son licenciement immédiat n'implique pas que la gravité du comportement ne puisse être ultérieurement invoquée. L'employeur a au contraire fait preuve de mesure en lui adressant une première mise en demeure, puis une seconde. C'est en réalité la répétition des comportements fautifs de Monsieur j. A., qui s'entête à qualifier la demande d'exercice de son activité de « proposition », tente de négocier une monétisation de son départ, ne répond pas aux mises en demeure de son employeur, qui rend impossible le maintien de la relation de travail et confine à la faute grave.

Le motif de licenciement étant valable les demandes d'indemnité de préavis et de congédiement de Monsieur j. A. seront rejetées.

Concernant les circonstances de mise en oeuvre, Monsieur j. A. déplore la réception tardive de la documentation de fin de contrat et de la lettre de licenciement.

Il convient de noter que Monsieur j. A. était domicilié à Mandelieu-la-Napoule, adresse à laquelle l'ensemble de la documentation lui a été adressée, précision faite que seule la lettre de licenciement doit lui être envoyée par lettre recommandée, contrairement à la documentation de fin de contrat. Dans ces conditions, l'employeur n'avait aucune obligation de lui adresser un quelconque document par mail. En outre, Monsieur j. A. n'établit aucun préjudice, ne prouvant pas avoir eu des difficultés dans ses démarches postérieures au licenciement (inscription Pôle Emploi…) ni en avoir d'ailleurs accompli aucune.

Concernant la documentation relative à ses emplois précédents au sein du groupe C., il est en possession de leur intégralité, comme les pièces communiquées au dossier le démontrent et sa demande est mal fondée.

Aucun abus dans la mise en œuvre du licenciement n'ayant été commis, Monsieur j. A. sera débouté de l'intégralité de ses demandes.

Monsieur j. A. succombant, il sera condamné aux entiers dépens.

En équité, la demande au titre des frais irrépétibles de la S. A. M. B. sera rejetée.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL, statuant par mise à disposition au Secrétariat du Tribunal du travail, contradictoirement, en premier ressort et après en avoir délibéré,

Rejette l'intégralité des demandes de Monsieur j.A ;

Condamne Monsieur j.A aux entiers dépens ;

Rejette la demande de la société anonyme monégasque B. au titre des frais irrépétibles ;

Composition🔗

Ainsi jugé par Madame Cyrielle COLLE, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Messieurs Régis MEURILLION et Jean-Sébastien FIORUCCI, membres employeurs, Messieurs Jean-Pierre MESSY et Georges-Éric TRUCHON, membres salariés, assistés de Madame Céline RENAULT, Secrétaire adjoint, et - en l'absence d'opposition des parties - mis à disposition au Secrétariat du Tribunal du Travail, le douze décembre deux mille vingt-trois

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